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25/06/2003 | SUISSE | N°I.484/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 25 juin 2003, I.484/01


{T 7}
I 484/01

Arrêt du 25 juin 2003
Ire Chambre

MM. et Mme les Juges Schön, Président, Borella, Leuzinger, Rüedi et
Ferrari.
Greffière : Mme Moser-Szeless

G.________, recourant, représenté par Me Chantal Brunner-Augsburger,
avocate,
avenue de la Gare 10, 2114 Fleurier,

contre

Office AI du canton de Neuchâtel, Espacité 4-5, 2302 La
Chaux-de-Fonds,
intimé

Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, Neuchâtel

(Jugement du 25 juillet 2001)

Faits:

A.
Le 14 décembre 1997, G.________ circulait au volant de sa voiture à
Z.________. Après avoir dévié de sa trajectoire, le véhicule...

{T 7}
I 484/01

Arrêt du 25 juin 2003
Ire Chambre

MM. et Mme les Juges Schön, Président, Borella, Leuzinger, Rüedi et
Ferrari.
Greffière : Mme Moser-Szeless

G.________, recourant, représenté par Me Chantal Brunner-Augsburger,
avocate,
avenue de la Gare 10, 2114 Fleurier,

contre

Office AI du canton de Neuchâtel, Espacité 4-5, 2302 La
Chaux-de-Fonds,
intimé

Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, Neuchâtel

(Jugement du 25 juillet 2001)

Faits:

A.
Le 14 décembre 1997, G.________ circulait au volant de sa voiture à
Z.________. Après avoir dévié de sa trajectoire, le véhicule est
sorti de la
route, venant heurter un arbre sur sa droite. Lors de l'accident, le
prénommé
présentait un taux d'alcoolémie de 2,09 %o. Par ordonnance pénale du
13
janvier 1998, il a été condamné à une peine de vingt-cinq jours
d'emprisonnement avec sursis pendant trois ans et à 800 fr. d'amende
en
application des art. 31 al. 1 et 2, 90 ch. 1 et 91 al. 1 LCR, 2 al. 1
et 2 et
3a al. 1 OCR.

Les suites de cet accident qui avait causé au conducteur une fracture
comminutive du calcaneum droit ont été défavorables. Par décision du
2 mai
2001, l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel
(ci-après:
l'OAI) a retenu un taux d'invalidité de 100 % et a alloué à
G.________ une
rente entière à partir du 1er décembre 1998. La rente était toutefois
réduite
de 50 %, en raison de la faute grave commise par ce dernier,
sanctionnée
pénalement.

B.
Par jugement du 25 juillet 2001, le Tribunal administratif du canton
de
Neuchâtel a rejeté le recours que l'assuré avait déposé contre cette
décision.

C.
G.________ interjette recours de droit administratif contre ce
jugement dont
il demande l'annulation. Sous suite de dépens, il conclut
principalement à
l'octroi d'une rente entière d'invalidité, et subsidiairement à la
réduction
de la rente de 20 % pendant une durée de deux ans.

L'OAI conclut au rejet du recours.

D.
A la demande du juge délégué, l'Office fédéral des assurances
sociales a
déposé des observations au sujet desquelles l'assuré a eu l'occasion
de se
déterminer.

Considérant en droit:

1.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances
sociales du 6
octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003,
entraînant la
modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de
l'assurance-invalidité. Cependant, le cas d'espèce reste régi par les
dispositions de la LAI en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, eu égard
au
principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur
au moment
où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 127 V
467
consid. 1, 121 V 366 consid. 1b).

2.
2.1Selon l'art. 7 al. 1 LAI, les prestations en espèces peuvent être
refusées, réduites ou retirées, temporairement ou définitivement, à
l'assuré
qui a intentionnellement ou par faute grave, ou en commettant un
crime ou un
délit, causé ou aggravé son invalidité. Par cette disposition, l'on
vise à
empêcher que l'assurance-invalidité ne soit par trop mise à
contribution pour
couvrir les dommages que les intéressés auraient pu éviter en faisant
preuve
de la prudence nécessaire. Ce but est atteint en privant l'assuré de
l'intégralité ou d'une partie des prestations, proportionnellement à
la faute
commise (ATF 119 V 243 consid. 2a et les arrêts cités).

2.2 Aux termes de l'art. 32 § 1 let. e de la Convention OIT no 128
concernant
les prestations d'invalidité, de vieillesse et de survivants du 29
juin 1967,
en vigueur pour la Suisse depuis le 13 septembre 1978 (RO 1978 II
1493), et
de l'art. 68 let. f du Code européen de sécurité sociale (CESS) du 16
avril
1964, en vigueur pour notre pays depuis le 17 septembre 1978 (RO 1978
II
1518), les prestations d'assurances sociales auxquelles une personne
aurait
droit peuvent être «suspendues», c'est-à-dire refusées, réduites ou
retirées,
lorsque l'éventualité a été provoquée «par une faute grave et
intentionnelle», selon la convention no 128, ou «par une faute
intentionnelle
de l'intéressé», selon le CESS. Il en résulte, a contrario, que les
prestations - qui visent notamment les prestations d'assurance selon
la LAI -
ne peuvent être «suspendues» en cas de faute non intentionnelle de
l'intéressé (ATF 119 V 174 consid. 3a, 244 consid. 2b).

En revanche, les règles conventionnelles laissent subsister, en droit
interne, la possibilité de réduire des prestations à raison de la
commission
d'un crime ou d'un délit (art. 7 al. 1 in fine LAI; voir aussi l'art.
37 al.
3 première phrase LAA). Tant la convention no 128 (art. 32 § 1 let.
d) que le
CESS (art. 68 let. e) autorisent en effet la suspension des
prestations
«lorsque l'éventualité a été provoquée par un crime ou un délit
commis par
l'intéressé» (ATF 120 V 226 consid. 2a, 119 V 244 consid. 3; voir à
ce sujet:
Villars, Le Code européen de sécurité sociale et le Protocole
additionnel,
1979, p. 19; Berenstein, La Suisse et le développement international
de la
sécurité sociale, SZS 1981, p. 185; Rumo-Jungo, Die Leistungskürzung
oder
-verweigerung gemäss Art. 37-39 UVG, thèse Fribourg 1993, p. 430).

En l'absence d'éléments intentionnels, l'on doit donc se demander si
le
recourant a causé son invalidité en commettant un délit.

3.
3.1Le juge des assurances sociales n'est lié par les constatations et
l'appréciation du juge pénal ni en ce qui concerne la désignation des
prescriptions enfreintes, ni quant à l'évaluation de la faute
commise. En
revanche, il ne s'écarte des constatations de fait du juge pénal que
si les
faits établis au cours de l'instruction pénale et leur qualification
juridique ne sont pas convaincants, ou s'ils se fondent sur des
considérations spécifiques du droit pénal, qui ne sont pas
déterminantes en
droit des assurances sociales (ATF 125 V 242 consid. 6a et les
références).

3.2 Dans le cas particulier, il ressort des faits non contestés que
le juge
pénal les a qualifiés de perte de maîtrise au sens de l'art. 31 al. 1
LCR et
de conduite en état d'ébriété au sens de l'art. 31 al. 2 LCR. Il a
considéré
que ces infractions étaient constitutives d'une violation simple des
règles
de la circulation (art. 90 ch. 1 LCR) et de conduite en état
d'ébriété (art.
91 al. 1 LCR), la première de ces infractions étant une contravention
alors
que la seconde est un délit. Il n'y a pas de raison de s'écarter de
ces
considérations.

Il reste à déterminer si, à raison de la commission d'un délit, une
réduction
des prestations se justifie, ce que conteste le recourant.

4.
4.1Ainsi que cela ressort du texte de l'art. 7 al. 1 LAI («en
commettant un
crime ou un délit», «bei Ausübung eines Verbrechens oder Vergehens»,
«o
commettendo un crimine o un delitto»), une réduction consécutive à un
crime
ou à un délit suppose que l'invalidité soit survenue lors ou à
l'occasion de
la commission d'une infraction. Cela implique l'existence d'un lien
objectif
et temporel entre l'acte délictueux et l'atteinte à la santé; il n'est
toutefois pas nécessaire, contrairement à ce que pense le recourant,
que
l'acte comme tel soit la cause de l'atteinte à la santé (ATF 119 V 246
consid. 3c et les références).

En l'espèce, les conditions d'application de cette disposition légale
sont à
l'évidence réunies. L'accident avec perte de maîtrise du véhicule,
qui a
entraîné finalement l'invalidité, est survenu alors que le recourant
conduisait en état d'ébriété, comportement sanctionné comme délit
(cf. dans
ce sens Meyer-Blaser, Bundesgesetz über die Invalidenversicherung, ad
art. 7
LAI, p. 45 et 47).

4.2 Comme d'autres normes du droit des assurances sociales
sanctionnant le
comportement fautif de l'ayant droit, l'art. 7 al. 1 LAI a pour but
d'épargner à la communauté des assurés des charges qui pourraient être
évitées. Or, aux termes du message du Conseil fédéral relatif à un
projet de
loi modifiant celle sur l'assurance-vieillesse et survivants du 24
octobre
1958, cette disposition a été rédigée «dans le souci d'offrir aux
organes
d'exécution une marge d'appréciation aussi large que possible, afin
qu'ils
puissent, dans cet épineux domaine, tenir compte des particularités
du cas
d'espèce sans être liés par des règles impératives. La disposition en
question revêt par conséquent un caractère non impératif, et les
diverses
sanctions, qui vont de la réduction temporaire à la suppression
définitive,
ont été prévues sous une forme toute générale» (FF 1958 II 1187 sv.).

Le fait cependant que l'art. 7 al. 1 LAI est rédigé sous la forme
d'une norme
potestative («Kann-Vorschrift») ne permet toutefois pas d'inférer que
les
organes d'exécution ont la liberté de décider si une sanction doit ou
non
être prononcée. Ceux-ci ont seulement la compétence - c'est-à-dire le
droit
et l'obligation - de prononcer une sanction lorsque les conditions
légales
sont réunies (ATF 125 V 240 consid. 4 et arrêt cité).

C'est dire que l'office intimé était fondé, en application de l'art.
7 al. 1
LAI, à décider la réduction de la rente octroyée au recourant.

5.
Le recourant conteste ensuite le taux de la réduction de 50 % qu'il
juge
excessif.

L'assurance-invalidité n'a pas établi de directives ou de tabelles
prescrivant le taux de la réduction en cas de conduite en état
d'ébriété. En
matière d'assurance-accidents en revanche, la commission ad hoc
sinistres LAA
a établi des recommandations selon lesquelles le taux de réduction est
fonction du taux d'alcool. En règle ordinaire, à un degré d'alcoolémie
variant entre 0,8 et 1,2 %o correspond un taux de réduction de 20 %,
qui
augmente de 10% pour chaque 0,4 %o d'alcoolémie supplémentaire. Ces
taux sont
appliqués notamment par la Caisse nationale suisse d'assurance en cas
d'accidents (cf. Rumo-Jungo, op. cit., p. 222). Le Tribunal fédéral
des
assurances a maintes fois confirmé cette pratique des
assureurs-accidents
selon laquelle le taux de réduction en cas d'accident sous
l'influence de
l'alcool est fonction du degré d'alcoolémie (ATF 120 V 231 consid.
4c; RAMA
1996 n° U 263 p. 284 consid. 4, 1995 n° U 208 p. 24 consid. 3a).

Cette pratique ayant pour effet d'assurer une égalité de traitement,
l'application par analogie de ces règles se justifie également dans
le cas de
l'assurance-invalidité, et pour les mêmes raisons que dans le domaine
de
l'assurance-accidents.

Au regard du taux d'alcool retenu par le juge pénal sur la base de
l'analyse
du sang (2,09 %o), la réduction de 50 % décidée par l'administration
n'apparaît ainsi pas critiquable dès lors qu'elle correspond
exactement au
barème ci-dessus.

6.
A titre subsidiaire enfin, le recourant soutient que la réduction de
la rente
ne devrait être que temporaire.

Selon la jurisprudence, la rente est réduite en vertu de l'art. 7 al.
1 LAI
aussi longtemps qu'il subsiste un rapport de causalité entre la faute
de
l'assuré et l'invalidité. Une réduction limitée dans le temps n'est
admissible qu'exceptionnellement, lorsque, déjà au moment de la
fixation de
la rente, il est vraisemblable que la cause de l'invalidité
consistant dans
le comportement gravement fautif de l'assuré n'aura plus d'importance
après
une période pouvant être déterminée approximativement, parce que
d'autres
facteurs seront alors au premier plan. Aussi est-t-il logique de faire
dépendre la durée de la sanction des conséquences de la faute sur
l'atteinte
à la santé (ATF 125 V 241 consid. 5, 119 V 248 consid. 4b et les
arrêts
cités).
A la différence des cas relevant de la LAA, la LAI permet le prononcé
de
réductions limitées dans le temps. L'art. 7 al. 1 LAI repose en effet
sur
l'idée que l'incapacité de travail découlant de l'atteinte à la santé
peut se
modifier postérieurement à l'octroi de la rente. Dans ce cas, les
conséquences de la faute sur l'atteinte à la santé peuvent, au cours
du
temps, perdre de leur importance face à l'ensemble des autres
facteurs dont
découle le dommage (ATF 125 V 242 consid. 5).

Tel n'est toutefois pas le cas en l'espèce où l'invalidité repose sur
une
faute unique dont les conséquences malheureuses sur l'atteinte à la
santé
présentent un caractère durable. Or dans une telle situation où la
réduction
est opérée à raison d'un délit, la loi n'offre pas à l'assuré la
possibilité
de s'amender parce que cela reviendrait aussi à donner à la réduction
des
prestations un caractère pénal dont elle est totalement dépourvue.

Au vu de ce qui précède, le recours est mal fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal
administratif du
canton de Neuchâtel, à la Caisse cantonale neuchâteloise de
compensation et à
l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 25 juin 2003
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la Ire Chambre: La Greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.484/01
Date de la décision : 25/06/2003
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-06-25;i.484.01 ?
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