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20/06/2003 | SUISSE | N°8G.57/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 20 juin 2003, 8G.57/2003


{T 0/2}
8G.57/2003 /dxc

Arrêt du 20 juin 2003
Chambre d'accusation

MM. les Juges Karlen, Président,
Fonjallaz, Vice-président, et Marazzi.
Greffier: M. Fink.

A. ________,
plaignant, représenté par Me Daniel Peregrina, avocat, Baker &
McKenzie,
chemin des Vergers 4, 1208 Genève,

contre

Ministère public de la Confédération,
Taubenstrasse 16, 3003 Berne.

Ordonnance de refus de suivre (blanchiment d'argent),

plainte contre l'ordonnance de refus de suivre du
23 avril 20

03.

Faits:

A.
Le 29 janvier 2003, A.________ a déposé en main du Ministère public
de la
Confédération (abrégé...

{T 0/2}
8G.57/2003 /dxc

Arrêt du 20 juin 2003
Chambre d'accusation

MM. les Juges Karlen, Président,
Fonjallaz, Vice-président, et Marazzi.
Greffier: M. Fink.

A. ________,
plaignant, représenté par Me Daniel Peregrina, avocat, Baker &
McKenzie,
chemin des Vergers 4, 1208 Genève,

contre

Ministère public de la Confédération,
Taubenstrasse 16, 3003 Berne.

Ordonnance de refus de suivre (blanchiment d'argent),

plainte contre l'ordonnance de refus de suivre du
23 avril 2003.

Faits:

A.
Le 29 janvier 2003, A.________ a déposé en main du Ministère public
de la
Confédération (abrégé MPC) une dénonciation - intitulée plainte -
contre
quatre personnes pour blanchiment d'argent au sens de l'art. 305bis
CP.

En bref, le dénonciateur aurait perdu 16 millions de $ US dans une
opération
avec le gouvernement éthiopien, à la suite d'une escroquerie
impliquant le
premier ministre d'alors; celui-ci et les coauteurs ont été condamnés
à des
peines de 14 à 18 ans de détention pour abus d'autorité par la justice
éthiopienne. A la demande expresse du gouvernement éthiopien, le lésé
dit
avoir renoncé à se constituer partie civile dans ce procès, car on
lui avait
garanti de tout entreprendre pour lui restituer les 16 millions de $
US.

L'infraction jugée en Ethiopie avait fait l'objet d'une demande
d'entraide
pénale en Suisse. Le canton de Genève a également ouvert une
information
pénale pour blanchiment qui, selon le plaignant, a été classée en
2001. 6,7
millions de $ US ont pu être saisis. L'Office fédéral de la justice
est en
train d'examiner la requête de l'intéressé tendant à leur restitution.

Des documents découverts dans le cadre de procès civils intentés en
Angleterre contre l'un des coauteurs de l'escroquerie établiraient
que des
actes de blanchiment, distincts de ceux révélés dans des procédures
antérieures, auraient été commis en Suisse. Vu le classement de la
procédure
genevoise (n° P 12'300/96), le plaignant a estimé que seul le MPC,
nanti de
ses nouvelles compétences dès le 1er janvier 2002, devait se saisir
de ces
faits nouvellement apparus.

B.
Par une ordonnance de refus de suivre à une dénonciation (au sens de
l'art.
100 al. 3 PPF) du 23 avril 2003, le MPC a déclaré ne pas entrer en
matière
sur la plainte du 29 janvier 2003. D'après cette autorité, en résumé,
les
faits nouvellement découverts sont en étroite connexité avec ceux à
l'origine
de la procédure n° P 12'300/96, ouverte le 23 décembre 1996 à Genève,
qui
serait toujours en cours et dans le cadre de laquelle des séquestres
pénaux
ont été ordonnés; le plaignant s'y était constitué partie civile,
invoquant
notamment des actes de blanchiment imputables aux auteurs du crime de
base.
Cette connexité imposerait de joindre la nouvelle procédure à
l'ancienne qui
est du ressort des autorités genevoises, devant lesquelles
l'intéressé est
renvoyé à agir en application de l'ATF 128 IV 225.

De plus, vu les lourdes sanctions prononcées en Ethiopie, une peine
complémentaire pour blanchiment serait nécessairement de peu
d'importance.

Quant à l'entraide demandée par l'Ethiopie en 1997, le MPC précise que
l'Office fédéral de la justice y a donné suite notamment en ordonnant
des
séquestres qui sont encore en vigueur.

C.
Conformément à la voie de recours indiquée au pied de l'ordonnance de
refus
de suivre (art. 105bis al. 1 et 2 ainsi que 214 ss PPF), A.________ a
saisi
la Chambre d'accusation d'une plainte du 30 avril 2003 tendant à
l'annulation
de cette ordonnance et au renvoi de la procédure au MPC afin qu'il
ouvre une
information pénale pour blanchiment au sens de l'art. 305bis CP.
Selon lui,
sa qualité pour agir découlerait de l'art. 214 al. 2 PPF, il serait
également
un "lésé" immédiat puisque le blanchiment dénoncé permettrait en
l'état la
distraction de plus de la moitié du produit de l'escroquerie, lui
faisant
subir un dommage direct de l'ordre de 9,3 millions de $ US. Il invoque
également l'art. 6 CEDH et l'arrêt Tomasi du 27 août 1992 (Série A
241 - A,
p. 43 § 121), dans lequel la Cour européenne des droits de l'homme a
admis
que la partie civile cherche non seulement la constatation de la
culpabilité
mais également la réparation du préjudice subi; l'issue de la
procédure
serait ainsi déterminante pour des droits de caractère civil au sens
de
l'art. 6 par. 1 CEDH. Il estime que les éléments apportés
établiraient la
réalisation d'actes de blanchiment récemment découverts et que le MPC
serait
tenu d'ordonner l'ouverture d'une enquête, conformément à l'art. 101
PPF. La
procédure P 12'300/96 ne serait plus en cours au Parquet de Genève,
ce qui
ruinerait l'essentiel des considérants du MPC. Le raisonnement de
celui-ci,
découlant des lourdes peines prononcées en Ethiopie, sur lesquelles
une
condamnation complémentaire pour blanchiment n'aurait que peu
d'influence,
serait peu convaincant car les auteurs des actes de blanchiment ne
sont pas
nécessairement les condamnés et l'un d'entre ceux-ci a été jugé par
contumace.

D.
Invité à présenter des observations, le MPC s'en est remis à justice.

La Chambre considère en droit:

1.
1.1 Selon l'art. 100 al. 3 PPF, s'il n'existe pas de motif d'ouvrir
une
enquête, le procureur général décide de ne donner aucune suite à la
dénonciation. La victime au sens de l'art. 2 LAVI peut recourir dans
les 10
jours auprès de la Chambre d'accusation du Tribunal fédéral (art. 100
al. 5
PPF). La question de savoir si le dénonciateur lésé peut recourir
dans ce
cas est demeurée indécise (ATF 128 IV 223 consid. 2).

Cependant, par un arrêt du 2 avril 2003, destiné à la publication (n°
8G.32/2003), la Chambre de céans a tranché cette question
négativement;
ainsi, même un dénonciateur qui serait directement lésé par
l'infraction en
cause ne saurait se fonder sur l'art. 105bis al. 2 PPF pour recourir
contre
une décision de ne pas donner suite (consid. 1.5). En effet, la
systématique
de la PPF impose de rattacher d'une part la voie de recours de l'art.
100 al.
5 PPF à une décision appliquant l'art. 100 al. 3 PPF (refus de donner
suite);
d'autre part, la voie de recours prévue à l'art. 105bis al. 2 PPF
doit être
réservée à la contestation d'un acte d'enquête, après l'ouverture de
celle-ci
formellement ordonnée en vertu de l'art. 101 al. 1 PPF.

1.2 En l'espèce, le plaignant ne fait pas valoir une atteinte
directe, du
fait de l'infraction dénoncée, à son intégrité corporelle, sexuelle ou
psychique. Il n'est donc pas une victime au sens de la LAVI. Dès
lors, il
n'est pas habilité à déposer une plainte devant la Chambre de céans
contre la
décision du MPC de ne pas donner suite à sa dénonciation du 23
janvier 2003.

1.3 Le plaignant soutient au demeurant que l'art. 6 CEDH garantirait
aux
parties, dont le lésé, le droit de porter le litige devant un tribunal
indépendant. Il déduit de l'arrêt Tomasi du 27 août 1992 (Série A 241
- A p.
43 § 121) que lorsque la procédure pénale est déterminante pour des
droits de
caractère civil, l'Etat doit procéder aux investigations nécessaires.

L'arrêt Tomasi c. France se rapporte à une demande d'indemnité
présentée par
la partie civile qui avait été victime de sévices infligés par la
police. La
Cour européenne des droits de l'homme a examiné la requête sous
l'angle de
l'art. 6 § 1 CEDH, soit dans ce cas quant au droit de faire entendre
sa cause
dans un délai raisonnable par un tribunal qui décidera des
contestations sur
les droits de caractère civil. D'après cette décision, le droit
français
prévoit la constitution de partie civile dès lors que les
circonstances
invoquées permettent de supposer l'existence du préjudice allégué et
un lien
direct avec l'infraction, ce qui était le cas. Le droit à indemnité
revendiqué par M. Tomasi dépendait donc de l'issue de sa plainte,
c'est-à-dire de la condamnation des auteurs des sévices incriminés; il
revêtait un caractère civil, nonobstant la compétence des juridictions
pénales et ainsi l'art. 6 § 1 CEDH trouvait à s'appliquer. Ensuite,
la Cour a
constaté qu'il y avait eu dépassement du délai raisonnable et a mis à
la
charge de l'Etat défendeur une indemnité.

1.4 On ne discerne pas en quoi l'arrêt Tomasi conduirait à considérer
ici que
l'absence de qualité pour recourir du dénonciateur empêcherait
celui-ci de
porter le litige devant un tribunal indépendant.

En particulier, l'ordonnance (de refus de donner suite) attaquée
renvoie le
plaignant à agir devant les autorités cantonales; on ne saurait
l'assimiler à
une façon, pour l'Etat, de refuser à la partie civile la possibilité
de
porter le litige devant un tribunal.

De plus, la CEDH ne reconnaît pas le droit de provoquer des poursuites
pénales contre des tiers et les garanties de l'art. 6 CEDH ne
s'appliquent
pas aux plaignants et accusateurs privés dont l'objectif est la
condamnation
de tierces personnes (voir la décision de la Commission européenne
des droits
de l'homme du 10 février 1993, déclarant irrecevable la requête Taline
Wursten c. Suisse, décision résumée dans JAAC 1993 p. 506/507). Dans
une
décision d'irrecevabilité du 18 janvier 1996, la Commission
européenne des
droits de l'homme a considéré que l'art. 6 CEDH ne garantissant pas
le droit
d'engager des poursuites pénales, il ne saurait a fortiori en être
déduit un
droit de se constituer partie civile (décision Szokoloczy-Grobet c.
Suisse,
résumée dans JAAC 1996 p. 880).

Au demeurant, l'art. 53 CO prévoit que le jugement pénal ne lie pas
le juge
civil, notamment en cas d'acquittement. On ne discerne donc pas en
quoi le
refus de donner suite pourrait avoir une influence négative sur
d'éventuelles
prétentions civiles soumises au juge civil. D'ailleurs, le plaignant
concède
qu'il a pu faire valoir valablement de telles prétentions, découlant
de
l'escroquerie, devant un tribunal anglais. Quant au classement de la
procédure genevoise, il n'est pas démontré qu'il serait définitif; en
général, la découverte de nouveaux éléments permet la réouverture des
poursuites pénales.

Dès lors, le moyen tiré d'une prétendue violation de la CEDH doit être
rejeté.

2.
2.1Dans la mesure où le plaignant s'en prend à l'interprétation des
règles de
compétence adoptée par le MPC dans la décision attaquée, on ne
saurait le
suivre. En effet, la Chambre de céans a jugé que l'art. 260 PPF, en
vigueur
dès le 1er janvier 2001, était calqué sur l'art. 264 PPF; dès lors,
les
règles procédurales en matière de conflits de for intercantonaux sont
applicables aux litiges entre le Procureur général de la
Confédération et les
autorités cantonales de poursuite pénale, conflits portant sur la
compétence
d'enquêter notamment en matière de criminalité économique (ATF 128 IV
225
consid. 2.3). Dans un arrêt encore plus récent, il a été précisé que
le lésé,
le plaignant et le dénonciateur sont en principe dépourvus de la
qualité pour
porter plainte au sujet du for, sauf en cas de conflit négatif; en
effet, la
qualité pour contester le for dépend étroitement de la qualité pour
former un
pourvoi en nullité. Or, depuis l'entrée en vigueur du nouvel art. 270
PPF, le
1er janvier 2001, le lésé et le plaignant n'ont plus cette qualité
pour
recourir, ce qui conduit à leur dénier la qualité pour agir en se
fondant sur
l'art. 260 ou 264 PPF (ATF 128 IV 232 consid. 3.2).
2.2 En l'espèce, la dénonciation du 29 janvier 2003 porte sur
l'infraction de
blanchiment d'argent, qui est poursuivie d'office. Or, le
dénonciateur n'est
pas habilité à saisir la Chambre de céans d'une plainte au sujet de la
compétence, fédérale ou cantonale, pour ouvrir la poursuite pénale.
Ainsi,
même sous l'angle d'un litige sur cette compétence, la plainte est
irrecevable, faute de qualité pour agir.

Au demeurant est pertinente l'argumentation du MPC, qui fait valoir la
connexité des faits complémentaires aujourd'hui dénoncés avec ceux
qui sont à
l'origine de la procédure genevoise et renvoie le plaignant à saisir
les
autorités du canton de Genève (voir ATF 128 IV 225 consid. 3.3).

3.
Faute de qualité pour agir, la plainte est irrecevable. La voie de
recours
indiquée étant erronée, il se justifie de statuer sans frais.

Par ces motifs, la Chambre prononce:

1.
La plainte est irrecevable.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du plaignant
et au
Ministère public de la Confédération.

Lausanne, le 20 juin 2003

Au nom de la Chambre d'accusation
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 8G.57/2003
Date de la décision : 20/06/2003
Chambre d'accusation

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-06-20;8g.57.2003 ?
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