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26/08/2003 | SUISSE | N°2A.136/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 août 2003, 2A.136/2003


{T 0/2}
2A.136/2003 /dxc

Arrêt du 26 août 2003
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Wurzburger, Président, Hungerbühler, Müller,
Yersin et
Merkli.
Greffier: M. Langone.

X. ________,
Y.________,
recourants,
tous les deux représentés par Me Philippe A. Grumbach, avocat, cours
des
Bastions 14, case postale 18,
1211 Genève 12,

contre

Commission fédérale des banques,
Schwanengasse 12, Case postale, 3001 Berne.

Entraide administrative internationale demandÃ

©e par la Commission des
Opérations de Bourse dans l'affaire Compagnie Européenne de Casinos,

recours de droit administrati...

{T 0/2}
2A.136/2003 /dxc

Arrêt du 26 août 2003
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Wurzburger, Président, Hungerbühler, Müller,
Yersin et
Merkli.
Greffier: M. Langone.

X. ________,
Y.________,
recourants,
tous les deux représentés par Me Philippe A. Grumbach, avocat, cours
des
Bastions 14, case postale 18,
1211 Genève 12,

contre

Commission fédérale des banques,
Schwanengasse 12, Case postale, 3001 Berne.

Entraide administrative internationale demandée par la Commission des
Opérations de Bourse dans l'affaire Compagnie Européenne de Casinos,

recours de droit administratif contre la décision de la Commission
fédérale
des banques du 20 février 2003.

Faits:

A.
La Compagnie Européenne de Casinos (CEC) est l'une des plus
importantes
sociétés françaises dans la gestion du jeu de hasard en Europe. Le 17
décembre 2001, la cotation des titres CEC a été suspendue à la suite
de
l'annonce faite par la société Accor Casinos de lancer un projet
d'offre
publique d'achat amicale sur la totalité des titres CEC au prix de 52
EUR, ce
qui représentait une prime de 36 % par rapport à la moyenne des cours
des
trois derniers mois. La cotation des titres CEC a été reprise le 28
décembre
2001 sur une nette hausse du cours (53,15 EUR), soit à un prix
supérieur à
celui proposé par Accor Casinos, et ce dans un volume inhabituel de
298'013
titres échangés. A lui seul, le Groupe Partouche, qui est le numéro un
français des casinos, a acquis 254'124 actions CEC pour le prix de
53,09 EUR
l'unité. L'offre publique d'achat de la société Accor Casinos a
formellement
débuté le 10 janvier 2002. Durant tout le mois de janvier, le titre
CEC a
évolué au-dessus du prix de l'offre, pour atteindre 57 EUR le 17
janvier
2002. Le 28 janvier 2002, le cours de l'action CEC a clôturé à 59 EUR
avec
1'191'922 titres échangés, représentant 30,5 % du capital de la
société CEC.
Le même jour, le Groupe Partouche, qui était l'acquéreur de ces
derniers
titres, a déposé un projet d'offre publique d'achat concurrente en
proposant
59 EUR par action. La cotation des titres CEC a de nouveau été
suspendue. Le
6 février 2002, la société Accor Casinos a surenchéri et offert 65
EUR par
action. Lors de la reprise de la cotation, le 15 février 2002, le
cours a
clôturé au-dessus de ce prix, soit 66 EUR. Le 26 février 2002, le
Groupe
Partouche a encore acquis 696'561 titres CEC au cours de 66,50 EUR,
portant
ainsi sa participation dans le capital de la société CEC à 54,3 %, ce
qui a
entraîné une surenchère automatique par le Groupe Partouche au prix
de 66,50
EUR. Le 5 mars 2002, Accor Casinos a déclaré renoncer à son offre
publique
d'achat sur le capital de la société CEC.
La Commission française des opérations de bourse (ci-après: la COB) a
ouvert
une enquête afin de s'assurer que les transactions sur le titre CEC
n'ont pas
été opérées en violation des dispositions légales et réglementaires
réprimant
notamment l'usage d'une information privilégiée d'une part et que la
réglementation en matière d'offre publique a été respectée d'autre
part.

B.
Le 5 juillet 2002, la COB a requis l'assistance administrative de la
Commission fédérale des banques (ci-après: la Commission fédérale)
afin
d'obtenir des informations notamment sur l'identité de la personne
ayant
acquis le 28 décembre 2001, le cas échéant revendu, 10'000 titres CEC
par
l'intermédiaire de la banque A.________, à Genève.

Le 17 juillet 2002, A.________ a indiqué à la Commission fédérale
que, sur
ordre de son client X.________, domicilié à Paris, elle avait acquis
le 28
décembre 2001 10'000 actions au cours de 53,97 EUR, titres qu'elle
avait
revendus le 11 mars 2002 au cours de 66,50 EUR, d'où un bénéfice net
de
117'409,45 EUR. Le 24 octobre 2002, la banque a précisé que, d'après
les
explications fournies par son client, celui-ci aurait agi en fait sur
instructions de son cousin Y.________, domicilié aux Etats-Unis, qui
serait
le véritable ayant droit économique des avoirs du compte bancaire.

Dans leurs déterminations communes du 2 décembre 2002, X.________ et
Y.________ ont exposé que les transactions litigieuses avaient été
décidées
par ce dernier sur la base de différents articles parus dans la presse
spécialisée écrite ou disponibles sur Internet. Ils se sont opposés
formellement à la transmission de toutes informations les concernant
à la
COB.

C.
Le 20 février 2003, la Commission fédérale a décidé d'accorder
l'entraide
administrative internationale à la COB et de lui transmettre les
informations
et les documents reçus de A.________, tout en rappelant expressément
que
ceux-ci ne devaient être utilisés qu'à des fins de surveillance
directe des
bourses et du commerce des valeurs mobilières (ch. 1 et 2 du
dispositif). De
plus, en application de l'art. 38 al. 2 let. c de la loi fédérale du
24 mars
1995 sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (LBVM; RS
954.1),
leur transmission à des autorités tierces, y compris pénales, ne
pouvait se
faire qu'avec son assentiment préalable, la COB devant requérir le
consentement de la Commission fédérale avant une éventuelle
retransmission
des informations et documents (ch. 3 du dispositif).
Cette décision a été notifiée à X.________, titulaire du compte
bancaire en
cause, et non à Y.________ qui, en tant qu'ayant droit économique des
avoirs,
n'a pas pas été reconnu comme partie à la procédure.

D.
Dans une seule et même écriture, X.________ et Y.________ ont formé un
recours de droit administratif devant le Tribunal fédéral en
concluant, sous
suite de frais et dépens, principalement à l'annulation de la
décision de la
Commission fédérale du 20 février 2003 et, subsidiairement, à ce
qu'il soit
fait interdiction à la COB de publier toute décision qu'elle pourrait
être
appelée à prendre dans cette affaire. Plus subsidiairement, ils
requièrent
qu'il soit fait interdiction à la COB de donner toute indication
personnelle
les concernant dans une éventuelle publication dans cette affaire.

L'autorité intimée conclut au rejet du recours.

E.
Par ordonnance présidentielle du 2 avril 2003, la demande d'effet
suspensif
présentée par les recourants a été déclarée sans objet, vu
l'assurance donnée
par la Commission fédérale de ne pas exécuter sa décision si un
recours
devait être déposé devant le Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Titulaire du compte bancaire faisant l'objet des renseignements
dont la
communication est litigieuse, X.________ a qualité pour recourir au
sens de
l'art. 103 lettre a OJ (ATF 125 II 65 consid. 1 p. 69).

1.2 Quant à Y.________, il peut en tout cas agir par la voie du
recours de
droit administratif pour se plaindre d'un éventuel déni de justice
formel
commis par la Commission fédérale. Les recourants reprochent à cette
autorité
de ne pas avoir reconnu à Y.________ la qualité de partie à la
procédure
d'entraide administrative. Selon eux, même si les ordres d'achat et
de vente
des titres CEC ont été passés par X.________, c'est Y.________,
l'ayant droit
économique des avoirs du compte bancaire, qui a effectivement décidé
de
procéder aux opérations boursières à la suite d'une analyse du marché.
Y.________ devrait ainsi être considéré comme un gérant de fortune
indépendant qui aurait un intérêt digne de protection à s'opposer à la
transmission des informations le concernant à la COB. Outre qu'une
telle
argumentation n'est guère convaincante, il y a lieu de relever que,
dans la
formule d'ouverture du compte incriminé, X.________ a déclaré qu'il
était le
seul ayant droit économique auquel appartenaient les valeurs confiées
à la
banque. Il n'a annoncé à la banque que Y.________ était l'ayant droit
économique des avoirs que le 23 octobre 2002, soit postérieurement au
dépôt
de la requête d'entraide administrative par la COB.
Quoi qu'il en soit, en matière d'entraide internationale
(administrative et
pénale), le statut de partie, de même que la qualité pour recourir
devant le
Tribunal fédéral, ne sont en principe pas reconnus au détenteur
économique
(actionnaire d'une société anonyme ou fiduciant) d'un compte bancaire
faisant
l'objet d'investigations, quand bien même la transmission des
renseignements
requis entraîne la révélation de son identité (ATF 127 II 323 consid.
3b/cc
p. 330; 125 II 65 consid. 1 et les arrêts cités; voir aussi ATF 129
II 268
consid. 2.3.3). Ce principe souffre une exception: l'ayant droit
économique
d'une personne morale a qualité pour recourir lorsqu'il établit
notamment que
la société a été dissoute et qu'elle n'est plus capable d'agir seule
(voir
arrêt 1A.10/2000 du 18 mai 2000, publié in Pra 89/2000 n. 113 p. 790,
cité à
l'ATF 127 II 323 consid. 3b/cc p. 330). Ce cas exceptionnel n'est pas
réalisé
en l'espèce. C'est donc à bon droit que la Commission fédérale a
dénié à
Y.________ la qualité de partie.

1.3 Etant donné que Y.________ a soulevé les mêmes griefs de fond que
X.________ dans le cadre d'un seul et même mémoire de recours et que
le
Tribunal fédéral doit de toute façon entrer en matière sur le recours
de ce
dernier qui en respecte toutes les conditions formelles, la question
de la
qualité pour agir au fond de Y.________ n'a pas besoin d'être
examinée plus
avant.

2.
2.1En vertu de l'art. 38 al. 2 LBVM, la Commission fédérale peut,
dans le
cadre de l'entraide administrative, transmettre aux autorités
étrangères de
surveillance des bourses et du commerce des valeurs mobilières des
informations et des documents liés à l'affaire, non accessibles au
public, à
condition que ces autorités étrangères utilisent les informations
transmises
exclusivement à des fins de surveillance directe des bourses et du
commerce
des valeurs mobilières (lettre a; principe de la spécialité),
qu'elles soient
liées par le secret de fonction ou le secret professionnel (lettre b;
exigence de la confidentialité) et qu'elles ne retransmettent ces
informations à des autorités compétentes et à des organismes ayant des
fonctions de surveillance dictées par l'intérêt public qu'avec
l'assentiment
préalable de l'autorité de surveillance suisse ou en vertu d'une
autorisation
générale contenue dans un traité international (lettre c 1re phrase;
principe dit du "long bras"; "Prinzip der langen Hand", qui oblige
concrètement la Commission fédérale à ne pas perdre le contrôle de
l'utilisation des informations après leur transmission à l'autorité
étrangère
de surveillance). Lorsque l'entraide judiciaire en matière pénale est
exclue,
aucune information ne peut être transmise à des autorités pénales;
l'autorité
de surveillance décide en accord avec l'Office fédéral de la justice
(lettre
c 2e et 3e phrases).

2.2 Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de constater que la COB
était
l'autorité de surveillance des marchés financiers au sens de l'art.
38 al. 2
LBVM à laquelle l'entraide administrative pouvait être accordée (ATF
126 II
86 consid. 3b; cf. aussi ATF 127 II 142 consid. 4b, 323 consid.
7b/aa) et que
les membres et les agents de la COB étaient astreints au secret
professionnel
pour les faits, actes et renseignements dont ils pouvaient avoir
connaissance
en raison de leurs fonctions, dans les conditions et sous les peines
prévues
par le code pénal, de sorte que l'exigence de confidentialité imposée
par
l'art. 38 al. 2 let. b LBVM était satisfaite (ATF 126 II 86 consid.
3c). Le
Tribunal fédéral a également jugé que les déclarations de "best
efforts"
faites par le Président de la COB le 26 mars 1999 constituaient des
garanties
suffisantes pour assurer effectivement, de la part de l'autorité
étrangère,
le respect du principe de la spécialité et du principe dit du "long
bras"
(ATF 126 II 86 consid. 3b et 7; 127 II 142 consid. 6c).

2.3 Les recourants ne remettent pas expressément en cause cette
jurisprudence. Mais ils font valoir que le secret professionnel
auquel sont
soumis les agents de la COB n'est pas suffisant pour garantir le
respect des
principes de la confidentialité, de la spécialité et du "long bras" à
partir
du moment où la COB peut ordonner la publication de ses décisions sur
Internet. Ils se réfèrent à cet égard à l'article L. 621-15 du Code
monétaire
et financier français, aux termes duquel la COB peut, après une
procédure
contradictoire, prononcer à l'encontre des auteurs des pratiques
contraires à
ses règlements des sanctions pécuniaires dont le montant doit être
fonction
de la gravité des manquements commis et en relation avec les
avantages ou les
profits tirés de ces manquements (al. 1 et 2); la COB peut également
"ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou
publications
qu'elle désigne" (al. 4). L'article L. 621-30 du Code monétaire et
financier
français prévoit que les décisions de la COB peuvent faire l'objet
d'un
recours juridictionnel; bien que le recours ne soit pas suspensif, le
premier
président de la cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis
à
l'exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des
conséquences manifestement excessives.
Les recourants citent, à titre d'exemple, une décision de la COB
publiée sur
son site Internet, dans laquelle sont notamment rendus publics les
noms et
fonctions exacts des personnes mises en cause, le lieu de situation
des
banques à travers lesquelles les opérations
boursières ont été
effectuées,
ainsi que les bénéfices réalisés. Selon eux, la COB ne serait pas en
mesure,
en raison de sa législation interne, de respecter l'art. 38 al. 2 LBVM
exigeant notamment que les informations et les documents transmis par
la
Suisse ne soient pas accessibles au public. Ils soulignent que la
réglementation française ne prévoit aucune dérogation à la
publication des
décisions de la COB, contrairement la législation américaine que le
Tribunal
fédéral n'a jugée compatible avec l'art. 38 al. 2 LBVM que dans la
mesure où
elle prévoit une exception au principe de la publicité de la
procédure.
Les recourants ne peuvent cependant rien déduire de la jurisprudence
rendue à
propos de l'entraide administrative avec les Etats-Unis. Le problème à
résoudre ici se pose en des termes différents.

3.
3.1Aux Etats-Unis, les documents et informations en mains de la
"Securities
and Exchange Commission" (SEC) - qui est l'autorité de surveillance
des
marchés financiers au sens de l'art. 38 al. 2 LBVM à laquelle
l'entraide
administrative peut en principe être accordée - sont en règle générale
immédiatement et librement accessibles au public. Les audiences
devant la SEC
sont en outre publiques. En particulier, dans le cadre de la
procédure dite
de "enforcement action", la SEC publie sur Internet des "litigation
releases", par lesquelles elle annonce l'ouverture d'une procédure
devant le
juge civil ou le juge pénal à l'encontre d'une personne déterminée. La
législation américaine prévoit certes une exception au principe de la
publicité. Mais, faute de précisions données par la SEC au sujet des
moyens
de s'opposer concrètement à la divulgation intempestive des documents
et
informations à transmettre, le Tribunal fédéral a jugé que l'entraide
administrative ne pouvait pas être accordée, du moins en l'état. Les
déclarations (successives) de "best efforts" faites par la SEC n'ont
en effet
pas été considérées comme suffisamment claires et dénuées d'ambiguïté
pour
assurer le respect des principes dit du "long bras", de la
confidentialité et
de la spécialité (arrêt 2A.51/1999 du 24 novembre 1999, publié in
Bulletin
CFB 40/2000 p. 116 ss, consid. 3 et 4; ATF 126 II 126 consid. 6;
arrêt
2A.349/2001 du 20 décembre 2001, consid. 6).

N'a ainsi pas été jugé compatible avec l'art. 38 LBVM le fait que les
informations et documents recueillis par la voie de l'entraide
administrative
soient accessibles non seulement aux parties, mais également à un
large
public. Le respect des principes dit du "long bras", de la
confidentialité et
de la spécialité ne pourrait en effet pas être assuré si les données
transmises étaient immédiatement et intégralement accessibles à une
autre
autorité (civile ou pénale) avant qu'une quelconque décision soit
rendue (ATF
126 II 126 consid. 6c/aa p. 141; arrêt 2A.349/2001 précité, consid.
6b/cc).
Car la règle de la confidentialité consacrait, dans le domaine de
l'entraide
administrative, la protection des données et la protection de la
personnalité
des clients quant à leurs relations et opérations commerciales. Ces
informations ne devaient pas être dévoilées par l'autorité de
surveillance
étrangère et donc portées de fait à la connaissance des autres
autorités
avant la clôture de la procédure (arrêt 2A.349/2001 précité, consid.
6c).

Le Tribunal fédéral a toutefois réservé les cas où, avec l'octroi de
l'entraide administrative, la retransmission des informations et
documents
aux autorités (de poursuite) pénales étrangères a été autorisée (art.
38 al.
2 let. c 2e et 3e phrases LBVM), ce qui n'est pas le cas en l'espèce
ni dans
les affaires concernant la SEC. Lorsque la Commission fédérale accorde
l'entraide administrative et autorise la retransmission des
informations et
documents reçus par l'autorité requérante aux autorités pénales
étrangères,
ce sont alors les principes développés en matière d'entraide
judiciaire
pénale qui s'appliquent notamment quant à la portée de l'exigence de
confidentialité. En pareilles circonstances, il y a lieu d'apprécier
le
principe de la confidentialité de manière moins stricte que lorsque
seule
l'entraide administrative entre en ligne de compte. En effet, la
publicité de
la procédure pénale - dont le degré varie selon le droit interne de
chaque
Etat requérant - est compatible avec l'art. 38 LBVM; elle constitue
même l'un
des principes des Etats de droit modernes (cf. art. 30 al. 3 Cst. et
art. 6 §
1 CEDH). Le Tribunal fédéral a ainsi jugé que, lorsque les conditions
étaient
réunies pour autoriser la retransmission des informations aux
autorités
pénales avec l'entraide administrative, lesdites informations
pouvaient aussi
être accessibles au public dans le cadre de la procédure
administrative
pendante devant l'autorité de surveillance étrangère; il serait en
effet
contradictoire d'admettre la publicité de la procédure pénale et non
celle de
la procédure administrative ouverte parallèlement (ATF 128 II 407
consid.
4.3.2 et 4.3.3 p. 416 concernant une demande d'entraide présentée par
l'"Ontario Securities Commission").

3.2 Lorsque l'autorité requérante demande à la Commission fédérale
uniquement
l'entraide administrative (sans solliciter simultanément
l'autorisation de
retransmettre les informations aux autorités pénales étrangères
compétentes),
il convient donc de distinguer nettement deux situations: a) celle
où les
informations et documents confidentiels sont rendus publics par
l'autorité de
surveillance des marchés financiers étrangère immédiatement ou en
cours
d'enquête, avant même qu'une quelconque décision ait été prise (comme
aux
Etats-Unis) et b) celle où les données transmises sont inaccessibles
au
public durant l'enquête administrative et où seule la décision
infligeant une
sanction administrative prise par l'autorité de surveillance au terme
d'une
procédure contradictoire peut être publiée (c'est le cas en France).
S'agissant de la première hypothèse, l'entraide administrative est
exclue
sous l'angle de l'art. 38 al. 2 LBVM. Il se justifie en effet de ne
pas
divulguer au cours de l'enquête administrative les données sensibles
sur un
client qui est simplement mis en cause dans une affaire, mais dont il
n'est
pas légalement établi qu'il a enfreint la réglementation sur les
marchés
financiers. L'art. 38 al. 2 LBVM tend à protéger la sphère privée de
l'investisseur qui n'a rien à se reprocher; une telle protection vaut
pour
toute la durée de l'enquête administrative. Autrement dit, le
principe de la
confidentialité consacré par l'art. 38 al. 2 LBVM doit s'appliquer au
cours
de l'enquête administrative, sous réserve des cas où l'entraide
judiciaire
pénale est accordée dans le cadre de l'entraide administrative (ATF
128 II
407 ss).

En ce qui concerne la seconde hypothèse, l'entraide administrative
peut en
principe être accordée. Lorsqu'une violation des règles sur les
marchés
financiers a été dûment constatée par l'autorité de surveillance
étrangère à
l'issue d'une procédure contradictoire, la publication de la décision
infligeant une sanction pécuniaire est alors admissible sous l'angle
de
l'art. 38 al. 2 LBVM, même si les conditions pour accorder la
retransmission
des données aux autorités pénales ne sont pas réalisées. Il ne se
justifie
plus de protéger de manière absolue les personnes dont il est établi
qu'elles
ont commis des manquements à la législation en matière de marchés
financiers.
Le principe de la confidentialité ne s'applique donc pas de manière
absolue
lorsque la procédure administrative est terminée et qu'une sanction
administrative a été prononcée à l'encontre d'un investisseur peu
scrupuleux.
En résumé, si la publicité de l'enquête administrative est
incompatible avec
l'art. 38 al. 2 LBVM (sous réserve du cas prévu aux ATF 128 II 407
ss), la
publicité de la sanction pécuniaire prise à l'issue d'une procédure
administrative contradictoire est en revanche normalement admissible.

3.3 En l'occurrence, il n'y a dès lors pas lieu de refuser l'entraide
administrative pour le seul motif que la COB a la possibilité de
publier la
décision infligeant des sanctions pécuniaires après la clôture de la
procédure administrative. D'autant moins que le droit interne
français offre
à la personne concernée suffisamment de garanties de procédure pour
défendre
ses droits: la décision de la COB peut en effet faire l'objet d'un
recours
juridictionnel et le premier président de la cour d'appel de Paris
peut
ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle-ci
est
susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives
(art. L.
621-30 du Code monétaire et financier français).

Cela dit, il ne faut pas perdre de vue qu'en publiant les motifs de sa
décision, la COB ne porte à la connaissance du public que le résultat
de sa
propre enquête, et non les informations et les documents tels que
transmis
par la Commission fédérale. Même après avoir rendu sa décision et
l'avoir le
cas échéant publiée, l'autorité requérante n'est pas autorisée à
mettre à la
disposition du public - et donc d'autres autorités - les
renseignements qui
lui ont été transmis par la Commission fédérale, ce qui heurterait
l'art. 38
al. 2 LBVM.
La COB ne saurait retransmettre les informations et documents reçus
de la
Commission fédérale à une autorité tierce (pénale ou fiscale) sans
avoir
préalablement demandé et obtenu le consentement exprès de la
Commission
fédérale, ce qui a été du reste rappelé dans le dispositif de la
décision
attaquée. Même si, dans le cadre de la présente affaire, la COB
prononçait
une sanction administrative à l'encontre des recourants et ordonnait
éventuellement la publication de celle-ci sur Internet, les autorités
tierces
françaises (pénales ou fiscales) ne pourraient pas sans autre utiliser
directement ou indirectement les documents remis par la Suisse pour
ouvrir à
l'encontre de l'un ou l'autre protagoniste de l'affaire une procédure
pénale
(ATF 128 II 407 consid. 4.3.1 p. 414; cf. aussi en matière d'entraide
judiciaire en matière pénale ATF 129 II 384 consid. 4.2). Il
incombera, le
cas échéant, à la COB de demander à la Commission fédérale
l'autorisation de
pouvoir retransmettre les informations en sa possession aux autorités
pénales
françaises compétentes ou à celles-ci de présenter directement une
demande
d'entraide judiciaire en matière pénale auprès des autorités suisses
compétentes. Il est précisé que la Suisse n'accorde pas l'entraide
judiciaire
pénale pour une procédure de redressement fiscal, mais uniquement
pour la
répression d'un délit qui serait assimilable à une escroquerie
fiscale au
sens du droit suisse.

3.4 En ce qui concerne notamment la faculté de publier les décisions
de la
COB, la législation française est au demeurant dans le droit fil du
droit
communautaire. Selon l'art. 14 § 4 de la Directive 2003/6/CE du
Parlement
européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations
d'initiés et les
manipulations de marché (abus de marché), entrée en vigueur le 12
avril 2003,
les Etats membres doivent prévoir en effet que l'autorité compétente
concernée puisse rendre publiques les mesures ou sanctions qui seront
appliquées pour non-respect des dispositions adoptées en application
de la
directive, excepté dans les cas où leur publication perturberait
gravement
les marchés financiers ou causerait un préjudice disproportionné aux
parties
en cause. L'art. 15 de cette directive précise que les Etats membres
veillent
à ce que les décisions prises par l'autorité compétente puissent faire
l'objet d'un recours juridictionnel.
Si, en l'occurrence, l'entraide administrative devait être refusée
pour le
simple motif que la COB peut ordonner la publication des sanctions
administratives prises à l'encontre de celui qui a été reconnu
coupable
d'avoir enfreint la réglementation sur les opérations d'initiés et les
manipulations de marché, cela aurait pour conséquence de bloquer tôt
ou tard
toute procédure d'entraide administrative avec les Etats membres de
l'Union
européenne qui sont tenus d'adapter leur réglementation pour se
conformer à
cette directive d'ici au 12 octobre 2004 (cf. art. 18 de ladite
Directive).
Un tel blocage serait incompatible avec l'art. 38 al. 2 LBVM qui
poursuit
l'objectif de faciliter l'entraide administrative dans toute la mesure
compatible avec les droits des intéressés et le respect des
conditions de
l'entraide judiciaire en matière pénale, lesquelles ne doivent pas
être
contournées (cf. ATF 128 II 407 consid. 4.3.2).
3.5 Le simple fait que, contrairement à la COB, la Commission
fédérale n'est
pas compétente pour prononcer elle-même des amendes administratives
et, a
fortiori, pour en ordonner la publication ne saurait conduire au
refus de
l'entraide administrative (cf. art. 40 à 45 LBVM). En effet, l'octroi
de
l'entraide administrative n'est pas subordonné à la condition que la
Commission fédérale et l'autorité de surveillance étrangère disposent
exactement des mêmes compétences et des mêmes pouvoirs en matière de
sanctions administratives. Pour le surplus, il suffit de rappeler que
la COB
est considérée comme l'autorité de surveillance des marchés
financiers au
sens de l'art. 38 al. 2 LBVM à laquelle l'entraide administrative
peut être
accordée (voir plus haut, consid. 2.2).
3.6 En résumé, l'entraide administrative ne saurait être refusée pour
le seul
motif que la COB a la possibilité, dans le cadre de ses
tâches
officielles,
de publier les décisions qu'elle a prises à l'issue d'une procédure
contradictoire.

4.
4.1Dans le domaine de l'entraide administrative internationale, le
principe
de la proportionnalité est consacré par l'art. 38 al. 2 LBVM qui
autorise
uniquement la transmission d'informations et de documents liés à
l'affaire.
Selon ce principe, l'entraide administrative ne peut être accordée
que dans
la mesure nécessaire à la découverte de la vérité recherchée par
l'Etat
requérant. La question de savoir si les renseignements demandés sont
nécessaires ou simplement utiles à la procédure étrangère est en
principe
laissée à l'appréciation de ce dernier. L'Etat requis ne dispose
généralement
pas des moyens lui permettant de se prononcer sur l'opportunité de
l'administration de preuves déterminées au cours de la procédure
menée à
l'étranger, de sorte que, sur ce point, il ne saurait substituer sa
propre
appréciation à celle de l'autorité étrangère chargée de l'enquête. Il
doit
uniquement examiner s'il existe suffisamment d'indices de possibles
distorsions du marché justifiant la demande d'entraide. La coopération
internationale ne peut être refusée que si les actes requis sont sans
rapport
avec d'éventuels dérèglements du marché et manifestement impropres à
faire
progresser l'enquête, de sorte que ladite demande apparaît comme le
prétexte
à une recherche indéterminée de moyens de preuve ("fishing
expedition"; ATF
128 II 407 consid. 5.2.1 p. 417; 127 II 142 consid. 5; 126 II 409
consid. 5
p. 413 ss, 86 consid. 5a p. 90 s.; 125 II 65 consid. 6 et les
références
citées).

4.2 La COB a notamment exposé que, le 17 décembre 2001, la cotation
des
titres CEC avait été suspendue à la suite de l'annonce faite par la
société
Accor Casinos de lancer un projet d'offre publique d'achat sur la
totalité
des titres CEC au prix de 52 EUR, ce qui représentait une hausse de
36 % par
rapport à la moyenne des cours des trois derniers mois. Cette offre
publique
d'achat devait officiellement débuter le 10 janvier 2002. Mais, dès la
reprise de la cotation des titres CEC le 28 décembre 2001, la COB a
constaté
une forte hausse du cours de l'action (53,15 EUR), se situant à un
niveau
supérieur au prix proposé par Accor Casinos, ainsi qu'une augmentation
inhabituelle du nombre de titres échangés. Durant tout le mois de
janvier, le
cours du titre CEC n'a cessé d'augmenter. Le 28 janvier 2002, le
Groupe
Partouche a déposé un projet d'offre publique d'achat concurrente en
proposant 59 EUR par action.

L'autorité requérante disposait donc d'éléments suffisants lui
permettant de
soupçonner d'éventuels dérèglements du marché. En outre, la COB a
découvert
qu'un certain nombre de titres CEC avait été acquis, puis revendu, par
l'intermédiaire d'une banque suisse durant une période sensible. Les
recourants contestent, pour leur part, que leurs transactions
boursières
aient été réalisées au cours d'une "période critique". Ils soulignent
que
l'acquisition des titres CEC a eu lieu le 28 décembre 2001, soit après
l'annonce du lancement d'une offre publique d'achat par Accor Casinos
le 17
décembre 2001. Ces arguments ne sont toutefois pas de nature à
désamorcer le
soupçon initial de possibles distorsions du marché. Force est en
outre de
constater que l'achat des titres CEC s'est produit durant la période
précédant la survenance d'un (autre) fait confidentiel, soit
l'annonce du
dépôt d'une offre publique d'achat faite le 28 janvier 2002 par le
Groupe
Partouche. Les recourants ont en effet acquis 10'000 titres CEC le 28
décembre 2001, du reste à un prix supérieur à celui proposé par Accord
Casinos, titres qu'ils ont ensuite revendus avec bénéfice. Il y a
donc lieu
d'admettre que les transactions litigieuses ont eu lieu pendant une
période
sensible. Pour le surplus, la demande d'entraide administrative
présentée le
2 juillet 2002 contient un exposé de faits pertinents non lacunaire et
satisfait aux exigences de motivation posées par la jurisprudence
(ATF 128 II
407 consid. 5.2.1 p. 419).

Les recourants soutiennent encore que l'entraide administrative
devrait être
refusée, car ils ne peuvent de toute façon pas être soupçonnés
concrètement
d'avoir utilisé une information privilégiée, faute d'autres éléments
suspects. Ils précisent notamment que la COB ne fait état d'aucune
relation
directe ou indirecte entre eux et un détenteur d'une information
privilégiée.
Point n'est cependant besoin de trancher cette question, puisque
l'existence
d'indices supplémentaires (insolites) permettant de soupçonner
concrètement
et de manière vraisemblable l'utilisation d'une information
privilégiée par
l'intéressé en rapport avec la transaction examinée n'est nécessaire
que pour
autoriser l'autorité requérante à retransmettre les informations aux
autorités pénales étrangères compétentes, ce qui n'a pas (encore) été
requis
en l'espèce. La variation du cours des titres en cause et
l'augmentation
inhabituelle de leur volume d'échange durant une période sensible
sont à
elles seules suffisantes pour accorder l'entraide administrative (cf.
ATF 128
II 407 consid. 5.3.1 p. 419; 127 II 323 consid. 7b p. 334 s. et les
arrêts
cités).

Compte tenu de ces circonstances, la COB pouvait légitimement
demander à la
Commission fédérale des précisions sur les transactions en cause.
L'entraide
administrative internationale doit donc être accordée. La Commission
fédérale
n'a pas à examiner les raisons invoquées par les recourants pour
expliquer
ces opérations boursières. C'est en vain que les recourants affirment
que
Y.________ s'était uniquement fondé sur les nombreux articles parus
dans la
presse financière spécialisée et sur Internet pour procéder auxdites
opérations. De telles allégations ne sont en effet pas déterminantes
dans ce
contexte. Il appartient uniquement à l'autorité requérante de
déterminer, sur
la base de ses propres investigations et des informations transmises
par la
Commission fédérale, si ses craintes initiales de possible distorsion
du
marché étaient ou non fondées (cf. ATF 127 II 142 consid. 5c p.
146/147).

5.
Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté. Succombant, les
recourants
doivent supporter un émolument judiciaire, solidairement entre eux
(art. 156
al. 1 et 7 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 10'000 fr. est mis à la charge des
recourants,
solidairement entre eux.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants
et à la
Commission fédérale des banques.

Lausanne, le 26 août 2003

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2A.136/2003
Date de la décision : 26/08/2003
2e cour de droit public

Analyses

Art. 38 al. 2 LBVM; entraide administrative demandée par la Commission française des opérations de bourse (COB); exigence de la confidentialité; publicité de l'enquête administrative (en France et aux Etats-Unis); principe de la proportionnalité. L'entraide administrative ne saurait être refusée pour le seul motif que la COB a la possibilité, au terme d'une procédure contradictoire, de publier sur son site Internet une décision prononçant une sanction pécuniaire à l'encontre d'une personne, dont il a été légalement établi qu'elle avait violé la réglementation sur les marchés financiers. En revanche, l'entraide administrative est exclue si, en vertu du droit de l'Etat requérant, les données sensibles sur une personne, qui est simplement mise en cause dans une affaire, sont immédiatement ou en cours d'enquête accessibles au public, avant même qu'une décision soit rendue (sous réserve du cas prévu aux ATF 128 II 407 ss, demande de retransmettre simultanément les informations aux autorités pénales étrangères; consid. 2 et 3). Principe de la proportionnalité. Eléments suffisants pour soupçonner d'éventuels dérèglements du marché pendant une période sensible (consid. 4).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-08-26;2a.136.2003 ?
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