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19/08/2003 | SUISSE | N°6S.264/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 19 août 2003, 6S.264/2003


{T 0/2}
6S.264/2003 /rod

Arrêt du 19 août 2003
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger et Kolly.
Greffière: Mme Kistler.

Ministère public du canton de Vaud, 1014 Lausanne,
recourant,

contre

X.________,
intimé, représenté par Me Yves Burnand, avocat, place St-François 7,
case
postale 3640, 1002 Lausanne.

Escroquerie (art. 146 CP),

pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal cantonal vaudois, Cour
de
cassation pénale, du

6 décembre 2002.

Faits:

A.
Par jugement du 11 octobre 2002, le Tribunal correctionnel de
l'arrondissement de Lausanne a...

{T 0/2}
6S.264/2003 /rod

Arrêt du 19 août 2003
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger et Kolly.
Greffière: Mme Kistler.

Ministère public du canton de Vaud, 1014 Lausanne,
recourant,

contre

X.________,
intimé, représenté par Me Yves Burnand, avocat, place St-François 7,
case
postale 3640, 1002 Lausanne.

Escroquerie (art. 146 CP),

pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal cantonal vaudois, Cour
de
cassation pénale, du 6 décembre 2002.

Faits:

A.
Par jugement du 11 octobre 2002, le Tribunal correctionnel de
l'arrondissement de Lausanne a condamné X.________ pour banqueroute
frauduleuse (art. 163 a CP) à la peine de douze mois
d'emprisonnement, avec
sursis pendant deux ans.

Statuant le 6 décembre 2002 sur recours du Ministère public, la Cour
de
cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a confirmé ce jugement.

B.
En résumé, les faits à la base de cette condamnation sont les
suivants:
B.aPar contrat de vente passé le 9 juin 1989 devant le notaire
Y.________, la
librairie Z.________ SA, dont X.________ était l'actionnaire unique,
a vendu
à ce dernier l'immeuble sis à la rue C.________ au prix de 6'500'000
francs.
Une créance contre X.________ du montant du prix de vente a été
inscrite dans
les comptes de la librairie Z.________ SA à titre de paiement; cette
créance
était garantie par une cédule hypothécaire au porteur de 6'500'000
francs
constituée immédiatement après la signature du contrat de vente en
second
rang sur la parcelle susdésignée.

X. ________ n'a jamais transféré la cédule hypothécaire à la librairie
Z.________ SA. Quelques mois après l'acquisition de l'immeuble, il
l'a remise
en nantissement à la Banque B.________, en garantie d'un crédit privé
de
quatre millions de francs destiné au financement d'opérations
immobilières au
Maroc. Il n'a pas informé la banque du fait que la cédule
hypothécaire était
censée servir de garantie à la librairie Z.________ SA pour le
paiement du
prix de vente de l'immeuble C.________.

Selon les renseignements fournis par la Banque B.________, X.________
aurait
consacré moins d'un quart de cette somme à ses projets marocains, le
reste
ayant probablement été dépensé pour ses besoins "courants". Il n'a pas
remboursé le capital et les intérêts de ce crédit et la Banque
B.________
s'est vu délivrer un acte de défaut de biens après saisie de
3'996'964 fr. 05
en janvier 1997. Elle a cédé à un tiers les droits qui en
découlaient, ainsi
que tous les droits accessoires, notamment ceux découlant du
nantissement de
la cédule hypothécaire de 6'500'000 francs.

B.b En droit, le Tribunal de première instance a condamné X.________
pour
banqueroute frauduleuse (art. 163 aCP). Il a refusé de suivre le
Ministère
public qui voyait une escroquerie (triangulaire) au détriment de la
librairie
Z.________ SA dans la remise à la Banque B.________, respectivement
dans
l'acceptation par celle-ci, de la cédule grevant l'immeuble
C.________ en ce
sens que la librairie était dépouillée de la garantie de sa créance
contre
X.________; se référant à l'ATF 126 IV 113, les juges de première
instance
ont considéré que la Banque B.________ n'avait jamais eu le moindre
pouvoir
de disposition à l'égard des biens de la librairie Z.________ SA, en
particulier à l'égard de la cédule hypothécaire.

La Cour de cassation cantonale a également exclu l'escroquerie, mais
pour
d'autres motifs. Elle relève, premièrement, que X.________ n'a jamais
transféré la cédule hypothécaire à la librairie Z.________ SA et ne
pouvait
dès lors déterminer la Banque B.________ à accomplir un acte
préjudiciable
aux intérêts pécuniaires de la librairie Z.________ SA portant sur
une cédule
hypothécaire que celle-ci ne possédait pas. Deuxièmement, la librairie
Z.________ SA se confondait économiquement avec X.________, qui ne
pouvait
pas s'escroquer lui-même.

C.
Le Ministère public forme un pourvoi en nullité au Tribunal fédéral.
Soutenant que les éléments constitutifs d'une escroquerie dite
triangulaire
sont réalisés, il conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle
l'application du
droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base exclusive de l'état de fait
définitivement arrêté par la cour cantonale (cf. art. 277bis et 273
al. 1
let. b PPF). Le raisonnement juridique doit se fonder sur les faits
retenus
dans la décision attaquée, dont le recourant ne peut s'écarter.

Le Tribunal fédéral n'est pas lié par les motifs invoqués, mais il ne
peut
aller au-delà des conclusions du recourant (art. 277bis PPF).
Celles-ci, qui
doivent être interprétées à la lumière de leur motivation,
circonscrivent les
points litigieux (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66).

2.
2.1Selon le recourant, X.________ se serait rendu coupable
d'escroquerie. Il
aurait trompé la Banque B.________ en lui faisant faussement croire
qu'il
était le légitime titulaire de la cédule hypothécaire et l'aurait
ainsi
astucieusement amenée à accepter la cédule hypothécaire; en acceptant
la
cédule, la Banque B.________ aurait accompli un acte de disposition
préjudiciable aux intérêts pécuniaires de la librairie Z.________ SA.
D'après
le recourant, il s'agirait d'une escroquerie triangulaire, la Banque
B.________ n'aurait elle-même subi aucun dommage, dès lors que le
nantissement de la cédule hypothécaire était valable; la librairie
Z.________
SA ne saurait en effet revendiquer la cédule dans la mesure où il
s'agit d'un
titre au porteur et que la Banque B.________ était de bonne foi (art.
935
CC). La personne lésée serait la librairie Z.________ SA, qui s'est
vue
privée de la garantie de sa créance contre X.________.

2.2 Les faits reprochés au recourant sont antérieurs à l'entrée en
vigueur de
l'art. 146 CP le 1er janvier 1995, de sorte que l'art. 148 aCP est
applicable. Le nouveau droit ne consacrant pas un régime plus
favorable, le
principe de la lex mitior posé à l'art. 2 al. 2 CP ne lui permet pas
de
déployer d'effet.

2.3 Selon l'article 148 al. 1 aCP, se rend coupable d'escroquerie
notamment
celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un
enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une
personne
par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits
vrais, ou
aura astucieusement exploité l'erreur où se trouvait une personne et
aura de
la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses
intérêts
pécuniaires ou à ceux d'un tiers.

L'escroquerie suppose donc une tromperie, qui peut se présenter sous
la forme
d'affirmations fallacieuses, de dissimulation de faits vrais ou encore
consister à exploiter l'erreur de la dupe. La loi pénale ne tend pas à
protéger la personne qui aurait pu éviter d'être trompée en faisant
preuve
d'un minimum d'attention. C'est pourquoi elle exige que la tromperie
soit
astucieuse.

La tromperie astucieuse doit amener la dupe, dans l'erreur, à
accomplir un
acte préjudiciable à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.
La dupe
qui accomplit l'acte de disposition et la personne lésée peuvent être
deux
sujets de droit distincts (escroquerie triangulaire). Tel est le cas
par
exemple lorsque le caissier d'une banque remet de l'argent à une
personne
effectuant un prélèvement sur un livret d'épargne qu'elle a volé. Il
faut
toujours cependant, s'il n'y a pas identité entre la dupe et le lésé,
que la
dupe ait un certain pouvoir de disposition sur le patrimoine du lésé
(ATF 126
IV 113 consid. 3a p. 117). Ainsi, l'auteur ne commet pas une
escroquerie,
mais un vol par action médiate si, se faisant passer auprès d'un
tiers pour
le propriétaire d'une malle se trouvant sur un quai de gare sous la
garde
d'un commissionnaire, il détermine ce tiers à lui apporter la malle;
dans ce
cas, le tiers intervient dans le patrimoine d'autrui sans droit et en
agissant comme un instrument entre les mains de l'auteur (ATF 78 IV 84
consid. 2 p. 89).

Sur le plan subjectif, l'auteur doit agir intentionnellement et dans
le
dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement
illégitime.

2.4 En l'espèce, la Banque B.________ (dupe) n'avait aucun pouvoir de
disposition sur le patrimoine de la librairie Z.________ SA (personne
lésée).
Le recourant fait valoir que la banque avait le droit de disposer, au
sens de
l'art. 884 al. 2 CC, de la cédule qui lui avait été remise en
nantissement
par X.________ et que, par conséquent, elle était au bénéfice d'un
pouvoir de
disposition sur le patrimoine de la librairie lésée. Cet argument est
cependant erroné. Le pouvoir de disposer du patrimoine lésé doit être
préalable à l'acte de disposition préjudiciable aux intérêts
pécuniaires et
ne doit pas être la conséquence de l'acte de disposition lui-même.
Or, si
l'on suit le raisonnement du recourant, l'acte de disposition
préjudiciable
aux intérêts de la librairie Z.________ SA consiste dans
l'acceptation par la
Banque B.________ de la cédule en nantissement, acceptation qui a
créé le
pouvoir de disposition de cette dernière sur la cédule.
Faute de pouvoir de disposition préalable de la Banque B.________ sur
le
patrimoine de la librairie Z.________ SA, X.________ ne saurait être
condamné
pour escroquerie. Le pourvoi doit dès lors être rejeté, sans qu'il y
ait lieu
d'examiner si les autres éléments constitutifs de l'escroquerie sont
réalisés.

3.
Conformément à l'art. 278 al. 2 PPF, il ne sera pas perçu de frais.

Il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité à l'intimé, qui n'a pas été
amené à
se déterminer sur le pourvoi (art. 278 al. 3 PPF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais ni alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au Ministère public du
canton de
Vaud, au mandataire de l'intimé et au Tribunal cantonal vaudois, Cour
de
cassation pénale.

Lausanne, le 19 août 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.264/2003
Date de la décision : 19/08/2003
Cour de cassation pénale

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-08-19;6s.264.2003 ?
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