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18/07/2003 | SUISSE | N°1A.77/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 18 juillet 2003, 1A.77/2003


{T 0/2}
1A.77/2003 /col

Arrêt du 18 juillet 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

Office fédéral du développement territorial,
3003 Berne,
recourant,

contre

M.________,
intimé, représenté par Me Jean-Marc Siegrist, avocat, quai des
Bergues 23,
1201 Genève,
Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement du
canton de
Genève, rue David-Dufour

5, case postale 22, 1211 Genève 8,
Tribunal administratif du canton de Genève, rue des Chaudronniers 3,
1204
Genève.

plan...

{T 0/2}
1A.77/2003 /col

Arrêt du 18 juillet 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

Office fédéral du développement territorial,
3003 Berne,
recourant,

contre

M.________,
intimé, représenté par Me Jean-Marc Siegrist, avocat, quai des
Bergues 23,
1201 Genève,
Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement du
canton de
Genève, rue David-Dufour 5, case postale 22, 1211 Genève 8,
Tribunal administratif du canton de Genève, rue des Chaudronniers 3,
1204
Genève.

plantations d'agrément en zone agricole,

recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal
administratif du
canton de Genève du 17 décembre 2002.

Faits:

A.
M.________ est propriétaire, depuis le mois de septembre 2000, des
parcelles
n° 2214 et 2215 du cadastre communal de Presinge. D'une surface totale
d'environ 4,2 ha, ces parcelles sont situées au sud de la route de la
Louvière, en zone agricole. La parcelle n° 2214, d'une surface de
près de 4
ha, comprend un hangar agricole. Enclavée au nord de celle-ci, la
parcelle n°
2215, de 2000 m2, supporte une maison d'habitation.
Le 20 juillet 2001, le Département genevois de l'aménagement, de
l'équipement
et du logement (DAEL) constata qu'une piscine hors sol avait été
installée
près de la maison, ainsi qu'un réseau de chemins. Après une entrevue
sur
place, le DAEL releva, le 31 août 2001, que la piscine avait été
enlevée,
mais que diverses plantations avaient été effectuées, soit des
oliviers
disposés en colonne à intervalles de 10 m, ainsi que des massifs
d'essences
diverses (chênes, érables, roseaux, laurels, camélias et
liquidambars).
L'ensemble de ces plantations, d'une valeur de plusieurs centaines de
milliers de francs, ainsi que les chemins, constituaient un changement
d'affectation et étaient soumis à autorisation. Une demande devait
être
formée dans ce sens dans les trente jours.

B.
M.________ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal
administratif
genevois, en contestant que les aménagements réalisés soient soumis à
une
autorisation au sens tant de la loi cantonale sur les constructions et
installations diverses (LCI) que de la LAT. Il prétendait qu'un
responsable
du service de l'agriculture lui avait assuré qu'une autorisation
n'était pas
nécessaire pour les plantations.
Par arrêt du 17 décembre 2002, le Tribunal administratif a
partiellement
admis le recours. Les chemins aménagés correspondaient à un
aménagement
durable créé par l'homme; de la même manière que des places de
stationnement,
ils constituaient des constructions au sens de la LCI ou des art. 22
et 24a
LAT. En revanche, les plantations litigieuses, même d'une certaine
envergure,
ne pouvaient être assimilées à des constructions ou des
installations, et
n'étaient pas soumises à autorisation.

C.
Par acte du 9 avril 2003, l'Office fédéral du développement
territorial (ODT)
forme un recours de droit public par lequel il conclut à l'annulation
de ce
dernier arrêt en tant qu'il refuse de soumettre à autorisation la
totalité du
parc d'agrément.
Le Tribunal administratif persiste dans les termes de son arrêt.
L'intimé
M.________ conclut au rejet du recours. Le DAEL conclut à l'admission
du
recours, à l'annulation de l'arrêt attaqué et à ce que le dépôt d'une
autorisation de construire soit exigé de l'intimé.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le recours de droit administratif est formé en temps utile contre
un
arrêt de dernière instance cantonale. L'ODT a qualité pour recourir
par cette
voie (art. 48 al. 4 OAT et 103 let. b OJ), en faisant valoir que le
projet
contesté aurait dû faire l'objet d'une autorisation de construire
fondée sur
les art. 22 et 24a LAT (art. 34 al. 1 LAT).

1.2 L'arrêt attaqué émanant d'une autorité judiciaire, le Tribunal
fédéral
est lié par les faits constatés, sauf s'ils sont manifestement
inexacts ou
incomplets ou s'ils ont été établis au mépris des règles essentielles
de la
procédure (art. 105 al. 2 OJ). Il n'est en revanche pas tenu par les
motifs
invoqués et peut appliquer d'office les dispositions du droit public
de la
Confédération dont le recourant ne se serait pas prévalu, ou que
l'autorité
cantonale aurait omis d'appliquer, pourvu qu'elles se rapportent à
l'objet du
litige (art. 114 al. 1 OJ; ATF 128 II 34 consid. 1c p. 37 et les
arrêts
cités).

2.
La question des cheminements n'est plus litigieuse à ce stade, la cour
cantonale ayant admis qu'il s'agissait d'aménagements soumis à
autorisation.
Le recours porte uniquement sur la question des plantations
effectuées par
l'intimé.

2.1 Pour la cour cantonale, même si le jardin paysager aménagé par le
recourant est d'une certaine envergure, la plantation d'arbres ne
pourrait
être assimilée à une construction ou une installation; la croissance
des
végétaux ne nécessiterait aucune intervention humaine, et il n'y
aurait guère
de différence, dans le résultat, selon que l'on laisse pousser la
végétation
sans intervenir, que l'on plante des graines ou que, comme en
l'espèce, on
transplante des arbres. Dans tous les cas traités par la
jurisprudence, il y
aurait une transformation du terrain, en l'espèce inexistante. Il n'y
aurait
donc pas de base légale, ni dans la LCI ni dans la LAT, pour permette
l'atteinte au droit de propriété que constituerait l'exigence d'une
autorisation.

2.2 Pour l'office recourant et le DAEL, le critère déterminant serait
l'impact sur l'aménagement et la nécessité d'un contrôle par la
collectivité
ou les voisins. En l'occurrence, il s'agirait d'un jardin, voire d'un
parc
d'agrément sur une très grande surface (3,8 hectares, dont 2,5 en
plantations), définitivement soustraite à une exploitation agricole.
Le
propriétaire aurait investi plusieurs centaines de milliers de francs
dans
les plantations; d'ici quelques années, celles-ci modifieront
considérablement l'espace, et pourront même avoir des incidences sur
l'environnement ou les exploitations agricoles environnantes.
L'aménagement
litigieux pourrait aussi avoir comme conséquence une diminution des
surfaces
d'assolement définies par le canton, et pourrait nuire au remaniement
parcellaire en cours d'achèvement.

2.3 L'intimé relève que l'aménagement litigieux de la parcelle n° 2214
consiste, d'une part, en une plantation d'oliviers "en colonne" - à
intervalle de 10 m -, au nord de la parcelle, et, d'autre part, en
diverses
plantations en cercle, au centre de la parcelle, constituées d'espèces
mélangées plus ou moins rares. Pour plus d'un hectare, la partie
sud-est de
la parcelle est prêtée à un agriculteur. Les plantations n'ont donné
lieu à
aucun mouvement de terre, les chemins ayant été supprimés. Il n'y
aurait
aucun impact sur l'environnement et l'infrastructure. L'intimé admet
avoir
effectué des investissements importants, mais soutient que le même
résultat
aurait été obtenu en laissant la nature "reprendre ses droits". Les
parcelles
n'étaient ni cultivées, ni entretenues depuis plusieurs années. Les
arguments
relatifs aux surfaces d'assolement et au remaniement parcellaire -
qui ne
concerne pas les parcelles du recourant -, seraient sans pertinence.

3.
Selon l'art. 22 al. 1 LAT, aucune construction ou installation ne
peut être
créée ou transformée sans autorisation de l'autorité compétente.

3.1 Si la notion de construction ou d'installation n'est pas définie
dans la
loi, elle a fait l'objet de nombreuses précisions jurisprudentielles.
Sont
ainsi considérés comme des constructions ou installations, tous les
aménagements durables et fixes créés par la main de l'homme, exerçant
une
incidence sur l'affectation du sol par le fait qu'ils modifient
sensiblement
l'espace extérieur, qu'ils ont des effets sur l'équipement ou qu'ils
sont
susceptibles de porter atteinte à l'environnement (cf. les nombreux
exemples
cités par Ruch, Commentaire LAT ad art. 22 n° 24, et par
Zen-Ruffinen/Guy-Ecabert, Aménagement du territoire, construction,
expropriation, Berne 2001 n° 491 ss). Une autorisation est ainsi
nécessaire
non seulement pour les constructions proprement dites, mais aussi
pour les
simples modifications du terrain, si elles sont importantes, telles
que
l'exploitation d'une gravière, l'aménagement d'un terrain de golf ou
le
remblai d'une place de dépôt. La modification du terrain par
nivellement,
excavation ou comblement n'est d'ailleurs pas seule déterminante pour
l'assujettissement à la procédure d'autorisation; celui-ci dépend
surtout de
l'importance globale du projet, du point de vue de l'aménagement du
territoire. La procédure d'autorisation doit permettre à l'autorité de
contrôler, avant la réalisation du projet, sa conformité aux plans
d'affectation et aux diverses réglementations applicables. Pour
déterminer si
l'aménagement prévu est soumis à cette procédure, il faut évaluer si,
en
général, d'après le cours ordinaire des choses, cet aménagement
entraînera
des conséquences telles qu'il existe un intérêt de la collectivité ou
des
voisins à un contrôle préalable (ATF 119 Ib 222 consid. 3a p. 227;
voir aussi
ATF 123 II 256 consid. 3 p. 259, 120 Ib 379 consid. 3c p. 383/384).

3.2 L'assujettissement a ainsi été admis pour divers travaux de
remblayage ou
de creusement (arrêt du 2 mai 2001 publié in Pra 2001 126 753 et la
jurisprudence citée), mais aussi en l'absence de toute modification de
terrain, lorsque le projet a une incidence sur l'affectation du sol.
Il peut
s'agir d'un impact esthétique, par effet de contraste sur
l'environnement;
tel est le cas des clôtures et barrières hors de la zone à bâtir (ATF
118 Ib
49). L'impact sur l'environnement est aussi déterminant, comme dans
le cas de
la création d'une piste d'atterrissage pour parapentes (ATF 119 Ib
222) ou
d'un parcours de golf (arrêt du 21 juillet 1994 dans la cause
Grimisuat).

3.3 En l'espèce, les plantations réalisées par le recourant ne
sauraient être
considérées comme des constructions, au sens ordinaire de bâtiments
(cf.
Ruch, op. cit. n° 27 in fine); il n'est en revanche pas exclu qu'elles
puissent être assimilées à des installations, au même titre que les
modifications apportées au terrain ou au paysage (clôtures,
barrières, etc.).
Contrairement au cas du terrain laissé à l'abandon, où la végétation
s'installe peu à peu, la plantation d'arbres pourrait, selon les cas,
impliquer une modification brutale du paysage, par la main de
l'homme, par
nature durable et rattachée au sol. Cette question ne peut être
résolue de
manière théorique: il y a lieu de s'interroger sur l'impact concret
que peut
avoir ce genre de plantations sur l'affectation du sol, et, en
particulier,
sur l'esthétique du paysage. Cela dépend notamment de l'importance et
du type
de plantations, de leur surface, de leur densité et de leur
agencement, ainsi
que de leur situation dans l'environnement existant. Comme le relève
l'office
recourant, un agrandissement modeste du jardin, par la plantation de
quelques
arbres dans l'environnement proche de la maison d'habitation, pourrait
échapper à l'assujettissement. En revanche, la création d'un
véritable parc
paysager d'une certaine étendue, sur une surface auparavant libre de
toute
plantation, comporte un impact important sur le paysage, ainsi qu'un
changement d'affectation: le caractère d'agrément deviendrait alors
prépondérant et exclurait, en tout cas durablement, toute exploitation
agricole.

3.4 En l'état, comme paraît l'admettre incidemment l'ODT, l'arrêt
cantonal ne
comporte pas suffisamment d'indications pour permettre de trancher
définitivement la question. Les dimensions exactes, la nature et la
disposition des plantations ne ressortent pas de l'arrêt attaqué, et
ne
figurent sur aucun plan. L'intimé admet que les plantations débordent
largement de la parcelle 2215 sur la parcelle 2214, et ne se
limiteraient
donc pas à l'entourage immédiat des bâtiments. Il conteste toutefois
la
qualification de "parc d'agrément", estimant n'avoir réalisé que
quelques
"arrangements boisés". L'office recourant évoque une surface
d'environ 2,5
hectares, ce qui paraît considérable, mais n'est nullement confirmé
dans le
dossier. Les photographies ne permettent pas non plus de se faire une
idée
précise de la situation et de l'impact des plantations. Par ailleurs,
selon
une lettre de l'ODT au DAEL, une évolution en surface de forêt serait
possible, selon le taux de boisement; sous nos climats, la
réutilisation
agricole de surfaces forestières ne serait pas satisfaisante. Du
point de vue
d'un possible changement d'affectation, cette question de fait doit
elle
aussi être résolue. A défaut de constatations suffisantes des
éléments de
fait pertinents, le Tribunal fédéral n'est pas en mesure de se
prononcer
lui-même sur le fond (art. 114 al. 2 OJ).

4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être admis au sens des
considérants. L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée au
Tribunal
administratif pour nouvelle décision, après complément d'instruction
dans le
sens du considérant 3.4 ci-dessus. Compte tenu de l'issue de la
cause, il n'y
a pas lieu de percevoir d'émolument judiciaire, ni d'allouer de
dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est
renvoyée
au
Tribunal administratif du canton de Genève pour nouvelle décision,
après
complément d'instruction dans le sens du consid. 3.4.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire ni alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Département
de
l'aménagement, de l'équipement et du logement et au Tribunal
administratif du
canton de Genève.

Lausanne, le 18 juillet 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.77/2003
Date de la décision : 18/07/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-07-18;1a.77.2003 ?
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