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06/08/2003 | SUISSE | N°4C.131/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 août 2003, 4C.131/2003


{T 0/2}
4C.131/2003 /ajp

Arrêt du 6 août 2003
Ire Cour civile

Mme et MM. les Juges Klett, Juge présidant,
Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme Michellod.

SI A.________,
défenderesse et recourante, représentée par
Me Paul Gully-Hart, avocat, 15bis, rue des Alpes,
case postale 2088, 1211 Genève 1,

contre

B.________ SA,
demanderesse et intimée, représentée par
Me Louis Waltenspuhl, avocat, rue Beauregard 9,
1204 Genève.

Contrat de bail à loyer; congé,

recours e

n réforme contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière de
baux et
loyers du canton de Genève du 10 mars 2003.

Faits:

...

{T 0/2}
4C.131/2003 /ajp

Arrêt du 6 août 2003
Ire Cour civile

Mme et MM. les Juges Klett, Juge présidant,
Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme Michellod.

SI A.________,
défenderesse et recourante, représentée par
Me Paul Gully-Hart, avocat, 15bis, rue des Alpes,
case postale 2088, 1211 Genève 1,

contre

B.________ SA,
demanderesse et intimée, représentée par
Me Louis Waltenspuhl, avocat, rue Beauregard 9,
1204 Genève.

Contrat de bail à loyer; congé,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière de
baux et
loyers du canton de Genève du 10 mars 2003.

Faits:

A.
Le 28 décembre 1993, la SI A.________ a conclu avec B.________SA un
bail
portant sur une villa de onze pièces, sise à X.________, pour un loyer
mensuel de 7'750 fr. Le bail était valable trois ans, du 1er janvier
1994 au
31 décembre 1996, renouvelable ensuite d'année en année, moyennant un
préavis
de six mois. La villa est occupée par C.________, actionnaire unique
et
administrateur de B.________SA.

B.
Le 22 novembre 1999, la SI A.________ a notifié à B.________SA un
avis de
résiliation de bail sur formule officielle, sans motivation, pour le
31
décembre 2000.

La locataire a saisi la Commission de conciliation en matière de baux
et
loyers du canton de Genève. La Commission a admis le congé en date du
28
février 2000 et accordé à B.________SA une unique prolongation de
bail au 31
décembre 2001, en raison de l'âge de l'occupant, né en 1915, et de la
difficulté de trouver des objets similaires.

Devant la Commission, D.________, actionnaire de la SI A.________, a
fait
valoir oralement un besoin urgent de la villa, en raison de la
résiliation du
bail de la maison de campagne dans laquelle il vivait à Y.________,
notifiée
le 27 janvier 2000 pour le 30 juin 2000. D.________ n'a pas contesté
ce congé
et est allé ensuite habiter K.________, puis L.________ .

C.
Le 29 mars 2000, B.________SA a introduit devant le Tribunal des baux
et
loyers du canton de Genève une demande tendant principalement à
l'annulation
du congé, et, subsidiairement, à la prolongation du bail au 31
décembre 2004.

D. ________ a déclaré avoir invoqué devant la Commission de
conciliation son
besoin propre d'habiter la villa, puis avoir été obligé de prendre
d'autres
dispositions, de sorte qu'il voulait vendre la villa pour assainir sa
situation financière.

Par jugement du 11 avril 2002, le Tribunal des baux et loyers a
constaté que
la bailleresse n'avait fait aucune pression en vue d'obtenir l'achat
de la
villa par la locataire et qu'il ne s'agissait pas non plus d'un
congé-représailles. Par contre, la modification de la motivation du
congé par
la bailleresse en cours de procédure rendait le congé contraire aux
règles de
la bonne foi, le faisant apparaître comme un prétexte pour mettre fin
aux
relations entre les parties. Le Tribunal a donc annulé le congé
notifié le 22
novembre 1999.

Statuant le 10 mars 2003 sur appel de la SI A.________, la Chambre
d'appel en
matière de baux et loyers du canton de Genève a confirmé le jugement
entrepris.

D.
La SI A.________ interjette un recours en réforme. Elle demande au
Tribunal
fédéral de constater la validité du congé et, le cas échéant, de
renvoyer la
cause à la Chambre d'appel pour qu'elle statue sur le principe et
l'étendue
d'une éventuelle prolongation de bail.

B. ________SA conclut au rejet du recours dans la mesure où il est
recevable
et à la confirmation de l'arrêt attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral
(art. 43 al.
1 OJ). En revanche, il ne permet pas d'invoquer la violation directe
d'un
droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1, 2e phrase OJ) ou la
violation
du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral conduit son
raisonnement
juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à
moins
que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été
violées,
qu'il faille rectifier des constatations reposant sur une inadvertance
manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations de
l'autorité
cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents
et
régulièrement allégués (art. 64 OJ).

Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait qui
s'écarte
de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec
précision
de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas
possible
d'en tenir compte. Il ne peut être présenté de griefs contre les
constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux
(art. 55
al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est donc pas ouvert pour se
plaindre de l'appréciation des preuves et des constatations de fait
qui en
découlent.
Dans son examen du recours, le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà
des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent en prendre de
nouvelles (art.
55 al. 1 let. b OJ); en revanche, il n'est lié ni par les motifs que
les
parties invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation
juridique de la
cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ). Il peut donc admettre un recours
pour
d'autres motifs que ceux invoqués par la partie recourante et peut
également
rejeter un recours en adoptant une autre argumentation juridique que
celle
retenue par la cour cantonale (ATF 127 III 248 consid. 2c et les
références
citées).

2.
La défenderesse reproche tout d'abord à la cour cantonale d'avoir
violé
l'art. 266a al. 1 CO en faisant de la motivation du congé une
condition de sa
validité.

2.1 A teneur de cette disposition, lorsque le bail est de durée
indéterminée,
une partie peut le résilier en observant les délais de congé et les
termes
légaux, sauf si un délai plus long ou un autre terme ont été convenus.

2.2 Il ressort de l'état de fait déterminant établi par la Cour de
justice
que la SI A.________ a notifié le 22 novembre 1999 la résiliation du
bail sur
une formule officielle, sans motivation, pour son échéance
contractuelle au
31 décembre 2000. Il est incontesté que les prescriptions de forme et
de
délai prévus tant par la loi que par le contrat ont été respectées.

2.3 La motivation du congé n'est pas une condition de sa validité, de
sorte
que même non motivée, une résiliation est a priori valable (Lachat,
Le bail à
loyer, Lausanne 1997, p. 463 et 468; SVIT-Kommentar Mietrecht II,
Zurich
1998, p. 810, n. 45 in fine; Higi, Commentaire zurichois, n. 113 ad
art. 271
CO; Tercier, Les contrats spéciaux, Zurich 2003, p. 354, n. 2451).

Par contre, le juge appelé à statuer sur une demande d'annulation de
congé
peut tenir compte du défaut de motivation, notamment pour établir si
un congé
contrevient aux règles de la bonne foi ou s'il tombe sous le coup
d'une des
hypothèses d'annulation visées à l'art. 271a CO (Lachat, op. cit., p.
469, n.
3.4; SVIT-Kommentar Mietrecht II, p. 813, n. 53). En portant son
attention
sur la motivation du congé dans le cadre de son examen de l'art. 271
al. 1
CO, la Cour de justice n'a pas fait de la motivation une condition de
validité du congé, et partant n'a pas violé l'art. 266a CO. Le
premier grief
de la défenderesse doit en conséquence être écarté.

3.
La défenderesse estime ensuite que la cour cantonale a violé l'art.
271 al. 2
CO en considérant qu'elle n'avait pas prouvé la réalité des motifs
invoqués à
l'appui du congé.

3.1 Aux termes de l'art. 271 al. 2 CO, le congé doit être motivé si
l'autre
partie le demande. Les motifs doivent être donnés de manière claire et
facilement intelligible pour le destinataire. Ils doivent être vrais
et
donnés dans le respect des règles de la bonne foi. La partie qui
résilie doit
prouver la réalité des motifs s'ils sont contestés. Elle est en outre
liée
par les motifs qu'elle a donnés et peut les compléter et les
expliciter en
cours de procédure si elle a de bonnes raisons de le faire (Lachat,
op. cit.,
p. 469/470).

Savoir si la partie qui résilie a prouvé ou non la réalité des motifs
invoqués à l'appui du congé est une question d'appréciation des
preuves, qui
ne peut être remise en question dans le cadre d'un recours en réforme
(cf.
supra, consid. 1). De même, déterminer quel est le motif du congé
relève de
l'établissement des faits qui lient le Tribunal fédéral saisi d'un
recours en
réforme (ATF 115 II 484 consid. 2b p. 486).

3.2 Dans le cas présent, la bailleresse a motivé son congé en cours de
procédure, devant la Commission de conciliation, par le besoin de la
villa
pour son actionnaire. Par la suite, elle a invoqué la nécessité de
vendre
l'immeuble pour assainir la situation financière de son ayant droit.

Le tribunal puis la cour cantonale ont estimé que le besoin de la
villa pour
l'actionnaire de la défenderesse n'était pas établi et que le motif
de la
vente de la villa à un tiers n'était pas le réel motif du congé. Ce
faisant,
ces autorités ont apprécié les preuves à leur disposition, notamment
le fait
que la défenderesse a abandonné la première motivation en cours de
procédure,
qu'elle n'a pas d'emblée indiqué comme motif la nécessité de vendre
le bien
immobilier et qu'elle n'a produit, à ce sujet, aucune indication
précise.

En retenant, de manière à lier le Tribunal fédéral, que la
défenderesse
n'avait pas établi la réalité des motifs invoqués à l'appui du congé,
la cour
cantonale n'a nullement violé l'art. 271 al. 2 CO.

4.
La défenderesse soutient enfin que la cour cantonale a violé l'art.
271 al. 1
CO. Cette autorité lui aurait en effet reproché d'avoir contrevenu
aux règles
de la bonne foi en changeant la motivation du congé en cours de
procédure. Or
pour annuler un congé, il faut que la partie qui résilie le bail ait
eu un
comportement contraire à la bonne foi au moment de la résiliation. En
l'espèce, le congé était motivé par le besoin personnel de
l'actionnaire de
la défenderesse de loger dans la villa louée, ce qui correspondait à
un
intérêt digne de protection. Lorsqu'il a été notifié, le congé ne
contrevenait donc pas aux règles de la bonne foi.

4.1 A côté d'une liste d'exemples où une résiliation émanant du
bailleur est
annulable (art. 271a al. 1 CO), la loi prévoit, de manière générale,
que le
congé donné par l'une ou l'autre partie est annulable lorsqu'il
contrevient
aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO).

Les cas typiques d'abus de droit (absence d'intérêt à l'exercice d'un
droit,
utilisation d'une institution juridique contrairement à son but,
disproportion grossière des intérêts en présence, exercice d'un droit
sans
ménagement, attitude contradictoire) justifient l'annulation du
congé; à cet
égard, il n'est toutefois pas nécessaire que l'attitude de l'auteur
du congé
puisse être qualifiée d'abus de droit "manifeste" au sens de l'art. 2
al. 2
CC (ATF 120 II 105 consid. 3 p. 108).

Le congé doit donc être considéré comme abusif s'il ne répond à aucun
intérêt
objectif, sérieux et digne de protection. Est abusif le congé purement
chicanier dont le motif n'est manifestement qu'un prétexte (ATF 120
II 31
consid. 4a p. 32). En revanche, le congé donné par le bailleur en vue
d'obtenir d'un nouveau locataire un loyer plus élevé, mais non
abusif, ne
saurait, en règle générale, constituer un abus de droit (ATF 120 II
105
consid. 3b).

4.2 En l'espèce, les autorités cantonales ont retenu que le congé
n'avait été
donné ni pour permettre à l'actionnaire de la bailleresse d'habiter
la villa
louée, ni pour vendre la villa à un tiers. Il s'agit là de
constatations de
fait qui lient le Tribunal fédéral. Ces constatations reposent sur une
appréciation des preuves, notamment le changement de motivation opéré
par la
défenderesse en cours de procédure. Contrairement à ce que soutient
cette
dernière, les autorités cantonales n'ont pas qualifié le congé
d'abusif parce
qu'elle avait modifié sa motivation en cours de procédure. Cette
modification
a constitué en revanche un indice permettant de retenir que le congé
n'avait
pas été donné pour les motifs allégués. En considérant, sur la base
de ces
constatations, que le congé avait été donné en violation des règles
de la
bonne foi, les autorités cantonales n'ont pas violé l'art. 271 al. 1
CO.

5.
La défenderesse adresse enfin à la cour cantonale le grief d'avoir
renversé
le fardeau de la preuve de l'existence d'un congé contraire aux
règles de la
bonne foi, en violation de l'art. 8 CC.

5.1 L'art. 8 CC dispose que chaque partie doit, si la loi ne prescrit
le
contraire, prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son
droit. Pour
toutes les prétentions relevant du droit privé fédéral, l'art. 8 CC
répartit
le fardeau de la preuve - en l'absence de disposition spéciale
contraire - et
détermine, sur cette base, la partie qui doit assumer les
conséquences de
l'absence de preuve (ATF 127 III 519 consid. 2a p. 522). En revanche,
cette
disposition ne dicte pas au juge comment il doit former sa
conviction; ainsi,
lorsque l'appréciation des preuves le convainc de la réalité ou de
l'inexistence d'un fait, la question de la répartition du fardeau ne
se pose
plus (ATF 128 III 271 consid. 2b/aa, p. 275 et 277); seul le moyen
tiré d'une
appréciation arbitraire des preuves,
à invoquer dans un recours de
droit
public, est alors recevable (ATF 119 II 114 consid. 4C p. 117).

5.2 En l'espèce, l'autorité cantonale a retenu, après appréciation des
preuves, que le congé n'avait pas été donné pour les motifs allégués.
Il n'y
a donc plus lieu d'examiner la répartition du fardeau de la preuve.

6.
Au vu de ce qui précède, le recours en réforme sera rejeté et il
appartiendra
à la défenderesse, qui succombe, d'assumer les frais judiciaires et
les
dépens de la procédure fédérale (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de la
défenderesse.

3.
La défenderesse versera à la demanderesse une indemnité de 6'000 fr.
à titre
de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève.

Lausanne, le 6 août 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le juge présidant: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.131/2003
Date de la décision : 06/08/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-08-06;4c.131.2003 ?
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