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11/09/2003 | SUISSE | N°I.349/03

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 11 septembre 2003, I.349/03


{T 7}
I 349/03

Arrêt du 11 septembre 2003
IVe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Ferrari.
Greffière : Mme
Boschung

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant,

contre

E.________, 1960, intimé, représenté par Me Urbain Lambercy, avocat,
chemin
du Closelet 2, 1001 Lausanne

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 9 octobre 2002)

Faits:

A.
E.

________, né en 1960, a travaillé en Suisse dès 1992. Après avoir
oeuvré
en dernier lieu en tant qu'aide de cuisine dans un restau...

{T 7}
I 349/03

Arrêt du 11 septembre 2003
IVe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Ferrari.
Greffière : Mme
Boschung

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant,

contre

E.________, 1960, intimé, représenté par Me Urbain Lambercy, avocat,
chemin
du Closelet 2, 1001 Lausanne

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 9 octobre 2002)

Faits:

A.
E. ________, né en 1960, a travaillé en Suisse dès 1992. Après avoir
oeuvré
en dernier lieu en tant qu'aide de cuisine dans un restaurant, il a
été
licencié pour des motifs conjoncturels le 30 janvier 1997. Le 26
septembre de
la même année, il a déposé une demande de prestations de
l'assurance-invalidité tendant à l'octroi d'une rente.

L'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud (ci-après :
l'OAI)
a confié au Centre d'observation médicale de l'assurance-invalidité
(ci-après
: COMAI) une expertise (rapport du 31 mars 2000). Par décision du 27
juillet
2000, l'OAI a rejeté la demande, motif pris que l'assuré, qui ne
présentait
pas de limitations fonctionnelles ni de troubles psychiatriques,
conservait
une capacité de travail entière.

B.
E.________ a recouru contre cette décision devant le Tribunal des
assurances
du canton de Vaud, en concluant "principalement à ce qu'il soit mis au
bénéfice d'une rente d'invalidité de 100 %, subsidiairement à ce
qu'il soit
mis au bénéfice d'une rente d'invalidité de 50 %, et très
subsidiairement à
ce que l'autorité intimée soit invitée à procéder à une nouvelle
instruction". Il reprochait en particulier à l'OAI de n'avoir pas
tenu compte
des conclusions de l'expertise du COMAI du 31 mars 2000 qui avait
estimé sa
capacité résiduelle de travail à 60 %.

Par jugement du 9 octobre 2002, la juridiction cantonale a admis
partiellement le recours et réformé la décision attaquée en ce sens
qu'elle a
reconnu à l'intéressé le "droit à une rente d'invalidité de 40 % à
partir du
1er novembre 1998".

C.
L'OAI interjette un recours de droit administratif contre ce jugement
dont il
demande l'annulation, en concluant à la confirmation de sa décision
du 27
juillet 2000.

E. ________ n'a pas formulé de réponse. De son côté, l'Office fédéral
des
assurances sociales a renoncé à se déterminer sur le recours.
Considérant en droit:

1.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances
sociales du 6
octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003,
entraînant la
modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de
l'assurance-invalidité. Le cas d'espèce demeure toutefois régi par les
dispositions de la LAI en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, eu égard
au
principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur
au moment
où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 127 V
467
consid. 1). En outre, le Tribunal fédéral des assurances apprécie la
légalité
des décisions attaquées, en règle générale, d'après l'état de fait
existant
au moment où la décision litigieuse a été rendue, soit le 27 juillet
2000
(ATF 121 V 366 consid. 1b).

2.
Le litige porte sur le point de savoir si l'intimé subit une
diminution de sa
capacité de gain en raison d'une atteinte à sa santé psychique.

3.
3.1Selon l'art. 4 al. 1 LAI, l'invalidité est la diminution de la
capacité de
gain, présumée permanente ou de longue durée, qui résulte d'une
atteinte à la
santé physique ou mentale provenant d'une infirmité congénitale, d'une
maladie ou d'un accident.

3.2 Parmi les atteintes à la santé psychique, qui peuvent, comme les
atteintes physiques, provoquer une invalidité au sens de l'art. 4 al.
1 LAI,
on doit mentionner - à part les maladies mentales proprement dites -
les
anomalies psychiques qui équivalent à des maladies. On ne considère
pas comme
des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des
affections à
prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la
capacité
de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne
volonté; la
mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi
objectivement que
possible. Il faut donc établir si et dans quelle mesure un assuré
peut,
malgré son infirmité mentale, exercer une activité que le marché du
travail
lui offre, compte tenu de ses aptitudes. Le point déterminant est ici
de
savoir quelle activité peut raisonnablement être exigée dans son cas.
Pour
admettre l'existence d'une incapacité de gain causée par une atteinte
à la
santé mentale, il n'est donc pas décisif que l'assuré exerce une
activité
lucrative insuffisante; il faut bien plutôt se demander s'il y a lieu
d'admettre que la mise à profit de sa capacité de travail ne peut,
pratiquement, plus être raisonnablement exigée de lui, ou qu'elle
serait même
insupportable pour la société (ATF 102 V 165; VSI 2001 p. 224 consid.
2b et
les références; cf. aussi ATF 127 V 298 consid. 4c in fine).

3.3 En ce qui concerne, par ailleurs, la valeur probante d'un rapport
médical, ce qui est déterminant c'est que les points litigieux
importants
aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur
des
examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes
exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier
(anamnèse),
que la description du contexte médical soit claire et enfin que les
conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 122 V 160 consid.
1c et les
références; VSI 2000 p. 154 consid. 2c).

A ce titre, Meine souligne que l'expertise doit être fondée sur une
documentation complète et des diagnostics précis, être concluante
grâce à une
discussion convaincante de la causalité, et apporter des réponses
exhaustives
et sans équivoque aux questions posées (Meine, L'expertise médicale
en Suisse
: satisfait-elle aux exigences de qualité actuelles ? in RSA 1999 p.
37 ss).
Dans le même sens, Bühler expose qu'une expertise doit être complète
quant
aux faits retenus, à ses conclusions et aux réponses aux questions
posées.
Elle doit être compréhensible, concluante et ne pas trancher des
points de
droit (Bühler, Erwartungen des Richters an den Sachverständigen, in
PJA 1999
p. 567 ss).

Se fondant sur la doctrine médicale récente, Mosimann a décrit en
détail la
tâche de l'expert médical, lorsque celui-ci doit se prononcer sur le
caractère invalidant de troubles somatoformes. Selon cet auteur
(Somatoforme
Störungen : Gerichte und (psychiatrische) Gutachten, RSAS 1999, p. 1
ss et
105 ss), sur le plan psychiatrique, l'expert doit poser un diagnostic
dans le
cadre d'une classification reconnue et se prononcer sur le degré de
gravité
de l'affection. Il doit évaluer le caractère exigible de la reprise
par
l'assuré d'une activité lucrative. Ce pronostic tiendra compte de
divers
critères, tels une structure de la personnalité présentant des traits
prémorbides, une comorbidité psychiatrique, des affections corporelles
chroniques, une perte d'intégration sociale, un éventuel profit tiré
de la
maladie, le caractère chronique de celle-ci sans rémission durable,
une durée
de plusieurs années de la maladie avec des symptôme stables ou en
évolution,
l'échec de traitements conformes aux règles de l'art. Le cumul des
critères
précités fonde un pronostic défavorable. Enfin, l'expert doit
s'exprimer sur
le cadre psychosocial de la personne examinée. Au demeurant, la
recommandation de refus d'une rente doit également reposer sur
différents
critères. Au nombre de ceux-ci figurent la divergence entre les
douleurs
décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses douleurs
dont
les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins,
les
grandes divergences entre les informations fournies par le patient et
celles
ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives
laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds
handicaps
malgré un environnement psychosocial intact (VSI 2000 154 consid. 2c).

4.
4.1Sur le plan physique, les experts du COMAI (rapport d'expertise du
31 mars
2000) ont diagnostiqué un status post-néphrectomie gauche, une
oesophagite
peptique, et un syndrome métabolique (obésité, dyslipidémie mixte,
stéatose
hépatique, hyperuricémie, probable trouble de la tolérance au
glucose). Ces
troubles physiques ne permettent toutefois pas d'expliquer les
plaintes
exprimées par l'assuré et ne constituent pas davantage des atteintes
à la
santé propres à entraîner une incapacité de travail.

Sur le plan psychique, les experts ont diagnostiqué des somatisations
multiples (asthénie, épigastralgies, lombalgies) consécutives à des
"angoisses de mort secondaires à une néphrectomie et des troubles
métaboliques". Néanmoins, ils n'ont pas mis en évidence de
"symptomatologie
dépressive ni anxieuse justifiable d'un diagnostic psychiatrique".
Selon les
experts, ces pensées envahissantes empêchent le patient de fonctionner
normalement dans son quotidien. Ces médecins ont ainsi fait état d'une
diminution de la capacité de travail de l'ordre de 40 %, considérant
que ce
trouble somatoforme douloureux est assez important pour altérer un
fonctionnement professionnel normal.

4.2 Dans sa décision de refus de rente du 27 juillet 2000, l'OAI a
considéré
que l'assuré ne subissait pas de limitations fonctionnelles ni de
troubles
psychiatriques. Il a conclu que sa capacité de travail était entière
et qu'il
ne présentait aucune atteinte à la santé invalidante au sens de
l'art. 4 LAI.

De leur côté, les premiers juges sont d'avis que l'intéressé souffre
d'une
atteinte psychiatrique assez "envahissante" pour empêcher un
fonctionnement
normal. Se fondant sur le rapport d'expertise du COMAI, ils ont
considéré que
la cause de l'incapacité de travail constatée par les experts était
bien la
maladie (somatisations correspondant notamment à des angoisses de mort
importantes), et non des problèmes d'ordre familial ou professionnel.
La
juridiction cantonale a ainsi jugé que la capacité de travail de
l'assuré
était réduite de 40 % dans toute activité et qu'il avait droit à un
quart de
rente d'invalidité.

5.
5.1Comme la Cour de céans a déjà eu l'occasion de le rappeler à
plusieurs
reprises (arrêts M. du 20 mars 2003, I 182/02, Q. du 8 août 2002, I
783/01,
et S. du 6 mai 2002, I 275/01), il ne ressort pas de la jurisprudence
relative au caractère invalidant de troubles somatoformes (voir
consid. 3.3)
que seuls des troubles somatoformes douloureux liés à une comorbidité
psychiatrique grave seraient susceptibles de fonder une invalidité au
sens de
la LAI (VSI 2000 p. 154 consid. 2c). Une telle comorbidité constitue
tout au
plus l'un des critères, certes important, à prendre en considération
dans le
cadre d'une évaluation globale de la situation médicale de l'assuré.
Aussi,
ne saurait-on, comme l'office recourant le soutient dans sa
détermination,
s'écarter des conclusions des experts du COMAI au seul motif que leur
rapport
ne fait pas état d'une comorbidité psychiatrique grave.

5.2 Cela étant, il n'en demeure pas moins qu'il faut examiner si
l'expertise
contient suffisamment d'éléments pertinents au plan psychiatrique
pour que
l'on puisse se convaincre, dans le cas particulier, que l'intéressé
n'est pas
en mesure de reprendre pleinement une activité lucrative.
Chargé d'examiner les aspects psychiatriques dans le cadre de
l'expertise du
COMAI, le docteur A.________ a constaté des pensées envahissantes,
sous la
forme d'angoisses de mort, qui empêchent le patient de fonctionner
normalement dans son quotidien. Il a cependant nié l'existence d'un
état
dépressif, ou encore la présence, sur le plan clinique ou
para-clinique,
d'éléments métaboliques permettant d'expliquer les plaintes exprimées.
D'autre part, en présence d'une anamnèse reflétant une excellente
santé
jusqu'en 1992, l'expert prénommé a souligné la difficulté de définir
les
raisons du déclenchement du trouble somatoforme douloureux. Selon les
médecins du COMAI, on peut faire le rapprochement avec le décès du
père
(probablement par suite d'un infarctus), alors que le recourant était
âgé de
deux ans, mais également avec la néphrectomie subie en 1994 après une
hydronéphrose rénale gauche.
Par ailleurs, le rapport du COMAI ne fait pas état d'échec dans les
traitements : la fonction rénale est quasiment intacte et les soins
prodigués
à la Policlinique Psychiatrique P.________, en 1997 et 1998, ont
permis de
faire disparaître l'état dépressif. Au sujet du mode de vie de
l'intéressé,
on relèvera également dans ce rapport qu'il n'est pas question d'une
perte
d'intégration sociale, les observations qui y sont contenues allant
davantage
dans le sens d'une intégration sociale normale.

Enfin, les experts attestent de nombreuses plaintes relatives à des
douleurs
dont les caractéristiques demeurent vagues (p. ex. douleurs dorsales
que
l'assuré associe aux problèmes rénaux, douleurs atypiques et vagues de
l'hypochondre et de la fosse iliaque gauche, angoisse d'être
constamment en
sursis, laquelle n'incite toutefois pas l'intéressé à se comporter de
manière
à atténuer les risques [tabagisme, absence d'exercice]).

On constate ainsi que l'expertise du COMAI ne contient pas
suffisamment
d'éléments au plan psychiatrique pour que l'on puisse se convaincre

que
l'intéressé n'est pas en mesure de reprendre pleinement une activité
lucrative. Dans sa décision de refus de rente du 27 juillet 2000,
l'office
recourant était par conséquent fondé à s'écarter des conclusions des
experts.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement du Tribunal des assurances du
canton de
Vaud du 9 octobre 2002 est annulé.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des
assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 11 septembre 2003
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la IVe Chambre: La Greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.349/03
Date de la décision : 11/09/2003
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-09-11;i.349.03 ?
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