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18/07/2003 | SUISSE | N°4C.64/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 18 juillet 2003, 4C.64/2003


{T 0/2}
4C.64/2003 /ech

Arrêt du 18 juillet 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Walter et Favre.
Greffière: Mme de Montmollin.

A. ________,
X.________,
demanderesses et recourantes,
toutes les deux représentées par Me Inès Feldmann, avocate, Budin &
Associés,
case postale 166, rue Sénebier 20, 1211 Genève 12,

contre

B.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Patrice Le Houelleur,
avocat, rue
de l'Athénée 6, case postale 393, 1211 Genève

12.

droit des actionnaires; désignation d'un contrôleur spécial.

recours en réforme contre l'arrêt de la 1ère Secti...

{T 0/2}
4C.64/2003 /ech

Arrêt du 18 juillet 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Walter et Favre.
Greffière: Mme de Montmollin.

A. ________,
X.________,
demanderesses et recourantes,
toutes les deux représentées par Me Inès Feldmann, avocate, Budin &
Associés,
case postale 166, rue Sénebier 20, 1211 Genève 12,

contre

B.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Patrice Le Houelleur,
avocat, rue
de l'Athénée 6, case postale 393, 1211 Genève 12.

droit des actionnaires; désignation d'un contrôleur spécial.

recours en réforme contre l'arrêt de la 1ère Section de la Cour de
justice du
canton de Genève du 9 janvier 2003.

Faits:

A.
A. ________ est une société de droit liechtensteinois, au capital
social de
30'000 fr. Son but est la gestion et la détention de participations ou
d'autres droits.

X. ________ est l'administratrice de A.________.

B. ________ SA (ci-après: B.________) est une société anonyme de droit
suisse, avec siège à Genève. Son capital social est de 4'000'000 fr.,
divisé
en 4000 actions au porteur. A.________ est actionnaire de B.________
à raison
de 822 actions, X.________ à raison de 1 action. Le conseil
d'administration
est composé de Y.________, Z.________ et W.________. L'organe de
révision est
la Société fiduciaire D.________, à Genève.

B. ________ a le projet de fusionner avec la société C.________ SA,
dont le
siège est à E.________. Le capital social de cette entreprise est de
8'500'000 fr. divisé en 34 000 actions nominatives de 250 fr.
A.________
possède 5578 actions, X.________ une. Ces deux actionnaires
s'opposent au
projet de fusion. Diverses procédures sont pendantes devant les
tribunaux
valaisans à ce sujet.

L'assemblée générale des actionnaires de B.________ a eu lieu le 7
juin 2002.
L'ordre du jour était le suivant:
- rapport de gestion de l'administration pour l'exercice 2001, qui
proposait
d'approuver les comptes et de reconduire les mandats des différents
organes
concernés.
- comptes de l'exercice 2001 et propositions du conseil
d'administration.

Le représentant de A.________ et de X.________, V.________, s'était
fait
délivrer le rapport de gestion et le rapport de révision de la société
relatifs à l'exercice social 2001.

Il ressort du compte d'exploitation de B.________ arrêté au 31
décembre 2001
que le poste frais généraux de vente se monte à 2'468'253 fr. 35
alors qu'il
était de'1 532'692 fr. 12 en 2000. Les frais généraux administratifs
s'élèvent à 4'088'617 fr. 31 contre 3'684'641 fr. 20 en 2000. Les
charges
extraordinaires figurent à hauteur de 2'099'978 fr. 26. Elles étaient
de
190'000 fr. en 2000.

V. ________ a demandé au conseil d'administration des explications
concernant
le taux d'intérêts appliqué par les banques à la société. Selon le
procès-verbal de l'assemblée, il lui a été répondu que le taux servi
sur les
emprunts bancaires était de 7,5% et que le taux appliqué à l'emprunt
actionnaire était de 5%.

V. ________ a également demandé des renseignements sur l'évolution
des frais
de marketing et des frais administratifs, puis sur le contenu des
produits et
charges extraordinaires. Le procès-verbal mentionne que les personnes
concernées ont apporté les réponses qui convenaient, priant le
demandeur de
se référer aux annexes des comptes 2001 qui détaillaient les rubriques
concernées.

Non satisfait des réponses obtenues, V.________ a demandé
officiellement, au
nom de A.________, un contrôle spécial au sens de l'art. 697a CO.
Mise au
vote, cette proposition a été refusée par 3 177 voix contre 823.

Le rapport de gestion et les comptes 2001 ont été approuvés à la
majorité des
voix. Les administrateurs ont obtenu la décharge pour 2001; leur
mandat ainsi
que celui de l'organe de révision ont été reconduits.

B.
Par requête du 6 septembre 2002, A.________ et X.________ ont
sollicité
devant le Tribunal de première instance du canton de Genève la
désignation
d'un contrôleur spécial à l'encontre de B.________ en se fondant sur
l'art.
697b CO.

En ce qui concerne la mission du contrôleur, les requérantes
prenaient les
conclusions suivantes:
"Dire que l'expert désigné en qualité de contrôleur présentera au
juge un
rapport détaillé vérifiant les faits suivants:
a. La réalité et la justification comptable du poste "créanciers
intergroupe"
de CHF 68'412.82 figurant au passif du bilan 2001 de B.________ SA.
b. La réalité et la justification du poste "autres créanciers" de CHF
653'442.55 figurant au passif du bilan 2001 de B.________ SA.
c. La réalité et la justification comptable du taux de rémunération
de 5% de
l'emprunt actionnaire.
d. La réalité et la justification comptable du poste "frais généraux
administratifs" 2001 de B.________ SA de CHF 4'088'617. 31.
e. La réalité et la justification comptable du poste "frais généraux
de
vente" 2001 de B.________ SA de CHF 2'468'253.35.
f. La réalité et la justification comptable du poste "charges
extraordinaires" 2001 de B.________ SA de CHF 2'099'978.
g. La réalité et la justification comptable de la répartition du
résultat de
l'exercice 2001 de B.________ SA, ainsi que son opportunité,
notamment au
regard du droit des actionnaires au dividende.
h. La réalité et la justification comptable de la décharge aux
administrateurs de B.________ SA pour l'exercice 2001.
i. La réalité et la justification comptable de procéder au
renouvellement du
mandat de l'organe de révision de B.________ SA, soit la société
D.________
Fiduciaire SA, sachant qu'il s'agit désormais et depuis peu de
l'organe de
révision de C.________ SA, à E.________, au regard des règles sur
l'indépendance de l'organe de révision; d'une manière générale si les
postes
"créanciers intergroupe" et "autres créanciers" ont fait l'objet de
pièces
justificatives attestant que tous les administrateurs/voire
actionnaires de
la société ont donné leur accord au prêt effectué.
j. D'une manière générale si les comptes de B.________ SA sont
fiables,
conformes à la réalité et aux usages commerciaux."
Le tribunal a débouté les requérantes par jugement du 25 octobre 2002.

La Cour de justice du canton de Genève a confirmé cette décision par
arrêt du
9 janvier 2003.

C.
A.________ et X.________ recourent en réforme au Tribunal fédéral
contre
l'arrêt du 9 janvier 2003. Elles concluent en substance à
l'annulation de la
décision attaquée et à l'admission de la requête de désignation d'un
contrôleur spécial, la cause étant renvoyée à la cour cantonale pour
complément d'instruction et désignation d'un expert indépendant
chargé de
procéder aux vérifications des réquisitions visées sous lettres c à f
de
leurs conclusions de première instance.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté dans le cadre d'une contestation civile (ATF 120 II 393
consid. 2)
dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr., le recours,
déposé
pour le reste dans les formes et délai légaux, est recevable.

2.
Selon l'arrêt attaqué, la réalisation des conditions formelles pour
la mise
en oeuvre d'un contrôle spécial en cas de refus de l'assemblée
générale de
donner suite à la proposition d'un actionnaire (art. 697b al. 1 CO)
n'est pas
litigieuse. En ce qui concerne les conditions de fond, la cour
cantonale
rappelle que la demande de renseignements doit porter sur des faits
suffisamment déterminés et concrets (art. 697a al. 1 CO), qu'elle
s'exerce
normalement à l'assemblée générale elle-même, qu'elle n'est soumise à
aucune
forme particulière et qu'elle doit figurer au procès-verbal, avec les
réponses données (art. 702 al. 3 CO). Observant qu'en l'occurrence le
compte
rendu de l'assemblée n'est certes pas exhaustif, la cour retient que
les
requérantes n'allèguent pas qu'il ne retranscrirait pas l'ensemble des
questions posées ni ne préciserait pour quels motifs les réponses
reçues
seraient insatisfaisantes, ni dans quelle mesure ces réponses
auraient été
tronquées ou éludées.

Subsidiairement, la cour souligne que le droit aux renseignements
doit être
exercé conformément aux règles de la bonne foi (art. 2 CC). Selon
elle, pour
respecter ce principe, un actionnaire qui entend poser de multiples
questions
lors d'une assemblée générale a l'obligation de les rédiger par écrit
et de
les adresser par avance au conseil d'administration ou au contrôleur,
en leur
laissant assez de temps pour préparer les réponses. La cour est
d'avis qu'une
telle démarche aurait en l'espèce pu être exigée des requérantes dans
la
mesure où les renseignements demandés s'inscrivaient dans un contexte
complexe et précis. La cour cantonale déplore en outre que le dossier
ne
contienne ni document ni allégué démontrant que les requérantes
auraient
contesté ou émis des réserves sur le contenu du procès-verbal à
réception de
celui-ci.

Dans un deuxième temps, la cour cantonale examine si les requérantes
ont
rendu vraisemblables une ou des violations de la loi ou des statuts
qui
auraient entraîné un dommage, selon les conditions exprimées à l'art.
697b
al. 2 CO. S'agissant de la question posée à propos du taux d'intérêts
appliqué par les banques à la société (conclusion c), elle juge que le
représentant des requérantes a obtenu une réponse claire; il ne
ressort pas
de la procédure que d'autres indications ou développements auraient
été
requis ou se seraient avérés nécessaires pour une meilleure
compréhension de
la problématique soulevée. En ce qui concerne les renseignements
sollicités
sur l'évolution des postes frais généraux administratifs, frais
généraux de
vente et charges extraordinaires (conclusions d à f), la cour
reproche aux
requérantes de se contenter de les mettre en comparaison avec les
montants
comptabilisés dans le cadre de l'exercice 2000, sans préciser en quoi
les
augmentations incriminées apparaîtraient mal fondées ou critiquables,
sans
fournir le moindre élément donnant à penser que les chiffres figurant
dans le
compte d'exploitation seraient inexacts ou ne correspondraient à
aucune
réalité. L'instance cantonale observe encore que les requérantes ne
soutiennent pas non plus que les annexes détaillant ces postes ne
contiendraient pas les informations nécessaires à la compréhension de
ces
chiffres ni dans quelle mesure ces comptabilisations constitueraient
une
violation de la loi ou des statuts. Elle estime donc que les
intéressées
n'ont pas établi la vraisemblance d'une violation de la loi ou des
statuts.

Enfin, d'après l'autorité cantonale, l'addition des montants des
trois postes
litigieux ne suffit pas à démontrer la vraisemblance d'un préjudice
causé au
détriment de la société ou de ses actionnaires.

3.
Les requérantes invoquent des violations des art. 8 CC, 697a, 697b,
et 697c
CO. Elles formulent quatre griefs:

- L'autorité cantonale de dernière instance n'a pas respecté l'art.
697b CO
en exigeant une preuve plus stricte que la vraisemblance sur trois
points :
existence d'une violation de la loi ou des statuts, existence d'un
dommage,
existence d'une demande de renseignements non satisfaite.

- Dans son application des art. 697a ss CO, la cour cantonale a violé
le
droit à la preuve des requérantes découlant de l'art. 8 CC en posant
des
exigences excessives pour la preuve d'un fait négatif.

- La cour cantonale a violé les art. 697b et 697c CO en ajoutant aux
conditions fixées exhaustivement par la loi une condition matérielle
n'y
figurant pas, à savoir la présentation écrite préalable des questions
par le
requérant.

- La Cour de justice a violé les art. 697b et 697c CO en attachant à
l'existence des réponses données une présomption légale inexistante
selon
laquelle une réponse est satisfaisante jusqu'à preuve du contraire,
alors
qu'il est constaté dans la décision attaquée que le procès-verbal de
l'assemblée générale du 7 juin 2002 n'est "certes pas exhaustif".

4.
Selon l'art. 8 CC, chaque partie doit, si la loi ne prescrit le
contraire,
prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit. Pour
toutes les
prétentions relevant du droit privé fédéral, l'art. 8 CC répartit le
fardeau
de la preuve - auquel correspond en principe le fardeau de
l'allégation
(Hohl, Procédure civile, tome I, n° 786 ss) - et, partant, les
conséquences
de l'absence de preuve ou d'allégation (ATF 127 III 519 consid. 2a et
les
références). On fonde également sur cette disposition le droit à la
preuve,
c'est-à-dire la faculté pour une partie d'être admise à apporter la
preuve de
ses allégués dans les procès civils (ATF 114 II 289 consid. 2a).

Le droit fédéral matériel détermine quels sont les faits qui doivent
être
allégués et prouvés. Autrement dit, ressortissent au droit civil
fédéral et
peuvent être invoqués dans le recours en réforme tant la pertinence de
l'allégué que le contenu minimal suffisant de l'allégation (charge de
la
motivation en fait ou substanziierungspflicht). Les exigences
formelles
auxquelles l'allégation des faits doit répondre sont en revanche des
questions de droit cantonal dont l'examen ne peut être soumis au
Tribunal
fédéral que par la voie du recours de droit public (cf. ATF 122 III
219
consid. 3c; 112 II 172 consid. I/2c; 109 II 231 consid. 3c/bb; 108 II
337
consid. 2c et d).

La question de savoir quel degré de certitude ou de vraisemblance est
exigible dans un cas donné
constitue une question de droit fédéral. En
revanche, la question de savoir si, dans le cas particulier, ce degré
de
certitude est ou non réalisé relève, selon l'opinion majoritaire en
doctrine
à laquelle s'est rallié le Tribunal fédéral, de l'appréciation des
preuves
par l'autorité cantonale, appréciation qui ne peut être critiquée que
par la
voie du recours de droit public (arrêt 5C.99/2002 du 12 juin 2002
consid. 2.5
et les références; cf. aussi ATF 120 II 393 consid. 4b).

Viole l'art. 8 CC le juge qui refuse toute administration de preuve
offerte,
quant à sa forme et son fond, selon les exigences du droit cantonal,
sur un
fait juridiquement pertinent alors qu'il considère l'allégation des
faits ni
comme établie à satisfaction de droit ni comme réfutée; il en va de
même
lorsque le juge rejette à tort une demande parce qu'elle serait
insuffisamment motivée: ce faisant, il écarte aussi les offres de
preuve du
plaideur (ATF 114 II 289 consid. 2a). L'art. 8 CC ne prescrit
cependant pas
quelles sont les mesures probatoires qui doivent être ordonnées ni ne
dicte
comment le juge doit forger sa conviction. Il n'exclut ni
l'appréciation
anticipée des preuves ni la preuve par indices (ATF 114 II 289
consid. 2a).
Lorsque l'appréciation des preuves convainc le juge qu'un fait est
établi à
satisfaction de droit ou réfuté, la question de la répartition du
fardeau de
la preuve ne se pose plus et le grief tiré de la violation de l'art.
8 CC
devient sans objet. Il s'agit alors d'une question de pure
appréciation des
preuves qui relève du recours de droit public (ATF 127 III 519
consid. 2a).
Exceptionnellement, la partie qui ne supporte pas le fardeau de la
preuve a
le devoir de collaborer à l'administration des preuves. C'est le cas
lorsque
le demandeur se trouve dans un état de nécessité et que la partie
défenderesse se trouve à cet égard dans une meilleure situation (ATF
115 II
1). Pour les faits négatifs, la règle de l'art. 8 CC est tempérée par
les
règles de la bonne foi qui obligent le défendeur à coopérer à la
procédure
probatoire notamment en offrant la preuve du contraire. Cette
obligation
faite à la partie adverse de collaborer à l'administration de la
preuve est
de nature procédurale, même si elle découle du principe de la bonne
foi; elle
ne touche pas au fardeau de la preuve et n'implique nullement un
renversement
de celui-ci. C'est dans le cadre de l'appréciation des preuves que le
juge se
prononcera sur le résultat de la collaboration de la partie adverse
ou qu'il
tirera les conséquences d'un refus de collaborer à l'administration
de la
preuve (arrêt 4C.48/1988 in JT 1991 II 190 consid. 2a et les
références de
doctrine). S'agissant ainsi d'une question qui a trait à
l'administration et
à l'appréciation des preuves, elle ne peut faire l'objet d'un recours
en
réforme pour violation de l'art. 8 CC (ATF 127 III 519 consid. 2d et
les
références). Le grief tiré d'une violation de l'art. 2 CC n'est, au
demeurant, pas d'avantage recevable en instance de réforme,
puisqu'aussi bien
le devoir d'agir selon les règles de la bonne foi ne ressortit pas au
droit
fédéral lorsqu'il s'applique, comme en l'espèce, à un domaine ne
relevant pas
de ce droit (ATF 111 II 62 consid. 3).

5.
5.1L'art. 697a al. 1 CO prévoit que tout actionnaire peut proposer à
l'assemblée générale l'institution d'un contrôle spécial afin
d'élucider des
faits déterminés, si cela est nécessaire à l'exercice de ses droits
et s'il a
déjà usé de son droit à être renseigné ou à consulter les pièces.

En l'occurrence, le tribunal de première instance, sans que sa
décision ne
soit remise en question à ce sujet devant la cour cantonale, a retenu
que les
conclusions visées sous lettres a, b et g à j de la requête étaient
irrecevables car elles n'avaient pas fait l'objet d'une demande
préalable de
renseignements lors de l'assemblée générale du 7 juin 2002. Avec
raison, les
requérantes ne reviennent pas sur le point devant le Tribunal
fédéral. La
procédure est maintenant limitée à l'examen des chefs de conclusions
mentionnés sous lettres c à f de la requête.

5.2 D'après l'art. 697b al. 1 CO, si l'assemblée générale ne donne
pas suite
à la proposition, des actionnaires représentant 10% au moins du
capital-actions ou des actions d'une valeur nominale de 2 millions de
francs
peuvent, dans les trois mois, demander au juge la désignation d'un
contrôleur
spécial. La réalisation de ces conditions n'est pas contestée en
l'espèce.

5.3 Selon l'art. 697b al. 2 CO, les requérants ont droit à la
désignation
d'un contrôleur spécial lorsqu'ils rendent vraisemblable que des
fondateurs
ou des organes ont violé la loi ou les statuts et qu'ils ont ainsi
causé un
préjudice à la société ou aux actionnaires. Comme le Tribunal fédéral
l'a
déjà souligné, ces conditions, dont l'établissement incombe aux
actionnaires
requérants, constituent un point crucial de l'institution du contrôle
spécial. Le droit pourrait rester lettre morte si elles étaient
interprétées
de façon trop stricte. Des conditions comprises de manière trop
libérale
seraient contraires à l'intention du législateur pour qui le contrôle
spécial
ne doit pas être imposé trop facilement (ATF 120 II 393 consid. 4c).

La vraisemblance concerne le droit comme le fait. S'agissant des
points de
fait, il faut rendre vraisemblables des actions ou des omissions
déterminées
des fondateurs ou des organes et les dommages qui en découlent. Il
n'est pas
nécessaire de convaincre pleinement le tribunal de l'existence de ces
faits.
Une certaine probabilité suffit, même si le tribunal admet que ces
faits
pourraient ne pas être réalisés. Le tribunal ne doit se contenter ni
de
simples allégations, ni exiger une preuve stricte. Pesant les
intérêts en
présence, il examinera quant à leur vraisemblance les suspicions des
requérants. En général, ceux-ci cherchent indirectement à établir une
responsabilité des organes ou des fondateurs. Le tribunal se gardera
de
porter à ce sujet un jugement anticipé. Il chargera le contrôleur
spécial de
rechercher les éléments de fait pouvant fonder une responsabilité. Le
contrôle spécial doit en outre fournir aux requérants de meilleurs
renseignements. Le tribunal n'attendra pas des requérants des preuves
qu'il
appartient au contrôleur de réunir. Il en va de même pour ce qui est
des
questions juridiques et notamment des manquements allégués des
organes et des
fondateurs. Le tribunal n'a pas à statuer définitivement sur des actes
contraires à la loi ou aux statuts ni à trancher la question de la
responsabilité; il se contentera d'un examen sommaire. La demande en
désignation d'un contrôleur spécial sera en tout cas admise si, sur
les
conditions d'application de l'art. 697b al. 2 CO, les moyens
juridiques des
demandeurs ont des chances de succès ou sont à tout le moins
défendables (ATF
120 II 393 consid. 4c).

5.4 En l'espèce, la cour cantonale a correctement rappelé les critères
concernant le degré de certitude des preuves à amener par les
requérantes à
propos de la réalisation de l'existence des éléments constitutifs
d'une
violation de la loi ou des statuts, et de l'existence d'un dommage.
Quant à
l'application qu'elle a faite de ces règles dans le cas particulier, y
compris en ce qui concerne l'éventuelle obligation de l'intimée à
collaborer
à la preuve selon l'art. 2 CC en fournissant un procès-verbal plus
précis et
détaillé de l'assemblée générale du 7 juin 2002 comme le voudraient
les
requérantes, elle ne peut être soumise au Tribunal fédéral par la
voie d'un
recours en réforme, on l'a vu plus haut. C'est le lieu d'ailleurs
d'observer
que le reproche adressé subsidiairement aux requérantes par la cour
cantonale
de ne pas avoir dressé une liste écrite de leurs questions trouve un
appui
non négligeable dans la doctrine qui estime indiqué pour
l'actionnaire de
dresser une liste écrite de ses questions, dont il pourra donner
lecture à
l'assemblée générale ou qu'il aura soumise au préalable au conseil
d'administration (Casutt, Was brachte die Sonderprüfung als neues
Instrument
des Aktionärsschutzes?, in L'expert-Comptable Suisse 5/02, p. 506 ss;
Horber,
Das Auskunftsbegehren und die Sonderprüfung - siamesische Zwillinge
des
Aktienrechts, in RSJ 91 (1995), p. 170 ).

Il n'apparaît pas non plus que la cour cantonale ait posé des
exigences
excessives, faisant obstacle à l'application du droit matériel
fédéral, en ce
qui concerne le devoir d'allégation des faits pertinents pour
démontrer la
vraisemblance des conditions visées à l'art. 697b al. 2 CO. Selon
l'arrêt
attaqué, les requérantes ont motivé leur démarche auprès du Tribunal
de
première instance en alléguant que l'intimée faisait systématiquement
fi des
intérêts des actionnaires minoritaires, en particulier en ne
procédant qu'à
une répartition limitée des bénéfices réalisés, pourtant
substantiels, que
l'augmentation des charges évoquée était d'autant plus inexplicable
que les
sociétés B.________ et C.________ SA avaient certainement développé
des
synergies en vue de la fusion projetée, que les questions posées lors
de
l'assemblée générale du 7 juin 2002 étaient restées sans réponse - ce
qui
faisait douter de la probité de la gestion effectuée par le conseil
d'administration -, que le procès-verbal était lacunaire compte tenu
des
questions complexes et précises inhérentes à la gestion de la
société, de
sorte qu'il ne permettait pas de prouver ou de rendre vraisemblable
une
violation de la loi ou des statuts. La cour cantonale a jugé ces
allégations
insuffisantes, car leurs auteurs se contentaient de mettre en
comparaison les
montants comptabilisés dans le cadre des exercices 2000 et 2001 pour
les
frais de vente, les frais généraux et administratifs ainsi que pour
les
charges extraordinaires, sans préciser en quoi les augmentations
qu'ils
dénonçaient leur apparaissaient mal fondées ou critiquables, sans
fournir le
moindre élément donnant à penser que les chiffres apparaissant dans
le compte
d'exploitation seraient inexacts ou ne correspondraient à aucune
réalité. Ce
manque total d'explications de la part des requérantes quant aux
raisons de
leur insatisfaction à propos des réponses qui leur ont été données
lors de
l'assemblée générale est effectivement injustifiable. On ne comprend
pas non
plus en quoi les requérantes ne se satisfont pas de la réponse
précise donnée
à leur question à propos du taux d'intérêts de l'emprunt actionnaire.
S'il
est vrai qu'une gestion objectivement mauvaise constitue en principe
une
violation de la loi (art. 717 CO), et qu'il est difficile de rendre
vraisemblables des irrégularités avant d'avoir reçu les informations
adéquates, la précision faite dans la loi que l'institution d'un
contrôle
spécial doit servir à "élucider des faits déterminés" (art. 697a al.
1CO),
exclut que la requête porte sur la qualité générale de la gestion
(Hirsch, Le
contrôle spécial, in Le nouveau droit des sociétés anonymes, Cedidac,
p. 416;
Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel, Schweizerisches Aktienrecht, § 35, n°
10-15, n°
25 ss, p. 402 ss;) et implique à tout le moins un certain degré de
précision
dans les allégués de fait (Böckli, Schweizer Aktienrecht, 2e éd., n°
1868;
Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel, op. cit., § 35 n° 63 ss, note de pied
de page
19, p. 409; Casutt, op. cit., p. 510; Rolf H. Weber, Sonderprüfung -
Hürdenlauf ohne Ende für den Aktionär?, in Aktienrecht 1992-1997,
Versuch
einer Bilanz, Berne 1998, p. 410 s.). De la nécessité, générale et
d'ailleurs
expressément rappelée à l'art. 697a al. 1 CO, d'un intérêt actuel à
agir et
de l'exigence également générale de la bonne foi découle aussi pour
les
actionnaires déposant une demande de contrôle spécial l'exigence
qu'ils
indiquent quelles raisons ils ont de douter du caractère complet et
véridique
des informations fournies par le conseil, quand bien même c'est à eux
qu'il
appartient de décider s'ils sont ou non satisfaits des informations
communiquées (ATF 123 III 261 consid. 3a; Weber, op. cit., p. 407-408;
Casutt, op cit., p. 510; cf. aussi arrêt de l'Obergericht du Tribunal
cantonal de Zurich du 16 juillet 1996 dans la cause BK Vision AG
contre
Société de Banque Suisse, in RSDA 1/97 p. 34 ss, avec la note de
Druey). A
cela, les recourantes objectent en vain qu'elles risqueraient une
plainte
pénale pour diffamation voire calomnie si on les forçait à alléguer
des faits
qu'elles ne sont pas en mesure de prouver pour les contraindre à
respecter
les règles de précision qu'exige d'elles la Cour civile.

6.
La cour cantonale n'a ainsi pas violé le droit fédéral en retenant
que les
requérantes n'avaient pas rendu vraisemblable la violation de la loi
ou des
statuts par l'intimée. S'agissant de conditions cumulatives, il n'est
pas
nécessaire d'examiner dans quelles mesure les autres conditions
ouvrant la
voie à l'institution d'un contrôle spécial sont réalisées en l'espèce.

7.
Le recours doit être rejeté. Les requérantes supporteront les frais de
justice et verseront une indemnité de dépens à l'intimée.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 10'000 fr. est mis à la charge des
recourantes,
solidairement entre elles.

3.
Les recourantes, solidairement entre elles, verseront à l'intimée une
indemnité de 12'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué
en copie aux mandataires des parties
et à la
1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 18 juillet 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.64/2003
Date de la décision : 18/07/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-07-18;4c.64.2003 ?
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