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25/06/2003 | SUISSE | N°I.841/02

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 25 juin 2003, I.841/02


{T 7}
I 841/02

Arrêt du 25 juin 2003
Ire Chambre

MM. les Juges Schön, Président, Borella, Rüedi, Lustenberger et
Frésard.
Greffier: M. Wagner

S.________ Q.________, recourante, représentée par Me Henri Carron,
avocat,
rue de Venise 3B, 1870 Monthey,

contre

Office AI pour les assurés résidant à l'étranger, avenue
Edmond-Vaucher 18,
1203 Genève, intimé,

concernant I.________ Q.________, décédé en mars 1999

Commission fédérale de recours en matière d'AVS/AI pour

les personnes
résidant à l'étranger, Lausanne

(Jugement du 4 octobre 2002)

Faits:

A.
I. ________ Q.________, né e...

{T 7}
I 841/02

Arrêt du 25 juin 2003
Ire Chambre

MM. les Juges Schön, Président, Borella, Rüedi, Lustenberger et
Frésard.
Greffier: M. Wagner

S.________ Q.________, recourante, représentée par Me Henri Carron,
avocat,
rue de Venise 3B, 1870 Monthey,

contre

Office AI pour les assurés résidant à l'étranger, avenue
Edmond-Vaucher 18,
1203 Genève, intimé,

concernant I.________ Q.________, décédé en mars 1999

Commission fédérale de recours en matière d'AVS/AI pour les personnes
résidant à l'étranger, Lausanne

(Jugement du 4 octobre 2002)

Faits:

A.
I. ________ Q.________, né en 1948, originaire du Kosovo, est entré
en Suisse
en 1977. Du 1er septembre 1979 au 10 mai 1988, il a travaillé au
service de
la société H.________. Il a abandonné cet emploi sans préavis. Dès le
1er
août 1988 jusqu'au 31 janvier 1990, il a travaillé au service de
E.________
AG. Les rapports de travail ont été résiliés par l'employeur en raison
d'absences répétées du travailleur et du non-respect des directives de
l'employeur. Du 21 mars 1990 au 31 mai 1990, I.________ Q.________ a
oeuvré
au service de W.________. Selon ce dernier employeur, les rapports de
travail
ont été résiliés en raison de difficultés relationnelles avec les
autres
collaborateurs de l'entreprise, difficultés dues au caractère quelque
peu
bizarre de l'intéressé, ainsi qu'à des problèmes de compréhension
linguistique.
Du 8 avril 1988 au 15 avril 1988, I.________ Q.________, a été
hospitalisé à
l'Hôpital X.________ à la suite d'un état dépressif, avec tendance
marquée à
la somatisation, consécutif au décès de l'un de ses enfants. Selon son
médecin traitant d'alors, le docteur A.________, il a été totalement
incapable de travailler du 24 mars 1988 au 1er mai 1988.
Le 18 juillet 1990, la police des étrangers du canton de Lucerne a
décidé de
ne pas renouveler à I.________ Q.________ son autorisation de séjour
qui
venait à échéance le 15 juillet 1990. Le 20 août 1990, l'Office
fédéral des
étrangers a étendu à tout le territoire suisse les effets de cette
mesure. Le
même jour, ledit office a prononcé le renvoi de l'intéressé et de
toute sa
famille du territoire suisse, avec effet au 24 août 1990 jusqu'au 23
août
1993. I.________ Q.________ a recouru contre ces décisions. Le 17
septembre
1990, il a quitté la Suisse. Statuant le 5 juillet 1991, le
Département
fédéral de Justice et Police a rejeté les recours formés contre les
décisions
susmentionnées. Cette décision de rejet était motivée par le fait que
l'intéressé avait perdu son travail en raison de son comportement à
l'égard
de ses employeurs précédents, ainsi que de ses collègues de travail.
Il était
à craindre qu'après épuisement de ses indemnités de chômage, il tombe
à la
charge de l'assistance publique, faute de trouver un nouvel employeur
qui
soit disposé à l'engager.

B.
Le 20 juillet 1992, agissant par l'entremise d'un cousin résidant en
Suisse,
I.________ Q.________ a adressé à la Caisse de compensation du canton
de
Lucerne une demande de prestations de l'assurance-invalidité, en
indiquant
qu'il avait «perdu la raison» après avoir absorbé une boisson, à une
époque
où il résidait encore en Suisse. Le 23 novembre 1992, il a fait
parvenir à la
Caisse suisse de compensation une formule dûment remplie
d'inscription pour
l'obtention d'une rente d'invalidité à l'intention des ressortissants
étrangers qui ont leur domicile hors de Suisse. Le 15 février 1993,
il a
communiqué à la caisse de compensation un certificat du docteur
B.________,
établi le 3 février 1993 à P.________. Selon ce certificat
(traduction),
l'intéressé présente un comportement qui se situe dans la norme. Le
contact
verbal s'établit facilement et se maintient. Il n'y a pas de signes
manifestes de «psychosité». Après un long entretien, le patient
verbalise des
événements liés à des idées d'empoisonnement, avec une certaine
distance
toutefois. Le docteur B.________ signale encore que le patient n'a pas
consulté de médecin depuis son retour de Suisse mais que des contrôles
psychiatriques réguliers sont néanmoins nécessaires.
Par décision du 15 décembre 1993, la Caisse suisse de compensation a
rejeté
la demande de rente. Elle a considéré que le requérant n'avait pas
subi
d'incapacité de travail avant son départ de Suisse en 1990. Depuis
lors, il
n'était assuré ni à l'AVS/AI, ni en Yougoslavie, faute d'avoir versé
des
cotisations à l'assurance sociale yougoslave. Même s'il était devenu
invalide
après 1990, il ne pouvait prétendre une rente d'invalidité, la
condition
d'assurance n'étant plus réalisée.
Statuant le 10 avril 1995, la Commission fédérale de recours en
matière
d'AVS/AI pour les personnes résidant à l'étranger (ci-après: la
commission) a
admis le recours formé contre cette décision par I.________
Q.________. Elle
a renvoyé la cause à l'Office AI pour les assurés résidant à
l'étranger
(ci-après: l'office AI) pour complément d'instruction et nouvelle
décision.
Elle a mis à la charge de l'office AI une indemnité de dépens de
1'000 fr.
Selon la commission, un complément d'instruction était nécessaire pour
déterminer si l'intéressé avait ou non été affilié aux assurances
sociales
yougoslaves après son départ de Suisse. L'office AI était en outre
invité à
mettre en oeuvre une expertise psychiatrique.

C.
L'office AI a procédé à diverses mesures d'instruction. Il a établi
qu'I.________ Q.________ avait été affilié aux assurances sociales
yougoslaves du 3 décembre 1975 au 3 mars 1976. L'office AI a pris par
ailleurs des renseignements auprès du docteur A.________ à propos de
l'hospitalisation d'I.________ Q.________ à l'Hôpital X.________ en
1988. Ce
médecin a confirmé que le patient avait été traité pour une réaction
dépressive avec une tendance marquée à la somatisation. La dernière
consultation chez ce médecin remonte au 10 mai 1988; le patient n'a
pas été
adressé à un autre médecin (rapport du 16 juillet 1996).
Sur la base de ces éléments, l'office AI a renoncé à mettre en oeuvre
une
expertise, considérant que l'intéressé n'avait pas présenté
d'incapacité de
travail susceptible d'ouvrir droit à une rente. Le 2 décembre 1996,
il a
rendu une nouvelle décision de refus de rente.
Saisie d'un nouveau recours formé par I.________ Q.________, la
commission de
recours a renvoyé une nouvelle fois la cause à l'office AI pour qu'il
mette
en oeuvre une expertise psychiatrique (jugement du 20 mars 1998). La
commission a retenu que l'intéressé n'était certes plus assuré dans
son pays
d'origine depuis le mois de mars 1976. Une expertise était toutefois
nécessaire pour déterminer s'il y avait eu survenance d'un cas
d'assurance à
une époque où I.________ Q.________ remplissait la condition
d'assurance.

D.
L'office AI a tenté de mettre en oeuvre l'expertise ordonnée par la
commission de recours. Cinq experts ont été successivement pressentis
par
l'office, mais tous ont refusé le mandat qu'il entendait leur
confier, pour
cause soit de maladie ou de surcharge de travail. Finalement, le
docteur
C.________, à G.________, s'est déclaré prêt à accepter un mandat
d'expertise. Par lettre du 29 novembre 1999, l'office AI en a informé
l'avocat du recourant, en lui demandant de lui faire part de ses
objections
éventuelles et, le cas échéant, de proposer un autre expert. Le 25
février
2000, l'avocat a informé l'office AI qu'I.________ Q.________ avait
été
exécuté lors d'opérations d'épuration menées par la police serbe au
Kosovo en
mars 1999 et que, dans la mesure où une expertise psychiatrique ne
pouvait
plus être diligentée, il appartenait à l'administration de supporter
l'échec
de la preuve et de reconnaître à I.________ Q.________ le droit à une
rente
de novembre 1991 à mars 1999. Dans une correspondance ultérieure, du
2 mai
2000, il a précisé qu'il représentait désormais les survivants du
défunt et
que ces derniers lui succédaient dans ses droits à une rente
d'invalidité.
Parallèlement, il a déposé une demande de prestations de survivants.
Le 13 août 2001, l'office AI a rendu une décision par laquelle il a
rejeté la
demande de prestations de l'assurance-invalidité, aux motifs que,
jusqu'à son
départ de la Suisse, I.________ Q.________ ne présentait pas avec un
degré de
vraisemblance prépondérante une atteinte à sa santé mentale qui aurait
entraîné une incapacité de travail justifiant le versement d'une
rente. Pour
ce qui est d'une éventuelle invalidité survenue postérieurement au
mois
d'août 1990, aucune prestation de l'assurance-invalidité ne pouvait
être
versée dès lors que le défunt ne remplissait plus les conditions
d'assurance.
La veuve de feu I.________ Q.________, S.________ Q.________, ainsi
que les
enfants du couple I.________ et S.________ Q.________, à savoir
D.________
Q.________, E.________ Q.________, F.________ Q.________, G.________
Q.________ et H.________ Q.________ ont recouru contre cette décision.
Statuant le 4 octobre 2002, la commission de recours a rejeté le
recours.
Elle a accordé l'assistance judiciaire aux recourants et a fixé à
1'500 fr.
les honoraires dus à l'avocat d'office.

E.
Contre ce jugement, la veuve de feu I.________ Q.________ et les cinq
enfants
prénommés interjettent un recours de droit administratif dans lequel
ils
prennent les conclusions suivantes:
1.Le recours est admis et le jugement de la Commission cantonale de
recours
en matière d'AVS/AI pour les personnes résidant à l'étranger du 4
octobre
2002 est annulé.

2. Il est constaté que les retards mis par l'administration et la
Commission
fédérale de recours au traitement du dossier AI de M. Q.________,
respectivement de ses héritiers, depuis le dépôt de la demande de
prestations
AI du 20 juillet 1992 jusqu'au jugement du 4 octobre 2002 sont
contraires aux
garanties données à l'art. 29 al. 1 Cst. fédérale et l'art. 6 § 1
CEDH.

3. Il est alloué à M. I.________ Q.________, respectivement à ses
héritiers,
une rente d'invalidité pour la période s'étendant de juillet 1991
jusqu'au
décès de M. Q.________, avec rentes complémentaires pour épouse et
enfants et
avec intérêts.
L'office AI conclut au rejet du recours. Quant à l'Office fédéral des
assurances sociales, il ne s'est pas déterminé à son sujet.

F.
Le 14 mai 2003, l'avocat des recourants a transmis au Tribunal
fédéral des
assurances un certificat de décès ainsi que diverses attestations
d'où il
ressort qu'I.________ Q.________ a été déclaré décédé le 1er juin
1998 et que
sa succession a été recueillie par sa veuve, seule héritière
universelle. En
conséquence, il a rectifié les conclusions de son recours en
déclarant ne le
maintenir qu'au nom de Dame S.________ Q.________.

Considérant en droit:

1.
1.1 La recourante se plaint d'une violation des art. 29 al. 1 Cst. et
6 par.
1 CEDH, en reprochant à l'office de l'assurance-invalidité et à la
commission
de recours un retard injustifié. Elle relève en particulier qu'il
s'est
écoulé 17 mois entre la demande de prestations et la première
décision de
refus de la caisse de compensation, 20 mois entre le premier jugement
de
renvoi de la commission et la nouvelle décision de refus de l'office
AI, 16
mois entre le nouveau recours à la commission fédérale et un nouveau
jugement
de celle-ci du 20 mars 1998 et, enfin, pratiquement deux ans entre ce
jugement et l'avis par lequel l'office AI a pris connaissance du
décès de
l'intéressé.

1.2 En l'espèce, il apparaît évident que l'office AI et la commission
de
recours ont violé le principe de la célérité au sens des art. 6 par.
1 CEDH
et 29 al. 1 Cst., au regard de la jurisprudence à ce sujet (ATF 126 V
249
consid. 4a, 124 I 139, 119 III 1, 117 Ia 117 consid. 3a, 197 consid.
1c; voir
aussi Auer/Malinverni/Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol.
II, Les
droits fondamentaux, p. 594 s. ch. 1244 s.). La cause présentait, il
est
vrai, certaines difficultés, notamment en raison de l'éloignement de
l'intéressé, des problèmes pour obtenir des renseignements des
assurances
sociales yougoslaves et pour trouver un médecin spécialiste qui fût
disposé à
fonctionner comme expert. Cependant, et même si l'exigence de la
célérité de
la procédure ne saurait l'emporter sur la nécessité d'une instruction
complète (ATF 119 Ib 325 consid. 5), la durée de la procédure,
considérée
dans son ensemble, apparaît sans nul doute excessive (plus de dix ans
entre
le moment du dépôt de la demande et la date à laquelle le jugement
attaqué a
été rendu). Il faut relever que cet allongement est dû en bonne
partie au
fait que l'office de l'assurance-invalidité, au mépris des
instructions
contenues dans le jugement de renvoi du 10 avril 1995, a renoncé à
mettre en
oeuvre une expertise psychiatrique; pourtant, s'il estimait que des
investigations médicales n'étaient pas nécessaires, l'office aurait
pu saisir
le Tribunal fédéral des assurances, une décision de renvoi étant
sujette à
recours de droit administratif (ATF 120 V 237 consid. 1a et 117 V 241
consid.
1). D'un autre côté, comme on va le voir, une expertise psychiatrique
était
en l'occurrence superflue (infra consid. 2); une étude plus
approfondie du
dossier de la part de la commission aurait permis de trancher le
litige au
fond sans ce complément d'instruction. C'est dire que la procédure,
émaillée
de tergiversations tant de la part de la commission que de la part de
l'administration, a été menée
de manière peu méthodique, ce qui a
occasionné
des lenteurs inutiles, au demeurant non imputables au justiciable.
Aussi bien
convient-il d'admettre l'existence d'un retard inadmissible à statuer.

1.3 La recourante a conclu explicitement à la constatation d'une
violation du
principe de la célérité de la procédure. La constatation d'un retard
inadmissible à statuer constitue une forme de réparation pour celui
qui en
est la victime (ATF 122 IV 111 consid. I/4; arrêt du Tribunal fédéral
du 23
octobre 2000, 1P.338/2000 in: Pra 2001 no 3 p. 22 consid. 4e; arrêts
M. du 28
avril 2003 [I 369/02], W. du 30 janvier 2003 [H 134/02], J. du 6
novembre
2000 [5A.8/2000]; voir aussi Mark E. Villiger, Handbuch der
europäischen
Menschenrechtskonvention (EMRK), 2ème édition, p. 155, no 243). Cette
constatation peut également jouer un rôle sur la répartition des
frais et
dépens, dans l'optique d'une réparation morale (arrêt J., précité;
cf. infra
consid. 4). Sous l'angle de la portée concrète et effective des droits
garantis par la Convention, la violation avérée peut être constatée
dans le
dispositif de l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances (cf. Pra
2001 no 3
p. 22 consid. 4e; voir également Jean-Marc Verniory, Affaire
Michailov: Le
pouvoir de décision du TF, in: plädoyer, 2000/1, p. 44 ss;
Malinverni/Hottelier, La pratique suisse relative aux droits de
l'homme 1998,
in: Revue suisse de droit international et de droit européen, 1999,
p. 529).

1.4 En revanche, le point de savoir si ce retard est de nature à
entraîner le
paiement de dommages et intérêts n'a pas à être examiné ici. En
effet, le
retard à statuer constitue un acte illicite, qui relève des autorités
compétentes pour connaître des actions en responsabilité contre la
Confédération ou les cantons (ATF 126 V 69 consid. 5b, 107 Ib 160;
Jean-François Egli, L'activité illicite du juge, cause de
responsabilité
pécuniaire à l'égard des tiers, in Hommage à Raymond Jeanprêtre,
Neuchâtel
1982, p. 18 ch. 4.3; à propos, précisément, d'un retard injustifié de
l'office AI pour les assurés résidant à l'étranger: arrêt J. du 6
novembre
2000, déjà mentionné). Faute de compétence ratione materiae, il
n'appartient
donc pas au Tribunal fédéral des assurances, saisi d'un recours de
droit
administratif concernant une demande de rente, de se prononcer sur le
principe et l'étendue d'une éventuelle prétention en dommages et
intérêts. Ce
n'est donc pas sous cet angle que les conclusions au fond du présent
recours
doivent être examinées.

2.
La recourante fait valoir qu'en raison de la durée excessive de la
procédure
et du décès de son mari, l'expertise psychiatrique ordonnée par la
commission
de recours n'a pas pu être administrée. Se référant aux principes
applicables
en procédure civile (voir Fabienne Hohl, Procédure civile, Tome I, p.
229 ch.
1201), elle soutient que cette impossibilité d'administrer une preuve
doit
conduire à un renversement du fardeau de la preuve et même amener le
tribunal
à considérer sans autre forme de procès comme avérés les faits que
l'expertise psychiatrique était censée établir.

2.1 Selon l'art. 6 al. 1 LAI (dans sa version, déterminante en
l'occurrence,
jusqu'au 31 décembre 2000), les ressortissants suisses, les étrangers
et les
apatrides ont droit aux prestations s'ils sont assurés lors de la
survenance
de l'invalidité. Conformément à l'art. 4 al. 2 LAI, l'invalidité est
réputée
survenue dès qu'elle est, par sa nature et sa gravité, propre à
ouvrir droit
aux prestations entrant en considération (ATF 119 V 115 consid. 5a).
Dans le
cas d'une rente, l'invalidité est réputée survenue, en règle
ordinaire, dès
que l'assuré a présenté, en moyenne, une incapacité de travail de 40
pour
cent au moins pendant une année sans interruption notable (art. 29
al. 1 let.
b LAI, dans sa version en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002).
L'art. 2 de la Convention de sécurité sociale entre la Confédération
suisse
et la République Populaire Fédérative de Yougoslavie relative aux
assurances
sociales du 8 juin 1962 prévoit que, sous réserve de dispositions
conventionnelles contraires, les ressortissants suisses et yougoslaves
jouissent de l'égalité de traitement quant aux droits et obligations
résultant des dispositions des législations énumérées à l'art. 1er.
A propos de la réalisation de la clause d'assurance dans le cas d'une
rente
de l'assurance-invalidité suisse, l'art. 8 let. b de la Convention
prévoit ce
qui suit:
«En ce qui concerne le droit à la rente ordinaire d'invalidité, les
ressortissants yougoslaves qui sont affiliés aux assurances
yougoslaves ou
qui ont déjà bénéficié d'une pareille rente avant de quitter la
Suisse, sont
assimilés aux personnes assurées selon la législation suisse».

2.2 En l'espèce, il est établi que feu I.________ Q.________ n'a
versé des
cotisations aux assurances sociales yougoslaves que durant les années
1975 et
1976; il n'en a point versées après son retour au Kosovo. Il a quitté
la
Suisse le 17 septembre 1990. Il s'agit donc de savoir si, à cette
date, il
subissait une incapacité de travail susceptible de conduire au
versement
d'une rente après la période de carence selon l'art. 29 al. 1 let. b
LAI. A
cet égard et en règle ordinaire, la jurisprudence n'exige pas une
preuve
stricte. Il suffit que le juge aboutisse à la conclusion qu'une
vraisemblance
prépondérante plaide en faveur d'une telle incapacité (voir p. ex.
ATF 124 V
94 consid. 4b).
Le point de savoir si l'impossibilité de mettre en oeuvre une
expertise doit
en l'occurrence conduire à faire supporter à l'administration
l'absence de la
preuve d'une incapacité de travail au moment déterminant peut rester
indécis.
En effet, le Tribunal fédéral des assurances connaît pour la première
fois du
litige, qu'il examine dans son ensemble et sans être lié par les
décisions de
renvoi aux fins d'expertise de la commission de recours. En ordonnant
à deux
reprises une expertise, la commission n'a pas tranché une question de
fond
litigieuse qui aurait acquis force de chose jugée faute d'avoir fait
l'objet
d'un recours de droit administratif devant le Tribunal fédéral des
assurances. Cela dit, contrairement à l'avis exprimé par la
commission, une
expertise psychiatrique n'était pas justifiée au regard des
circonstances; le
recours porté devant la commission aurait dû être rejeté sans qu'il
fût
nécessaire d'ordonner l'apport de données médicales supplémentaires.
Il y a lieu de constater tout d'abord que l'intéressé, après une brève
période d'hospitalisation en 1988, a repris le travail jusqu'en 1990,
époque
à laquelle il a été licencié par son dernier employeur en Suisse. Il
n'apparaît pas qu'il ait suivi un traitement médical, plus
spécialement
psychiatrique, avant de quitter la Suisse, hormis les soins prodigués
en
1988. Même s'il était résulté d'une expertise psychiatrique que
l'intéressé
ait souffert à l'époque d'une affection psychique, le juge n'aurait
pu que
constater qu'il n'avait pas subi d'incapacité de travail avant de
quitter la
Suisse. Ce n'est pas l'apparition comme telle des troubles qui
constitue
l'événement assuré, mais bien plutôt la survenance d'une incapacité de
travail d'une certaine importance (VSI 1998 p. 126 consid. 3c).
A cela s'ajoute que le certificat médical établi en février 1993 par
le
docteur B.________ faisait état d'un comportement dans la norme, sans
signe
manifeste de «psychosité», bien que le patient eût mentionné un
événement
(empoisonnement) qui paraissait traduire une manifestation
d'irrationalité au
dire du médecin. Il est à noter que le médecin n'a pas prescrit de
traitement
particulier, mais s'est contenté de préconiser des contrôles
réguliers. Ce
certificat, établi plus de deux ans après le départ de Suisse du
patient,
permettait de conclure, avec le degré de preuve habituel de
vraisemblance
prépondérante que l'intéressé disposait d'une capacité de travail
entière
avant son départ.
Enfin, la commission de recours pouvait attribuer force probante à
l'avis du
médecin de l'office AI, le docteur S.________, psychiatre. Celui-ci,
qui
s'est exprimé de manière circonstanciée sur le cas et sur le vu de
l'ensemble
du dossier, a estimé peu vraisemblable la présence d'une affection
psychique
ayant valeur de maladie, que ce soit en 1990 ou en 1993 (rapports des
6
décembre 1993 et 15 août 1994). En l'absence de tout élément d'ordre
médical
contraire, il n'y avait aucun motif pertinent d'ordonner une
expertise (cf.
ATF 125 V 352 consid. 3a).

2.3 Les circonstances invoquées par la recourante ne permettaient pas
d'aboutir à une autre conclusion. Ainsi le fait que son défunt mari a
été
licencié par ses employeurs successifs en raison de difficultés
d'adaptation,
de manquements divers ou encore de son comportement bizarre et des
relations
difficiles qu'il entretenait avec ses collègues de travail ne
constituent pas
les indices d'une atteinte susceptible d'entraver la capacité de
travail et
de gain. Aucun des employeurs concernés n'a d'ailleurs fait état d'une
incapacité de travail. L'avocat qui a représenté I.________
Q.________ et sa
famille dans la procédure administrative engagée devant le Département
fédéral de justice et police n'a pas non plus signalé l'existence de
problèmes de santé qui eussent pu avoir une incidence sur la capacité
de
travail.
Ne sont pas davantage déterminants les témoignages invoqués par la
recourante, selon lesquels l'intéressé, après son retour au Kosovo,
serait
resté totalement inactif, passant son temps à errer dans les rues,
aurait
tenu des propos incohérents et refusé de se faire soigner. D'une
part, ces
témoignages ne se rapportent pas à la situation qui existait avant le
mois de
septembre 1990 et, d'autre part, ils ne sauraient l'emporter sur les
constatations médicales du docteur B.________.

3.
3.1La recourante se prévaut de l'art. 50 CEDH (aujourd'hui 41 CEDH).
Selon
elle, pour effacer les conséquences de la violation constatée, cette
disposition commanderait d'appliquer par analogie les règles de
procédure
civile sur les conséquences de l'impossibilité d'administrer une
preuve à la
suite du comportement fautif ou contraire aux règles de la bonne foi
d'une
partie, ainsi que les règles de la procédure pénale liant des effets
de droit
matériel à la constatation d'un retard injustifié.

3.2 Bien que cette argumentation se recoupe avec un grief déjà
examiné - et
écarté -, il convient néanmoins de se demander si, indépendamment de
ce qui a
été dit plus haut, la prétention de la recourante peut trouver un
appui
direct sur la norme de droit international invoquée.
Selon l'art. 41 CEDH, si la Cour déclare qu'il y a violation de la
Convention
ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie
contractante
ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette
violation, la
Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction
équitable.
Comme l'indique clairement le texte de cette disposition, celle-ci est
réservée à la Cour européenne des droits de l'homme. Elle ne
s'applique que
si la Cour reconnaît, à l'issue de la procédure qui s'est déroulée
devant
elle, qu'il y a eu violation de la Convention et que le droit de
l'Etat
condamné ne permet pas d'indemniser complètement le lésé pour les
conséquences de cette violation (arrêt du Tribunal fédéral du 10
décembre
2001 dans la cause S. [2A.362/2000]). Le requérant ne peut faire
valoir
contre l'Etat sa prétention fondée sur l'art. 41 CEDH devant les
tribunaux
nationaux (Villiger, op. cit., p. 151 s. nos 237, 238; cf. aussi
Jonathan N.
Sharpe ad art. 50, in Petiti/Decaux/Imbert, La Convention européenne
des
droits de l'homme, Paris 1995, p. 809 s.; ATF 126 V 69 consid. 5b).
Aussi
bien l'invocation de l'art. 41 CEDH n'entre pas en ligne de compte
ici. Au
demeurant, comme on l'a vu, le droit interne permet au lésé d'obtenir
de la
Confédération (ou d'un canton), en cas d'acte illicite, la réparation
de son
dommage.

3.3 Quoi qu'il en soit et contrairement à ce que soutient la
recourante, une
violation constatée par la Cour européenne des droits de l'homme n'a
pas
nécessairement pour conséquence, selon la jurisprudence européenne, un
renversement du fardeau de la preuve en faveur du lésé qui n'a pu
administrer
la preuve requise. En effet, pour entraîner en pareil cas une
réparation
pécuniaire en raison d'un manquement à la convention, un lien de
causalité
doit être établi entre le manquement et le dommage (voir par exemple
arrêts
de la CourEDH dans les causes Higgins c. France du 19 février 1998
Recueil
1998 I p. 44 § 48 et Feldbrugge c.Pays-Bas du 27 juillet 1987, Série
A, vol.
124 § 10; Villiger, op. cit., p. 154 ch. 241).

3.4 Enfin, on ne saurait appliquer par analogie la jurisprudence en
matière
pénale qui, sous certaines conditions, permet d'accorder des effets
de droit
matériel à la constatation d'un retard injustifié. En matière pénale,
le juge
peut tenir compte de la violation du principe de la célérité en
statuant sur
le fond, par exemple par une diminution de la peine, une renonciation
à toute
peine ou un classement (ATF 123 I 333 consid. 2a, 122 IV 111 consid.
4 et 131
consid. 1c, 117 IV 129 consid. 4d). Par analogie avec cette
jurisprudence, le
Tribunal fédéral a également jugé que l'autorité pouvait, en cas de
retrait
du permis de conduire, prononcer une mesure d'une durée inférieure au
minimum
légal lorsque la
durée excessive de la procédure n'était pas
imputable au
justiciable; il a relevé, à cet égard, que le retrait du permis
présentait
certains aspects analogues à une mesure pénale (ATF 120 Ib 504; arrêt
F. du 2
avril 2003 [6A.12/2003]). De son côté, le Tribunal fédéral des
assurances
s'est posé - sans la résoudre - la question de savoir si une
violation du
principe de célérité de la procédure pouvait avoir pour conséquence,
par
analogie avec la solution adoptée en droit pénal, une réduction de la
durée
d'une suspension du droit à l'indemnité de chômage infligée à
l'assuré fautif
(SVR 1997 ALV no 105 p. 323).
Mais cette jurisprudence, qui s'applique en droit pénal - ou à des
mesures
qui peuvent présenter certaines analogies avec une sanction du droit
pénal -
ne peut être invoquée lorsque la réparation demandée consiste en
l'octroi
d'une prestation positive de l'Etat sous la forme d'une prestation
d'assurance sociale, en raison d'une durée excessive de la procédure
(voir
aussi, sur la sanction en cas de dépassement du délai raisonnable pour
statuer, Velu/Ergec, La Convention européenne des droits de l'homme,
Bruxelles 1990, no 528 s.; Gérard Piquerez, La célérité de la
procédure
pénale en Suisse, Revue internationale de droit pénal, 66/1995, no 3,
4, p.
657 s.).

4.
Il résulte des considérations qui précèdent que la conclusion tendant
au
versement d'une rente d'invalidité (et de rentes complémentaires) est
mal
fondée.
Vu la nature du litige, la procédure est gratuite (art. 134 OJ).
La recourante n'obtient que très partiellement gain de cause, dans la
mesure
où il est constaté une violation du principe de la célérité de la
procédure.
Malgré cela, il convient, sur le vu des circonstances, de condamner
l'office
intimé à lui verser une pleine indemnité de dépens (cf. Pra. 2001 p.
22
consid. 5).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est partiellement admis en ce sens qu'il est constaté que
l'Office
AI pour les assurés résidant à l'étranger et la Commission fédérale de
recours en matière d'AVS/AI pour les personnes résidant à l'étranger
ont
violé le principe de la célérité dans le cas de la procédure qui a
abouti au
jugement de ladite commission du 4 octobre 2002. Le recours est
rejeté pour
le surplus.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
L'office de l'assurance-invalidité versera à la recourante une
indemnité de
2500 fr. (y compris la taxe sur la valeur ajoutée) à titre de dépens
pour la
procédure fédérale.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à la Commission
fédérale de
recours en matière d'assurance-vieillesse, survivants et invalidité
pour les
personnes résidant à l'étranger, et à l'Office fédéral des assurances
sociales.

Lucerne, le 25 juin 2003
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la Ire Chambre: Le Greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.841/02
Date de la décision : 25/06/2003
Cour des assurances sociales

Analyses

Art. 29 al. 1 Cst.; art. 6 par. 1, art. 41 CEDH: Sanction du retard à statuer. La constatation d'un retard inadmissible à statuer constitue une forme de réparation pour celui qui en est la victime. Sous l'angle de la portée concrète et effective des droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme, la violation avérée peut être constatée dans le dispositif de l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances. La jurisprudence en matière pénale qui, sous certaines conditions, permet d'accorder des effets de droit matériel à la constatation d'un retard injustifié, ne peut être invoquée lorsque la réparation demandée consiste en l'octroi d'une prestation positive de l'Etat sous la forme d'une prestation d'assurance sociale, en raison d'une durée excessive de la procédure. Art. 29 al. 1 let. b LAI: Preuve de l'incapacité de travail. Le point de savoir si l'impossibilité de mettre en oeuvre une expertise doit en l'occurrence conduire à faire supporter à l'administration l'absence de la preuve d'une incapacité de travail au moment déterminant peut rester indécis.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-06-25;i.841.02 ?
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