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10/09/2003 | SUISSE | N°1A.160/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 10 septembre 2003, 1A.160/2003


{T 0/2}
1A.160/2003 /col

Arrêt du 10 septembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Catenazzi.
Greffier: M. Kurz.

la société A.________,
la société C.________,
recourantes,
représentées par Me Tony Reynard, avocat, rue du Mont-Blanc 3, case
postale
2065, 1211 Genève 1,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève,

Chambre d'accusation, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.

Entraide judiciaire internationale en m...

{T 0/2}
1A.160/2003 /col

Arrêt du 10 septembre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Catenazzi.
Greffier: M. Kurz.

la société A.________,
la société C.________,
recourantes,
représentées par Me Tony Reynard, avocat, rue du Mont-Blanc 3, case
postale
2065, 1211 Genève 1,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.

Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la France,

recours de droit administratif contre l'ordonnance de la Chambre
d'accusation
du canton de Genève, du 25 juin 2003.

Faits:

A.
Le 3 décembre 2002, le Parquet de la Cour d'appel de Paris a adressé
aux
autorités genevoises une commission rogatoire formée pour les besoins
d'une
information ouverte contre L.________, G.________ et O.________, des
chefs
d'escroqueries (art. 313 du code pénal français) et de tromperies
(art. 213
du code de la consommation). Il est reproché à G.________ d'avoir mis
à
disposition de O.________ des tableaux, vendus par ce dernier au prix
de
toiles de maîtres alors qu'il s'agissait de copies d'atelier ou de
l'école du
maître en question. L.________ serait intervenu comme expert, afin de
dissiper les doutes des acheteurs sur la valeur réelle des tableaux.
Les
tableaux étaient payés, principalement par virements bancaires en
faveur des
sociétés K.________ (Londres et Tortola), sur des comptes à Londres,
en
Belgique ou au Luxembourg. Une partie des tableaux aurait été fournie
par la
société C.________, domiciliée à Tortola et à Genève, laquelle aurait
reçu,
sur un compte auprès de l'UBS, des versements en provenance de
K.________.
Selon l'autorité requérante, plusieurs entités suisses seraient
intervenues
dans ces opérations, en particulier la société genevoise A.________ SA
(Genève), chargée des intérêts de C.________ en Suisse. L'autorité
requérante
demande des renseignements sur les relations entre ces deux sociétés
et les
personnes visées par l'enquête; s'agissant de A.________, elle désire
obtenir
ses statuts ainsi que sa comptabilité pour 1998 à 2001 (y compris la
facturation échangée avec C.________ et K.________), connaître ses
actionnaires, bénéficiaires et responsables et faire entendre ces
derniers.
Elle demande aussi de rechercher les comptes ouverts auprès de l'UBS
par
A.________ et C.________, et d'en obtenir la documentation complète, y
compris les extraits et justificatifs du 1er janvier 1999 au 1er
décembre
2001.

B.
Par ordonnance du 20 décembre 2002, le Juge d'instruction genevois
est entré
en matière. Le 22 janvier 2003, l'UBS de Genève a fourni la
documentation
(documents d'ouverture et relevés pour la période requise) relative
aux
comptes détenus par C.________ et A.________. L'administrateur des
deux
sociétés a été entendu le 25 février 2003, en présence de policiers
français.
Il a notamment expliqué que G.________ était client de C.________,
elle-même
principale utilisatrice de A.________. Il a remis les bilans de
A.________,
ainsi que divers documents douaniers et factures.

C.
Par ordonnance de clôture du 14 mars 2003, le juge d'instruction a
décidé de
transmettre à l'autorité requérante le procès-verbal d'audition du 25
février
2003, les pièces déposées à cette occasion, le rapport de police du 5
mars
2003 et les documents remis par la banque au sujet des comptes de
C.________
et A.________.
Par ordonnance du 25 juin 2003, la Chambre d'accusation genevoise a
rejeté
les recours formés par ces deux sociétés, qui désiraient limiter la
transmission à quarante-trois pièces, seules selon elles en rapport
avec les
faits poursuivis en France, soit la vente d'un tableau attribué à
Guido Reni.
Les recourantes se plaignaient de n'avoir pas été invitées à trier les
documents, mais elles n'avaient jamais formulé de requête dans ce
sens, de
sorte que l'objection était tardive. L'ensemble des documents saisis
était
utile à l'enquête, afin de vérifier qu'il n'existe aucune autre
opération
suspecte.

D.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, A.________ et
C.________ demandent au Tribunal fédéral d'annuler cette dernière
ordonnance,
d'inviter l'autorité d'exécution à procéder à l'inventaire et au tri
des
pièces saisies en main de l'UBS, et de limiter la transmission aux
pièces
ayant un lien avec l'enquête française.
La cour cantonale se réfère à son ordonnance, de même que l'Office
fédéral de
la justice. Le juge d'instruction conclut au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté dans le délai et les formes utiles contre une décision de
clôture
confirmée en dernière instance cantonale, le recours de droit
administratif
est recevable (art. 80e let. a et 80f al. 1 de la loi fédérale sur
l'entraide
internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1). Les recourantes
sont
chacune titulaire d'un compte au sujet duquel l'autorité d'exécution
envisage
la transmission de renseignements; elles ont qualité pour agir (art.
80h let.
b EIMP et 9a let. a OEIMP). A ce stade, la transmission du
procès-verbal
d'audition du 25 février 2003 et du rapport de police du 5 mars
suivant n'est
pas contestée, de sorte qu'il n'y a pas lieu de s'interroger sur la
qualité
pour agir des recourantes à cet égard.

2.
Les recourantes reprochent à l'autorité d'exécution de n'avoir
effectué aucun
tri des pièces remises par la banque, et d'en avoir ordonné la
transmission
en vrac sans même en avoir dressé un inventaire. En l'absence d'un tel
inventaire, les recourantes n'étaient pas à même de se déterminer de
manière
précise, et la Chambre d'accusation aurait considéré à tort ce grief
comme
tardif. C.________ admet la transmission des documents d'ouverture de
son
compte, ainsi que de dix avis de virement relatifs au paiement par
K.________
du tableau de Guido Reni. Elle s'oppose en revanche à la transmission
des
autres extraits du compte qui révéleraient l'ensemble de ses rapports
d'affaires, en particulier avec sa clientèle française qui n'est pas
concernée par la demande d'entraide. A.________ consent pour sa part
à la
remise des documents d'ouverture de son compte, ainsi que de huit
avis de
virement relatifs à des honoraires versés par C.________. Le solde des
documents concernerait des paiements de salaires et de charges
d'exploitation, sans aucun rapport avec l'objet de la demande ou avec
les
personnes mises en cause.

2.1 Selon la jurisprudence, la personne touchée par une mesure
d'entraide
doit avoir l'occasion de participer au tri des pièces recueillies
durant
l'exécution avant qu'il soit procédé à leur transmission. Celle-ci ne
peut
toutefois se contenter d'une attitude passive: lorsqu'elle sait que
des
mesures d'entraide ont été prises, et qu'une décision de transmission
est
imminente, elle doit intervenir auprès de l'autorité d'exécution,
chercher à
connaître les pièces dont la transmission est envisagée et indiquer
précisément lesquelles d'entre elles ne devraient pas être remises à
l'autorité étrangère (ATF 126 II 258 consid. 9b p. 262 et la
jurisprudence
citée).

2.2 En l'espèce, les recourantes ont été dûment informées des
investigations
entreprises à leur encontre, puisqu'en particulier leur
administrateur a été
entendu et s'est vu notifier la demande d'entraide. Le dossier
contient un
inventaire des différents documents remis par l'administrateur. Les
pièces
transmises par la banque ne sont certes pas inventoriées dans le
détail, mais
il ressort clairement, notamment de la lettre d'envoi de la banque,
qu'il
s'agit de l'entier de la documentation bancaire. Dès lors, si les
recourantes
s'estimaient insuffisamment renseignées, elles pouvaient interpeller
leur
établissement bancaire, ou demander la consultation du dossier (art.
80b al.
1 EIMP). Cette démarche pouvait encore avoir lieu dans le cadre de la
procédure de recours, cette dernière permettant la réparation
d'éventuelles
irrégularités commises en instance inférieure. Or, les recourantes ont
apparemment laissé la procédure suivre son cours, sans entreprendre
aucune
démarche afin de prendre connaissance à temps des documents
bancaires. Elles
ne prétendent d'ailleurs pas ignorer, à ce stade, en quoi consistent
les
pièces que le juge d'instruction s'apprête à transmettre. Le grief
doit donc
être écarté.

2.3 Il en va de même pour le grief, formel, relatif à l'absence de
tri. Sur
ce point également, l'attitude passive des recourantes n'est guère
compatible
avec la protection, dont elles se prévalent maintenant, de leur droit
d'être
entendues. En matière d'entraide judiciaire, l'intéressé doit
disposer d'une
occasion suffisante de s'opposer à la transmission de documents
déterminés,
soit qu'ils apparaissent manifestement sans rapport possible avec les
faits
évoqués dans la demande, soit qu'ils violent d'une autre manière le
domaine
secret. Le droit d'être entendu n'impose pas, en revanche, que les
recourantes soient personnellement entendues avant le prononcé de la
décision
de clôture (ATF 127 II 151 consid. 5b p. 159). Or en l'espèce, on ne
voit pas
ce qui empêchait les recourantes, qui devaient s'attendre à une
décision de
clôture imminente, de s'adresser spontanément au juge d'instruction en
faisant valoir les arguments qui, selon elles, empêchaient la
transmission de
certains documents. Les recourantes ont encore eu l'occasion de faire
valoir
leurs moyens dans le cadre des procédures de recours, ce qui leur
garantissait une protection juridique suffisante. Le grief doit donc,
lui
aussi, être écarté.

3.
En réalité, l'absence de tri reprochée à l'autorité d'exécution est
davantage
un grief matériel, qui doit être examiné sous l'angle du principe de
la
proportionnalité.

3.1 Ce principe empêche d'une part l'autorité requérante de demander
des
mesures inutiles à son enquête et, d'autre part, l'autorité
d'exécution
d'aller au-delà de la mission qui lui est confiée (ATF 121 II 241
consid.
3a). L'autorité suisse requise s'impose une grande retenue lorsqu'elle
examine le respect de ce principe, car elle ne dispose pas des moyens
qui lui
permettraient de se prononcer sur l'opportunité de l'administration
des
preuves. Saisi d'un recours contre une décision de transmission, le
juge de
l'entraide doit lui aussi se borner à examiner si les renseignements à
transmettre présentent, prima facie, un rapport avec les faits
motivant la
demande d'entraide. Il ne doit exclure de la transmission que les
documents
n'ayant manifestement aucune utilité possible pour les enquêteurs
étrangers
(examen limité à l'utilité "potentielle", ATF 122 II 367 consid. 2c
p. 371).
La jurisprudence admet qu'on peut interpréter une commission
rogatoire de
manière extensive, s'il apparaît que cela correspond à la volonté de
son
auteur et permet de prévenir une éventuelle demande complémentaire
(ATF 121
II 241 consid. 3a in fine). Il faut toutefois qu'ainsi comprise, la
mission
que se reconnaît l'autorité d'exécution satisfasse aux conditions
posées à
l'entraide judiciaire (même arrêt).

3.2 En l'occurrence, la mission confiée à l'autorité requise est
claire
puisqu'il s'agit notamment d'obtenir, auprès de l'UBS, "les fiches
d'ouverture et cartons de signature de ces comptes, leurs dates de
fonctionnement et éventuellement de clôture, les mouvements financiers
observés sur ces comptes avec toutes les pièces permettant d'en
identifier
les débiteurs et créanciers pour la période allant du 1er janvier
1999 au 1er
décembre 2001". Les comptes des recourantes sont expressément visés
par ces
mesures. Compte tenu de la nature des délits poursuivis, la mission
définie
par l'autorité requérante n'a rien d'excessif, puisqu'elle tend à
obtenir une
vision d'ensemble des mouvements de comptes des diverses entités
intervenues
à un titre ou à un autre dans les faits décrits. Les recourantes
affirment
qu'il n'y aurait eu qu'une seule vente de tableau, rémunérée par
K.________,
mais l'autorité requérante dispose d'un intérêt évident à pouvoir
vérifier
elle-même si les recourantes ne sont pas intervenues à d'autres
titres. Par
ailleurs, seule une documentation complète des deux comptes concernés
permettra de définir exactement les rapports financiers entre les deux
sociétés. Le juge d'instruction ne pouvait dès lors, sans faillir à sa
mission, limiter la transmission dans le sens voulu par les
recourantes. Ces
dernières se plaignent de la révélation de leurs relations d'affaires
notamment avec leur clientèle française, mais n'indiquent pas quel
document
devrait être écarté de la transmission car il porterait atteinte de
manière
disproportionnée au domaine secret. Il n'est ainsi pas possible de
savoir
quelle relation d'affaire mériterait une protection particulière, et
le
Tribunal fédéral n'a pas à se livrer d'office à un tel examen (ATF
126 II 258
consid. 9c p. 264 et la jurisprudence citée).

Le grief tiré de la violation du principe de la proportionnalité doit
par
conséquent être écarté.

4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit administratif doit
être
rejeté, aux frais des recourantes (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:


1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5000 fr. est mis à la charge des
recourantes.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des
recourantes, au
Juge d'instruction et à la Chambre d'accusation de la Cour de justice
du
canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice (B 137907
BOT).

Lausanne, le 10 septembre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.160/2003
Date de la décision : 10/09/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-09-10;1a.160.2003 ?
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