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08/08/2003 | SUISSE | N°2P.261/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 08 août 2003, 2P.261/2002


{T 0/2}
2P.261/2002 /mks

Arrêt du 8 août 2003
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Wurzburger, Président,
Hungerbühler, Müller, Yersin et Merkli.
Greffier: M. Addy

Consortium X.________,
recourant, représenté par Me Christophe Schwarb, avocat, rue du
Bassin 6,
case postale 3112, 2001 Neuchâtel 1,

contre

E.________ SA,
intimé, représenté par Me Marc Lorenz, avocat,
rue du Trésor 9, case postale 544, 2001 Neuchâtel 1,
Commission de construction SIS-PCN-juges d'instructio

n, Ville de La
Chaux-de-Fonds, Service juridique, 2300 La Chaux-de-Fonds,
Tribunal administratif du canton de Neuchâ...

{T 0/2}
2P.261/2002 /mks

Arrêt du 8 août 2003
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Wurzburger, Président,
Hungerbühler, Müller, Yersin et Merkli.
Greffier: M. Addy

Consortium X.________,
recourant, représenté par Me Christophe Schwarb, avocat, rue du
Bassin 6,
case postale 3112, 2001 Neuchâtel 1,

contre

E.________ SA,
intimé, représenté par Me Marc Lorenz, avocat,
rue du Trésor 9, case postale 544, 2001 Neuchâtel 1,
Commission de construction SIS-PCN-juges d'instruction, Ville de La
Chaux-de-Fonds, Service juridique, 2300 La Chaux-de-Fonds,
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, case postale 3174, 2001
Neuchâtel 1.

art. 9 et 29 Cst. (adjudication de travaux d'électricité),

recours de droit public contre la décision du Tribunal administratif
du
canton de Neuchâtel du 9 octobre 2002.

Faits:

A.
Représentés par une commission de construction mixte réunissant des
membres
de chacune des entités, la Ville de La Chaux-de-Fonds et l'Etat de
Neuchâtel
(ci-après: le pouvoir adjudicateur) ont mis en soumission par la voie
d'une
procédure d'appel d'offres ouverte la construction d'un nouveau
bâtiment
destiné à abriter le Service d'intervention et de secours des
Montagnes
neuchâteloises, la Police cantonale neuchâteloise et l'office des
juges
d'instruction. Le coût du projet était estimé à 18'700'000 fr. et les
offres
devaient être déposées auprès d'un bureau d'architectes.

L'ouverture des soumissions concernant les travaux d'électricité
(soit le lot
no 3, devisé à 1'478'100 fr.) a eu lieu le 18 juillet 2002; elle a
débouché
sur le classement suivant (les quatre premiers sur dix):

1er E.________ SA, Neuchâtel 1'106'608 fr.
2e soumissionnaire 2, Neuchâtel 1'164'100 fr. 18
3e soumissionnaire 3, Neuchâtel 1'195'650 fr. 07
4e Consortium X.________, La Chaux-de-Fonds 1'279'045 fr. 85

Par décision du 4 septembre 2002, le pouvoir adjudicateur a adjugé le
lot no
3 à l'entreprise E.________ SA (ci-après citée: l'adjudicataire).

B.
Consortium X.________ (ci-après cité: le Consortium), a recouru
contre la
décision d'adjudication. Il a demandé au Tribunal administratif du
canton de
Neuchâtel (ci-après: le Tribunal administratif) d'accorder l'effet
suspensif
à son recours, d'annuler la décision attaquée et de renvoyer la cause
au
pouvoir adjudicateur pour nouvelle décision. Il a fait valoir que
l'entreprise adjudicataire n'était pas indépendante du pouvoir
adjudicateur,
car son capital-actions était détenu à 47,8 % par la société
I.________ SA
dans laquelle l'Etat de Neuchâtel et la Ville de La Chaux-de-Fonds
avaient
des participations. Par ailleurs, le Consortium critiquait le fait que
K.________, conseiller communal à La Chaux-de-Fonds et vice-président
du
conseil d'administration d'I.________ SA, avait présidé la commission
de
construction mixte qui avait procédé à l'adjudication. Il dénonçait
en outre
une entente illicite entre le soumissionnaire 2 et l'adjudicataire.
Enfin, il
soutenait que ce dernier devait être exclu de la procédure
d'adjudication,
car il ne remplissait pas les critères d'aptitude au sens de l'art.
21 lettre
a de la loi cantonale neuchâteloise du 23 mars 1999 sur les marchés
publics
(ci-après citée: LcMP), du fait qu'il n'avait à son service qu'une
seule
personne du métier, en violation de l'art. 10 de l'ordonnance
fédérale du 7
novembre 2001 sur les installations électriques à basse tension
(OIBT; RS
734.27).

Invitée à se déterminer sur le recours, la commission de construction
a
précisé que le classement des soumissionnaires établi à l'ouverture
des
offres était erroné, car il ne tenait compte que du prix de
celles-ci; or,
après prise en considération des autres critères d'évaluation, le
classement
par points était le suivant:

1er E.________ SA, Neuchâtel 114 points
2e soumissionnaire 3, Neuchâtel 109 points
3e Consortium X.________, La Chaux-de-Fonds 101 points
4e soumissionnaire 2, Neuchâtel 98 points

La commission de construction mixte a conclu au «rejet» du recours;
elle a
notamment soutenu que le Consortium n'avait pas la qualité pour
recourir,
faute d'intérêt pratique à l'admission du recours: en effet, même si
les
griefs élevés contre l'adjudicataire étaient admis, le marché ne lui
reviendrait de toute façon pas, mais irait au soumissionnaire arrivé
en
deuxième position dans le classement, soit le soumissionnaire 3.
Pour la
même raison, l'adjudicataire a conclu principalement à
l'irrecevabilité du
recours; subsidiairement, il en a proposé le rejet.

Par arrêt du 9 octobre 2002, le Tribunal administratif a déclaré
irrecevable
le recours, faute pour le recourant de disposer d'un intérêt pratique
à son
admission, vu son troisième rang au classement des soumissionnaires.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, le Consortium
demande au
Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt précité du Tribunal administratif
sous
suite de frais et dépens. Il se plaint d'arbitraire (art. 9 Cst.) et
de déni
de justice formel (art. 29 al. 1 Cst.).

Le Tribunal administratif se réfère aux considérants de son arrêt et
conclut
au rejet du recours; la commission de construction propose également
de
rejeter le recours dans la mesure où il est recevable, tandis que
l'adjudicataire a renoncé à se déterminer.

D.
Le 20 janvier 2003, le Consortium a informé le Tribunal fédéral qu'il
avait
saisi le Tribunal administratif d'une demande tendant à obtenir la
révision
de l'arrêt attaqué, car le soumissionnaire 3, deuxième du classement,
avait
entre-temps déposé son bilan; le Consortium tenait par conséquent pour
caduque l'argumentation des juges cantonaux consistant à lui dénier la
qualité pour recourir en raison de son troisième rang au classement.

Par arrêt du 19 février 2003, le Tribunal administratif a rejeté la
demande
de révision, au motif que le fait invoqué, postérieur au prononcé de
l'arrêt
soumis à révision, ne pouvait pas être pris en considération.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours
qui lui sont soumis (ATF 128 I 177 consid. 1 p. 179, 46 consid. 1a p.
48; 128
II 66 consid. 1 p. 67 et les références).

1.1 Formé pour violation des droits constitutionnels (art. 84 al. 1
lettre a
OJ), le présent recours de droit public n'est en principe recevable,
en vertu
des art. 86 al. 1 et 87 OJ, qu'à l'encontre des décisions qui, comme
en
l'espèce, sont prises en dernière instance cantonale (cf. art. 45
LcMP), et
revêtent un caractère final (c'est-à-dire mettent fin à la procédure,
par
opposition aux décisions préjudicielles ou incidentes).

1.2 En vertu de l'art. 88 OJ, le recours de droit public exige en
principe un
intérêt juridique actuel et pratique à l'annulation de la décision
attaquée,
respectivement à l'examen des griefs soulevés. L'intérêt au recours
doit
encore exister au moment où statue le Tribunal fédéral, lequel se
prononce
sur des questions concrètes et non théoriques (ATF 127 III 41 consid.
2b p.
42; 125 I 394 consid. 4a p. 397; 125 II 86 consid. 5b p. 97 et les
références
citées). Cette exigence vaut aussi lorsqu'est invoqué, comme en
l'espèce, un
déni de justice formel: en ce cas, le recourant doit au moins
justifier d'un
intérêt actuel à ce que son grief (formel) soit examiné; cet intérêt
s'apprécie en fonction des effets et de la portée d'une éventuelle
admission
du recours (cf. ATF 118 Ia 488 consid. 2a p. 492).

En l'espèce, il apparaît que le pouvoir adjudicateur a conclu le
contrat avec
l'adjudicataire après que la juridiction cantonale a refusé d'accorder
l'effet suspensif au recours. Cela n'a toutefois pas d'importance. Le
Consortium dispose en effet d'un intérêt juridiquement protégé, et
cela même
après la conclusion du contrat, qui consiste alors à faire constater
l'illicéité de la décision d'adjudication afin de pouvoir, le cas
échéant,
agir en dommages-intérêts contre l'adjudicateur (cf. ATF 125 II 86
consid. 5b
p. 97).

1.3 Pour le surplus, déposé en temps utile dans les formes prescrites
par la
loi, le recours est recevable (cf. art. 89 et 90 OJ), sous réserve
que les
griefs soulevés répondent aux exigences de motivation découlant de
l'art. 90
al. 1 lettre b OJ.

2.
2.1Selon la jurisprudence rendue en application de l'art. 90 al. 1
lettre b
OJ, l'acte de recours doit, à peine d'irrecevabilité, contenir un
exposé
succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques
violés et
préciser en quoi consiste la violation. Lorsqu'il est saisi d'un
recours de
droit public, le Tribunal fédéral n'a donc pas à vérifier de lui-même
si
l'arrêt entrepris est en tous points conforme au droit et à l'équité.
Il
n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et
suffisamment
motivés dans l'acte de recours. Le recourant ne saurait se contenter
de
soulever de vagues griefs ou de renvoyer aux actes cantonaux (ATF 125
I 71
consid. 1c p. 76; 115 Ia 27 consid. 4a p. 30; 114 Ia 317 consid. 2b
p. 318).
En outre, dans un recours pour arbitraire fondé sur l'art. 9 Cst.,
l'intéressé ne peut se contenter de critiquer l'arrêt attaqué comme
il le
ferait dans une procédure d'appel où l'autorité de recours peut revoir
librement l'application du droit. Il doit préciser en quoi cet arrêt
serait
arbitraire, ne reposerait sur aucun motif sérieux et objectif,
apparaîtrait
insoutenable ou heurterait gravement le sens de la justice (cf. ATF
128 I 295
consid. 7a p. 312; 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités).

2.2 Invoquant les art. 9 et 29 al. 1 Cst., le recourant soutient que
la
décision attaquée "restreint de manière arbitraire le cercle des
soumissionnaires évincés pouvant recourir contre la décision
d'adjudication
au vu de l'intérêt digne de protection qui leur est reconnu et qui
découle
directement de l'AIMP (Accord intercantonal du 25 novembre 1994 sur
les
marchés publics; RS 172.056.4)." Il se plaint donc d'un déni de
justice
formel qui se confond, en l'espèce, avec le grief tiré de la
violation de
l'interdiction de l'arbitraire. C'est dans cette mesure seulement
qu'il sera
entré en matière sur le recours, car les autres moyens soulevés en
procédure
cantonale que le recourant rappelle céans (manque d'indépendance du
pouvoir
adjudicateur, entente illicite entre certains soumissionnaires,
défaut d'un
critère d'aptitude...) portent sur le fond du litige et ne sont donc
pas
recevables dans le cadre d'un recours formé contre une décision
d'irrecevabilité (cf. ATF 126 II 377 consid. 8d p. 395 et les arrêts
cités).

3.
Après avoir constaté que le recourant n'avait invoqué aucun vice de
procédure, les premiers juges ont considéré que, même s'il fallait
écarter du
marché l'adjudicataire et le soumissionnaire 2 en raison des griefs
invoqués
par le Consortium, ce dernier "ne se verrait pas pour autant
attribuer le
marché, qui reviendrait tout naturellement au soumissionnaire placé en
seconde position, c'est-à-dire au soumissionnaire 3". Ils en ont
inféré que,
faute de disposer d'un intérêt pratique à l'annulation de
l'adjudication, le
Consortium n'avait pas la qualité pour recourir au sens de l'art. 32
de la
loi neuchâteloise du 27 juin 1979 sur la procédure et la juridiction
administratives (ci-après citée: LPJA), applicable en vertu du renvoi
de
l'art. 41 LcMP.

Le recourant réfute ce raisonnement. Il rappelle qu'en instance
cantonale, il
a certes mis en cause l'aptitude de l'adjudicataire à mener à bien les
travaux qui lui ont été adjugés, mais a également invoqué des vices
touchant
le déroulement de la procédure d'adjudication elle-même. Or, fait-il
valoir,
des irrégularités de nature procédurale doivent pouvoir être soumises
au
contrôle du juge par n'importe quel soumissionnaire évincé,
indépendamment de
son classement au terme de la procédure d'adjudication et de ses
chances
d'emporter le marché. Il ajoute que ces dernières sont, quoi qu'il en
soit,
bien réelles, puisqu'il est placé en troisième position et qu'il
n'est pas
exclu, en cas d'annulation de l'adjudication, que la situation se
présente
sous un autre jour lors de la nouvelle évaluation des offres: ainsi,
le
soumissionnaire arrivé en deuxième position pourrait refuser le
marché ou ne
plus réunir certaines conditions (en raison, par exemple, d'une
restructuration ou - comme la chose s'est vérifiée en l'espèce - à la
suite
d'une faillite), sans compter que, de son côté, l'adjudicateur
pourrait
souhaiter modifier "certains aspects du marché". A l'appui de son
point de
vue, il cite la jurisprudence de la Commission de recours en matière
de
marchés publics ainsi que des arrêts cantonaux et des avis de
doctrine.

4.
4.1 Notion fondamentale de la procédure contentieuse, la qualité pour
recourir ne fait pas l'objet d'une réglementation particulière dans
l'Accord
intercantonal sur les marchés publics (cf. la section 5 de l'AIMP;
Galli/Moser/Lang, Praxis des öffentlichen Beschaffungsrechts,
Zurich/Bâle/Genève 2003, p. 327; Zufferey/Maillard/Michel, Droit des
marchés
publics: Présentation générale, éléments choisis et code annoté,
Fribourg
2002, p. 133/134; Robert Wolf, Die Beschwerde gegen Vergabeentscheide
- Eine
Übersicht über die Rechtsprechung zu den neuen Rechtsmitteln, in: ZBl
2003/104, p. 1 ss, 11). Il revient
donc aux cantons d'en définir
librement
les contours et le contenu, dans les limites et le respect des
principes et
des objectifs fixés par l'Accord intercantonal, au nombre desquels
figure
notamment la volonté de soumettre la procédure d'adjudication à un
contrôle
juridictionnel (cf. art. 15 al. 1 AIMP; cf. Evelyne Clerc,
L'ouverture des
marchés publics: Effectivité et protection juridique, Fribourg 1997,
p. 472
ss). Cet objectif est également clairement exprimé à l'art. XX ch. 6
de
l'Accord sur les marchés publics conclu à Marrakech le 15 avril 1994
et entré
en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 1996 (RS 0.632.231.422;
ci-après-cité: AMP).

4.2 A l'art. 41 LcMP, le législateur neuchâtelois a prévu de régler la
procédure et les voies de recours en matière de marchés publics en
renvoyant
d'une manière générale, sous réserve de dispositions particulières, à
la loi
sur la procédure et la juridiction administrative. L'art. 32 lettre a
LPJA
dispose que la qualité pour recourir appartient à toute personne
touchée par
la décision et ayant un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit
annulée
ou modifiée. Comme dans la plupart des cantons (cf. Pierre Moor, Droit
administratif, vol. II, Berne 2002, p. 626/627), cette disposition
présente
une teneur quasiment identique à l'art. 103 lettre a OJ qui règle la
qualité
pour former un recours de droit administratif devant le Tribunal
fédéral. Le
Tribunal administratif interprète d'ailleurs la notion d'intérêt
digne de
protection en s'inspirant de la jurisprudence rendue par le Tribunal
fédéral
en application de l'art. 103 lettre a OJ (cf. l'arrêt attaqué, p. 3).

Le Tribunal fédéral examine en principe librement l'interprétation et
l'application des dispositions concordataires par les autorités
cantonales
(cf. ATF 115 Ia 212 consid. 2a; 112 Ia 75 consid. 1b et les références
citées); cela vaut notamment, en matière de marchés publics, pour ce
qui
concerne les règles assurant la régularité de la procédure
d'adjudication
(cf. ATF 125 II 86 consid. 6 p. 98). Par conséquent, même si la
qualité pour
recourir relève du droit cantonal de procédure (cf. supra consid.
4.1) dont
le Tribunal fédéral ne peut revoir l'application que sous l'angle
restreint
de l'arbitraire, c'est librement qu'il peut en contrôler la
conformité avec
la finalité des principes et des règles applicables en matière de
marchés
publics.

4.3 Doctrine et jurisprudence sont divisées sur la possibilité de
subordonner, au titre de l'intérêt digne de protection, la qualité
pour
recourir du soumissionnaire évincé à l'exigence d'avoir une chance
d'emporter
le marché en cas d'admission du recours.

Selon Clerc (op. cit., p. 525 et 531), sauf à vider de son sens la
protection
juridictionnelle en matière de marchés publics, le soumissionnaire
évincé qui
souhaite recourir contre une décision d'adjudication n'a pas à
démontrer
qu'il emporterait le marché s'il était admis ou réadmis à participer
à la
procédure; cet auteur estime en effet que l'intéressé a un intérêt
suffisant
à demander l'annulation de la décision attaquée, car il obtient le
rétablissement de ses chances s'il est (ré-)intégré dans la procédure
d'adjudication. Galli/Moser/Lang (op. cit., p. 330) vont dans le même
sens,
en considérant que le soumissionnaire évincé est plus que quiconque
touché
par la décision d'adjudication, ce qui lui confère un intérêt
suffisant pour
recourir, indépendamment de ses chances d'obtenir le marché; ces
dernières
nécessitent un examen matériel du litige qui, selon les auteurs
précités, ne
doit pas se faire déjà au stade de la qualité pour recourir.
Carron/Fournier
(in: La protection juridique dans la passation des marchés publics,
Fribourg
2002, p. 62/63) arrivent aux mêmes conclusions, avec l'argumentation
suivante:
"La qualité pour agir n'est pas soumise à la condition supplémentaire
de
l'utilité du sort du recours pour le recourant. Celui-ci n'a pas à
démontrer
que le marché lui aurait été attribué sans la violation alléguée. En
d'autres
termes, la qualité pour agir ne dépend pas d'un lien de causalité
entre la
violation alléguée et l'absence d'adjudication au recourant. En effet,
l'application d'une telle règle pourrait conduire à limiter
arbitrairement le
nombre des recourants potentiels à ceux qui auraient eu une chance,
voire une
certitude, d'obtenir l'attribution du marché. L'autorité de recours
devrait
alors, au stade de la qualité pour recourir, examiner si le recourant
avait
une chance suffisante de se voir attribuer le marché en l'absence de
l'illégalité alléguée. Cet examen aurait pour première conséquence de
rendre
irrecevable tous les recours où la violation alléguée ne serait pas
causale,
c'est-à-dire où la violation n'aurait pas modifié le résultat de
l'adjudication en ce qui concerne le recourant. La deuxième
difficulté tient
au fardeau de la preuve. Compte tenu du grand pouvoir d'appréciation
dont
dispose le pouvoir adjudicateur dans le choix de l'offre
économiquement la
plus avantageuse, il serait exagérément difficile pour le recourant de
démontrer qu'il aurait obtenu l'adjudication sans la violation
alléguée. Si,
à l'inverse, il appartenait à l'adjudicateur de démontrer que le
recourant
n'aurait pas obtenu l'adjudication même sans la violaion, il serait
ensuite
extrêmement difficile à l'autorité de recours d'exercer son contrôle
sans
répéter elle-même l'adjudication, c'est-à-dire en substituant son
pouvoir
d'appréciation à celui de l'adjudicateur."
Zufferey/Maillard/Michel (op. cit., p. 134) sont d'un autre avis; ils
estiment que le soumissionnaire évincé doit rendre vraisemblable ses
chances
d'obtenir le marché et d'accomplir la prestation adjugée en cas
d'annulation
de l'adjudication, ajoutant que tel ne sera a priori pas le cas s'il
a été
classé en cinquième ou sixième position dans la procédure contestée;
ces
auteurs précisent cependant que la compétitivité du recourant n'a par
contre
plus d'influence sur sa qualité pour recourir dès l'instant où il
invoque un
vice de la procédure. Wolf (op. cit., p. 11 ss) défend une position
voisine
et considère que les chances du soumissionnaire évincé d'emporter le
marché
doivent s'apprécier à la lumière des griefs invoqués, y compris
lorsque
ceux-ci sont de nature formelle. Ainsi, le soumissionnaire classé
seulement
en quatrième position n'a pas qualité pour recourir, selon cet
auteur, à
moins qu'il ne soutienne qu'une évaluation correcte des offres laisse
apparaître que la sienne est la meilleure ou qu'il n'invoque un vice
grave
qui impose qu'on reprenne la procédure à son début. En revanche, le
soumissionnaire évincé qui se contente de critiquer l'attribution du
marché à
l'adjudicataire, sans élever de griefs contre le classement des autres
soumissionnaires mieux placés que lui, n'a pas la qualité pour
recourir, et
cela même si ces derniers n'ont pas recouru. Contrairement à la
Commission
fédérale de recours en matière de marchés publics (ci-après: la
Commission
fédérale), qui considère que les soumissionnaires évincés qui n'ont
pas
recouru ne sont en principe plus en lice pour une nouvelle
adjudication (cf.
Galli/Moser/Lang, op. cit., p. 370/371 et les références citées sous
ch.
1450), Wolf soutient en effet qu'une fois l'annulation de
l'adjudication
prononcée et l'affaire renvoyée au pouvoir adjudicateur, ce dernier
peut très
bien, après avoir corrigé le vice, réévaluer les offres, y compris
celles des
soumissionnaires qui n'ont pas recouru, et par conséquent adjuger le
marché
au soumissionnaire arrivé en deuxième ou en troisième position.

Quant aux juridictions cantonales, leur pratique est variable:
certaines, à
l'image de la Commission fédérale, entrent en matière sur les recours
sans
égard aux chances du recourant d'obtenir le marché en cas
d'annulation de
l'adjudication (notamment Vaud et le Valais; cf. Etienne Poltier, Les
marchés
publics: premières expériences vaudoises, in: RDAF 2000 I p. 297 ss,
p. 322;
Galli/Moser/Lang, op. cit., p. 330), tandis que d'autres déclarent
irrecevables de tels recours faute d'intérêt pratique à leur admission
(notamment Argovie, Schwyz et Zurich, cf. Wolf, op. cit., p. 12 n.
61).

4.4 En tant que telle, l'exigence d'un intérêt actuel et pratique (et
personnel) comme condition à la recevabilité des recours en matière de
marchés publics n'est pas critiquable. Elle traduit le souci,
également
partagé par le Tribunal fédéral, de limiter le contrôle judiciaire aux
recours qui sont de nature à éliminer un préjudice ou à apporter au
justiciable un avantage de nature économique, idéale ou matérielle,
par
opposition aux recours qui posent des questions purement théoriques
ou qui
sont formés en vue de sauvegarder l'intérêt général (cf. ATF 123 II
376
consid. 2 p. 378/379 et les références; Kölz/Häner,
Verwaltungsverfahren und
Verwaltungsrechtspflege des Bundes, Zurich 1998, p. 193 ss). La
fonction du
juge n'est en effet pas de faire de la doctrine (Moor, op. cit., p.
642).
Outre qu'elle répond à des préoccupations pratiques évidentes, une
telle
approche est également en accord avec l'exigence, prévue à l'art. XX
ch. 2 et
8 AMP, de soumettre les contestations en matière de marchés publics à
des
procédures efficaces et rapides (cf. Poltier, op. cit., p. 320): elle
permet
en effet d'éviter que n'importe quel soumissionnaire évincé ne puisse
recourir et retarder l'adjudication du marché - qui est justement le
but
ultime d'une telle procédure (cf. Denis Esseiva, in: DC 4/2000, p.
132).

On ne saurait donc, sans autre examen, taxer d'arbitraire la solution
des
premiers juges et suivre les auteurs qui récusent par principe l'idée
que
l'accès au juge puisse être conditionné, en matière de marchés
publics, à
l'exigence que le recourant ait une chance d'obtenir le marché. A cet
égard,
l'objection selon laquelle l'annulation de la décision d'adjudication
représente déjà un intérêt suffisant, car elle rétablit les chances du
soumissionnaire évincé d'être réintégré dans la procédure, n'emporte
pas la
conviction.

En effet, selon la nature et la gravité du vice affectant la décision
annulée, le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu de reprendre la
procédure à
son début; autant que possible, il y renoncera même afin d'épargner
les
deniers publics et de ne pas retarder inutilement la procédure
lorsque le
vice peut être réparé de manière simple, par exemple en procédant à
une
nouvelle appréciation de l'offre économiquement la plus avantageuse
(cf.
Clerc, op. cit., p. 558). Par conséquent, sous réserve des cas où sont
invoquées des irrégularités particulièrement graves, leur réparation
pourra
la plupart du temps se faire sans avoir à reprendre la procédure à
son début
(cf. Wolf, op. cit., p. 26). L'on voit par là que l'annulation de la
décision
attaquée ne garantit pas au soumissionnaire d'être réintégré - avec
toutes
ses chances - dans la procédure d'adjudication, si bien que la seule
perspective d'obtenir une telle annulation ne suffit pas toujours pour
justifier d'un intérêt digne de protection; du moins les juridictions
cantonales peuvent-elles sans arbitraire en juger de la sorte dans
certaines
situations. Ainsi en est-il lorsque le soumissionnaire évincé en
raison d'un
défaut d'aptitude se limite à critiquer l'appréciation des offres:
parce
qu'il n'a en principe aucune chance d'obtenir le marché même en cas
d'admission de son recours, la qualité pour recourir pourra - sauf
exceptions
- lui être déniée; il en va de même du soumissionnaire évincé dont
l'offre
est nettement moins avantageuse que celle de ses concurrents: à moins
qu'il
n'invoque des motifs propres à bouleverser le classement ou qui
justifient de
reprendre la procédure à son début - avec le dépôt de nouvelles
soumissions
-, ses chances d'emporter le marché seront le plus souvent nulles et
son
recours pourra en principe être déclaré irrecevable.

4.5 Il reste que, comme le relève une partie de la doctrine, du seul
fait de
sa participation à la procédure d'adjudication, le soumissionnaire
évincé
acquiert une position privilégiée dans cette procédure: ayant engagé
du temps
et de l'argent, il est plus touché par la décision d'adjudication que
ne peut
l'être, par exemple, un concurrent qui n'aurait pas soumissionné, et
son
intérêt à obtenir un contrôle judiciaire de la procédure et, le cas
échéant,
l'annulation du marché, ne se confond pas avec la poursuite d'un
intérêt
général. Cette considération doit inciter le juge à ne pas faire
preuve d'une
trop grande rigueur dans l'examen de l'utilité pratique que
présenterait
l'admission du recours pour le soumissionnaire. Une certaine souplesse
s'impose aussi en raison du pouvoir d'appréciation qui revient à
l'autorité
d'adjudication: hors les cas où la solution apparaît évidente, le juge
s'abstiendra donc, autant que faire se peut, de préjuger de la
décision à
prendre, ne serait-ce également que parce que les besoins de
l'adjudicateur
peuvent évoluer (cf. Zufferey/Maillard/Michel, op. cit., p. 143) ou
que
d'autres changements peuvent intervenir du côté des soumissionnaires
qui sont
de nature à influencer la question de l'utilité pratique du recours,
comme
par exemple la restructuration ou la faillite de l'un d'eux (ibid., p.
134/135).

4.6 En l'espèce, le Consortium s'est notamment plaint du fait que le
capital-actions de l'entreprise adjudicataire était pour une large
part en
mains de la société I.________
SA (239 sur 500, soit 47,8 %),
elle-même en
partie détenue par le pouvoir adjudicateur, soit l'Etat de Neuchâtel
(26,52
%) et la Ville de La Chaux-de-Fonds. Il a également critiqué le fait
que
K.________, conseiller communal à La Chaux-de-Fonds et vice-président
du
conseil d'administration d'I.________ SA, avait présidé la commission
de
construction qui avait adjugé le marché. Ce faisant, le Consortium a
donc
contesté un point essentiel concernant le déroulement de la
procédure, soit
l'indépendance et l'impartialité du pouvoir adjudicateur (sur le
problème de
la récusation en matière de marchés publics, cf. Galli/Moser/Lang,
op. cit.,
p. 251 ss; Zufferey/Maillard/Michel, op. cit., p. 262/263; Christian
Bovet
in: DC 4/2000, p. 133). Or, c'est là un grief qui, mettant en cause la
composition et la compétence de l'autorité administrative ainsi que
les
droits de partie de l'administré (cf. art. 29 al. 1 Cst.), est par
essence de
nature formelle (cf. ATF 127 I 128 consid. 4 p. 130 ss; Moor, op.
cit., p.
236 ss) et doit en principe conduire le juge à admettre la qualité
pour
recourir du soumissionnaire évincé sans égard à sa compétitivité,
comme le
préconise la doctrine unanime précitée à l'exception de Wolf (op.
cit., p.
14).

C'est par conséquent de manière arbitraire que le Tribunal
administratif a
refusé d'entrer en matière sur le recours au motif que le Consortium
n'avait
pas soulevé de vices de procédure. Sa décision est d'autant moins
soutenable
en l'occurrence que le recourant s'est classé en troisième position
dans
l'adjudication, soit à un rang qui, sauf à vider de sa substance la
protection juridictionnelle en matière de marchés publics, n'autorise
normalement pas à conclure à l'absence de chances d'emporter le
marché. Par
ailleurs, le Consortium accusait sur le deuxième un retard qui
n'apparaissait
pas d'emblée insurmontable (8 points sur un total de 109), compte tenu
notamment du large pouvoir d'appréciation reconnu à l'autorité
d'adjudication. Enfin, même s'il n'était pas connu des premiers juges
lorsqu'ils ont statué, on ne saurait non plus totalement passer sous
silence
le fait que le soumissionnaire arrivé en deuxième position a depuis
lors
déposé son bilan.

5.
Il suit de ce qui précède que, bien fondé, le recours doit être admis
et la
décision attaquée annulée.

Succombant dans une procédure d'adjudication où ils interviennent
comme
pouvoirs adjudicateurs, l'Etat de Neuchâtel et la Ville de
La-Chaux-de-Fonds
doivent supporter les frais de justice - solidairement entre eux (cf.
art.
156 al. 7 OJ) -, car leur intérêt pécuniaire est en cause (art. 156
al. 2 OJ
a contrario; cf. arrêt du 31 mai 2000 dans la cause 2P.342/1999
consid. 6
reproduit in: Zbl 2001 p. 312 ss, 319). Ils verseront par ailleurs une
indemnité de dépens au Consortium, qui obtient gain de cause (art.
159 al. 1
OJ; eod. loc.).

Ayant renoncé à se déterminer sur le recours, la société E.________
SA, qui
n'a pas pris de conclusions, est dispensée du paiement des frais de
justice;
elle n'est pas non plus tenue au versement de dépens (cf. ATF 125 II
86
consid. 8 p. 103).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable et la
décision du
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel du 9 octobre 2002 est
annulée.

2.
Les frais de justice, d'un montant de 2'000 fr., sont mis à la charge
du
canton de Neuchâtel et de la Ville de La Chaux-de-Fonds,
solidairement entre
eux.

3.
Le canton de Neuchâtel et la Ville de La Chaux-de-Fonds sont
débiteurs,
solidairement entre eux, d'une indemnité de dépens de 2'000 fr. en
faveur du
Consortium X.________.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties,
à la
Commission de construction SIS-PCN-juges d'instruction et au Tribunal
administratif du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 8 août 2003

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2P.261/2002
Date de la décision : 08/08/2003
2e cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-08-08;2p.261.2002 ?
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