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02/09/2003 | SUISSE | N°5P.136/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 02 septembre 2003, 5P.136/2003


{T 0/2}
5P.136/2003 /frs

Arrêt du 2 septembre 2003
IIe Cour civile

M. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann et Escher.
Greffière: Mme Mairot.

A. ________, B.________ et C.Y.________,
rue des Vignerons 6, 1110 Morges,
recourants, représentés par Me François Roux, avocat, case postale
3632, 1002
Lausanne,

contre

Chambre des tutelles du Tribunal cantonal vaudois, route du Signal 8,
1014
Lausanne.

art. 29 al. 2 Cst. (curatelle de représentation selon l'art. 392 ch.> 2 CC),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre des tutelles du
Tribunal
cantonal vaudois du 25 fév...

{T 0/2}
5P.136/2003 /frs

Arrêt du 2 septembre 2003
IIe Cour civile

M. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann et Escher.
Greffière: Mme Mairot.

A. ________, B.________ et C.Y.________,
rue des Vignerons 6, 1110 Morges,
recourants, représentés par Me François Roux, avocat, case postale
3632, 1002
Lausanne,

contre

Chambre des tutelles du Tribunal cantonal vaudois, route du Signal 8,
1014
Lausanne.

art. 29 al. 2 Cst. (curatelle de représentation selon l'art. 392 ch.
2 CC),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre des tutelles du
Tribunal
cantonal vaudois du 25 février 2003.
Faits:

A.
A.a A.Y.________, née le 23 mai 1995, est la fille de B.________ et
C.Y.________, ressortissants portugais domiciliés à X.________.
Par courrier du 22 novembre 2000 adressé à la Justice de paix du
cercle de
X.________, le Dr A.R.________, pédiatre, a fait part de la situation
de
A.Y.________, qui avait porté des accusations de viol à l'encontre de
D.B.________, né le 30 juin 1988 et habitant le même immeuble
qu'elle. Bien
qu'une procédure pénale eût été ouverte devant le Tribunal des mineurs
ensuite de la dénonciation de ces faits, ce médecin estimait que
l'hypothèse
d'un autre abuseur ne pouvait être exclue, raison pour laquelle
l'autorité
tutélaire devait intervenir.
Le 30 novembre 2000, le juge de paix a ouvert une enquête quant à la
nécessité de prendre des mesures de protection à l'égard de
A.Y.________.
Ce magistrat a entendu les parents de l'enfant le 6 décembre 2000.
Ceux-ci
ont indiqué que leur fille était suivie par une pédopsychiatre et ont
consenti à relever celle-ci du secret médical. Informés du fait que,
selon le
Dr A.R.________, D.B.________ était physiologiquement incapable
d'avoir
commis les actes qui lui étaient reprochés, les comparants n'ont pas
exclu la
possibilité de l'existence d'un autre abuseur et ont admis qu'il
convenait
d'examiner cette éventualité. Le juge de paix leur a exposé qu'il
serait
utile d'instituer une curatelle, à forme de l'art. 392 ch. 2 CC, en
faveur de
A.Y.________ et de mettre en oeuvre une expertise relative à la
situation de
celle-ci.
Par courrier du 8 décembre 2000, le conseil des époux a indiqué que
ses
clients s'opposaient à ces mesures.
A la demande du juge de paix, la pédopsychiatre de l'enfant a fait
part de
ses constatations par lettre du 18 décembre 2000. Elle a exposé
qu'elle
suivait la fillette, à raison d'une séance par semaine, depuis le 18
novembre
précédent et que celle-ci avait été amenée à sa consultation par ses
parents.
La mineure était très perturbée et devait lutter contre un
"effondrement
dépressif". Selon ce médecin, les parents de l'enfant avaient su
entourer
celle-ci et avaient eu le réflexe de chercher une aide extérieure, de
sorte
que l'institution d'une curatelle ne lui paraissait pas nécessaire.
Si les
faits dénoncés par l'enfant devaient être éclaircis, il convenait
également
de préserver cette mineure, afin de ne pas l'exposer inutilement à des
situations pouvant raviver le traumatisme qu'elle avait subi.
Dans un rapport établi à l'intention du président du Tribunal des
mineurs, la
police de sûreté a indiqué que l'examen gynécologique de A.Y.________,
effectué le 27 octobre 2000 par une doctoresse de l'Hôpital de
X.________,
avait révélé une absence d'hymen chez l'enfant.
Compte tenu de l'enquête pénale en cours, le juge de paix a décidé,
dans le
courant du mois de décembre 2000, de suspendre la procédure civile
concernant
A.Y.________.
Le 28 décembre 2001, le président du Tribunal des mineurs a transmis
au juge
de paix un courrier du 12 décembre précédent émanant d'un professeur
de
l'Unité d'endocrinologie et de diabétologie de l'Hôpital de
l'enfance, à
Lausanne. Selon ce médecin, D.B.________ étant en phase prépubère au
moment
des actes qui lui étaient reprochés, l'hypothèse d'une pénétration
vaginale
de la victime par celui-ci était exclue. Des questions restaient
ainsi sans
réponse, notamment celle de l'existence éventuelle d'un autre abuseur
dans
l'entourage proche de A.Y.________.
La procédure civile a été reprise le 8 mars 2002.

A.b Par jugement du 7 juin 2002, le président du Tribunal des mineurs
a
constaté que D.B.________ s'était rendu coupable d'actes d'ordre
sexuel avec
des enfants et d'actes d'ordre sexuel commis sur une personne
incapable de
discernement ou de résistance envers A.Y.________ et a renoncé à
toute mesure
ou peine à son encontre. Selon ce jugement, les conclusions de
l'expertise
excluaient que la rupture de l'hymen constatée chez la victime puisse
être le
fait des actes retenus contre l'accusé.

A.c Le 10 juin 2002, les époux Y.________ ont, par l'intermédiaire de
leur
avocat, demandé qu'une copie du courrier du Dr A.R.________ du 22
novembre
2000 leur soit communiquée.
Le juge de paix a, le 11 juin suivant, refusé de donner suite à leur
requête.
Contre cette décision, A.________, B.________ et C.Y.________ ont
recouru à
la Chambre des tutelles du Tribunal cantonal du canton de Vaud,
concluant
qu'il soit ordonné à la justice de paix de leur transmettre une copie
du
courrier demandé.

B.
B.aPar décision du 27 juin 2002, la justice de paix a notamment
institué une
curatelle, à forme de l'art. 392 ch. 2 CC, en faveur de A.Y.________
et
désigné Katia Elkaim, avocate à Lausanne, en qualité de curatrice. A
l'appui
de sa décision, l'autorité tutélaire a relevé que, même si
D.B.________ avait
été reconnu coupable par le Tribunal des mineurs, certains éléments du
dossier laissaient à penser que A.Y.________ avait pu faire l'objet
d'abus de
la part d'une tierce personne. Il convenait dès lors de désigner un
curateur
à l'enfant, avec pour mission d'effectuer toutes les démarches qui lui
sembleraient nécessaires afin de déterminer si la fillette avait été
ou était
encore victime d'un autre abuseur.

A. ________, B.________ et C.Y.________ ont recouru contre cette
décision,
concluant principalement à son annulation, subsidiairement à sa
réforme en ce
sens qu'il n'est pas institué de curatelle de représentation en
faveur de
l'enfant.
Les 14 et 16 août 2002, le président de la Chambre des tutelles a
successivement rejeté les demandes des recourants visant à l'octroi de
l'effet suspensif, respectivement à la suspension de la procédure
jusqu'à
droit connu sur leur recours contre la décision du juge de paix du 11
juin
2002.

B.b Par arrêt du 25 septembre 2002, la Chambre des tutelles a écarté
le
recours déposé par A.________, B.________ et C.Y.________ contre la
décision
du juge de paix du 11 juin 2002. Elle a estimé que cet acte
constituait une
mesure d'instruction dans le cadre d'une procédure en mesures de
protection
d'un mineur et non pas une décision de fond susceptible de recours.
Statuant le 17 avril 2003, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable
le
recours de droit public formé contre cette décision, de nature
incidente et
non susceptible de causer un préjudice irréparable au sens de l'art.
87 al. 2
OJ.
Par arrêt du 25 février 2003, la Chambre des tutelles a également
rejeté le
recours formé par les susnommés contre la décision du juge de paix du
27 juin
2002, qu'elle a dès lors confirmée.

C.
C.aAgissant par la voie du recours de droit public pour violation de
leur
droit d'être entendus, A.________, B.________ et C.Y.________
concluent
principalement à l'annulation de l'arrêt du 25 février 2003 et à ce
qu'ordre
soit donné à la Chambre des tutelles de veiller à ce que le courrier
adressé
par le Dr A.R.________ à la Justice de paix du cercle de Morges, le 22
novembre 2000, leur soit remis immédiatement. Subsidiairement, ils
demandent
le renvoi de la cause à la Chambre des tutelles pour qu'elle statue
dans le
sens des considérants.
L'autorité cantonale a déclaré se référer aux considérants de son
arrêt.

C.b Les recourants ont également interjeté un recours en réforme
contre le
même arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Selon l'art. 57 al. 5 OJ, il est sursis en règle générale à l'arrêt
sur le
recours en réforme jusqu'à droit connu sur le recours de droit
public. Il n'y
a pas lieu d'y déroger en l'espèce.

2.
2.1Formé en temps utile contre une décision prise en dernière instance
cantonale, le présent recours est recevable sous l'angle des art. 86
al. 1 et
89 al. 1 OJ.

2.2 Vu la nature purement cassatoire du recours de droit public, les
conclusions qui vont au-delà de l'annulation de la décision attaquée
sont
irrecevables (ATF 128 III 50 consid. 1b p. 53 et les arrêts cités).
Font
exception les cas dans lesquels il ne suffit pas de casser le prononcé
cantonal pour rétablir une situation conforme à la Constitution et
qu'une
mesure positive est nécessaire (cf. à ce sujet: ATF 124 I 327 consid.
4b p.
332/333 et les références). Selon la jurisprudence actuelle, une
injonction
ne peut cependant pas être prononcée lorsque, comme en l'espèce, il
s'agit
d'un recours pour violation du droit d'être entendu (ATF 120 Ia 220
consid.
2b p. 222/223 et les références citées; cf. toutefois l'arrêt du
Tribunal
fédéral 1P.360/1996 du 10 juillet 1996).

3.
Les recourants reprochent aux autorités cantonales d'avoir refusé de
leur
communiquer la lettre du Dr A.R.________ du 22 novembre 2000.
Invoquant les
art. 29 al. 2 Cst. et 6 CEDH, ils se plaignent à cet égard d'une
violation de
leur droit d'être entendus. Le refus des autorités cantonales serait
aussi
arbitraire.

3.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. comprend
en
particulier le droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une
décision
ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux
faits
de nature à influer sur la décision, celui d'avoir accès au dossier,
celui de
participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance
et de se
déterminer à leur propos (ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56; 126 I 15
consid.
2a/aa p. 16 et les arrêts cités). Le droit de consulter le dossier
s'étend à
toutes les pièces décisives (ATF 121 I 225 consid. 2a p. 227). Il
n'est
cependant pas absolu et son étendue doit être définie de cas en cas,
en
tenant compte des intérêts en présence et de toutes les circonstances
de
l'espèce. Il peut être restreint, voire supprimé pour la sauvegarde
d'un
intérêt public prépondérant, dans l'intérêt d'un particulier, ou dans
l'intérêt du requérant lui-même (ATF 126 I 7 consid. 2b p. 10; 122 I
153
consid. 6a p. 161 et les arrêts cités). De façon générale, la notion
de
procès équitable consacrée à l'art. 6 § 1 CEDH implique en principe
le droit
pour les parties de prendre connaissance de toute pièce ou observation
présentée aux juges et de la discuter (cf. arrêt de la CourEDH du 28
juin
2001 dans la cause F.R. c. Suisse, in JAAC n° 129 p. 1347 § 36 p.
1352).
Telle qu'elle est invoquée, cette disposition conventionnelle n'a pas
de
portée propre dans ce contexte (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 17; 112
Ia 166
consid. 3a p. 168/169).

3.2 Selon l'autorité cantonale, la lettre du Dr A.R.________ du 22
novembre
2000 est certes une pièce importante et il est constant que les
recourants
n'ont pu y avoir directement accès, en ce sens qu'ils n'ont pas
obtenu copie
de l'intégralité de ce document. Toutefois, contrairement à ce qu'ils
soutiennent, le contenu essentiel de ce courrier a été porté à leur
connaissance, que ce soit par oral, lors de leur audition par le juge
de paix
le 6 décembre 2000, ou par écrit, au cours d'échanges de
correspondance entre
leur mandataire et ce magistrat. Ainsi, les recourants savaient que
le Dr
A.R.________, compte tenu de ses observations, avait souligné
l'éventualité
de l'existence d'un autre abuseur, raison pour laquelle il avait
requis
l'intervention de l'autorité tutélaire. Or, cet élément était la seule
information contenue dans la lettre litigieuse de nature à influer
sur la
décision que devait prendre la justice de paix. Ainsi informés des
soupçons
du Dr A.R.________, les recourants avaient en leur possession
l'ensemble des
éléments leur permettant de se déterminer valablement devant
l'autorité
tutélaire. Le droit d'être entendu des recourants, en tant qu'il leur
garantit l'accès aux éléments essentiels du dossier ayant une
influence sur
la décision à prendre, n'avait donc pas été violé.

3.3 L'autorité appelée à se prononcer sur une demande de consultation
de
pièces du dossier doit évaluer soigneusement quelle est, dans le cas
concret,
l'importance respective des intérêts en présence (cf. à ce sujet: ATF
113 Ia
1 consid. 4a p. 4). En l'occurrence, la Chambre des tutelles s'est
contentée
de dire que les recourants avaient été informés de l'hypothèse du Dr
A.R.________ selon laquelle l'enfant aurait été ou serait encore
victime
d'abus de la part d'un tiers, ce qui justifiait l'intervention de
l'autorité
tutélaire (intervention dont la nécessité avait été contestée durant
toute la
procédure). L'autorité cantonale n'a nullement procédé à la pesée des
intérêts qui lui incombait selon la jurisprudence. En n'effectuant
pas cette
démarche, elle a dès lors commis un déni de justice formel (ATF 110
Ia 83
consid. 4 p. 85/86).
Eu égard à la nature formelle du droit d'être entendu, la décision
attaquée
doit être annulée pour ce motif, sans qu'il soit nécessaire
d'examiner le
recours plus
avant (ATF 126 I 19 consid. 2d/bb p. 24; 126 V 130
consid. 2b p.
132 et les arrêts cités).

4.
Bien qu'il succombe, le canton de Vaud n'a pas à supporter les frais
judiciaires (art. 156 al. 2 OJ). Il versera en revanche des dépens aux
recourants, qui ont procédé avec l'assistance d'un avocat (art. 159
al. 1
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable et l'arrêt
attaqué
est annulé.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
Le canton de Vaud versera aux recourants une indemnité de 2'000 fr. à
titre
de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants
et à la
Chambre des tutelles du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 2 septembre 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5P.136/2003
Date de la décision : 02/09/2003
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-09-02;5p.136.2003 ?
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