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16/09/2003 | SUISSE | N°4P.143/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 16 septembre 2003, 4P.143/2003


{T 0/2}
4P.143/2003 /svc

Arrêt du 16 septembre 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Favre.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

A. ________,
B.________,
C.________,
recourants,

contre

E.________,
H.________,
intimés,
représentés par Me Jacques-André Schneider, avocat, case postale
3403, 1211
Genève 3,
Chambre civile de la Cour de justice du canton
de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3.

art. 9 Cst.; procédure civile cant

onale,

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la
Cour de
justice du canton de Genève
du 16 mai 200...

{T 0/2}
4P.143/2003 /svc

Arrêt du 16 septembre 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Favre.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

A. ________,
B.________,
C.________,
recourants,

contre

E.________,
H.________,
intimés,
représentés par Me Jacques-André Schneider, avocat, case postale
3403, 1211
Genève 3,
Chambre civile de la Cour de justice du canton
de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3.

art. 9 Cst.; procédure civile cantonale,

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la
Cour de
justice du canton de Genève
du 16 mai 2003.

Faits:

A.
Par contrat de bail à ferme agricole non daté, M.________ a cédé à
A.________
et B.________ ainsi qu'à leur fils C.________ l'usage de la parcelle
n° 1930
de la commune de O.________, comprenant une habitation et un hangar.
D'une
surface de 27 027 m2, cette parcelle est située en zone agricole. Le
bail a
été conclu pour une année à partir du 1er juillet 2000 et se
renouvelait
ensuite tacitement d'année en année, sauf résiliation signifiée six
mois à
l'avance. Le fermage mensuel a été fixé à 2'000 fr. durant le premier
semestre et à 3'000 fr. par la suite.

Par acte authentique du 28 novembre 2001, M.________ a vendu la
parcelle n°
1930 à E.________. Quatre mois plus tard, H.________, épouse du
nouveau
propriétaire, est devenue copropriétaire pour moitié de la parcelle
précitée.
Parallèlement, M.________ a cédé aux époux E.________ et H.________
ses
prétentions à l'encontre des fermiers.

Le fermage a été payé jusqu'à fin mai 2001. Par avis comminatoires
des 29
août, 18 octobre et 5 novembre 2001, M.________ a fait savoir aux
fermiers
que le bail serait résilié de plein droit si les mensualités en
souffrance
n'étaient pas payées dans les six mois. Les 23 janvier, 12 février,
20 mars
et 16 avril 2002, les nouveaux bailleurs ont également fait parvenir
aux
fermiers des avis comminatoires en bonne et due forme. Les montants
de 1'600
fr., 1'400 fr. et 2'000 fr. ont été versés aux nouveaux bailleurs
entre le 12
février et le 19 mars 2002.

B.
Par assignation du 22 avril 2002, H.________ et E.________ ont ouvert
action
devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Ils
demandaient
l'évacuation de A.________, B.________ et C.________ du bien-fonds
loué pour
défaut de paiement du fermage.

Par jugement du 5 décembre 2002, le tribunal a condamné A.________,
B.________ et C.________ à évacuer de leurs personnes, de leurs biens
et de
tous tiers la parcelle n° 1930 de la commune de O.________.
Peu après le début de la procédure civile, les fermiers ont déposé une
requête en fixation du fermage admissible devant la Commission
d'affermage
agricole, dépendant du Département genevois de l'intérieur, de
l'agriculture
et de l'environnement. Cette requête a été rejetée par décision du 17
mars
2003. Les fermiers ont alors recouru auprès du Tribunal administratif.

A. ________, B.________ et C.________ ont formé appel contre le
jugement du 5
décembre 2002. Statuant le 16 mai 2003, la Chambre civile de la Cour
de
justice a confirmé la décision attaquée; elle a estimé en particulier
qu'il
n'était pas nécessaire de suspendre la cause dans l'attente de
l'arrêt du
Tribunal administratif.

C.
A.________, B.________ et C.________ interjettent un recours de droit
public
au Tribunal fédéral. Ils concluent à l'annulation de l'arrêt rendu
par la
Chambre civile.

Un échange d'écritures n'a pas été ordonné.

Parallèlement, les fermiers ont interjeté un recours en réforme
contre le
même arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Conformément à la règle générale de l'art. 57 al. 5 OJ, il
convient en
l'espèce de traiter le recours de droit public avant le recours en
réforme.

1.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine
que les
griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans
l'acte
de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 129 I 113 consid. 2.1 p.
120; 128
III 50 consid. 1c p. 53/54 et les arrêts cités). Par ailleurs, il se
fonde
sur l'état de fait tel qu'il ressort de la décision attaquée, à moins
que le
recourant n'établisse que l'autorité cantonale a constaté les faits de
manière inexacte ou incomplète en violation de la Constitution (ATF
118 Ia 20
consid. 5a p. 26).

2.
Les recourants reprochent à la cour cantonale d'avoir appliqué l'art.
107 de
la loi de procédure civile genevoise (LPC/GE) de manière arbitraire en
refusant de suspendre la cause jusqu'à ce que le Tribunal
administratif ait
rendu son arrêt dans la procédure introduite parallèlement.

2.1 Le Tribunal fédéral revoit l'application du droit cantonal sous
l'angle
de l'arbitraire (ATF 128 I 177 consid. 2.1 p. 182; 116 Ia 102 consid.
4a p.
104). Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle
est
manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un
principe
juridique clair et indiscuté, ou encore heurte de manière choquante le
sentiment de la justice et de l'équité. Il ne suffit pas que sa
motivation
soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse
arbitraire dans
son résultat. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la
solution
retenue que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction
manifeste
avec la situation effective, adoptée sans motif objectif et en
violation d'un
droit certain. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre
solution
paraît concevable, voire même préférable (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p.
9; 128 I
81 consid. 2 p. 86, 177 consid. 2.1 p. 182, 273 consid. 2.1 p. 275;
128 II
259 consid. 5 p. 280/281; 127 I 60 consid. 5a p. 70).

2.2 Aux termes de l'art. 107 LPC/GE, l'instruction d'une cause peut
être
suspendue lorsqu'il existe des motifs suffisants, notamment lorsqu'il
s'agit
d'attendre la fin d'une procédure ayant une portée préjudicielle pour
la
décision à rendre ou qui pourrait influencer celle-ci de manière
décisive.

Pour des motifs d'économie de procédure et de célérité, le droit
suisse
admet, en principe, que l'autorité saisie du litige principal se
prononce sur
une question préjudicielle lorsque celle-ci n'a pas encore été
tranchée par
l'autorité normalement compétente (Ulrich Häfelin/Georg Müller,
Allgemeines
Verwaltungsrecht, 4e éd., n. 60 et 61, p. 15). Le principe de
célérité qui
découle de l'art. 29 al. 1 Cst. pose ainsi des limites à la
suspension d'une
procédure jusqu'à droit connu sur le sort d'une procédure parallèle
(cf. ATF
119 II 386 consid. 1b p. 389). La suspension ne doit être admise
qu'exceptionnellement, en particulier lorsqu'il se justifie
d'attendre la
décision d'une autre autorité, ce qui permettrait de trancher une
question
décisive. De manière générale, la décision de suspension relève du
pouvoir
d'appréciation du juge saisi; ce dernier procédera à la pesée des
intérêts
des parties, l'exigence de célérité l'emportant dans les cas limites
(ATF 119
II 386 consid. 1b p. 389). Il appartiendra au juge de mettre en
balance,
d'une part, la nécessité de statuer dans un délai raisonnable et,
d'autre
part, le risque de décisions contradictoires (Bertossa/Gaillard/Guyet,
Commentaire de la loi de procédure civile genevoise, vol. I, n. 2 ad
art.
107).

2.3 Il n'est pas contesté que le contrat liant les parties est un
bail à
ferme agricole, assujetti à la loi sur le bail à ferme agricole
(LBFA; RS
221.213.2). Aux termes de l'art. 36 al. 1 LBFA, le fermage est soumis
au
contrôle de l'autorité et ne peut dépasser la mesure licite. La
procédure de
contrôle est différente selon que le bail porte sur une entreprise
agricole
ou un immeuble agricole. Dans le premier cas, le fermage est soumis à
l'approbation de l'autorité, qui doit être saisie par le bailleur
dans les
trois mois dès l'entrée en jouissance de la chose affermée (art. 42
al. 1 et
2 LBFA); si elle apprend qu'un fermage n'a pas été approuvé,
l'autorité
cantonale ouvre la procédure d'approbation (art. 42 al. 3 LBFA). Dans
le
second cas, c'est l'autorité qui peut former opposition contre le
fermage
convenu dans les trois mois à compter du jour où elle a eu
connaissance de la
conclusion du bail (art. 43 al. 1 et 2 LBFA).

En l'espèce, une fois la procédure d'évacuation pour cause de demeure
engagée
par les bailleurs, les fermiers se sont adressés à l'autorité
administrative
pour faire approuver le fermage, en faisant valoir qu'ils
exploitaient une
entreprise agricole. La première instance a estimé que le bail à ferme
portait sur un immeuble agricole et qu'il n'y avait pas lieu de fixer
le
fermage admissible, étant précisé par ailleurs que l'autorité n'a pas
formé
opposition.

La procédure de recours contre cette décision était pendante lorsque
la
Chambre civile a été amenée à se prononcer sur l'évacuation fondée
sur la
demeure du fermier au sens de l'art. 21 LBFA. La question est de
savoir si la
cour cantonale a appliqué l'art. 107 LPC/GE de manière arbitraire en
refusant
de suspendre la procédure dans l'attente de la décision du Tribunal
administratif.

Sous la note marginale «Effets de droit civil», l'art. 45 al. 1 LBFA
prescrit
que la convention relative au fermage est nulle dans la mesure où
celui-ci
dépasse le montant licite. Le texte allemand est plus précis en
mentionnant
qu'il s'agit du montant fixé par l'autorité («Die Vereinbarung über
den
Pachtzins ist nichtig, soweit dieser das durch die Behörde
festgesetzte Mass
übersteigt.»). La version actuelle de l'art. 45 al. 1 LBFA a été
rédigée par
le Conseil des Etats qui, en biffant ainsi l'al. 1 du projet, a
rejeté la
solution du Conseil fédéral consistant à ne rendre exigible le
fermage d'une
entreprise agricole qu'à partir de l'entrée en force de la décision
d'approbation (BO CE 1983, p. 528/529; Message du 11 novembre 1981
concernant
la LBFA, in FF 1982 I, p. 307 et 325; Claude Paquier-Boinay, Le
contrat de
bail à ferme agricole: conclusion et droit de préaffermage, thèse
Lausanne
1990, p. 210; Benno Studer/Eduard Hofer, Le droit du bail à ferme
agricole,
p. 302; Manuel Müller, Les dispositions de droit privé de la loi
fédérale sur
le bail à ferme agricole, in Communications de droit agraire/Blätter
für
Agrarrecht 1987, II, note de pied n° 29, p. 41). S'il veut échapper à
la
demeure de l'art. 21 LBFA et aux sanctions pénales prévues à l'art.
54 al. 1
LBFA, le fermier qui ne veut pas payer un fermage qu'il estime soumis
à
approbation et, éventuellement, excessif doit saisir l'autorité
compétente et
consigner le montant convenu (Paquier-Boinay, op. cit., p. 210;
Studer/Hofer,
op. cit., p. 297 et p. 302; Müller, op. cit., p. 41).

Lorsque le fermier est en demeure pour le paiement du fermage, le
bailleur
peut lui signifier par écrit qu'à défaut de paiement dans les six
mois, le
bail sera résilié à ce terme (art. 21 al. 1 LBFA). On a vu que, dans
le cas
d'une entreprise agricole, l'absence de décision de l'autorité
administrative
sur le fermage n'empêche pas le fermier de tomber en demeure s'il ne
règle
pas le montant convenu et exigible. En l'occurrence, il n'y avait
donc pas
lieu, a priori, de suspendre la procédure civile jusqu'à ce que le
Tribunal
administratif ait tranché la question de savoir si le bail à ferme
portait
sur une entreprise agricole ou un immeuble agricole.

Selon les circonstances, il se peut toutefois que le montant en
souffrance à
l'échéance du délai de six mois se révèle finalement équivalent ou
inférieur
à l'addition des parts de fermage déclarées illicites par l'autorité
administrative, et donc nulles. Ce cas de figure est susceptible de se
présenter si le fermier d'une entreprise agricole s'est contenté de
payer au
bailleur la partie du fermage qu'il ne considérait pas comme
excessive et que
celle-ci correspond ou dépasse le fermage réduit par l'autorité
administrative. Si pareil risque existe, une suspension de la
procédure par
le juge civil s'impose, car il serait insatisfaisant qu'une
évacuation soit
prononcée alors que la somme impayée n'était pas due en définitive.
Une telle hypothèse est exclue en l'espèce. Lors de l'avis
comminatoire du 23
janvier 2002, les fermages de juin à septembre 2001 (11'500 fr.)
ainsi que
d'octobre et novembre (6'000 fr.) étaient impayés; durant le délai de
six
mois de l'art. 21 al. 1 LBFA, seul un montant de 5'000 fr. a été
réglé, en
plusieurs fois, sans que l'on sache du reste si ces sommes ont été
imputées
sur les arriérés de fermage ou sur les fermages dus à partir de
janvier 2002.
Toujours est-il que, dans l'hypothèse la plus favorable aux fermiers,
un
montant de 12'500 fr. restait impayé à l'échéance du délai de six
mois. Or,
même si l'autorité administrative devait réduire de moitié le loyer
mensuel
de 3'000 fr., ce qui ne paraît déjà plus dans l'ordre du possible, il
subsisterait encore un solde impayé de 3'500 fr., de sorte que
l'évacuation
serait de toute façon bien fondée.

Dans ces conditions, la cour cantonale n'a manifestement pas appliqué
l'art.
107 LPC/GE de manière arbitraire en optant pour le principe de
célérité. Un
refus de suspendre la procédure était d'autant plus justifié que les
arriérés
de fermage ont continué de s'accumuler depuis l'avis comminatoire du
23
janvier 2002.

3.
Sur le vu
de ce qui précède, le recours doit être rejeté. Les
recourants, qui
succombent, prendront à leur charge les frais judiciaires (art. 156
al. 1
OJ). En revanche, ils n'auront pas à verser une indemnité de dépens
aux
intimés, qui n'ont pas été invités à se déterminer sur le recours.

Par ces motifs, vu l'art. 36a OJ, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis solidairement à la
charge des
recourants.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre
civile
de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 16 septembre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: La Greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.143/2003
Date de la décision : 16/09/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-09-16;4p.143.2003 ?
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