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19/08/2003 | SUISSE | N°1A.54/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 19 août 2003, 1A.54/2003


{T 0/2}
1A.54/2003 /viz

Arrêt du 19 août 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Aeschlimann, Reeb, Féraud et Catenazzi.
Greffier: M. Thélin.

Z. ________,
recourante, représentée par Me Eric Stauffacher, avocat, av. du
Théâtre 7,
case postale 2532, 1002 Lausanne,

contre

Département des institutions et des relations extérieures du canton
de Vaud,
Place du Château 1, 1014 Lausanne,
Tribunal des assuranc

es du canton de Vaud,
route du Signal 8, 1014 Lausanne.

aide aux victimes d'infractions

recours de droit administ...

{T 0/2}
1A.54/2003 /viz

Arrêt du 19 août 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Aeschlimann, Reeb, Féraud et Catenazzi.
Greffier: M. Thélin.

Z. ________,
recourante, représentée par Me Eric Stauffacher, avocat, av. du
Théâtre 7,
case postale 2532, 1002 Lausanne,

contre

Département des institutions et des relations extérieures du canton
de Vaud,
Place du Château 1, 1014 Lausanne,
Tribunal des assurances du canton de Vaud,
route du Signal 8, 1014 Lausanne.

aide aux victimes d'infractions

recours de droit administratif contre le jugement du Tribunal des
assurances
du 17 octobre 2002.

Faits:

A.
Le 17 juin 1996, Z.________ - qui s'appelait alors Y.________ - a
subi des
lésions corporelles puis, le 24 juillet suivant, des menaces, une
contrainte
et un viol infligés par son mari N.________. Elle a déposé plainte
contre lui
le 13 septembre 1996. Par lettre du 14 juin 2000, soit près de quatre
ans
après, le Juge d'instruction chargé de l'enquête l'a informée qu'elle
bénéficiait de certains droits en qualité de victime, en particulier
celui de
s'adresser au Centre de consultation "LAVI" à Lausanne pour être
soutenue
dans ses démarches administratives et juridiques. Elle a consulté ce
centre
le 19 juin 2000 puis, dès le 24 juillet suivant, l'avocat Eric
Stauffacher.

N. ________ a été jugé par le Tribunal correctionnel de
l'arrondissement de
l'Est vaudois le 30 mars 2001. Assistée de Me Stauffacher,
Z.________, qui
avait entre-temps divorcé et s'était remariée, a participé aux débats
et pris
des conclusions civiles contre l'accusé. Celui-ci, reconnu coupable
des actes
précités et de divers autres crimes ou délits, a été condamné à une
lourde
peine de réclusion et, en outre, au paiement de 15'000 fr. à la
victime à
titre de réparation morale.

B.
Par mémoire daté du 14 juin 2001, toujours conseillée par Me
Stauffacher,
Z.________ a adressé au Département des institutions et des relations
extérieures du canton de Vaud une demande d'indemnisation fondée sur
la loi
fédérale concernant l'aide aux victimes d'infractions. Elle réclamait
le
montant dû par N.________, que celui-ci, en détention, était hors
d'état de
payer. Elle faisait valoir que le délai de péremption de deux ans,
prévu par
cette loi, ne lui était pas opposable parce qu'elle n'avait été
informée de
son droit à une indemnité que tardivement, alors que ce délai était
déjà
échu; pour le surplus, elle disait avoir appris plus tard encore que,
selon
la jurisprudence, compte tenu de ce retard, ledit délai ne lui était
pas
opposable et qu'elle pouvait donc encore agir utilement.
Statuant le 13 mars 2002, le Département a déclaré la demande
irrecevable au
motif que les prétentions élevées par la victime étaient périmées. Il
a
retenu que celle-ci avait attendu l'issue du procès pénal pour
introduire sa
demande et qu'il n'existait donc pas de circonstances exceptionnelles
propres
à permettre, en équité, de ne pas lui opposer le délai de péremption.

C.
Z.________ a recouru au Tribunal cantonal des assurances. Elle
soutenait
derechef que la péremption ne lui était pas opposable en raison du
retard des
autorités à l'informer de son droit à une indemnité. A son avis,
l'application correcte du droit fédéral exigeait de lui restituer un
délai
d'une année à compter du jour où elle avait enfin reçu cette
information.
Elle déclarait avoir compté sur ce délai supplémentaire, qu'elle avait
respecté de justesse. Elle expliquait aussi, au surplus, qu'elle
avait hésité
à entreprendre une procédure d'indemnisation. En particulier, elle
avait
craint que N.________, s'il apprenait son nouveau nom, pût ainsi la
retrouver; c'est pourquoi elle avait réservé sa décision jusqu'à
l'audience
du Tribunal correctionnel, audience où elle a pu affronter l'accusé
sans se
dissimuler. Elle ne prétendait plus, par contre, avoir tenu ses
propres
prétentions pour périmées.
Le Tribunal cantonal des assurances s'est prononcé le 17 octobre
2002. Il a
considéré que la victime aurait dû agir sans tarder dès qu'elle avait
reçu
connaissance de ses droits; en attendant encore près d'une année,
même pour
des motifs "tout à fait compréhensibles", elle n'avait pas satisfait
à cette
exigence. Le Tribunal a ainsi rejeté le recours.

D.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, Z.________
requiert
le Tribunal fédéral de lui allouer l'indemnité à laquelle elle
prétend;
subsidiairement, elle demande l'annulation du jugement et le renvoi
de la
cause aux autorités cantonales pour nouvelle décision. Elle persiste
dans
l'argumentation et les explications déjà développées devant le
Tribunal
cantonal des assurances.
Cette juridiction et l'autorité administrative ont renoncé à déposer
des
réponses au recours. L'Office fédéral de la justice a présenté des
observations tendant au rejet du recours, sur lesquelles la
recourante a pu
prendre position.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit administratif est recevable contre les décisions
cantonales de dernière instance fondées sur la loi fédérale en
matière d'aide
aux victimes d'infractions (ci-après: la loi fédérale ou LAVI; RS
312.5),
concernant les demandes de réparation du dommage ou de réparation
morale (ATF
126 II 237 consid. 1a p. 239).

2.
Aux termes des art. 2 al. 1 et 11 al. 1 LAVI, la personne qui est
victime
d'une infraction pénale et subit, de ce fait, une atteinte directe à
son
intégrité corporelle, sexuelle ou psychique, peut demander une
indemnisation
ou une réparation morale dans le canton où l'infraction a été
commise. L'art.
16 al. 3 LAVI exige que la victime introduise ses demandes dans un
délai de
deux ans à compter de la date de l'infraction; à défaut, ses
prétentions sont
périmées. Dans la présente affaire, la qualité de victime de la
recourante,
au sens de ces dispositions, n'est pas douteuse. Le litige porte sur
l'application de l'art. 16 al. 3 précité, relatif au délai de
péremption.
Selon la jurisprudence, ce délai très bref, qui n'est susceptible
d'aucune
suspension ni prolongation, n'est opposable à une demande
d'indemnisation ou
de réparation morale que si la victime était effectivement en
possession des
moyens nécessaires à l'exercice efficace de ses droits. Sur ce point,
on
attribue une importance décisive au devoir de la police de signaler à
la
victime, lors de sa première audition, l'existence des centres de
consultation chargés, notamment, de fournir des informations sur
l'aide aux
victimes et de les assister dans leurs démarches juridiques (art. 3
et 6 al.
1 LAVI). Dans le système de la loi, cette obligation d'informer la
victime
compense la rigueur du délai. En principe, la péremption ne peut donc
pas
faire échec à une demande lorsque l'information due à la victime a
été omise.
Dans le cas où une information suffisante n'a été fournie qu'après
l'expiration du délai, l'autorité doit examiner, sur la base des
circonstances spécifiques de la cause et en considération du principe
de la
bonne foi, si la victime a pris toutes les dispositions appropriées et
raisonnablement exigibles pour faire valoir ses droits; dans
l'affirmative,
la péremption doit exceptionnellement être considérée comme non
avenue (ATF
123 II 241; arrêt 1A.217/1997 du 8 décembre 1997, publié in Plädoyer
1998 1
p. 64, consid. 5 p. 65).
Une solution analogue, à l'issue d'un examen fondé sur les mêmes
critères,
doit être appliquée dans le cas où, sans que l'information légale
n'ait été
omise, les conséquences de l'infraction ne sont devenues
reconnaissables par
la victime qu'après l'expiration du délai (ATF 126 II 348). Le
Tribunal
fédéral a aussi jugé que si la victime ne dispose pas à temps de tous
les
éléments nécessaires pour spécifier entièrement l'objet et les motifs
de sa
demande d'indemnisation, tels que, en particulier, le montant auquel
elle
prétend, elle doit néanmoins saisir l'autorité avant l'échéance de la
péremption, et lui exposer les faits avec la précision que l'on peut
de bonne
foi attendre d'elle à ce moment (ATF 126 II 93 consid. 2 et 3).

3.
Pour revendiquer le droit à un délai supplémentaire d'une année dès
l'information reçue tardivement, la recourante se réfère surtout à
diverses
dispositions de droit fédéral relatives à la prescription ou à la
péremption, dispositions prévoyant des délais d'une année dès la
connaissance
des faits propres à fonder la prétention concernée. Elle mentionne
notamment
les art. 60 al. 1 et 67 al. 1 CO, concernant la prescription des
actions en
dommages-intérêts ou pour cause d'enrichissement illégitime, ainsi
que les
art. 47 al. 2 LAVS et 48 al. 2 LAI concernant la réclamation de
prestations
arriérées d'assurances sociales. Elle soutient qu'à l'étude de la
jurisprudence précitée, on ignore jusqu'à quand la victime peut agir
utilement après qu'elle a reçu l'information manquante; à son avis, il
s'impose donc d'appliquer un régime analogue à celui desdites
dispositions
pour le délai de péremption prévu à l'art. 16 al. 3 LAVI, afin
d'assurer la
sécurité du droit dans ce domaine et de respecter l'intention du
législateur
tendant à assurer une aide effective aux victimes d'infractions.
Dans son arrêt du 8 décembre 1997, déjà mentionné, le Tribunal
fédéral a
examiné si la victime, agissant avec la diligence que l'on pouvait
raisonnablement attendre d'elle, aurait pu présenter sa demande plus
tôt
qu'elle ne l'avait fait (Plädoyer 1998 1 p. 66, consid. 5d).
L'incertitude
juridique dont la recourante prétend tirer argument a ainsi été
résolue, en
ce sens que la victime ne peut se prétendre de bonne foi, et échapper
ainsi à
la rigueur de l'art. 16 al. 3 LAVI, que si elle s'adresse à
l'autorité sans
retard supplémentaire après qu'elle a reçu l'information manquante.
Par
ailleurs, le régime des dispositions invoquées par la recourante est
fondamentalement différent de celui consacré à l'art. 16 al. 3 LAVI.
Si l'on
veut rechercher des clauses de la législation fédérale aptes à une
application par analogie, il faut plutôt se référer aux art. 256c al.
3, 260c
al. 3 et 263 al. 3 CC concernant respectivement, en matière
d'établissement
de la filiation, les actions en désaveu, en contestation d'une
reconnaissance
et en constatation de la paternité. Il est prévu que "l'action peut
être
intentée après l'expiration du délai lorsque de justes motifs rendent
le
retard excusable". Cette règle n'accorde aucun délai supplémentaire,
même de
brève durée, à la libre disposition du demandeur; celui-ci doit au
contraire
agir avec toute la rapidité possible, selon les circonstances, dès
que la
cause du retard a pris fin (Cyril Hegnauer, Commentaire bernois, n.
59 ad
art. 256c CC). La solution déjà consacrée par la jurisprudence
relative à
l'art. 16 al. 3 LAVI, où cette disposition reçoit une interprétation
conforme
aux exigences de la protection constitutionnelle de la bonne foi,
correspond
exactement à ces modalités.

4.
Il est constant que la recourante n'a reçu aucune information, au
sujet des
prestations qu'elle pouvait éventuellement demander au titre de
l'aide aux
victimes d'infractions, avant la lettre du Juge d'instruction du 14
juin
2000. Le délai de péremption de deux ans dès les infractions
perpétrées en
juin et juillet 1996 était alors échu. La recourante a introduit sa
demande
d'indemnisation encore un an après. Dans la mesure où elle admet
avoir compté
sur un délai supplémentaire d'une année dès le 14 juin 2000, elle n'a
manifestement pas agi avec la diligence que l'on pouvait
raisonnablement
attendre d'elle. En effet, elle s'est exposée au risque que son
opinion
relative à la situation juridique ne fût pas suivie par les autorités
appelées à statuer. Ce risque était d'ailleurs évident car l'opinion
en cause
n'était qu'une simple spéculation. Au demeurant, l'affaire était
simple car
la prétention de la recourante ne portait que sur une réparation pour
tort
moral.
La recourante a aussi avancé d'autres justifications de son retard à
agir.
Elles sont toutefois sujettes à caution déjà en raison de la
divergence
totale que l'on constate entre les explications soumises
successivement à
l'autorité administrative puis au Tribunal cantonal des assurances.
Si l'on
se fie à la première version, selon laquelle la victime croyait ne
plus
pouvoir agir utilement après l'échéance du délai de deux ans, il faut
supposer qu'encore longtemps après avoir consulté son avocat, le 24
juillet
2000, elle ignorait la jurisprudence publiée par le Tribunal fédéral
concernant l'art. 16 al. 3 LAVI. Cela n'est pas vraisemblable. L'autre
version, où la victime s'abstenait d'agir par crainte que l'auteur des
infractions subies ne la retrouve, ne convainc pas non plus car la
procédure
administrative d'indemnisation est tout à fait indépendante de
l'enquête
pénale et l'auteur présumé n'y est aucunement impliqué.
Par conséquent, en introduisant sa demande d'indemnisation le 14 juin
2001
seulement, la recourante n'a pas pris toutes les dispositions
appropriées et
raisonnablement exigibles pour faire valoir ses droits nonobstant le
retard
intervenu dans l'information prévue par la loi. Ses prétentions se
sont donc
éteintes par péremption, conformément à l'art. 16 al. 3 LAVI. Le
recours de
droit administratif, formé pour
violation de cette disposition, se
révèle mal
fondé et doit être rejeté.

5.
Conformément à l'art. 16 al. 1 LAVI, le Tribunal fédéral ne perçoit
pas
d'émolument judiciaire dans les procédures de recours de droit
administratif
en matière d'indemnisation des victimes d'infractions.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire ni alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la
recourante, au
Département des institutions et des relations extérieures du canton
de Vaud,
au Tribunal des assurances de ce canton et à l'Office fédéral de la
justice.

Lausanne, le 19 août 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.54/2003
Date de la décision : 19/08/2003
1re cour de droit public

Analyses

Art. 16 al. 3 LAVI. Aide aux victimes d'infractions; péremption du droit à l'indemnisation. La péremption n'est pas opposable à la victime lorsque celle-ci ne reçoit l'information prévue par la loi qu'après l'expiration du délai et qu'elle présente sa demande d'indemnisation ou de réparation morale sans retard supplémentaire. La victime n'a pas droit à la restitution d'un délai d'une année dès réception de cette information.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-08-19;1a.54.2003 ?
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