La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/07/2003 | SUISSE | N°1P.247/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 30 juillet 2003, 1P.247/2003


{T 0/2}
1P.247/2003/dxc

Arrêt du 30 juillet 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

Hôtel A.________ S.A.,
Hôtel B.________ S.A.,
recourantes, toutes deux représentées par Me Jean-Charles Sommer,
avocat,
case postale 3407, 1211 Genève 3,

contre

Département municipal de l'aménagement, des constructions et de la
voirie,
rue de l'Hôtel-de-Ville 4, case postale 3983, 1211

Genève 3,
Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement de la
République
et canton de Genève, rue Davi...

{T 0/2}
1P.247/2003/dxc

Arrêt du 30 juillet 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

Hôtel A.________ S.A.,
Hôtel B.________ S.A.,
recourantes, toutes deux représentées par Me Jean-Charles Sommer,
avocat,
case postale 3407, 1211 Genève 3,

contre

Département municipal de l'aménagement, des constructions et de la
voirie,
rue de l'Hôtel-de-Ville 4, case postale 3983, 1211 Genève 3,
Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement de la
République
et canton de Genève, rue David-Dufour 5, case postale 22, 1211 Genève
8,
Tribunal administratif de la République et canton de Genève, rue des
Chaudronniers 3, 1204 Genève,
C.________.

Autorisation de construire; réfection du pont de la Machine et
construction
d'une plate-forme,

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif de la
République et canton de Genève du 11 mars 2003.

Faits:

A.
Le 15 mars 1999, le Département de l'aménagement, des constructions
et de la
voirie de la Ville de Genève (le département municipal) a demandé une
autorisation portant sur la réfection du Pont de la Machine et de la
passerelle de l'ancien barrage. Le projet comprenait en outre la
construction
d'une plate-forme publique d'environ 1300 m2 en amont du pont, face au
bâtiment de la Machine, avec un débarcadère pour les Mouettes
genevoises,
ainsi qu'un projet artistique utilisant les anciens rideaux du
barrage. Mis à
l'enquête publique du 7 avril au 7 mai 1999, le projet a fait l'objet
d'oppositions de la part des Hôtels A.________ et B.________
(ci-après: les
sociétés), qui craignaient les nuisances dues à la fréquentation des
lieux.
C.________, domicilié au Quai des Bergues, s'est également opposé
pour des
motifs d'esthétique. Sur préavis de la Commission des monuments, de
la nature
et des sites (CMNS), un nouveau projet, comportant notamment une
plate-forme
de dimensions réduites (600 m2), a été déposé le 18 décembre 2000.
Le 4 juillet 2001, le Département genevois de l'aménagement, de
l'équipement
et du logement (DAEL) a accordé l'autorisation. Cette décision se
fonde
notamment sur le préavis de la CMNS du 20 février 2001, favorable à la
réfection du pont et à l'aménagement des têtes de pont, mais
défavorable à la
création de la plate-forme et du projet artistique. Le Service
cantonal
d'étude de l'impact sur l'environnement s'était déclaré favorable sous
diverses réserves (mesures de compensation, conduite et programmation
du
chantier).

B.
Par décision du 17 juin 2002, la Commission cantonale de recours en
matière
de constructions (la commission) a déclaré irrecevables les recours
formés
par les sociétés. Celles-ci redoutaient les nuisances sonores ainsi
que le
climat d'insécurité dus à la fréquentation de la plate-forme, mais
elles
n'étaient pas touchées de façon suffisamment directe et concrète. Les
autres
griefs étaient soit insuffisamment motivés, soit relatifs à des
intérêts
collectifs. L'irrecevabilité des recours entraînait également
l'irrecevabilité de l'intervention faite par C.________.

C.
Par arrêt du 11 mars 2003, le Tribunal administratif a admis la
qualité pour
agir des sociétés: les établissements étaient situés à proximité de
l'ouvrage
litigieux, et les nuisances redoutées étaient susceptibles de les
toucher
plus que quiconque. L'intervention a elle aussi été déclarée
recevable. Le
Tribunal administratif a tout d'abord considéré que les griefs
relatifs au
respect des règles civiles sur les droits de voisinage étaient
irrecevables.
Ensuite, il a estimé que l'art. 14 de la loi genevoise sur les
constructions
et installations diverses (LCI) concernait les constructions
incommodantes ou
dangereuses en tant que telles, mais ne s'appliquait pas aux nuisances
provoquées par la fréquentation des lieux. Enfin, l'installation
n'était pas
soumise à l'EIE. C.________ invoquait aussi l'art. 15 LCI, norme
d'esthétique, mais les préavis émis sur ce point étaient en majorité
favorables.

D.
Les sociétés forment un recours de droit public contre cet arrêt et
les
décisions qui l'ont précédé; elles en requièrent l'annulation. Elles
demandent également l'effet suspensif, lequel a été accordé par
ordonnance
présidentielle du 20 mai 2003.
Le Tribunal administratif se réfère à son arrêt. Le DAEL conclut au
rejet du
recours. Le département municipal conclut à l'irrecevabilité du
recours,
subsidiairement à son rejet. C.________ s'est déterminé en reprenant
ses
propres motifs d'opposition.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours est formé en temps utile contre un arrêt final rendu en
dernière
instance cantonale. Les recourantes n'invoquent plus, à ce stade, les
normes
du droit fédéral relatives à l'étude d'impact sur l'environnement, ni
les
dispositions relatives à la protection de l'environnement, notamment
contre
le bruit. Seul le recours de droit public est par conséquent ouvert.
Appliquant l'art. 60 let. b de la loi genevoise sur la procédure
administrative, la cour cantonale a - contrairement à la commission -
reconnu
aux recourantes, selon les mêmes critères que ceux de l'art. 103 let.
a OJ,
un intérêt digne de protection, compte tenu de l'atteinte alléguée à
la
tranquillité et la sécurité. Toutefois, en matière de recours de droit
public, la qualité pour agir est définie de manière plus restrictive
à l'art.
88 OJ.

1.1 Aux termes de cette disposition, ont qualité pour recourir les
particuliers ou les collectivités lésés par des arrêtés ou décisions
qui les
concernent personnellement ou qui sont de portée générale. Le recours
de
droit public n'est ainsi ouvert, selon la jurisprudence, qu'à celui
qui est
atteint par l'acte attaqué dans ses intérêts personnels et
juridiquement
protégés; le recours formé pour sauvegarder l'intérêt général, ou
visant à
préserver de simples intérêts de fait - fussent-ils légitimes -, est
en
revanche irrecevable (ATF 126 I 43 consid. 1a p. 44, 81 consid. 3b p.
85; 125
II 440 consid. 1c et les arrêts cités).

1.2 A l'encontre d'une autorisation de construire, le propriétaire
voisin ne
peut recourir que lorsqu'il invoque des normes qui tendent, au moins
dans une
certaine mesure, à la protection de ses propres intérêts (ATF 127 I
44
consid. 2c p. 46). Il doit en outre se trouver dans le champ de
protection
des dispositions dont il allègue la violation, et être touché par les
effets
prétendument illicites de la construction ou de l'installation
litigieuse
(ATF 121 I 267 consid. 2 p. 268 et les arrêts cités). Il ne peut
ainsi se
prévaloir des principes généraux de la planification, des
prescriptions sur
la protection de la nature et du paysage (ATF 116 Ia 433 consid. 2a
p. 437)
et des clauses d'esthétique (ATF 118 Ia 232 consid. 1b p. 235; 112 Ia
88
consid. 1b p. 90), qui tendent exclusivement à préserver l'intérêt
public. Il
peut en revanche invoquer les prescriptions relatives aux distances,
aux
dimensions des bâtiments et à la densité des constructions, qui sont
des
règles mixtes (ATF 118 Ia 232 consid. 1b p. 235).

1.3 En l'occurrence, la norme invoquée est l'art. 14 LCI, qui permet
au
département de refuser l'autorisation lorsque la construction ou
l'installation peut être la cause d'inconvénients graves pour les
usagers, le
voisinage ou le public, disposition qui, selon les recourantes, ne se
limiteraient pas à la construction proprement dite, mais aussi à son
utilisation prévisible. Invoquant leur droit d'être entendues, les
recourantes reprochent aussi à la cour cantonale de ne pas leur avoir
permis
de démontrer les nuisances sonores et le climat d'insécurité que
provoquerait
la réalisation du projet. Sur ce dernier point, le grief invoqué
touche aux
droits de parties et peut être soulevé par la voie du recours de
droit public
indépendamment de la qualité pour agir sur le fond. Quant à la portée
de la
norme invoquée sur le fond, tel est précisément l'objet du recours,
de sorte
qu'il convient d'entrer en matière.

1.4 Appelé à se déterminer sur le recours, C.________ n'a pas pris de
conclusions formelles, se bornant à reprendre ses objections
concernant
l'esthétique du projet. Ces arguments n'ont pas à être examinés,
l'intéressé
n'ayant pas lui-même recouru contre l'arrêt cantonal.

1.5 Conformément à l'art. 86 al. 1 OJ, et en dehors d'exceptions non
réalisées en l'occurrence, les recourantes ne peuvent conclure qu'à
l'annulation de l'arrêt de dernière instance cantonale. Les
conclusions
tendant à l'annulation de la décision de la commission, ou de
l'autorisation
de construire, sont par conséquent irrecevables.

2.
Les recourantes se plaignent d'une violation de leur droit d'être
entendues.
Alors qu'elles avaient régulièrement allégué que la construction
projetée
engendrerait des nuisances sonores et un climat d'insécurité, les
autorités
judiciaires ne leur auraient jamais laissé la possibilité d'en
apporter la
preuve.

2.1 Garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu permet au
justiciable de participer à la procédure probatoire en exigeant
l'administration des preuves déterminantes (ATF 126 I 15 consid.
2a/aa p. 16
et les arrêts cités). Ce droit ne s'étend toutefois qu'aux éléments
pertinents pour décider de l'issue du litige. Il est ainsi possible de
renoncer à l'administration de certaines preuves offertes, lorsque le
fait
dont les parties veulent rapporter l'authenticité n'est pas important
pour la
solution du cas, lorsque la preuve résulte déjà de constatations
versées au
dossier, et lorsque le juge parvient à la conclusion qu'elles ne sont
pas
décisives pour la solution du litige ou qu'elles ne pourraient
l'amener à
modifier son opinion. Ce refus d'instruire ne viole le droit d'être
entendu
des parties que si l'appréciation anticipée de la pertinence du moyen
de
preuve offert, à laquelle le juge a ainsi procédé, est entachée
d'arbitraire
(ATF 125 I 127 consid. 6c/cc in fine p. 135, 417 consid. 7b p. 430;
124 I 208
consid. 4a p. 211, 241 consid. 2 p. 242, 274 consid. 5b p. 285 et les
arrêts
cités).

2.2 Comme cela est relevé ci-dessous, l'appréciation de la cour
cantonale
selon laquelle les risques et nuisances mentionnés à l'art. 14 LCI se
rapportent uniquement à la construction proprement dite, ne saurait
être
qualifiée d'arbitraire. Dès lors, il n'était pas nécessaire
d'examiner dans
ce cadre le bien-fondé des craintes exprimées par les recourantes. On
peut
par ailleurs douter que l'offre de preuves ait été valablement
formulée. En
effet, dans leur recours cantonal, les recourantes reprochaient à la
commission d'avoir renoncé à des auditions de témoins censées
démontrer que
la construction des marches du quai Turretini avait causé des
nuisances
sonores et un climat d'insécurité. Cette offre de preuve n'a
toutefois pas
été formellement renouvelée devant la cour cantonale, les recourantes
prétendant même, dans le recours de droit public, que les nuisances
causées
par les aménagement le long du Rhône seraient "de notoriété
publique". Par
ailleurs, le Tribunal administratif a fait savoir, après l'échange
d'écritures, que la cause était gardée à juger, et les recourantes
n'ont pas
réagi à cet envoi, acquiesçant ainsi à la clôture de l'instruction.
Dans ces
conditions, il ne saurait être question d'une violation du droit
d'être
entendu.

3.
Les recourantes qualifient d'arbitraire les considérations de la cour
cantonale relatives au champ d'application de l'art. 14 LCI. Cette
disposition a la teneur suivante:
Art. 14 Sécurité et salubrité
Le département peut refuser les autorisations prévues à l'art. 1
lorsqu'une
construction ou une installation:
a) peut être la cause d'inconvénients graves pour les usagers, le
voisinage ou le public;
b) ne remplit pas les conditions de sécurité et de salubrité qu'exige
son exploitation ou son utilisation;
c) ne remplit pas des conditions de sécurité et de salubrité
suffisantes
à l'égard des voisins ou du public;
...
2Est réservée l'application de l'ordonnance sur la protection contre
le bruit
du 15 décembre 1986.

3.1 Selon la cour cantonale, l'art. 14 LCI tendrait à assurer le
respect des
prescriptions de sécurité des constructions et installations figurant
au
titre IV de la loi, et non à garantir la sécurité et l'ordre publics.
Il
s'agirait en outre d'une norme potestative, conférant au département
un
pouvoir d'appréciation dans l'exercice duquel l'autorité judiciaire
n'interviendrait qu'avec retenue. Les nuisances évoquées par les
recourantes
reposeraient sur de pures hypothèses (concerts sauvages en
particulier);
elles seraient sans rapport avec l'exploitation de l'ouvrage
concerné. Un
accroissement mineur des nuisances existantes ne saurait constituer un
inconvénient grave au sens de cette disposition.

Pour les recourantes, l'art. 14 LCI viserait à assurer la sécurité des
constructions dans le cadre de leur utilisation. Lorsque la sécurité
de la
construction proprement dite est en cause, le département n'aurait
aucun
pouvoir d'appréciation.

3.2 Il y a arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., lorsque la décision
attaquée viole gravement une règle ou un principe juridique clair et
indiscuté ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le
sentiment de la
justice ou de l'équité. Le Tribunal fédéral
ne s'écarte de la solution
retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle est
insoutenable ou en contradiction évidente avec la situation de fait,
si elle
a été adoptée sans motif objectif ou en violation d'un droit certain.
Par
ailleurs, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée
soient
insoutenables, encore faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son
résultat
(ATF 128 I 273 consid. 2.1 p. 275 et la jurisprudence citée).

3.3 L'argumentation des recourantes, fondée exclusivement sur
l'existence
d'un pouvoir d'appréciation du département, ne fait pas apparaître
comme
arbitraire la solution retenue. Si, comme l'a estimé la cour
cantonale,
l'art. 14 LCI se rapporte exclusivement à la sécurité et à la
salubrité des
constructions proprement dites, au sens des art. 120 ss LCI, un
pouvoir
d'appréciation peut néanmoins être reconnu à l'autorité afin de lui
permettre
de tenir compte de la gravité des risques présentés, au regard
notamment des
autres intérêts en jeu. Il n'est dès lors pas insoutenable de retenir
que
l'art. 14 LCI n'a pas pour objectif la sauvegarde de la sécurité et de
l'ordre publics, mais se limite à assurer que la construction, en
tant que
telle et dans son utilisation prévue, ne présente pas de risques pour
les
usagers, le voisinage ou le public. Les nuisances dont se plaignent
les
recourantes (concerts sauvages notamment) sont assurément sans
rapport avec
l'affectation prévue de la plate-forme. Cette solution est d'autant
moins
insoutenable que le respect de la tranquillité et de la sécurité
publiques
fait l'objet d'autres prescriptions de police, notamment sur l'usage
du
domaine public, qui n'ont pas à être examinées dans le cadre de la
procédure
d'autorisation de construire.

4.
Dans la mesure où il est recevable, le recours doit par conséquent
être
rejeté, aux frais de leurs auteurs. Il n'est pas alloué de dépens
(art. 159
al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge des
recourantes.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des
recourantes, à
C.________, au Département municipal de l'aménagement, des
constructions et
de la voirie, au Département de l'aménagement, de l'équipement et du
logement
et au Tribunal administratif de la République et canton de Genève.

Lausanne, le 30 juillet 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.247/2003
Date de la décision : 30/07/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-07-30;1p.247.2003 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award