La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/07/2003 | SUISSE | N°1P.264/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 14 juillet 2003, 1P.264/2003


{T 0/2}
1P.264/2003 /col

Arrêt du 14 juillet 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

B. ________,
recourant, représenté par Me Vincent Spira, avocat,
rue Saint-Ours 5, 1205 Genève,

contre

Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, case postale
3108, 1211r> Genève 3.

art. 9 et 29 al. 2 Cst. (indemnisation du prévenu au bénéfice d'un
non-lieu)

recours de droit public ...

{T 0/2}
1P.264/2003 /col

Arrêt du 14 juillet 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

B. ________,
recourant, représenté par Me Vincent Spira, avocat,
rue Saint-Ours 5, 1205 Genève,

contre

Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, case postale
3108, 1211
Genève 3.

art. 9 et 29 al. 2 Cst. (indemnisation du prévenu au bénéfice d'un
non-lieu)

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre pénale de la
Cour de
justice du canton de Genève
du 24 mars 2003.

Faits:

A.
B. ________, ressortissant du Kosovo né en 1971, résidant à Genève
depuis
1992 et au bénéfice d'une admission provisoire, a été arrêté le 20
octobre
2000 peu après le cambriolage d'une villa à Cologny. La femme de
ménage
prétendit - selon sa déclaration à la police - l'avoir reconnu en
raison de
son habillement, de certains détails physiques et de sa voix.
B.________ nia
les faits, affirmant qu'il travaillait alors sur un chantier. Il fut
inculpé,
le 22 octobre 2000, de vol et dommages à la propriété, ainsi que
d'infraction
à la LSEE. Lors d'une confrontation du 1er novembre 2000, la femme de
ménage
contesta avoir reconnu B.________ - elle avait signé sa déclaration à
la
police sans la relire - et prétendit au contraire avoir déclaré qu'il
n'était
pas le voleur. Par ailleurs, selon les documents remis à la demande
de son
défenseur, l'intéressé n'avait pas quitté le chantier où il
travaillait le
jour du cambriolage. Il fut immédiatement remis en liberté.
Le 23 février 2001, le Procureur général classa la procédure. Sur
recours de
l'inculpé, la Chambre d'accusation prononça un non-lieu, la prévention
faisant défaut tant pour le cambriolage que pour l'infraction à la
LSEE.

B.
Le 29 mai 2002, B.________ adressa à la Chambre pénale de la Cour de
justice
genevoise une demande d'indemnité de 25'252 fr. 40, soit 12'000 fr.
de tort
moral, 2'600 fr. pour les treize jours de détention et 10'652,40 fr.
de frais
d'avocat. Un premier arrêt du 23 septembre 2002, lui allouant 8'000
fr.
d'indemnité, a été cassé par le Tribunal fédéral (arrêt du 29 janvier
2003),
pour motivation insuffisante.
Statuant à nouveau par arrêt du 24 mars 2003, la Chambre pénale
estima que la
durée de la détention (13 jours) et la nature de la procédure ne
constituaient pas des circonstances particulières justifiant un
dépassement
du maximum de 10'000 fr., ou du barème de 100 fr. par jour de
détention pour
la réparation du tort moral. L'action en responsabilité de l'Etat
était
ouverte pour obtenir réparation des actes illicites éventuellement
commis par
les magistrats. Les frais d'avocat auraient pu être pris en charge par
l'assistance judiciaire. L'indemnité globale a été fixée à 8000 fr.
Une
indemnité de dépens de 1500 fr. a été allouée.

C.
B.________ forme un recours de droit public contre ce dernier arrêt.
Il en
requiert l'annulation, ainsi que le renvoi de la cause à la cour
cantonale
pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il demande
l'assistance
judiciaire.
Le Procureur général conclut au rejet du recours dans la mesure où il
est
recevable. La Chambre pénale se réfère à son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public est formé en temps utile contre un arrêt
final
rendu en dernière instance cantonale. Le recourant, dont la démarche
tend à
l'obtention d'une indemnité prévue par le droit cantonal, a qualité
pour agir
au sens de l'art. 88 OJ. Les conclusions qui vont au-delà de
l'annulation de
l'arrêt attaqué sont irrecevables.

2.
Le recourant se plaint à nouveau d'un défaut de motivation qui
entacherait
l'arrêt attaqué. Il faisait valoir que, dans les cas de courte
détention,
l'indemnité journalière serait non pas de 100 fr. mais de 200 fr., ce
qui
justifiait le montant réclamé de 2600 fr. En fixant l'indemnité de
manière
globale, la cour cantonale aurait omis de se prononcer à ce sujet.

2.1 Le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) implique notamment
l'obligation, pour l'autorité, de prendre position sur les
conclusions qui
lui sont soumises. Cette obligation se limite toutefois aux arguments
et
conclusions qui présentent une pertinence pour l'issue de la cause;
elle
dépend en outre de la nature de la décision à rendre, ainsi que du
pouvoir
d'examen et de décision de l'autorité (ATF 126 I 97 consid. 2b p.
102/103;
125 II 369 consid. 2c p. 372).

2.2 Dans ses griefs, tant formel que matériel, le recourant part de la
prémisse erronée que la Chambre pénale serait tenue d'établir, puis
d'indemniser, l'intégralité du dommage. Comme le rappelle la cour
cantonale,
le législateur genevois n'a pas voulu instituer une réparation pleine
et
entière, mais seulement assurer une "indemnité équitable". L'autorité
d'indemnisation peut donc fixer librement le montant de l'indemnité,
selon
son appréciation et sous la seule réserve de l'interdiction de
l'arbitraire,
sans qu'il soit absolument nécessaire d'établir avec précision
l'étendue du
dommage et l'existence d'un lien de causalité avec la détention et la
procédure pénale. Dans ces circonstances, la cour cantonale devait
expliquer,
comme elle l'a d'ailleurs fait, pour quelles raisons il ne se
justifiait pas
de dépasser le plafond de 10'000 fr. L'indication du montant accordé
pour
tort moral (100 fr. par jour de détention) permet en outre au
recourant
d'estimer la part qui lui a été allouée pour ses frais d'avocat et sa
perte
de gain. L'évaluation globale ne viole donc pas l'obligation de
motiver.

3.
Le recourant se plaint d'arbitraire dans l'application de l'art. 379
CPP/GE,
dont la teneur est la suivante:
1 Une indemnité peut être attribuée, sur demande, pour préjudice
résultant de
la détention ou d'autres actes de l'instruction, à l'accusé qui a
bénéficié
d'un non-lieu ou d'un acquittement dans la procédure de jugement ou
après
révision.
2 Le juge détermine l'indemnité dont le montant ne peut dépasser
10'000 fr.
Si des circonstances particulières l'exigent, notamment à raison d'une
détention prolongée, d'une instruction compliquée ou de l'ampleur des
débats,
l'autorité de jugement peut - dans les cas de détention - allouer à
titre
exceptionnel une indemnité supplémentaire. Le juge peut décider d'un
autre
mode de réparation du préjudice subi ou de tout autre appui
nécessaire au
requérant. (...)
3.1Estimant que les "circonstances particulières" mentionnées à
l'art. 379
al. 2 CPP/GE ne sont pas exhaustives, le recourant soutient que les
éléments
suivants justifiaient un dépassement du plafond de 10'000 fr.:
l'absence de
vérification de l'alibi par la police et par le juge d'instruction,
alors
notamment que le conseil du recourant puis la Chambre d'accusation
avaient
requis une telle vérification; le refus d'informer l'avocat et la
constitution tardive de celui-ci; enfin, le fait d'avoir déformé les
déclarations d'un témoin. Le succès d'une action en responsabilité de
l'Etat
ne serait pas assuré, et l'indemnisation selon l'art. 379 CPP/GE
serait
indépendante d'un acte illicite. Le recourant relève que ses frais
d'avocat
n'étaient pas particulièrement élevés, et qu'il n'était pas
suffisamment aisé
pour s'en voir refuser le remboursement. Compte tenu de l'atteinte
subie
(arrestation et fouille en pleine rue, retard dans la vérification de
l'alibi), une indemnité pour tort moral de 12'000 fr. était justifiée.

3.2 L'indemnisation du prévenu ensuite d'une détention en soi licite
mais qui
se révèle injustifiée, n'est imposée ni par le droit constitutionnel,
ni par
le droit conventionnel (ATF 119 Ia 221 consid. 6 p. 230). Il est dès
lors
loisible aux cantons de n'allouer de ce chef que des prestations
réduites, en
recourant le cas échéant à des critères schématiques (arrêt du 12
novembre
1997 dans la cause A. publié in SJ 1998 p. 333). Ils peuvent limiter
l'indemnité à un montant maximum, ou à des postes déterminés.
Le recourant prétend ainsi en vain que chaque poste de son dommage
devrait
être couvert par une indemnité équivalente. Comme cela est rappelé
ci-dessus,
le droit genevois ne confère pas de prétention au remboursement
intégral des
frais d'avocat, ou à une indemnité complète pour tort moral.

3.3 La Chambre pénale a estimé qu'il n'existait pas de circonstances
particulières propres à justifier un dépassement du maximum légal. En
dépit
des arguments du recourant, cette appréciation n'apparaît pas
arbitraire.
Compte tenu du texte légal, les "circonstances particulières" se
rapportent
avant tout à la longueur de la détention subie, ou à l'ampleur de la
procédure. D'autres circonstances peuvent certes entrer en
considération,
mais celles-ci doivent, également selon le texte légal, avoir un
caractère
exceptionnel. En l'occurrence, les autorités de poursuite ont été
manifestement induites en erreur par les déclarations initiales,
dûment
signées par le témoin qui a déclaré reconnaître le recourant. Rien ne
permet
d'affirmer, comme le fait le recourant, que les propos du témoin
auraient été
déformés. Par ailleurs, le retard - certes inexplicable - dans la
vérification de l'alibi du recourant, ne constitue pas une
circonstance
extraordinaire, pas plus que les modalités d'information et de
désignation de
son avocat. La procédure dirigée contre le recourant, ainsi que la
durée de
sa détention, ne peuvent être qualifiées de particulièrement
importantes.
L'affaire n'a pas connu de retentissement particulier, et a pu
trouver un
terme sans complications excessives.
Dès lors que la cour cantonale pouvait sans arbitraire s'estimer
limitée par
le montant maximum de 10'000 fr., le recourant ne pouvait prétendre
qu'à une
indemnisation très partielle du dommage subi. En particulier,
l'indemnité
pour tort moral a été calculée sur la base d'un montant de 100 fr.
par jour,
éventuellement porté à 200 fr. pour une détention de courte durée,
soit un
total de 1'300, voire 2'600 fr., montant sans rapport avec les
prétentions du
recourant. Le solde de l'indemnité représente une certaine
compensation à
raison des frais d'avocat et de la perte de gain, et le montant
alloué, qui
est en définitive relativement proche du maximum de 10'000 fr., n'a
par
conséquent rien d'insoutenable.

4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être
rejeté,
dans la mesure où il est recevable. Le recourant a requis l'assistance
judiciaire. Celle-ci avait été refusée lors de la précédente
procédure de
recours de droit public, mais le recourant invoque des faits nouveaux
(la
nécessité de quitter son studio pour un appartement plus grand, en
vue de la
naissance de son enfant) qui permettent d'admettre la condition de
l'indigence. Me Spira est désigné comme avocat d'office, et une
indemnité lui
est versée par la caisse du Tribunal fédéral à titre d'honoraires. Il
n'est
pas perçu d'émolument judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise; Me Spira est désigné
comme
avocat d'office et une indemnité de 2000 fr. lui est allouée à titre
d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant,
au
Procureur général et à la Chambre pénale de la Cour de justice du
canton de
Genève.

Lausanne, le 14 juillet 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.264/2003
Date de la décision : 14/07/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-07-14;1p.264.2003 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award