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26/08/2003 | SUISSE | N°4P.110/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 août 2003, 4P.110/2003


{T 0/2}
4P.110/2003 /ech

Arrêt du 26 août 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Walter, Klett, Nyffeler et
Favre.
Greffier: M. Carruzzo.

A. ________ et B.________, agissant tant pour eux-mêmes que pour leurs
enfants C.________ et D.________, recourants, représentés par Me
Jean-Claude
Schweizer, avocat, avenue de la Gare 1/Boine 2, case postale 2253,
2001
Neuchâtel 1.

contre

Ville Y.________, intimée, représentée par
Me Benoît Ribaux, avocat, Promenade-Noire

6,
2001 Neuchâtel 1,
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel,
case postale 3174, 2001 Neuchâtel 1.

a...

{T 0/2}
4P.110/2003 /ech

Arrêt du 26 août 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Walter, Klett, Nyffeler et
Favre.
Greffier: M. Carruzzo.

A. ________ et B.________, agissant tant pour eux-mêmes que pour leurs
enfants C.________ et D.________, recourants, représentés par Me
Jean-Claude
Schweizer, avocat, avenue de la Gare 1/Boine 2, case postale 2253,
2001
Neuchâtel 1.

contre

Ville Y.________, intimée, représentée par
Me Benoît Ribaux, avocat, Promenade-Noire 6,
2001 Neuchâtel 1,
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel,
case postale 3174, 2001 Neuchâtel 1.

art. 9 Cst.; responsabilité de l'Etat pour l'activité des médecins,

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal
administratif du canton de Neuchâtel du 15 avril 2003.

Faits:

A.
B. ________, née en 1965, ménagère exploitant avec son mari un domaine
agricole, et mère de deux enfants, présentait en 1997 une incontinence
urinaire d'effort grade II. A la suite d'un bilan urodynamique
pratiqué à
l'hôpital de X.________, les médecins de cet établissement ont
préconisé une
"colposuspension selon Burch, accompagnée d'un para-vaginal repair".
Le
médecin traitant de la malade l'a adressée au service de gynécologie
et
obstétrique de l'Hôpital de Y.________, pour qu'il soit procédé à
cette
intervention, qui a eu lieu le 14 avril 1998. Cette dernière a été
pleinement
réussie sur le plan urologique, l'affection étant supprimée.
Toutefois, il en
est résulté la perte partielle, mais définitive, de l'usage de la
jambe
droite, que le neurologue consulté a attribuée à une "mononeuropathie
aiguë
du nerf obturateur droit de type axonotmésis d'étiologie iatrogène".

B.
Invoquant la loi sur la responsabilité des collectivités publiques et
de
leurs agents, du 26 juin 1989 (LResp; RSN 150.10), B.________, son
mari
A.________ et leurs enfants C.________ et D.________ ont ouvert
action
contre la Ville Y.________ devant le Tribunal administratif du canton
de
Neuchâtel, le 3 novembre 1999, en vue d'obtenir le paiement de la
somme de
1'126'044 fr. 40 avec intérêts à 5 % l'an dès le 14 avril 1998. La
défenderesse a conclu au rejet de la demande.

Dans son rapport d'expertise extrajudiciaire, du 31 janvier 2000, le
Dr
E.________, médecin-chef du service de gynécologie et obstétrique de
l'Hôpital de Z.________, a conclu que les lésions du nerf obturateur
droit
découlaient de l'opération, comme une complication de la technique
opératoire, sans faute médicale, dont l'étiologie exacte ne pouvait
être
clairement établie. En l'espèce, le nerf obturateur avait pu être
comprimé
par les points de colposuspension, par la mise en place de points de
suspension proches du canal obturateur, par les lames d'un écarteur
ou enfin
par la position de dorso-litotomie, avec légère flexion de la cuisse.
Quant
au risque de lésion du nerf obturateur, le Dr E.________ a relevé que
si la
littérature médicale mentionne qu'il peut être comprimé lors d'une
intervention dans l'espace du Retzius (en cause), il n'existait
apparemment
pas d'étude spécifique faisant état de cette complication lors d'une
colposuspension selon Burch, très rare,
et que des collègues lui avaient signalée à deux reprises, à la suite
d'une
telle intervention.

Le Dr F.________, gynécologue obstétricien et privat-docent, a déposé
son
rapport les 4 juillet et 29 novembre 2001, avant d'être entendu en
audience
le 8 janvier 2002. L'expert judiciaire a évoqué quatre causes
possibles de
lésion du nerf obturateur, dont deux pouvaient entrer en ligne de
compte, le
geste chirurgical ou un hématome. Il a relevé que si une difficulté
était
apparue lors de l'opération, effectuée en présence de trois
praticiens dont
le médecin-chef, le rapport opératoire l'aurait mentionnée, sans
pouvoir
exclure une lésion provoquée inconsciemment. A son avis, l'opération
avait
été effectuée "lege artis". Le risque de lésion du nerf obturateur
était très
rare et il ne connaissait que les deux cas rapportés par le Dr
E.________. En
raison de ces circonstances, il n'y avait pas lieu de donner
d'informations à
la patiente sur ce genre de risque.

Par arrêt du 15 avril 2003, le Tribunal administratif du canton de
Neuchâtel,
statuant à la requête conjointe des deux parties uniquement sur le
principe
de la responsabilité civile de la Ville Y.________, a rejeté la
demande avec
suite de frais.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, B.________,
A.________,
C.________ et D.________ demandent au Tribunal fédéral d'annuler
l'arrêt
cantonal. Ils invoquent la violation de l'art. 9 Cst. et se plaignent
d'une
interprétation arbitraire de l'art. 5 LResp.

La Ville Y.________ conclut au rejet du recours, alors que le Tribunal
administratif se réfère aux motifs énoncés dans son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre
une
décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des
citoyens
(art. 84 al. 1 let. a OJ).

L'arrêt attaqué est final dans la mesure où la cour cantonale a
statué sur
une demande pécuniaire, au fond, par une décision qui n'est
susceptible
d'aucun autre moyen de droit sur le plan fédéral ou cantonal,
s'agissant du
grief de violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art.
84 al. 2
et 86 al. 1 OJ).

Les recourants sont personnellement touchés par la décision
entreprise, qui
rejette leur demande, de sorte qu'ils ont un intérêt personnel,
actuel et
juridiquement protégé à ce que cette décision n'ait pas été adoptée en
violation de leurs droits constitutionnels; en conséquence, la
qualité pour
recourir (art. 88 OJ) doit leur être reconnue.

Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ) dans la forme prévue par
la loi
(art. 90 al. 1 OJ), le présent recours est à cet égard recevable.

1.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine
que les
griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans
l'acte
de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 128 III 50 consid. 1c p. 53
s. et
les arrêts cités). En l'espèce, les recourants n'invoquent que la
protection
contre l'arbitraire (art. 9 Cst.). Aussi est-ce sous cet angle
exclusivement
que sera examinée la décision attaquée. Au préalable, il convient de
rappeler
ce que recouvre la notion d'arbitraire.

Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est
manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un
principe
juridique clair et indiscuté, ou encore heurte de manière choquante le
sentiment de la justice et de l'équité. Il ne suffit pas que sa
motivation
soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse
arbitraire dans
son résultat. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la
solution
retenue que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction
manifeste
avec la situation effective, adoptée sans motif objectif et en
violation d'un
droit certain. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre
solution
paraît également concevable, voire préférable (ATF 129 I 8 consid.
2.1; ATF
128 I 273 consid. 2.1).

En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits,
l'autorité fait montre d'arbitraire lorsqu'elle ne prend pas en
compte, sans
raison sérieuse, un moyen de preuve propre à modifier la décision,
lorsqu'elle se trompe manifestement sur le sens et la portée d'un tel
élément, ou encore lorsqu'elle tire des déductions insoutenables à
partir des
éléments recueillis (ATF 129 I 8 consid. 2.1; 127 I 38 consid. 2a p.
41; 124
I 208 consid. 4a).

Concernant plus particulièrement l'appréciation du résultat d'une
expertise,
le juge n'est en principe pas lié par ce dernier. Mais s'il entend
s'en
écarter, il doit motiver sa décision et ne saurait, sans motifs
déterminants,
substituer son appréciation à celle de l'expert, sous peine de verser
dans
l'arbitraire. En d'autres termes, le juge, qui ne suit pas les
conclusions de
l'expert, n'enfreint pas l'art. 9 Cst. lorsque des circonstances bien
établies viennent en ébranler sérieusement la crédibilité (ATF 122 V
157
consid. 1c p. 160; 119 Ib 254 consid. 8a p. 274; 118 Ia 144 consid.
1c p. 146
et les arrêts cités). Si, en revanche, les conclusions d'une expertise
judiciaire lui apparaissent douteuses sur des points essentiels, il
doit
recueillir des preuves complémentaires pour tenter de dissiper ses
hésitations. A défaut, en se fondant sur une expertise non
concluante, il
pourrait commettre une appréciation arbitraire des preuves et violer
l'art. 9
Cst. (ATF 118 Ia 144 consid. 1c p. 146).

2.
2.1L'art. 5 al. 1 LResp dispose que la collectivité publique répond du
dommage causé sans droit à un tiers par ses agents dans l'exercice de
leurs
fonctions, sans égard à la faute de ces derniers. En abandonnant
l'exigence
de la faute de l'auteur du dommage, la LResp institue un régime de
responsabilité exclusive de l'Etat, de type objectif ou causal, avec
la
possibilité d'une action récursoire contre l'agent gravement fautif,
au sens
de l'art. 12 LResp (cf. Pierre Moor, Droit administratif, vol. II, 2e
éd., p.
715; Tomas Poledna/Brigitte Berger, Öffentliches Gesundheitsrecht,
Berne
2002, p. 99, n. 189). La responsabilité de la collectivité publique
est donc
engagée lorsque les trois conditions de l'existence d'un acte
illicite, d'un
dommage et d'un rapport de causalité adéquate entre ces derniers sont
réalisées. Comme l'art. 3 LResp renvoie aux dispositions du droit
privé
fédéral, applicables à titre de droit cantonal supplétif, il convient
de se
référer aux principes régissant la responsabilité civile dans la
jurisprudence fédérale (Moor, op. cit., p. 716).

En l'occurrence, il est indéniable que B.________ a subi un dommage
consécutivement à l'intervention chirurgicale pratiquée sur sa
personne, le
14 avril 1998, à l'Hôpital de Y.________. La relation de causalité
adéquate
entre l'opération et le préjudice subséquent est avérée. Seule est
dès lors
litigieuse, dans le cas concret, la question de l'illicéité.

2.2 Selon la jurisprudence, un comportement est illicite s'il est
contraire à
un devoir légal général, soit parce qu'il porte atteinte à un droit
absolu du
lésé ("Erfolgsunrecht"), soit parce qu'il enfreint une injonction ou
une
interdiction écrite ou non écrite de l'ordre légal destinée à
protéger le
bien juridique atteint ("Verhaltensunrecht") (ATF 124 III 297 consid.
5b p.
301; 123 II 577 consid. 4c p. 581; 122 III 176 consid. 7b p. 192; 120
Ib 411
consid. 4a p. 414; 119 II 127 consid. 3 p. 128 s.; 113 Ib 420 consid.
2 p.
423). La notion d'illicéité est la même en droit privé fédéral et en
droit
public cantonal de la responsabilité (Monika Gattiker, Die
Widerrechtlichkeit
des ärztlichen Eingriffs nach schweizerischem Zivilrecht, thèse
Zurich 1999,
p. 122; Heinz Hausheer, Unsorgfältige ärztliche Behandlung, in
Münch/Geiser
(éd.), Schaden-Haftung-Versicherung, p. 753, note de pied 143).

L'intégrité corporelle est un bien protégé par un droit absolu (ATF
117 Ib
197 consid. 2a; 113 Ib 420 consid. 2 p. 423; 112 II 118 consid. 5e p.
128;
Heinrich Honsell, Schweizerisches Haftpflichtrecht, 3e éd., p. 46 s.,
n. 3 et
6; Ingeborg Schwenzer, Schweizerisches Obligationenrecht, AT, 2e éd.,
p. 293,
n. 50.05, et p. 295, n. 50.12; Poledna/Berger, op. cit., p. 107 s.,
n. 197).
Une atteinte à l'intégrité corporelle, comme une intervention
chirurgicale,
est ainsi illicite à moins qu'il n'existe un fait justificatif. Dans
le
domaine médical, la justification de l'atteinte réside le plus
souvent dans
le consentement éclairé du patient, voire dans son consentement
hypothétique.
Faute d'un tel consentement, l'intervention est illicite dans son
ensemble;
le médecin ou, le cas échéant, la personne qui répond à sa place,
devra
réparer tout dommage en lien de causalité adéquate avec
l'intervention, quand
bien même aucune règle de l'art n'aurait été violée (ATF 108 II 59
consid. 3
p. 62). A l'inverse, même si le patient a donné son consentement,
l'intervention sera illicite en cas de violation des règles de l'art
médical
(ATF 115 Ib 175 consid. 2b p. 181; cf. également ATF 113 Ib 420
consid. 2 p.
423; Gattiker, op.cit., p. 99/100). En effet, le médecin est tenu de
respecter les règles de l'art, afin de protéger la vie ou la santé du
patient; en particulier, il doit observer la diligence requise,
déterminée
selon des critères objectifs. La notion d'illicéité rejoint ici celle
de
violation du devoir de diligence, appliquée en matière de
responsabilité
contractuelle (ATF 115 Ib 175 consid. 2b p. 180 et p. 181; 120 Ib 411
consid.
4a p. 413 et p. 414; cf. également ATF 123 II 577 consid. 4d/ee p.
583).

2.3 Il y a lieu d'examiner, au regard de ces principes et des
critiques
formulées dans le recours de droit public, si le Tribunal
administratif est
tombé dans l'arbitraire en admettant que B.________ avait consenti en
connaissance de cause à l'atteinte à son intégrité corporelle que
constituait
l'intervention chirurgicale litigieuse ou, du moins, que la patiente
aurait
de toute façon accepté de s'y soumettre si elle avait reçu une
information
complète et appropriée. A supposer que la décision attaquée résiste,
sur ce
point, au grief d'arbitraire, il faudra encore rechercher si les juges
neuchâtelois, en considérant qu'une violation
des règles de l'art
médical par
les chirurgiens qui ont procédé à cette intervention n'était pas
établie in
casu, ont méconnu gravement la notion juridique de violation des
règles de
l'art médical ou celle du fardeau de la preuve d'une telle violation,
voire
ont procédé à des constatations de fait insoutenables à cet égard.

3.
3.1
3.1.1Pour être efficace, le consentement doit être éclairé, ce qui
suppose de
la part du praticien de renseigner suffisamment le malade pour que
celui-ci
donne son accord en connaissance de cause (ATF 119 II 456 consid. 2a;
117 Ib
197 consid. 2a; 116 II 519 consid. 3b; 115 Ib 175 consid. 2b p. 181;
108 II
59 consid. 2 p. 61).

L'obligation du médecin de renseigner le patient sur le genre et les
risques
du traitement envisagé ne s'étend pas aux mesures thérapeutiques
courantes
qui ne présentent pas de danger spécial et ne peuvent entraîner aucune
atteinte importante ou durable à l'intégrité corporelle. Le médecin
doit
donner au patient, en termes clairs, intelligibles et aussi complets
que
possible, une information sur le diagnostic, la thérapie, le
pronostic, les
alternatives au traitement proposé, les risques de l'opération, les
chances
de guérison, éventuellement sur l'évolution spontanée de la maladie
et les
questions financières, notamment relatives à l'assurance (ATF 119 II
456
consid. 2; Poledna/ Berger, op. cit., p. 63, n. 126; Pierre Engel,
Aspects
généraux du droit médical, in: Aspects du droit médical, Fribourg
1987, p.
13; Dominique Manaï, Les droits du patient face à la médecine
contemporaine,
Bâle 1999, p. 118; Olivier Guillod, La responsabilité civile des
médecins: un
mouvement de pendule in: La responsabilità del medico e del personale
sanitario fondata sul diritto pubblico, civile e penale, Lugano 1989,
p. 73).
Le médecin doit néanmoins veiller à ne pas inquiéter inutilement le
patient
en suscitant chez ce dernier un état d'anxiété préjudiciable à sa
santé, de
sorte qu'un pronostic grave ou fatal peut être caché au patient, mais
doit en
principe être révélé à ses proches. Cette possibilité, reconnue au
médecin,
de moduler son information, appelée "privilège thérapeutique", ne
doit bien
sûr pas vider de sa substance l'obligation de renseigner (Guillod,
op. cit.,
p. 77).
Ce devoir d'information conditionne l'exercice par le patient de son
droit à
l'autodétermination et vise aussi bien à assurer la libre formation
de sa
volonté qu'à protéger son intégrité corporelle (Rainer J. Schweizer,
Die
schweizerische Bundesverfassung, Kommentar, Zurich 2002, n. 19 ad
art. 10
Cst., p. 158; Poledna/Berger, op. cit., p. 62, n. 123; Pierre
Martin-Achard/Luc Thévenoz, La responsabilité civile des médecins des
hôpitaux publics, in: Aspects du droit médical, Fribourg 1987, p.
235; moins
clair: Jean Penneau, L'incidence du consentement sur la responsabilité
juridique des médecins, in: Consentement éclairé et transfusion
sanguine,
Rennes 1996, p. 31).

Des exceptions au devoir d'information du médecin ne sont admises que
dans
des cas très précis, lorsque l'intervention est anodine, s'il y a une
urgence
confinant à l'état de nécessité ou si, dans le cadre d'une opération
en
cours, il y a une nécessité évidente d'en effectuer une autre (ATF
119 II 456
consid. 2a; 117 Ib 197 consid. 3b p. 203 s.; Engel, op.cit., p. 14;
Poledna/Berger, op. cit., p. 113 s.). Une autre exception au devoir
d'informer concerne les risques rares et inhabituels, qui n'ont pas
besoin
d'être mentionnés spécifiquement suivant les circonstances et à
certaines
conditions (cf. Manaï, op. cit., p. 118; Christian Conti, Die
Pflichten des
Patienten im Behandlungsvertrag, Berne 2000, p. 113).

C'est au médecin qu'il appartient d'établir qu'il a suffisamment
renseigné le
patient et obtenu le consentement préalable de ce dernier (ATF 117 Ib
197
consid. 2d; 115 Ib 175 consid. 2b; Poledna/Berger, op. cit., p. 112,
n. 202;
Robert Geisseler, Aufklärungspflicht des Arztes, in: Haftpflicht- und
Versicherungsrechtstagung 1995, St-Gall 1995, p. 172; Christian
Conti, Die
Malaise der ärztlichen Aufklärung, in: AJP/PJA 2000 p. 628).

3.1.2 La jurisprudence et la doctrine majoritaire reconnaissent au
médecin,
respectivement à celui qui répond de lui, la faculté de soulever le
moyen du
consentement hypothétique du patient. Si le médecin parvient à
établir que le
malade concerné se serait tout de même décidé en faveur de
l'intervention
proposée à supposer qu'il ait reçu une information complète et
appropriée,
l'illicéité de l'intervention, et par conséquent l'obligation de
réparer,
disparaissent ipso facto. Le fardeau de la preuve du consentement
hypothétique incombe au médecin, à charge pour le patient de
collaborer à
cette preuve en rendant vraisemblable ou au moins en alléguant les
motifs
personnels qui l'auraient incité à refuser l'opération s'il en avait
notamment connu les risques (ATF 122 III 229 consid. 5a/aa p. 233;
119 II 456
consid. 4; 117 Ib 197 consid. 5c p. 209; Poledna/Berger, op. cit., p.
115;
Pascal Payllier, Rechtsprobleme der ärztlichen Aufklärung, Zurich
1999, p.
229-231; Antoine Roggo, Aufklärung des Patienten, thèse Berne 2001, p.
227-229). En principe, le consentement hypothétique ne doit pas être
admis
lorsque le genre et la gravité du risque encouru auraient nécessité
un besoin
accru d'information, que le médecin n'a pas satisfait. Dans un tel
cas, il
est en effet plausible que le patient, s'il avait reçu une information
complète, se serait trouvé dans un réel conflit quant à la décision à
prendre
et qu'il aurait sollicité un temps de réflexion (Geisseler, op. cit.,
p.
171).

Selon la jurisprudence, il ne faut pas se baser sur le modèle
abstrait d'un
"patient raisonnable", mais sur la situation personnelle et concrète
du
patient dont il s'agit (ATF 117 Ib 197 consid. 5a et les références;
BVR/JAB
1994 p. 324 ss, consid. 3c p. 328). Ce n'est que dans l'hypothèse où
le
patient ne fait pas état de motifs personnels qui l'auraient conduit à
refuser l'intervention proposée qu'il convient de considérer
objectivement
s'il serait compréhensible, pour un patient sensé, de s'opposer à
l'opération
(ATF 117 Ib 197 consid. 5c p. 209; arrêt 2P.101/1994 du 5 mai 1995
consid.
5b, in ZBL 97 1996 p. 284).

3.2 En l'espèce, eu égard à la rareté du risque de paralysie du membre
inférieur droit par suite d'une lésion du nerf obturateur pendant une
intervention chirurgicale du type de celle qui a été pratiquée sur la
personne de B.________, la cour cantonale a répondu par la négative à
la
question de savoir si semblable risque aurait quand même dû être
signalé à la
patiente. Pareille conclusion n'apparaît pas insoutenable. On peut
toutefois
se dispenser d'examiner plus avant le problème délicat du devoir
d'informer
en rapport avec la rareté et la gravité du risque lié à une
intervention
chirurgicale, d'autant plus que le pouvoir d'examen du Tribunal
fédéral est,
en l'occurrence, limité à l'arbitraire. Force est, en effet,
d'admettre que
l'autorité intimée n'est de toute façon pas tombée dans l'arbitraire
en
accueillant l'objection dite du consentement hypothétique de la
patiente.

Selon les juges neuchâtelois, vu le caractère exceptionnel du risque
qui
s'est réalisé, la patiente l'aurait assumé pour suivre le traitement
proposé,
dans le but de supprimer l'atteinte à sa santé extrêmement gênante
qu'elle
ressentait, et qui représentait un trouble constant dans tous les
domaines de
sa vie, tant personnel que familial et professionnel, au point qu'elle
qualifiait elle-même la situation d'"infernale". Comme elle avait
accepté les
autres risques opératoires, il est manifeste qu'elle n'aurait pas
renoncé à
l'opération qui l'a finalement guérie, en considération d'un risque
d'une
atteinte certes grave, mais si rare que l'avantage escompté du
traitement
l'eût emporté dans la pesée des intérêts contradictoires à laquelle
elle
aurait procédé. Cette argumentation est non seulement exempte
d'arbitraire,
mais elle résisterait même à un libre examen.

4.
4.1Les règles de l'art médical se définissent comme les principes
établis par
la science médicale, généralement reconnus et admis, communément
suivis et
appliqués par les praticiens (ATF 64 II 200 consid. 4a p. 205; 108 II
59
consid. 1). A ce sujet, il convient de rappeler que le médecin a pour
mission
de s'efforcer de parvenir au résultat escompté grâce à ses
connaissances et à
son savoir-faire. Cela ne signifie pas qu'il doive aboutir à un
résultat ou
qu'il soit tenu de le garantir. Les exigences liées au devoir de
diligence du
médecin ne peuvent être déterminées de manière générale et abstraite,
car
elles dépendent des circonstances de chaque cas; sont à cet égard des
critères décisifs le genre d'intervention ou de traitement et les
risques qui
en découlent, la marge d'appréciation et le temps dont dispose le
médecin,
ainsi que la formation et les capacités que l'on peut objectivement
en l'état
attendre de lui. La responsabilité du médecin n'est pas limitée à des
manquements graves aux règles de l'art médical. Il doit traiter son
patient
de manière appropriée et il répond en principe de toute faute
professionnelle
(ATF 120 Ib 411 consid. 4a p. 413; 116 II 519 consid. 3a; 115 Ib 175
consid.
2b; 113 II 429 consid. 3a p. 432 s.; cf. Moritz Kuhn, Ärztliche
Kunstfehler,
in RSJ 83/1987 p. 353 ss, spéc. p. 357).

Le droit de la responsabilité civile doit tenir compte du fait que
l'activité
du médecin est exposée à des risques et des dangers. Ce dernier
dispose d'une
certaine marge d'appréciation entre les différentes possibilités de
diagnostic ou de thérapie qui entrent en considération et le choix
auquel il
procède doit requérir toute son attention. Le médecin n'engage pas
nécessairement sa responsabilité lorsqu'il n'a pas trouvé la solution
qui
était objectivement la meilleure quand on en juge a posteriori. Une
violation
des règles de l'art médical est réalisée lorsqu'un diagnostic, une
thérapie
ou quelque autre acte médical est indéfendable dans l'état de la
science ou
sort du cadre médical considéré objectivement: le médecin ne répond
d'une
appréciation erronée que si celle-ci est indéfendable ou se fondait
sur un
examen objectivement insuffisant (ATF 120 Ib 411 consid. 4a in fine,
p. 413
s.).

Le fardeau de la preuve de la violation des règles de l'art médical
est à la
charge du lésé (ATF 120 Ib 411 consid. 4a in fine, p. 414; 115 Ib 175
consid.
2b p. 181 et les références).

4.2 Examinant la question d'une éventuelle violation des règles de
l'art
médical dont aurait à répondre l'intimée, le Tribunal administratif a
considéré, en substance, qu'il n'était pas en mesure de déterminer la
cause
de la lésion du nerf obturateur, imputable principalement et très
vraisemblablement au geste chirurgical, c'est-à-dire à un acte
accompli au
cours de l'opération. En effet, il n'était pas possible d'établir, au
dire
des experts, à quel acte précis pouvait être imputée la lésion
nerveuse
(lésion thermique pendant l'hémostase, points de suture inadéquats
comprimant
le nerf, lames d'un écarteur). De plus et surtout, les experts
n'avaient pas
été en mesure de définir les précautions particulières qu'il y aurait
eu lieu
de prendre pour éviter la survenance de l'un ou l'autre de ces
risques et ils
n'avaient pu expliquer en quoi l'intervention aurait comporté une
violation
des règles de l'art. Il ne fallait pas qualifier a priori de
violation du
devoir de diligence du médecin toute mesure ou omission qui,
considérée
rétrospectivement, se révélait être à l'origine du dommage ou aurait
permis
de l'éviter, le médecin ne devant pas supporter de manière générale
les
dangers et les risques inhérents à tout traitement médical et liés
aussi à la
maladie.

Quoi qu'en disent les recourants, ce raisonnement ne saurait être taxé
d'arbitraire. La question décisive, sous l'angle de la violation des
règles
de l'art médical, consiste à se demander si les médecins qui ont opéré
B.________ ont commis des erreurs techniques au cours de cette
intervention
chirurgicale du fait qu'ils ignoraient l'existence du risque de
lésion du
nerf obturateur, respectivement s'il y avait des mesures - et
lesquelles -
qu'ils auraient pu et dû prendre pour écarter pareil risque à
supposer qu'ils
l'eussent connu. Or, comme on l'a déjà souligné, les deux experts
n'ont pas
été à même d'indiquer quelle était l'origine exacte de la lésion
dudit nerf,
ni de définir quelles précautions particulières il y aurait eu lieu de
prendre au cours de l'intervention chirurgicale litigieuse.
Considérer, dans
ces conditions, que la preuve de la violation du devoir de diligence
incombant au médecin n'avait pas été rapportée en l'espèce, comme
l'ont fait
les juges neuchâtelois, ne comportait rien d'insoutenable, non plus
que le
fait de rejeter l'action en conformité avec les règles touchant le
fardeau de
la preuve, attendu que, selon la jurisprudence fédérale
susmentionnée, la
preuve de l'acte illicite incombe au patient.

Pour le surplus, force est de constater que les recourants
n'invoquent pas la
violation de leur droit d'être entendus et ne font notamment pas
valoir
qu'ils auraient sollicité en vain la mise en oeuvre d'une
surexpertise. Ils
ne prétendent pas non plus que la maxime d'office était applicable en
l'occurrence et que le Tribunal administratif aurait dû administrer
de son

propre chef des preuves supplémentaires. Il n'y avait donc rien
d'arbitraire
à ne pas pousser plus avant l'instruction sur ce point dans la
présente
espèce.

5. Cela étant, le recours ne peut qu'être rejeté. Ses auteurs seront
dès lors
condamnés solidairement à payer l'émolument judiciaire (art. 156 al.
1 et 7
OJ) et à verser des dépens à l'intimée (art. 159 al. 1 et 5 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 10'000 fr. est mis à la charge des
recourants,
solidairement entre eux.

3.
Les recourants sont condamnés solidairement à verser à l'intimée une
indemnité de 12'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et au
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 26 août 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.110/2003
Date de la décision : 26/08/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-08-26;4p.110.2003 ?
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