{T 0/2}
6P.56/2003 /pai
Arrêt du 26 juin 2003
Cour de cassation pénale
MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger et Kolly.
Greffière: Mme Bendani.
X. ________,
recourante, représentée par Me Pierre de Preux, avocat, rue
François-Bellot
6, 1206 Genève,
contre
Y.________,
intimée,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, case postale
3108, 1211
Genève 3.
Art. 9 et 29 al. 2 Cst. (procédure pénale; arbitraire, droit d'être
entendu),
recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de justice du
canton de
Genève, Chambre pénale, du 24 mars 2003.
Faits:
A.
A. ________, représenté par Me Y.________, a été en conflit avec la
société
B.________ dont il a été le président de 1981 à janvier 2000, date de
son
exclusion. Cette société publie un journal dont X.________ est la
rédactrice
en chef et qui s'adresse à plus de 7'000 personnes en Suisse.
A.a Dans l'édition du journal du 11 janvier 2002, X.________ a rédigé
un
article intitulé "A.________ a perdu son procès contre la société
B.________". Ce document mentionnait expressément Me Y.________ comme
étant
le conseil de A.________ et comportait notamment les passages
suivants:
"Ce qui porte à sourire a posteriori, c'est de se souvenir à quel
point les
dirigeants actuels de la société n'ont cessé d'être insultés tant par
l'ex-président que par son conseil durant toute la procédure. Menaces
et
manoeuvre d'intimidation ont rythmé de façon constante le déroulement
de
cette affaire.
On est alors en droit de se reposer la question du rôle que l'avocat
est
censé jouer aux côtés de son client! Car enfin, toutes les méthodes
ne sont
pas bonnes pour justifier de la défense des intérêts de son client. Et
lorsqu'on constate qu'un avocat s'entête dans des développements
juridiques
erronés, au mépris des règles de droit les plus élémentaires, on peut
légitimement se demander quel but il poursuit!
Soit il ignore le droit, et c'est fâcheux pour un avocat, soit il le
connaît,
et sa persistance à tenir des positions insoutenables devient
ridicule. Sans
compter, d'ailleurs, que ce ridicule coûte au client, car même
lorsqu'il se
trompe lourdement, l'avocat se fait bien entendu payer!"
A.bSaisissant la Cour de justice du canton de Genève Y.________ a
déposé une
demande de droit de réponse qui a été rejetée par arrêt du 14 mars
2002.
A.c Le 15 mars 2002, Y.________ a déposé plainte pénale pour calomnie
contre
X.________ et toutes autres personnes pouvant être tenues pour
responsables
de la rédaction et de la publication de l'article précité.
A.d Par ordonnance du 23 avril 2002, le Procureur général du canton
de Genève
a condamné X.________, pour calomnie, à une amende de 400 francs. Il
a jugé
que les allégations selon lesquelles la plaignante aurait insulté les
dirigeants de la société B.________ et aurait participé à des menaces
ou
manoeuvres d'intimidation devaient être sanctionnées et relevaient de
la
calomnie, X.________ ne prétendant pas que ses propos correspondaient
à la
vérité.
B.
Par jugement du 3 octobre 2002, le Tribunal de police du canton de
Genève a
condamné X.________ pour calomnie (art. 174 ch. 1 CP) à une amende de
400
francs.
C.
Par arrêt du 24 mars 2003, la Chambre pénale de la Cour de justice
genevoise
a rejeté l'appel de X.________ et confirmé la décision attaquée.
D.
Invoquant l'arbitraire et la violation de son droit d'être entendue,
X.________ forme un recours de droit public au Tribunal fédéral. Elle
conclut
à l'annulation de l'arrêt attaqué.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre une
décision
cantonale pour violation des droits constitutionnels des citoyens
(art. 84
al. 1 let. a OJ). Il n'est en revanche pas ouvert pour se plaindre
d'une
violation du droit fédéral, qui peut donner lieu à un pourvoi en
nullité
(art. 269 al. 1 PPF); un tel grief ne peut donc pas être invoqué dans
le
cadre d'un recours de droit public, qui est subsidiaire (art. 84 al.
2 OJ;
art. 269 al. 2 PPF).
En vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit, à peine
d'irrecevabilité, contenir un exposé succinct des droits
constitutionnels ou
des principes juridiques violés et préciser en quoi consiste leur
violation.
Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que
les
griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans
l'acte
de recours (ATF 127 I 38 consid. 3c p. 43; 126 III 534 consid. 1b p.
536; 125
I 71 consid. 1c p. 76). Le Tribunal fédéral n'entre pas non plus en
matière
sur les critiques de nature appellatoire (ATF 125 I 492 consid. 1b p.
495).
2.
La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue
en
raison d'une motivation insuffisante. Elle reproche à la cour
cantonale
d'avoir retenu certains faits étrangers à la cause et de ne pas avoir
discuté
de son argumentation selon laquelle si l'examen du juge pouvait être
étendu à
d'autres faits que ceux visés par la plaignante, le juge aurait alors
dû
retenir contre elle la diffamation, l'autoriser à apporter la preuve
libératoire et constater qu'elle avait apporté cette preuve.
2.1 Le droit à une décision motivée est une composante du droit d'être
entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. (ATF 126 I 97 consid. 2b p.
102). Il
correspond à l'obligation du juge de motiver sa décision de manière à
ce que
son destinataire puisse la comprendre et l'attaquer utilement s'il y
a lieu
et à ce que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle (ATF
126 I 97
consid. 2b p. 102). Il suffit, pour répondre à ces exigences, que le
juge
mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur
lesquels il
a fondé sa décision, de sorte que l'intéressé puisse se rendre compte
de la
portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause; il n'a pas
l'obligation d'exposer et de discuter tous les arguments invoqués par
les
parties et il peut passer sous silence ce qui, sans arbitraire, lui
paraît à
l'évidence non établi ou sans pertinence (ATF 126 I 97 consid. 2b p.
102 s.;
124 II 146 consid. 2a p. 149).
2.2 En réalité, pour l'essentiel, la recourante reproche à la cour
cantonale
d'avoir appliqué l'art. 174 CP et non pas l'art. 173 CP et de lui
avoir ainsi
refusé l'administration des preuves libératoires. Or, dans un recours
de
droit public, le Tribunal fédéral n'a pas à examiner si l'autorité
cantonale
a interprété et appliqué correctement le droit fédéral au sens de
l'art. 269
al. 1 PPF, puisque les violations du code pénal peuvent être
invoquées dans
le cadre d'un pourvoi en nullité. Dans cette mesure, son grief est
irrecevable.
Pour le reste, que la cour cantonale ait mentionné certains faits
inutiles
et étrangers à la cause constitue une motivation superfétatoire et
non pas un
défaut de motivation. Enfin, la cour cantonale a précisé que la
plainte
s'étendait à l'intégralité de l'article publié; elle a clairement
indiqué le
comportement reproché à la recourante et mentionné les motifs qui
l'ont
conduit à appliquer l'art. 174 CP. Ainsi, il est reproché à la
recourante
d'avoir accusé l'intimée d'injures, de menaces et de manoeuvres
d'intimidation, soit d'avoir commis des actes pénalement
répréhensibles. Dès
lors, la motivation de la décision cantonale est suffisante pour
permettre à
la recourante de comprendre ce qui a été retenu à sa charge et pour
faire
valoir ses moyens devant l'autorité de recours. Le grief doit par
conséquent
être rejeté.
3.
3.1Se plaignant d'arbitraire, la recourante reproche à la cour
cantonale de
l'avoir condamnée pour calomnie (art. 174 CP) en raison de faits non
contenus dans la plainte.
Il résulte de l'arrêt attaqué que, dans sa plainte, l'intimée s'est
principalement, mais non exclusivement, prévalue de la critique de ses
qualités professionnelles, que l'article incriminé était donc visé
dans son
intégralité et que le Ministère public pouvait par conséquent
retenir, ainsi
qu'il l'avait expressément fait, les passages relevant de la calomnie.
L'appréciation de la cour cantonale n'est pas arbitraire. En effet,
dans sa
plainte déposée contre les personnes responsables de la rédaction et
de la
publication de l'article paru dans l'édition du journal du 11 janvier
2002,
l'intimée a bien retranscrit certains passages de l'article précité
en se
prévalant toutefois notamment, et non pas uniquement, des critiques
relatives
à ses qualités professionnelles. Le grief de la recourante est par
conséquent
infondé.
3.2 Alléguant que les accusations à l'encontre de l'intimée sont
vraies, la
recourante fait grief à la cour cantonale de ne pas avoir retenu la
diffamation au lieu de la calomnie et de ne pas l'avoir autorisée à
faire
admettre les preuves libératoires. A ce titre, elle cite plusieurs
passages
extraits de la correspondance échangée entre la plaignante et la
société
B.________.
En l'espèce, l'argumentation de la recourante revient à critiquer
l'interprétation et l'application de l'art. 174 CP faite par la cour
cantonale. Or, la question de savoir quelle disposition pénale
s'applique
relève du droit fédéral et ne saurait être invoquée dans un recours
de droit
public lorsque la voie du pourvoi en nullité est ouverte (art. 84 al.
2 OJ et
269 al. 1 PPF). Tel est le cas ici et la recourante a par ailleurs
déposé en
parallèle un pourvoi en nullité dans lequel elle se prévaut d'une
violation
de l'art. 174 CP. Au surplus, la recourante indique uniquement que la
cour
cantonale a fait preuve d'arbitraire dans la constatation des faits
pertinents, ce qui ne satisfait manifestement aux exigences de
motivation
posées par l'art. 90 al. 1 let. b OJ. Les griefs de la recourante
sont par
conséquent irrecevables.
4.
Le recours doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est recevable.
La
recourante qui succombe, supportera les frais (art. 156 al. 1 OJ).
Il n'y a pas lieu d'allouer d'indemnité à l'intimée qui n'a pas eu à
intervenir dans la procédure devant le Tribunal fédéral.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 francs est mis à la charge de la
recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la
recourante, à
l'intimée, au Procureur général du canton de Genève et à la Cour de
justice
du canton de Genève, Chambre pénale.
Lausanne, le 26 juin 2003
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: