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22/07/2003 | SUISSE | N°1E.14/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 22 juillet 2003, 1E.14/2002


{T 0/2}
1E.14/2002 /col

Arrêt du 22 juillet 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Aeschlimann, Reeb, Féraud et Catenazzi.
Greffier: M. Jomini.

les consorts A.________ et B.________,
recourants,
tous deux représentés par Me Jacques Philippoz, avocat, case postale
44, 1912
Leytron,

contre

SA L'Energie de l'Ouest-Suisse, place de la Gare 12, case postale
570, 1001
Lausanne,
intimée, représentée par Me

Chantal Ducrot, avocate,
rue de la Moya 1, 1920 Martigny,
Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement, c/o Me...

{T 0/2}
1E.14/2002 /col

Arrêt du 22 juillet 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Aeschlimann, Reeb, Féraud et Catenazzi.
Greffier: M. Jomini.

les consorts A.________ et B.________,
recourants,
tous deux représentés par Me Jacques Philippoz, avocat, case postale
44, 1912
Leytron,

contre

SA L'Energie de l'Ouest-Suisse, place de la Gare 12, case postale
570, 1001
Lausanne,
intimée, représentée par Me Chantal Ducrot, avocate,
rue de la Moya 1, 1920 Martigny,
Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement, c/o Me
Alphonse-Marie
Veuthey, avocat, secrétaire, case postale 1036, 1870 Monthey.

expropriation, lignes électriques

recours de droit administratif contre la décision de la Commission
fédérale
d'estimation du 3e arrondissement du 27 février 2002.

Faits:

A.
Une procédure d'expropriation (procédure sommaire) a été ouverte en
1997 à la
requête de la société anonyme L'Energie de l'Ouest-Suisse (ci-après:
la
société EOS, ou l'expropriante), afin de permettre à cette société
d'acquérir
certains droits nécessaires au passage des conducteurs d'une nouvelle
ligne
électrique aérienne (ligne 380/132 kV EOS-CFF Saint-Triphon -
Chamoson), en
particulier sur la parcelle n° 1370 du registre foncier de la commune
de
Saint-Maurice, propriété des frères A.________ et B.________. Ce
bien-fonds,
classé en zone résidentielle, a une surface de 2'378 m2 et il s'y
trouve une
maison d'habitation de deux appartements. La procédure a pour objet la
constitution d'une servitude de passage pour les conducteurs, sur une
longueur de 48 m; la parcelle n° 1370 doit également être grevée d'une
servitude de restriction au droit d'utilisation du sol (interdiction
de
construire, restrictions pour les plantations), sur une surface de
1'500 m2
(selon le texte de l'avis personnel). La durée des servitudes est de
cinquante ans.
L'avis personnel a été envoyé aux frères A.________ et B.________ (les
expropriés) le 20 mai 1997. Ceux-ci se sont opposés à l'expropriation
le 18
juin 1997. Le 22 juin 1998, le Département fédéral de
l'environnement, des
transports, de l'énergie et de la communication (DETEC) a rejeté
l'opposition
et accordé le droit d'expropriation à la société EOS. Les expropriés
ont
formé un recours de droit administratif contre cette décision, que le
Tribunal fédéral a rejeté par un arrêt rendu le 9 novembre 1999 (cause
1E.14/1998).
Auparavant, l'Inspection fédérale des installations à courant fort
(IFICF)
avait approuvé, le 18 octobre 1993, les plans de la nouvelle ligne
380 kV.
Les frères A.________ et B.________ n'avaient pas contesté, à ce
stade, le
choix du tracé. D'autres intéressés avaient recouru, en vain, contre
cette
décision auprès du Département fédéral des transports, des
communications et
de l'énergie puis du Conseil fédéral.

B.
Dans cet arrêt 1E.14/1998, le Tribunal fédéral s'est prononcé sur la
requête
des frères A.________ et B.________ tendant au déplacement de la ligne
électrique parce qu'ils craignaient pour eux-mêmes et les occupants
de leur
maison les conséquences d'une exposition aux champs
électromagnétiques. Le
Tribunal fédéral a examiné ces questions sous l'angle du droit
fédéral de la
protection de l'environnement et il a jugé que les moyens des frères
A.________ et B.________ étaient mal fondés. Ce dossier contient les
indications suivantes (sur lesquelles les parties ont pu se
déterminer au
cours de la procédure du recours de droit administratif 1E.14/1998):
La décision du DETEC du 22 juin 1998 mentionne des calculs effectués
par
l'Inspection fédérale des installations à courant fort (IFICF) dont il
résulte que, dans les locaux habitables de la maison des expropriés,
l'intensité du champ électrique de la nouvelle ligne serait de
l'ordre de 868
V/m, tandis que l'induction du champ magnétique serait de 3.638 mT.
Un rapport de l'IFICF du 16 avril 1999, intitulé "Mesures in situ des
champs
électromagnétiques produits par la ligne 380/132 kV St-Triphon -
Chamoson
dans la propriété des frères A.________ et B.________, parcelle n°
1370,
commune de St-Maurice", donne les résultats de mesures effectuées sur
place
le 17 février 1999, soit au niveau du sol (place de jeu extérieure),
à une
hauteur de 4 m (terrasse extérieure et salon) puis à une hauteur de 7
m
(galerie), la maison ayant deux étages habitables sur le
rez-de-chaussée (la
ligne électrique était alors déjà construite et en exploitation,
après une
décision d'envoi en possession anticipé). Les valeurs mesurées sont
comprises
entre 1.29 et 1.42 mT (dans ce dernier cas, la mesure a été effectuée
alors
qu'un poste de télévision était enclenché). La charge de la ligne
380/132 kV
était au moment des mesures de 1018 A. La présence à proximité
directe d'une
autre ligne électrique est mentionnée (ligne 200 kV Riddes-Morgins,
dont le
tracé est parallèle, quelques mètres à l'ouest); le jour des mesures,
la
charge de cette dernière ligne était de 418 A. Le degré de précision
des
mesures est de +/- 10 %.
Le rapport de l'IFICF indique encore le résultat de calculs du champ
magnétique de la nouvelle ligne 380/132 kV dans le bâtiment des
expropriés.
En prenant en considération une charge de 1018 A, la densité de flux
magnétique est de 0.986 mT; avec une charge maximale de 2000 A, cette
densité
serait de 2.592 mT au niveau du sol, de 3.638 mT à 4 m du sol et de
4.063 mT
à 8 m du sol. Une note établie par l'expropriante le 11 juin 1999,
intitulée
"Enregistrement des valeurs électriques - Période du 9 décembre 1998
au 30
mai 1999", indique qu'en pratique on ne devrait pas dépasser sur de
longues
périodes la moitié de la puissance ou charge thermique de la ligne,
soit en
l'occurrence 1120 A (ou 785 MW).

C.
Dans leur recours de droit administratif contre la décision du DETEC,
les
frères A.________ et B.________ prétendaient en outre que
l'utilisation de la
ligne à pleine puissance pendant l'hiver provoquerait un bruit
excessif. Ce
grief a été rejeté par le Tribunal fédéral, qui a appliqué sur ce
point la
législation fédérale sur la protection de l'environnement. Le dossier
du
recours de droit administratif 1E.14/1998 contient un rapport
d'expertise
acoustique établi le 21 juin 1999 par le bureau d'ingénieur Gilbert
Monay, à
Lausanne. Cette expertise a été commandée par l'expropriante. Il en
ressort
que le niveau d'évaluation Lr du bruit provenant de la ligne 380/132
kV dans
les locaux habitables du bâtiment des expropriés est de 45 (+/-3)
dB(A) de
jour (de 7 à 19 heures) et de 46 (+/-3) dB(A) de nuit. Le niveau Lr a
été
déterminé sur la base des critères de l'ordonnance du 15 décembre
1986 sur la
protection contre le bruit (OPB; RS 814.41), après des mesurages
effectués du
16 mars au 8 avril 1999, en tenant compte de l'effet "couronne" et du
bruit
éolien, ainsi que de la corrélation du niveau de bruit avec les
conditions
météorologiques. D'après ce rapport, la corrélation du bruit avec la
charge
de la ligne paraît "fort peu probable". La note précitée de
l'expropriante,
du 11 juin 1999, précise que l'émission de bruit ne dépend en
principe que de
la tension (quasiment constante) et de la météorologie, et non pas de
la
charge de la ligne.

D.
Dans leur opposition du 18 juin 1997, les expropriés demandaient
encore une
indemnité pour la constitution des servitudes, compensant la
moins-value
subie par leur immeuble, en particulier leur bâtiment d'habitation.
Ils se
référaient notamment aux champs électromagnétiques engendrés par la
nouvelle
ligne.
Le 7 juillet 1998, l'expropriante et les expropriés ont conclu un
"contrat de
servitude". Aux termes de ce contrat, les expropriés conféraient à
l'expropriante, sur une partie de leur parcelle n° 1370 (environ
1'250 m2,
d'après le plan joint au contrat), "le droit d'établir des lignes
aériennes à
haute tension ainsi que les droits accessoires de passage pour la
surveillance, l'entretien et toutes transformation ou extension que
nécessiterait l'exploitation du réseau", le bien-fonds étant grevé
"d'une
servitude personnelle et cessible de restriction au droit
d'utilisation du
sol (bâtir, planter, excaver)". Le contrat prévoit qu'en
contre-valeur de la
servitude, l'expropriante payera aux expropriés une indemnité de
100'000 fr.,
exigible dès l'inscription au registre foncier. Il contient encore la
clause
suivante: "L'estimation de la moins-value de la maison occasionnée
par le
passage de la ligne sera déterminé [sic] par la commission fédérale
d'estimation". L'expropriante a été autorisée à requérir directement
l'inscription des servitudes au registre foncier; l'indemnité
convenue était
exigible dès cette inscription.
Après cela, la procédure d'estimation a été ouverte par le Président
de la
Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement (ci-après: la
Commission fédérale). Le 6 décembre 2000, les expropriés lui ont
soumis leurs
prétentions: ils ont demandé l'expropriation totale de leur immeuble
et à
titre subsidiaire le versement d'une indemnité compensant la
moins-value
causée par les champs électromagnétiques, le bruit et l'atteinte au
site.
La Commission fédérale a entendu les parties le 13 décembre 2000. Les
expropriés ont alors requis une nouvelle expertise des nuisances de
la ligne
électrique, en contestant le "caractère neutre" de l'Inspection
fédérale
(IFICF). Cette requête a été rejetée le jour même. Les expropriés ont
formé
contre cette décision incidente un recours de droit administratif. Le
Tribunal fédéral l'a partiellement admis, en annulant la condamnation
des
expropriés aux frais de la décision incidente, mais en considérant en
revanche que le refus d'ordonner une nouvelle expertise était fondé
(arrêt
1E.17/2001 du 10 décembre 2001).

E.
La Commission fédérale a statué le 27 février 2002 sur les
prétentions des
expropriés, après avoir entendu une nouvelle fois les parties. Elle a
condamné l'expropriante à leur verser une "indemnité supplémentaire
d'expropriation de 30'000 fr. pour l'indemnisation de la moins-value
au
bâtiment", indemnité portant intérêts au taux usuel. Les frais de la
procédure ont été mis à la charge de l'expropriante, y compris les
dépens dus
aux expropriés, par 2'000 fr.

F.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, les expropriés
requièrent le Tribunal fédéral de prononcer l'expropriation totale de
leur
immeuble et de charger un expert judiciaire de fixer l'indemnité. A
titre
subsidiaire, ils demandent que "la moins-value pour changement
d'affectation
du bâtiment" soit compensée par une indemnité fixée par expertise
judiciaire.
L'expropriante conclut au rejet du recours.
La Commission fédérale a renoncé à se déterminer.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit administratif est recevable contre une décision
prise par
une commission fédérale d'estimation (art. 77 al. 1 LEx [RS 711],
art. 115
al. 1 OJ). Les expropriés ont qualité pour recourir (art. 78 al. 1
LEx). Les
autres conditions de recevabilité étant remplies (art. 97 ss OJ), il
y a lieu
d'entrer en matière.

2.
Par leurs conclusions principales, les recourants demandent
l'expropriation
totale de leur bien-fonds. Ils font valoir que leur maison ne
pourrait plus
être utilisée comme un logement familial, à cause des effets nocifs
de la
ligne électrique; elle ne pourrait pas non plus être affectée à un
autre
usage, vu la réglementation de la zone résidentielle. Ce bâtiment
aurait donc
perdu toute valeur.

2.1 Dans la décision attaquée, la Commission fédérale a rejeté la
demande
d'expropriation totale en considérant qu'elle était en contradiction
avec
l'accord signé avec l'expropriante le 7 juillet 1998, le principe de
la
constitution d'une servitude ayant alors été admis par les
expropriés. En
d'autres termes, les expropriés seraient réputés avoir renoncé à
obtenir
autre chose qu'une indemnité pour expropriation partielle.
Dans la procédure de recours de droit administratif, le Tribunal
fédéral
applique d'office le droit fédéral et, dans le cadre de la
contestation, il
n'est pas lié par les motifs invoqués par les parties (art. 114 al. 1
OJ). Il
peut en outre revoir librement les constatations de fait de la
commission
fédérale d'estimation (ATF 128 II 231 consid. 2.4.1 p. 236; 119 Ib 447
consid. 1b p. 451).

2.2 La procédure a été ouverte en vue de la constitution de servitudes
grevant l'immeuble des expropriés; le droit d'expropriation n'a donc
pas été
conféré en vue d'une appropriation du bien-fonds par l'expropriante.
Demander
l'extension de l'expropriation, pour qu'elle porte désormais sur
l'immeuble
en tant que tel, équivaut à requérir une modification de l'objet de la
procédure. L'art. 12 al. 2 LEx prévoit néanmoins cette possibilité
lorsque la
constitution d'un droit réel restreint ne permet plus à l'exproprié
d'utiliser l'immeuble selon l'affectation qui lui était destinée ou
que cette
utilisation soulèverait des difficultés excessives.
Toutefois, en vertu de l'art. 36 let. b LEx (en relation avec l'art.
34 al. 1
let. e LEx), les demandes d'extension de l'expropriation fondées sur
l'art.
12 LEx doivent en principe être produites, par écrit et motivées,
dans le
délai fixé par l'avis personnel pour la production des oppositions et
des
prétentions. Il s'agit d'un délai de péremption
(cf. Heinz
Hess/Heinrich
Weibel, Das Enteignungsrecht des Bundes, vol. I, Berne 1986, n. 13-14
ad art.
36 LEx). Les expropriés n'ont pas présenté leur demande d'extension
dans le
délai d'opposition; ils se sont bornés, dans leur écriture du 18 juin
1997, à
exposer qu'après un calcul ultérieur des champs électromagnétiques
par des
spécialistes mandatés par l'expropriante, ils "pourr[aient] demander
au
besoin l'extension de l'expropriation en conformité de l'art. 12
LEx". La
demande proprement dite d'extension pour une expropriation totale
figure dans
un acte du 6 décembre 2000, déposé par les expropriés au moment où
ils ont eu
l'occasion de préciser par écrit leurs prétentions, peu avant une
audience de
la Commission fédérale. Auparavant, en signant le contrat de
servitude du 7
juillet 1998, ils avaient du reste admis se trouver dans un cas
d'expropriation partielle. Ils ne prétendent pas que les conditions
de l'art.
41 LEx, permettant une production tardive des prétentions, seraient
satisfaites; ce n'est manifestement pas le cas. Il en résulte que les
recourants sont forclos et que la Commission fédérale était fondée à
rejeter
la demande d'extension; peu importe qu'elle l'ait fait pour d'autres
motifs
que ceux que l'on vient d'exposer.

3.
Les recourants demandent à titre subsidiaire une indemnité compensant
la
perte de valeur de leur immeuble, à cause de la nouvelle ligne
électrique et
des nuisances qu'elle provoque. Ils se prévalent de l'art. 5 al. 1
LEx qui
permet l'expropriation des droits résultant des dispositions sur la
propriété
foncière en matière de rapports de voisinage ("expropriation de
droits de
voisinage", selon une formule utilisée dans la jurisprudence). Ils
critiquent
le montant alloué par la Commission fédérale (30'000 fr.) en
l'estimant
insuffisant.

3.1 Contrairement à l'avis des recourants (et de l'expropriante
également),
l'expropriation n'a pas pour objet des droits résultant des
dispositions sur
la propriété foncière en matière de rapports de voisinage (cf. art. 5
al. 1
LEx, en relation avec les art. 679 ss CC), soit les droits des
propriétaires
fonciers voisins des biens-fonds où passe la ligne électrique
litigieuse de
se défendre contre les immissions, conséquences indirectes que
l'exercice de
la propriété sur un fonds peut avoir sur les fonds voisins (cf. ATF
129 II 72
consid. 2.3 p. 75; 124 II 543 consid. 3a p. 548). La présente
procédure a été
ouverte en vue de la constitution, par voie d'expropriation, de
servitudes
grevant le bien-fonds des expropriés, lesquels sont dès lors
directement
touchés dans l'exercice de leur droit de propriété.

3.1.1 Selon la jurisprudence, l'imposition forcée d'une servitude sur
un
fonds constitue juridiquement une expropriation partielle. Comme les
droits
réels restreints ne sont pas des objets de commerce, l'indemnité
pleine et
entière à verser au propriétaire du fonds grevé (art. 16 LEx)
correspond à la
dépréciation de la parcelle. Il s'agit donc d'appliquer non pas
l'art. 19
let. a LEx, en vertu duquel l'indemnité comprend "la pleine valeur
vénale du
droit exproprié", mais l'art. 19 let. b LEx, qui prévoit que
l'indemnité
comprend "le montant dont est réduite la valeur vénale de la partie
restante". Cette indemnité se calcule donc selon la méthode dite de la
différence, laquelle consiste à déduire de la valeur vénale du fonds
libre de
servitude celle du fonds grevé de la servitude (cf. ATF 122 II 337
consid. 4c
p. 343; 114 Ib 321 consid. 3 p. 324; 111 Ib 287 consid. 1 p. 289 et
les
arrêts cités).

3.1.2 Conformément à l'art. 22 al. 2 LEx, il faut tenir compte du
dommage
résultant de la perte ou de la diminution d'avantages influant sur la
valeur
vénale et que la partie restante aurait, selon toute vraisemblance,
conservés
s'il n'y avait pas eu d'expropriation. D'après la jurisprudence, il
peut
s'agir d'avantages de fait, ou d'éléments concrets ayant une
influence sur la
valeur vénale. Un lien de causalité adéquate doit pourtant exister
entre
l'expropriation elle-même - à distinguer des effets de l'ouvrage de
l'expropriant sur les biens-fonds voisins - et une telle perte (ATF
114 Ib
321 consid. 3 p. 324/325; 106 Ib 381 consid. 2b et 3a p. 385 s., et
les
arrêts cités; Hess/Weibel, op. cit., n. 20 ad art. 19 LEx p. 241 et
n. 8-9 ad
art. 22 LEx p. 339). En cas d'expropriation partielle, la
jurisprudence prend
notamment en considération la perte d'avantages valorisant ou
protégeant
l'immeuble touché: protection contre les nuisances provenant du
voisinage,
garantie d'une vue dégagée sur le paysage, interdiction de construire
grevant
le fonds voisin en vertu d'une servitude, etc. (perte d'un "écran
protecteur"); cette dépréciation doit être indemnisée (cf. ATF 106 Ib
381
consid. 4b p. 389; 104 Ib 79 consid. 1b p. 81; 100 Ib 190 consid. 8
p. 197;
94 I 286 consid. 2-4 p. 292 ss; cf. aussi ATF 110 Ib 43 consid. 2 p.
46; 102
Ib 348 consid. 3b p. 352; 98 Ib 329 consid. 1 p. 331; Hess/Weibel,
op. cit.,
n. 23 ad art. 19 LEx, p. 242). En revanche, si le compartiment de
terrain
exproprié est modeste et qu'il ne remplit aucune fonction
particulièrement
valorisante ou protectrice pour le reste du bien-fonds, les principes
sur
l'expropriation des droits de voisinage s'appliquent conformément à
l'art. 5
LEx (cf. ATF 110 Ib 43 consid. 2 p. 47; 106 Ib 381 consid. 2a p.
383/384;
Hess/Weibel, op. cit., n. 23 ad art. 19 LEx, p. 242). Ces droits sont
en
principe énumérés aux art. 684 ss CC (ATF 128 II 368 consid. 2.1 p.
372).

3.2 La décision entreprise se réfère à la convention du 7 juillet
1998, par
laquelle les servitudes ont été constituées. Elle réservait le calcul
de la
moins-value de l'immeuble des expropriés par la Commission fédérale,
qui a
ainsi été invitée à examiner les conditions d'octroi d'une indemnité
complémentaire à celle, de 100'000 fr., déjà convenue par les parties.

3.2.1 La convention précitée est postérieure à la décision du
Département
fédéral sur l'opposition et elle a été conclue en dehors de
l'audience de
conciliation. Elle constitue une entente directe (partielle) sur
l'indemnité
d'expropriation, au sens de l'art. 54 al. 1 LEx. Un tel accord est un
contrat
de droit administratif censé fixer l'indemnité selon les critères de
la loi
fédérale sur l'expropriation (cf. ATF 101 Ib 277 consid. 6a p. 286).
Ce
contrat a en principe les mêmes effets qu'une décision du juge de
l'expropriation. Dans le cas particulier, comme la convention
réservait une
décision de la Commission fédérale sur "l'estimation de la
moins-value de la
maison", les parties n'excluaient pas l'allocation aux expropriés
d'une
indemnité complémentaire à celle, convenue, de 100'000 fr. Ce
complément a
été arrêté à 30'000 fr. dans le prononcé attaqué.
Même formée de différents éléments, l'indemnité d'expropriation
constitue une
unité et le Tribunal fédéral doit apprécier si, globalement, elle a
été fixée
conformément à l'art. 19 LEx (cf. ATF 129 II 72 consid. 2.6 p. 78;
106 Ib 223
consid. 1 p. 226). Il s'ensuit qu'en cas d'entente directe partielle,
le juge
n'est pas lié par la qualification donnée par les parties à
l'indemnité
convenue.

3.2.2 La convention prévoit la détermination, par la Commission
fédérale, de
"l'estimation de la moins-value de la maison occasionnée par le
passage de la
ligne". En interprétant cette clause selon le principe de la
confiance,
applicable lorsque la réelle et commune intention des parties n'est
pas
établie (cf. ATF 121 III 495 consid. 5b p. 498), on pourrait en
déduire que
l'indemnité complémentaire devrait compenser la dépréciation de la
partie
restante. Les expropriés et l'expropriante auraient alors admis un cas
d'application des art. 19 let. b et 22 al. 2 LEx en raison de la
perte d'un
avantage ("écran protecteur"), en laissant le soin à la Commission
fédérale
d'estimer cette dépréciation. Quoi qu'il en soit, dès lors que seule
une
transaction partielle a été conclue, c'est au juge de l'expropriation
qu'il
appartient désormais d'examiner le fondement de l'indemnité. Cela
étant, le
choix des parties de traiter séparément d'une part la dépréciation du
terrain, réglée par convention, et d'autre part celle du bâtiment, à
estimer
par la Commission fédérale, est discutable car une appréciation
globale des
conséquences de l'expropriation sur l'immeuble litigieux s'imposait
d'emblée.

3.2.3 L'expropriante n'a pas recouru, ni à titre principal ni de
façon jointe
(cf. art. 78 al. 2 LEx), contre la décision de la Commission
fédérale: la
contestation porte dès lors sur la question de savoir si la somme
globale de
130'000 fr. correspond à la différence entre la valeur vénale du
fonds libre
de servitude et celle du fonds grevé des servitudes ou si au
contraire cette
différence est supérieure au montant total déjà fixé. Dans cette
hypothèse,
l'octroi d'une indemnité complémentaire se justifierait.

4.
Les recourants affirment que la dévaluation de leur immeuble est due
au bruit
provoqué par la nouvelle ligne électrique ainsi qu'aux champs
électromagnétiques, lesquels mettraient en danger la santé des
habitants de
la maison. Dans les deux cas, ils prétendent que les valeurs limites
prévues
par le droit fédéral de la protection de l'environnement - dans
l'ordonnance
sur la protection contre le bruit (OPB) ou dans l'ordonnance du 23
décembre
1999 sur la protection contre le rayonnement non ionisant (ORNI; RS
814.710)
- seraient dépassées, et ils critiquent les rapports, figurant au
dossier de
la procédure d'opposition, relatifs à l'évaluation de ces nuisances.

4.1 La Commission fédérale a considéré que l'indemnité complémentaire
qu'elle
fixait était de nature, ex aequo et bono, à compenser la présence de
la ligne
à proximité directe du bâtiment des expropriés. Elle a retenu que
cette
installation entraînait des bourdonnements, des sifflements ainsi que
d'autres inconvénients et que, même si aucune immission importante
n'était à
craindre, la valeur de l'immeuble était diminuée; l'existence d'autres
nuisances incommodantes, sonores ou électromagnétiques, n'ayant pas
été
prouvée, il n'y avait pas lieu d'allouer une indemnité à ce titre.
Cette
argumentation est présentée de manière sommaire.

4.2 La conformité de la nouvelle ligne électrique aux prescriptions
de la loi
fédérale sur la protection de l'environnement a été examinée dans le
cadre de
la procédure d'opposition, à savoir dans la décision du DETEC du 22
juin 1998
et dans l'arrêt du Tribunal fédéral du 9 novembre 1999 (1E.14/1998).
En
outre, elle avait déjà été l'objet de la procédure préalable
d'approbation
des plans, au cours de laquelle une étude de l'impact sur
l'environnement
avait été effectuée (cf. arrêt 1E.14/1998, consid. 2c). Du reste,
dans le
système de la loi fédérale sur l'expropriation, c'est au stade de
l'opposition et de la production des prétentions (cf. art. 35 LEx)
qu'un
exproprié peut présenter des demandes fondées sur l'art. 7 al. 3 LEx.
Cette
disposition astreint l'expropriant à exécuter les ouvrages propres à
mettre
le public et les fonds voisins à l'abri des dangers et des
inconvénients
qu'impliquent nécessairement l'exécution et l'exploitation de son
entreprise
et qui ne doivent pas être tolérés d'après les règles du droit de
voisinage
(cf. art. 684 ss CC). De ce point de vue, l'appréciation du caractère
excessif ou non des immissions de la nouvelle installation (cf. art.
684 al.
2 CC) s'effectue donc déjà dans la procédure d'opposition.
En l'espèce, il n'est pas nécessaire de se prononcer à nouveau sur ces
questions. Les données de fait sur les nuisances de la ligne
électrique,
telles qu'elles ressortent du dossier de la procédure d'opposition -
les
indications sur les niveaux des immissions de bruit et des champs
électromagnétiques -, ne sont pas sérieusement contestées par les
recourants
(qui critiquent de manière manifestement non concluante certaines
méthodes de
mesure ou de calcul). Quant aux griefs, d'ordre formel, tirés d'un
prétendu
manque d'indépendance ou d'impartialité des auteurs des rapports
relatifs aux
nuisances, c'est dans la procédure d'opposition qu'ils devaient être
soulevés
et traités. Le Tribunal fédéral s'est du reste prononcé à ce sujet
dans son
arrêt 1E.14/1998 du 9 novembre 1999, en écartant les critiques des
recourants
(consid. 3c et 4b de cet arrêt; cf. aussi arrêt 1E.17/2001 du 10
décembre
2001, consid. 3).

4.3 Dans la procédure tendant à la fixation de l'indemnité
d'expropriation,
les effets ou immissions de la ligne électrique seront pris en
considération
de manière différenciée, selon qu'il faut indemniser ou non la
dépréciation
de la partie restante, en l'occurrence de la maison d'habitation (cf.
supra,
consid. 3.1.2).
4.3.1 Dans l'hypothèse où la dépréciation est causée par la perte ou
la
diminution d'avantages (art. 22 al. 2 LEx), tous les éléments ayant
une
influence sur la valeur vénale doivent être pris en considération
(cf. supra,
consid. 3.1.2), y compris les immissions qui sont suffisamment
sensibles,
sans toutefois être excessives au sens du droit civil ou du droit
public (cf.
Hess/Weibel, op. cit., n. 9 ad art. 22 LEx, p. 340). L'expérience
montre que
la proximité d'une ligne à haute tension entraîne une baisse des prix
du
marché foncier, même sans diminution des possibilités de construire
prévues
par la réglementation d'aménagement du
territoire; cela peut dépendre
de
l'atteinte au paysage, ou encore, selon la jurisprudence, de motifs
purement
psychologiques, qui sont alors des inconvénients de fait (ATF 102 Ib
348
consid. 3 p. 350). Le survol d'un jardin par des lignes est
incontestablement
un désavantage, car on peut toujours craindre l'effondrement d'un
pylône et
la chute d'un conducteur. Le bruit provoqué par la ligne, même s'il
n'est pas
excessif au sens des normes du droit privé sur les rapports de
voisinage (ou
de celles du droit public de la protection de l'environnement - cf.
infra,
consid. 4.3.2), est lui aussi un inconvénient; le propriétaire qui le
subit
perd un avantage de fait pour sa maison d'habitation. Pour les champs
électromagnétiques, la question est plus délicate car il ne s'agit pas
d'immissions perceptibles pour les sens. Les expropriés font du reste
valoir
que ces champs représentent un inconvénient essentiellement parce que,
d'après eux, le fait de résider à proximité d'une ligne à haute
tension
aurait des effets à long terme sur la santé. Il faut donc déterminer,
dans la
situation concrète, si ces champs ont des effets physiques (ou
biologiques
voire sanitaires) suffisamment évidents pour constituer en eux-mêmes
un
désavantage, ou si au contraire la crainte de tels effets, non
avérés, est
simplement une des composantes des inconvénients d'ordre
psychologique déjà
évoqués.

4.3.2 Si l'expropriation partielle n'a pas pour conséquence de priver
l'immeuble d'avantages protecteurs, la dépréciation de la partie
restante
n'est indemnisée que si les conditions prévues pour l'expropriation
de droits
de voisinage sont satisfaites (cf. supra, consid. 3.1.2). Il peut en
aller
ainsi lorsque, du fait de l'ouvrage de l'expropriant, l'immeuble est
exposé à
des immissions excessives au sens de l'art. 684 al. 2 CC.
D'après la jurisprudence à ce sujet, l'expropriant peut être tenu
d'indemniser le propriétaire foncier voisin d'une route nationale,
d'une voie
de chemin de fer ou d'un aéroport s'il subit, à cause des immissions
de bruit
de ces installations, un dommage spécial, imprévisible et grave (cf.
ATF 129
II 72 consid. 2.1 p. 74 et les arrêts cités). La première de ces
conditions
cumulatives, celle de la spécialité, est réalisée dès lors que les
nuisances
sonores ont atteint une intensité excédant le seuil de ce qui est
usuel et
tolérable; ce seuil correspond aux valeurs limites d'immissions
prévues par
la législation fédérale sur la protection de l'environnement (ATF 124
II 543
consid. 5a p. 552; 123 II 481 consid. 7c p. 492, 560 consid. 3d/bb p.
568 et
les arrêts cités). Cette loi fédérale a pour but, conformément à son
art. 1
al. 1, de protéger les hommes (notamment) des atteintes nuisibles et
incommodantes. Le bruit est une atteinte visée par la loi (art. 7 al.
1 LPE
[RS 814.01]). Empêcher les atteintes nuisibles vise à protéger la
santé des
êtres humains; quant à la lutte contre les atteintes incommodantes,
elle tend
à préserver le bien-être de la population, qui ne doit pas être gêné
de
manière sensible (cf. Pierre Tschannen, Kommentar zum
Umweltschutzgesetz
[Kommentar USG], art. 1, Zurich 2003, n. 18-19). D'après la loi, les
valeurs
limites d'immissions sont "applicables à l'évaluation des atteintes
nuisibles
ou incommodantes" (art. 13 al. 1 LPE); en d'autres termes, un
dépassement de
ces valeurs signifie, selon l'état de la science et l'expérience, que
l'atteinte est nuisible ou incommodante (cf. art. 14 let. b et 15
LPE; André
Schrade/Theo Loretan, Kommentar USG, art. 13, Zurich 1998, n. 13; ATF
119 Ib
348 consid. 5b/dd p. 360; cf. également ATF 126 II 399 consid. 4b p.
405).
Ces critères du droit de l'environnement servent donc, dans ce
domaine, à
définir la portée des droits des propriétaires fonciers voisins;
c'est là un
des points de convergence des réglementations de droit public et de
droit
privé sur la protection contre les immissions excessives (cf.
notamment ATF
129 III 161 consid. 2.6 p. 165; 126 III 223 consid. 3c p. 226).
Les rayonnements ou champs électromagnétiques peuvent, à l'instar du
bruit,
être considérés comme des immissions "matérielles" au sens de l'art.
684 CC
(cf. notamment Heinz Rey, Kommentar zum Schweizerischen Privatrecht
[Commentaire bâlois], 1998, n. 26 ad art. 684 CC; Arthur Meier-Hayoz,
Commentaire bernois, 1975, n. 178 ad art. 684 CC). Ils tombent
également sous
le coup de la loi fédérale sur la protection de l'environnement, la
définition des atteintes englobant les rayons (art. 7 al. 1 LPE). Les
règles
des art. 11 ss LPE sur la limitation des nuisances y sont applicables,
notamment celles sur les valeurs limites d'immissions (cf. art. 11
al. 1 LPE
et art. 14 LPE, cette dernière disposition exprimant selon la
jurisprudence
des principes généraux s'appliquant également aux rayonnements - ATF
124 II
219 consid. 7a p. 230). Depuis le 1er février 2000, l'ordonnance sur
la
protection contre le rayonnement non ionisant (ORNI) contient à ce
propos des
règles précises, qui s'appliquent en particulier aux lignes aériennes
de
courant alternatif. A priori, en matière d'expropriation de droits de
voisinage, il n'y a aucun motif de ne pas appliquer à ces immissions,
mutatis
mutandis, les règles prévues pour les immissions de bruit.

5.
Les recourants se plaignent d'une violation de l'art. 8 CEDH. Ils en
déduisent une obligation, pour les autorités étatiques, de prendre les
mesures nécessaires à la protection effective du droit au respect de
la vie
privée et familiale, droit dont l'exercice serait menacé par les
nuisances
provenant de la ligne électrique.
L'art. 8 par. 1 CEDH garantit le droit de toute personne au respect
de sa vie
privée et familiale. Il impose à l'Etat d'adopter des mesures
raisonnables et
adéquates pour protéger ce droit, notamment quand les nuisances d'une
installation polluante ou bruyante diminuent aux alentours la qualité
de la
vie privée (cf. arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme
dans
l'affaire Powell et Rayner du 21 février 1990, Série A, vol 172, par.
41,
dans l'affaire López Ostra contre Espagne du 9 décembre 1994, Série
A, vol
303-C, par. 51], et dans l'affaire Guerra et autres contre Italie du
19
février 1998, Recueil CourEDH 1998-I p. 210, par. 58]). Cela étant,
l'art. 8
par. 2 CEDH permet une "ingérence d'une autorité publique dans
l'exercice" du
droit garanti à l'art. 8 par. 1 CEDH si cette ingérence "constitue
une mesure
qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à
la sûreté publique, au bien-être économique du pays", notamment. Les
mesures
prises pour l'approvisionnement du pays en électricité entrent
manifestement
dans ce cadre. Il faut dès lors, selon la jurisprudence de la Cour
européenne
des droits de l'homme, "avoir égard au juste équilibre à ménager
entre les
intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son
ensemble" (cf.
arrêts Powell et Rayner, López Ostra précités, ibid.). Cette
appréciation ou
cette pesée des intérêts est intervenue, pour la construction de la
ligne
électrique litigieuse, à l'occasion de l'approbation des plans et de
l'examen
des oppositions. Si les droits des propriétaires voisins de
l'installation
sont compromis, ils peuvent prétendre à une indemnité d'expropriation
(pour
l'expropriation partielle de leur immeuble ou l'expropriation de
droits de
voisinage). Le droit fédéral permet ainsi, dans un cas tel que celui
des
recourants, de tenir compte des exigences de l'art. 8 CEDH (cf. ATF
121 II
317 consid. 5c p. 333; cf. également ATF 126 II 300 consid. 5c p.
315).

6.
Les recourants soutiennent que l'exploitation de la ligne électrique
provoquerait un dépassement des valeurs limites d'exposition de
l'ordonnance
sur la protection contre le bruit.
Les valeurs limites d'exposition au bruit de l'industrie et des arts
et
métiers, selon l'annexe 6 de l'OPB, s'appliquent au bruit produit par
les
installations de production d'énergie (en allemand: "Energieanlagen")
exploitées régulièrement durant une période prolongée (annexe 6 OPB,
ch. 1
al. 2), donc au bruit provoqué par la ligne à haute tension
litigieuse (cf.
arrêt 1E.14/1998 du 9 novembre 1999, consid. 4a). En admettant que le
bien-fonds en cause se trouve dans une zone à laquelle le degré de
sensibilité au bruit II a été attribué (cf. arrêt 1E.14/1998 du 9
novembre
1999, consid. 4a), les valeurs limites d'immissions déterminantes
(niveau Lr)
sont de 60 dB(A) le jour et de 50 dB(A) la nuit. Il résulte du rapport
d'expertise acoustique que le bruit provoqué par la ligne à haute
tension ne
dépasse pas ces valeurs sur la parcelle des recourants.
Dans l'hypothèse d'une perte d'"écran protecteur" entraînant la
dépréciation
de la partie restante de l'immeuble, les bourdonnements et sifflements
qu'évoque la décision attaquée peuvent être considérés comme un
inconvénient
de fait ou une gêne, peu sensible, que l'immeuble n'aurait pas subi,
ou pas
de manière aussi perceptible, sans l'expropriation (cf. ATF 109 Ib
298 consid
4a p. 301, où il est aussi question, à propos d'une installation
analogue, de
nuisances sonores sous forme de crépitements).
S'il faut, au contraire, appliquer les critères de la seule
expropriation de
droits de voisinage, l'octroi d'une indemnité destinée à compenser le
préjudice subi par le propriétaire voisin serait exclu parce que la
condition
de la spécialité n'est pas satisfaite.

7.
Les recourants se plaignent par ailleurs de nuisances qui seraient
dues aux
champs électromagnétiques. Selon eux, la nouvelle ligne électrique
aurait des
effets nocifs sur leur santé et celle des autres habitants de leur
maison.
Ils dénoncent encore d'autres effets incommodants des rayonnements,
soit des
migraines, des pertes de sommeil, ou encore l'irritabilité. Ils
déplorent en
outre des interférences sur les appareils électriques domestiques.

7.1 Tout fil électrique sous tension produit un champ électrique dans
son
voisinage. Ce champ, dont l'intensité se mesure en volts par mètre
(V/m),
existe même si aucun courant ne circule. Le champ est d'autant plus
intense
que la tension est élevée. C'est à proximité directe d'une charge
électrique
ou d'un conducteur sous tension que le champ électrique est le plus
élevé;
son intensité diminue rapidement avec la distance. Le champ
électrique créé
par les lignes de transport d'électricité situées à l'extérieur est
réduit
par la présence de murs, de bâtiments ou d'arbres (lorsque ces lignes
sont
enterrées, le champ électrique en surface est à peine décelable).
Les champs magnétiques sont provoqués par le déplacement de charges
électriques. Contrairement au champ électrique, le champ magnétique
n'apparaît que lorsqu'un appareil électrique est allumé et que le
courant
passe. Son intensité se mesure en ampères par mètre (A/m); toutefois,
dans la
recherche et les applications techniques, on utilise généralement une
autre
grandeur, liée à l'intensité: la densité de flux magnétique (appelée
aussi
induction magnétique), qui s'exprime en teslas ou plus communément en
microteslas (mT). Plus l'intensité du courant est forte, plus le champ
magnétique est élevé. Comme dans le cas du champ électrique, le champ
magnétique est d'autant plus intense qu'on est proche de la source et
il
diminue rapidement lorsque la distance augmente. Les matériaux usuels
tels
que les matériaux de construction ne constituent pas un blindage
efficace
contre les champs magnétiques.
Une onde électromagnétique est l'association d'un champ électrique et
d'un
champ magnétique qui varient dans le temps et se propagent dans
l'espace. Un
courant alternatif crée un champ variable dans le temps; il change de
sens à
intervalles réguliers. Dans la plupart des pays européens, pour
l'électricité
du réseau, ce changement de sens s'opère avec une fréquence de 50
Hertz (Hz),
soit 50 cycles par seconde; de même, le champ magnétique engendré par
ce
courant oscille à raison de 50 cycles par seconde. Les champs
électromagnétiques variables dans le temps produits par les appareils
électriques et les conduites qui les alimentent sont un exemple de
champs de
fréquence extrêmement basse (champs FEB, ou en anglais: ELF,
Extremely Low
Frequency - on entend par là les fréquences inférieures à 300 Hz).
Même en l'absence de tout champ électrique extérieur, le corps humain
est le
siège de micro-courants dus aux réactions chimiques qui correspondent
aux
fonctions normales de l'organisme. Les champs électriques de basse
fréquence
agissent sur l'organisme humain comme sur tout autre matériau
constitué de
particules chargées. En présence de matériaux conducteurs, les champs
électriques agissent sur la distribution des charges électriques
présentes à
leur surface; ils provoquent la circulation des courants du corps
jusqu'à la
terre. Les champs magnétiques de basse fréquence font également
apparaître à
l'intérieur du corps des courants électriques induits dont
l'intensité dépend
de l'intensité du champ magnétique extérieur. S'ils atteignent une
intensité
suffisante, ces courants peuvent stimuler les nerfs et les muscles ou
affecter divers processus biologiques (les informations ci-dessus
sont tirées
d'un document publié par l'Organisation mondiale de la santé
[OMS/WHO],
intitulé "A propos des champs électromagnétiques", document élaboré
dans le
cadre de son Projet international pour l'étude des champs
électromagnétiques
[projet international CEM, International
EMF Project] - cf. page
internet
http://www.who.int/peh-emf/about/WhatisEMF/fr/index.html).

7.2 Au-delà d'une certaine intensité, les champs électromagnétiques
sont
susceptibles de déclencher certains effets biologiques. Un effet
biologique
peut être, ou ne pas être, nocif; en d'autres termes, il peut ou non
causer
une altération décelable de la santé des personnes exposées et de leur
descendance. Un organisme scientifique indépendant, l'ICNIRP
(Commission
internationale pour la protection contre les rayonnements non
ionisants), a
été chargé dès 1992 d'étudier les risques potentiels liés aux
différents
types de rayonnements non ionisants (on entend par là tous les
rayonnements
et champs du spectre électromagnétique qui n'ont normalement pas assez
d'énergie pour provoquer l'ionisation de la matière). Cette
Commission a
succédé à un groupe émanant d'associations internationales,
l'IRPA/INIRC, qui
avait entrepris à partir de 1974 d'élaborer des documents sur les
critères
d'hygiène relatifs à ces rayonnements, en collaboration avec la
Division
d'hygiène de l'environnement de l'OMS. L'IRPA/INIRC avait publié, en
1988 et
1990, des guides sur l'exposition aux champs électromagnétiques hautes
fréquences et de fréquence 50/60 Hz. Ces guides ont été remplacés par
la
publication de l'ICNIRP intitulée "Guide pour l'établissement de
limites
d'exposition aux champs électriques, magnétiques et
électromagnétiques -
Champs alternatifs (de fréquence variable dans le temps, jusqu'à 300
GHz)",
élaborée en 1998 (pour être diffusée d'abord en anglais) et depuis peu
disponible en traduction française (in Cahier de notes documentaires -
Hygiène et sécurité du travail, Institut National de Recherche et de
Sécurité, Paris 2001; ci-après: le Guide [cf. aussi page internet
http://
www.icnirp.org/downloads.htm]). Ce Guide a été rédigé à la suite
d'une revue
qualifiée d'exhaustive de la littérature scientifique publiée; seuls
les
effets avérés ont été retenus comme fondements pour les valeurs
limites
d'exposition proposées. Les effets cancérogènes à long terme n'ont
pas été
considérés comme avérés. Le Guide n'est fondé que sur des effets
immédiats
sur la santé, tels que la stimulation des muscles ou des nerfs
périphériques,
les chocs et brûlures provoqués par le contact avec des objets
conducteurs,
ou encore l'élévation de température des tissus sous l'effet de
l'absorption
d'énergie liée à l'exposition aux champs électromagnétiques (Guide, p.
21/22). Il précise que l'exposition du corps humain aux champs
électriques ou
magnétiques basses fréquences n'entraîne généralement qu'une
absorption
d'énergie négligeable et aucune élévation de température mesurable
(ibid., p.
22); l'induction de courants dans les tissus constitue le principal
mécanisme
d'interaction (ibid., p. 23). Le Guide indique qu'il existe de
nombreuses
revues bibliographiques des études épidémiologiques portant sur les
risques
de cancer liés à l'exposition à des champs à la fréquence du réseau
(champ
ELF), notamment dans les zones d'habitation; l'ICNIRP estime que les
résultats de la recherche épidémiologique sur l'exposition aux champs
électromagnétiques et le cancer, et en particulier la leucémie de
l'enfant,
ne sont pas assez assurés, en l'absence du soutien de la recherche
expérimentale, pour servir de base scientifique à l'établissement de
guides
pour la limitation de l'exposition (ibid., p. 23, 25).
Le Guide de l'ICNIRP fait la distinction entre la limitation de
l'exposition
professionnelle et la limitation (plus sévère) de l'exposition de la
population générale. Il prévoit des restrictions de base et des
niveaux de
référence. Les restrictions d'exposition de base sont fondées sur les
effets
avérés sur la santé. Quant aux niveaux d'exposition de référence, ils
sont
fournis à des fins de comparaison avec les valeurs mesurées des
grandeurs
physiques; le respect de tous les niveaux de référence assure
normalement la
conformité aux restrictions de base. Toutefois, si les valeurs
mesurées sont
supérieures aux niveaux de référence, il ne s'ensuit pas
nécessairement qu'il
y ait dépassement des restrictions de base; une analyse détaillée
serait
alors nécessaire (Guide, p. 34-35). Le Guide comporte donc un tableau
des
niveaux de référence pour l'exposition de la population générale à
des champs
électriques et magnétiques alternatifs (p. 37).

7.3 Le Conseil fédéral a adopté le 23 décembre 1999 l'ordonnance sur
la
protection contre le rayonnement non ionisant (ORNI; RS 814.710),
laquelle
est entrée en vigueur le 1er février 2000. Cette ordonnance contient
une
annexe 2, fixant des "Valeurs limites d'immissions pour la valeur
efficace de
grandeurs de champs" (ch. 1.1 de l'annexe 2 ORNI; en allemand:
"Immissionsgrenzwerte für Feldgrössen"). Cette liste de valeurs
limites
d'immissions, en fonction de la fréquence, correspond à celle du Guide
précité (niveaux de référence pour l'exposition de la population
générale).
Ces valeurs - à distinguer des valeurs limites de l'installation, qui
ont une
autre signification (art. 2 al. 6 ORNI; cf. notamment ATF 126 II 399
consid.
3b p. 403) - doivent être respectées partout où des gens peuvent
séjourner
(art. 13 al. 1 ORNI). Le rapport explicatif sur l'ORNI, publié en
1999 par
l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage,
indique du
reste que le droit fédéral reprend les valeurs préconisées par
l'ICNIRP, le
Conseil fédéral ayant décidé de ne pas élaborer des normes nationales
propres
dans ce domaine (p. 5-6 du rapport explicatif).
La légalité des valeurs limites d'immissions fixées par cette
ordonnance a
déjà été admise par le Tribunal fédéral (ATF 126 II 399 consid. 4b p.
405;
cf. également arrêt 1A.62/2001 du 24 octobre 2001, consid. 3a non
publié à
l'ATF 128 I 59). Cela signifie que, selon l'état de la science et
l'expérience, ces valeurs représentent le seuil en deçà duquel le
rayonnement
ne peut pas être qualifié de nuisible ou incommodant (cf. supra,
consid.
4.3.2). Il n'y a aucun motif de réexaminer cette question dans le
présent
arrêt, les recourants n'invoquant du reste pas de nouveaux éléments à
ce
sujet. Avant l'adoption de l'ORNI, la jurisprudence se référait déjà
aux
travaux des organisations internationales, reconnues par la communauté
scientifique et l'Organisation Mondiale de la Santé, qui ont élaboré
les
critères retenus pour la fixation des valeurs limites d'immissions
(IRPA/INIRC, puis ICNIRP; cf. ATF 124 II 219 consid. 7b p. 230; 117
Ib 28
consid. 4b p. 32; arrêt 1E.14/1998 du 9 novembre 1999, consid. 5b, et
les
références).

7.4 Pour la ligne électrique de l'expropriante (courant alternatif,
fréquence
de 50 Hz), les valeurs limites d'immissions fixées par l'annexe 2 de
l'ORNI
sont les suivantes:
- intensité du champ électrique: 5000 V/m
- intensité du champ magnétique: 80 A/m
- densité du flux magnétique: 100 mT.
Il ressort du dossier que ces valeurs sont largement respectées dans
le
bâtiment des expropriés et à proximité directe de celui-ci: moins de
1000 V/m
pour l'intensité du champ électrique, et de l'ordre de 4 mT pour la
densité
du flux magnétique (comme cela a déjà été exposé [supra, consid.
7.1], il est
inutile de déterminer au surplus l'intensité du champ magnétique en
A/m).
Il se justifie de déduire du respect des valeurs limites
d'immissions, en
matière de champs électromagnétiques, les mêmes conséquences qu'en
matière de
bruit, selon qu'il y a perte d'un avantage particulier ou simple
expropriation des droits de voisinage (cf. supra, consid. 6).

8.
La Commission fédérale n'a pas, dans le cas particulier, appliqué la
méthode
de la différence, qui s'impose quelle que soit l'hypothèse retenue
pour
l'indemnisation (cf. supra, consid. 3.1.1). Elle n'a pas déterminé la
valeur
vénale de l'immeuble avant la constitution des servitudes; le dossier
ne fait
pas état d'investigations à ce sujet (notamment quant aux prix payés
dans la
région pour des terrains analogues - cf. art. 72 LEx et 48 de
l'ordonnance
concernant les commissions fédérales d'estimation [RS 711.1]). Elle
n'a pas
examiné si l'expropriation entraînait une dévaluation de la partie
restante
de l'immeuble, au sens de l'art. 22 al. 2 LEx - ce qui semble a
priori être
le cas, vu l'importance de l'emprise sur la parcelle litigieuse et la
faible
distance séparant les logements des conducteurs de la ligne. Elle n'a
pas
davantage évalué concrètement l'influence, sur la valeur de
l'immeuble, du
bruit, des champs électromagnétiques et des autres désagréments
éventuels
liés à la proximité d'une telle installation. En arrêtant le montant
de
l'indemnité (complémentaire) ex aequo et bono, la Commission fédérale
a
renoncé à appliquer les normes du droit fédéral régissant
l'estimation et la
fixation de l'indemnité d'expropriation, soit principalement l'art.
19 let. b
LEx. Elle a ainsi violé le droit fédéral, tout en constatant de
manière
incomplète les faits pertinents. Cela justifie l'admission du recours
de
droit administratif et l'annulation de la décision attaquée (cf. art.
104
let. a et b OJ). Il convient donc de renvoyer l'affaire à la
Commission
fédérale pour instruction complémentaire et nouvelle décision (art.
114 al. 2
OJ).

9.
Conformément à l'art. 116 al. 1 LEx, les frais causés par la
procédure devant
le Tribunal fédéral, y compris les dépens alloués à l'exproprié, sont
supportés par l'expropriant. La société intimée devra donc payer
l'émolument
judiciaire et elle versera une indemnité aux recourants, assistés par
un
avocat (cf. art. 153, 153a et 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit administratif est admis, la décision prise le 27
février
2002 par la Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement est
annulée
et l'affaire est renvoyée à cette autorité pour nouvelle décision.

2.
Un émolument judiciaire de 1'500 fr. est mis à la charge de la société
anonyme L'Energie de l'Ouest-Suisse.

3.
Une indemnité de 1'500 fr., à payer à titre de dépens à A.________ et
B.________, pris solidairement, est mise à la charge de la société
anonyme
L'Energie de l'Ouest-Suisse.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement.

Lausanne, le 22 juillet 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1E.14/2002
Date de la décision : 22/07/2003
1re cour de droit public

Analyses

Expropriation, servitudes constituées pour le passage d'une ligne électrique à haute tension, fixation de l'indemnité (art. 19 et 22 LEx). Refus d'étendre l'expropriation (consid. 2). Principes relatifs à la fixation de l'indemnité en cas d'imposition forcée de servitudes sur un bien-fonds, ce qui correspond à une expropriation partielle; prise en compte du dommage résultant de la perte ou de la diminution d'avantages pour la partie restante du fonds (consid. 3.1), en particulier lorsque l'exploitation de l'ouvrage de l'expropriant provoque des immissions (consid. 4). Garantie, pour les voisins d'une ligne électrique, du droit au respect de la vie privée et familiale selon l'art. 8 CEDH (consid. 5). Indemnisation à cause du bruit provoqué par la ligne électrique (consid. 6). Indemnisation à cause des champs électromagnétiques (consid. 7).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-07-22;1e.14.2002 ?
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