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13/06/2003 | SUISSE | N°4P.58/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 13 juin 2003, 4P.58/2003


{T 0/2}
4P.58/2003 /ech

Arrêt du 13 juin 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Walter et Favre.
Greffière: Mme Michellod

X.________ SA,
recourante, représentée par Me Mohamed Mardam Bey, rue Charles-Bonnet
2, 1206
Genève,

contre

Y.________ SA,
intimée, représentée par Me Dominique Warluzel, avocat, rue de
Saint-Victor
12, case postale 473,
1211 Genève 12,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3.>
art. 9 Cst. (procédure civile; aveu judiciaire; arbitraire;
appréciation des
preuves),

recours de droit public contr...

{T 0/2}
4P.58/2003 /ech

Arrêt du 13 juin 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Walter et Favre.
Greffière: Mme Michellod

X.________ SA,
recourante, représentée par Me Mohamed Mardam Bey, rue Charles-Bonnet
2, 1206
Genève,

contre

Y.________ SA,
intimée, représentée par Me Dominique Warluzel, avocat, rue de
Saint-Victor
12, case postale 473,
1211 Genève 12,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst. (procédure civile; aveu judiciaire; arbitraire;
appréciation des
preuves),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la
Cour de
justice du canton de Genève, rendu le
14 février 2003.

Faits:

A.
A la foire de Bâle d'avril 1997, Y.________ SA (ci-après: Y.________)
a vendu
à X.________ SA (ci-après: X.________) dix articles d'horlogerie pour
lesquels elle a établi, le 29 juillet 1997, les factures n°s 97116 de
91'559
fr. et 97117 de 13'910 fr. Le 16 septembre 1997, X.________ a versé à
Y.________ 30'000 fr. à titre de paiement partiel de ces deux
factures. Pour
le règlement du solde, X.________ a sollicité et obtenu un report
d'échéance
à fin décembre 1997, qui n'a pas été respecté.

Le 23 juin 1997, Y.________ et X.________ ont passé un contrat de
consignation, soumis au droit suisse, portant sur d'autres produits
horlogers
que ceux mentionnés ci-dessus, et qui restaient propriété de
Y.________, le
consignataire ayant le choix de vendre ces produits à un tiers
acquéreur, de
les restituer au consignateur ou de s'en porter acquéreur moyennant
paiement
de leur prix. Ce dernier résultait d'une facture "pro forma" libellée
au nom
du consignataire et exigible dans les dix jours suivant la vente au
détail du
produit à un tiers.

Concernant les montres achetées à la foire de Bâle 1997 (factures n°s
97116
et 97117), Y.________ a écrit le 30 juin 1998 à X.________ qu'elle
mettait le
contentieux en suspens pour un temps indéterminé et considérait la
marchandise facturée "comme si elle vous était confiée". Il était
précisé que
la marchandise restait propriété de X.________ et que la facture était
"exigible en tout temps sur le plan formel". Pour des raisons
techniques,
Y.________ a refusé de reprendre cette marchandise et d'établir une
note de
crédit.

Le 30 juillet 1998, Y.________ a informé Z.________ que les produits
horlogers correspondant à la facture n° 97116 étaient "une
marchandise en
consignation ne faisant pas l'objet d'une facturation". Ce courrier a
été
établi à la requête de X.________ pour qu'elle n'ait pas besoin de
payer la
TVA sur cette facture. Pour le signataire de cette lettre, à l'époque
directeur financier de Y.________, il n'était pas question que les
objets
vendus fermes soient considérés comme consignés.

Le 20 avril 1999, Y.________ a résilié le contrat de consignation. Le
15
juillet 1999, elle a requis la faillite sans poursuite préalable de
X.________; sa demande a été rejetée.

B.
Le 9 mars 2000, Y.________ a introduit une action en paiement de
142'303,55
fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 7 juillet 1999, devant le Tribunal
de
première instance de Genève, somme incluant les montants des deux
factures
susmentionnées. A l'appui de ses prétentions, Y.________ s'est
référée au
contrat de consignation et a fait valoir que, dans la mesure où
X.________
avait versé un acompte de 30'000 fr., cette dernière avait choisi de
manière
irrévocable de devenir propriétaire des articles en sa possession, de
sorte
que le solde de ces factures lui était dû. X.________ a répondu que
les
montres commandées à la foire de Bâle 1997 devaient être considérées
comme
consignées, la vente d'avril 1997 ayant été transformée par la suite
en
consignation, par novation entre les parties.

Par jugement du 7 mars 2002, le Tribunal a écarté cette argumentation
et a
condamné X.________ à payer à Y.________ 142'303,55 fr. avec intérêts
à 5%
dès le 7 juillet 1999, étant précisé que sur cette somme 76'009 fr.
étaient
dus en vertu du contrat de vente passé à la foire de Bâle 1997.

C.
En temps utile, X.________ a déféré ce jugement à la Cour de justice.
Par
arrêt du 14 février 2003, la Chambre civile de cette autorité a
confirmé pour
l'essentiel le jugement attaqué en condamnant X.________ à payer à
Y.________
le montant de 140'803,55 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 7 juillet
1999.
Elle a retenu en substance que la volonté réelle des parties n'avait
pas été,
en raison de l'opposition de Y.________ à une telle solution, de
substituer
un contrat de consignation au contrat de vente, la novation ne se
présumant
pas et Y.________ ayant uniquement voulu surseoir au paiement des
factures
notifiées à X.________. Le fait que Y.________ ait évoqué le contrat
de
consignation à l'appui de sa demande en paiement relevait d'une
erreur de
fait de sa part, lui permettant valablement de revenir sur son aveu,
au sens
de l'art. 189 de la loi de procédure civile genevoise du 10 avril 1987
(LPC/GE). X.________ devait en conséquence payer le prix des pièces
portées
sur la facture n° 97116.

D.
X.________ forme un recours de droit public contre l'arrêt de la Cour
de
justice du 14 février 2003, dont elle requiert l'annulation avec
suite de
frais et dépens. Elle invoque une grossière violation de l'art. 189
LPC/GE
ainsi qu'une appréciation arbitraire des preuves, à la suite
desquelles la
cour cantonale a exclu la novation entre les parties au profit de la
prétendue simulation avancée par Y.________.
Cette dernière conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement
à son
rejet dans la mesure où il est recevable. La Cour de justice se
réfère aux
considérants de son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que
les
griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans
l'acte
de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 129 I 113 consid. 2.1, p.
120; 128
III 50 consid. 1c et les arrêts cités, p. 53/54).

2.
Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est
manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un
principe
juridique clair et indiscuté, ou encore heurte de manière choquante le
sentiment de la justice et de l'équité. Il ne suffit pas que sa
motivation
soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse
arbitraire dans
son résultat. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la
solution
retenue que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction
manifeste
avec la situation effective, adoptée sans motif objectif et en
violation d'un
droit certain. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre
solution
paraît également concevable, voire même préférable (ATF 129 I 8
consid. 2.1,
p. 9 et les arrêts cités).
En matière d'appréciation des preuves, il y a arbitraire lorsque
l'autorité
ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve
propre à
modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur le sens
et la
portée d'un tel élément, ou encore lorsqu'elle tire des constatations
insoutenables des éléments recueillis (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41;
124 I
208 consid. 4a).

3.
3.1L'art. 189 LPC/GE dispose que l'aveu judiciaire ne peut être
révoqué, à
moins qu'on ne prouve qu'il a été la suite d'une erreur de fait. Il
ne peut
pas être révoqué sous prétexte d'une erreur de droit. Plus
précisément, la
partie dont il émane ne peut le révoquer que si elle prouve que sa
déclaration est le fruit d'une erreur sur les faits qui sont à
l'origine de
l'aveu (Bertossa/Gaillard/Guyet, Commentaire de la loi de procédure
civile
genevoise, ad art. 189 n. 3). L'aveu judiciaire, qui n'est pas à
proprement
parler un moyen de preuve puisque la partie adverse ne peut pas le
contester
(Fabienne Hohl, Procédure civile, Tome I, Berne 2001, p. 188/189;
Oscar
Vogel/Karl Spühler, Grundriss des Zivilprozessrechts, Berne 2001, p.
254 n.
13 et 288 n. 168), lie le juge dans les procès soumis à la maxime de
disposition. La révocabilité est soumise, en procédure genevoise, à
l'exigence de la preuve d'une erreur sur les faits ayant motivé
l'aveu, alors
que d'autres législations se contentent de la simple vraisemblance
(Poudret,
Haldy, Tappy, Procédure civile vaudoise, Lausanne 2002, p. 306).

3.2 Dans le cas particulier, la Cour de justice a considéré que
l'intimée
s'était trouvée dans une erreur de fait qui lui avait permis
valablement de
revenir sur son aveu, exprimé par la circonstance qu'elle s'était
fondée sur
le contrat de consignation du 23 juin 1997 pour faire valoir sa
demande en
paiement des deux factures litigieuses n°s 97116 et 97117.

Dans le cadre du présent recours de droit public, il convient
d'examiner si
la cour cantonale a procédé à une application arbitraire de l'art.
189 LPC/GE
en considérant que la preuve de l'erreur de fait était rapportée, ou
s'il
s'agissait d'une simple erreur de droit ne permettant pas d'effacer
"les
effets probants de la déclaration faite en justice" (Bertossa et
autres, déjà
cités), soit l'invocation par la partie intimée d'un contrat de
consignation
à l'appui de ses prétentions pécuniaires.

Si le juge cantonal est tenu par les conclusions des parties, il
applique
d'office le droit et statue sur leur mérite indépendamment de
l'argumentation
juridique avancée par les plaideurs (Bertossa et autres, op. cit., ad
art.
300 n. 8). Ceci vaut sans restriction lorsque la Cour de justice
genevoise
est saisie d'un appel ordinaire, formé contre un jugement rendu en
premier
ressort par le Tribunal de première instance et assorti d'un effet
dévolutif
complet, ce qui est le cas présentement. Il faut donc vérifier si la
Cour de
justice est tombée dans l'arbitraire lorsqu'elle a établi que les
actes à la
base du rapport juridique d'avril 1997 étaient caractéristiques d'un
contrat
de vente et que l'intimée se trouvait dans une erreur sur les faits
lorsqu'elle a invoqué le contrat de consignation du 23 juin 1997 pour
motiver
sa demande en paiement.

En l'espèce, la recourante soutient que la transaction d'avril 1997,
ayant
donné lieu aux factures n°s 97116 et 97117, dont seule la première
est encore
litigieuse, relevait du contrat de consignation, en raison d'un accord
postérieur des parties emportant novation du contrat de vente d'avril
1997.
De son côté, l'intimée a fondé sa créance sur un contrat de
consignation,
mais la cour cantonale a retenu, à l'issue d'une appréciation des
preuves,
que l'invocation de cette convention constituait une erreur de fait,
déliant
le juge du caractère contraignant de l'aveu judiciaire, en raison du
vice de
consentement qui l'affectait.

En présence des intentions et des opinions divergentes des parties,
malgré
l'apparence d'un accord à cause de l'utilisation de l'expression
"contrat de
consignation", les précédents juges ont dû recourir à l'interprétation
objective, fondée sur la théorie de la confiance. Pour cela, ils se
sont
appuyés sur le contenu des manifestations de volonté et sur les
circonstances, soit sur des éléments de faits (ATF 129 III 118
consid. 2.5,
p. 122/123 et les arrêts cités).

D'après ce principe, la Cour de justice a considéré que les parties
n'avaient
pas voulu remplacer le contrat de vente d'avril 1997 par un rapport de
consignation, aucune novation n'ayant été stipulée entre elles pour
accomplir
la substitution envisagée par la seule recourante, mais pas par
l'intimée,
malgré la référence de cette dernière à la notion de consignation. En
appliquant le principe de la confiance, la cour cantonale a jugé que
la
novation, qui ne se présume pas, n'était pas intervenue (ATF 126 III
375
consid. 2e/bb et les références, p. 380/381), de sorte que la facture

97116 restait due en raison du contrat de vente initial.

Dans le cas particulier, la cour cantonale a retenu du versement d'un
acompte
de 30'000 fr. en septembre 1997, de la lettre du 30 juin 1998 de
l'intimée à
la recourante et de la grande majorité des témoignages, que la
marchandise
commandée en avril 1997 était pleinement devenue la propriété de la
recourante, et que la facture n° 97116 restait exigible. Seules les
modalités
de paiement avaient été modifiées, en ce sens que des délais avaient
été
accordés à la recourante et que certaines mesures avaient été prises à
l'intention des autorités douanières, en raison de l'expiration du
passavant
d'importation. A cet égard, la lettre de l'intimée à la recourante
précisant
que la marchandise en question serait considérée "comme si elle vous
était
confiée", tout en précisant qu'elle restait la propriété de
l'acheteuse et
que la facture demeurait exigible, démontrait que le transfert de
propriété
avait eu lieu et que l'acheteur devait accomplir sa prestation, à
savoir le
paiement de la facture, non contestée dans sa quotité.

3.3 La Cour de justice a estimé de manière soutenable que les quelques
indices faisant penser à un contrat de consignation ne reflétaient
pas la
réelle intention des parties, mais étaient destinés à des tiers,
notamment
aux autorités douanières, afin de donner le plus de temps possible à
la
recourante pour vendre à sa clientèle les produits achetés par elle,
et en
verser le prix à l'intimée. L'ensemble des témoins, à l'exception de

A.________, se sont exprimés dans ce sens. Celui-ci a simplement
déclaré que
sa société n'avait "jamais fait de lettre de complaisance" et
qu'ainsi le
courrier du 30 juillet 1998 de l'intimée devait être compris dans son
sens
littéral, à savoir que la marchandise était livrée en "consignation".
Sur ce
dernier point, les précédents juges expliquent qu'ils ont écarté cette
déposition au vu des divers éléments du dossier, notamment des autres
témoignages unanimes qui la contredisaient, et par référence à la
propre
déposition du témoin qui a affirmé ne plus s'être occupé des affaires
du
groupe Y.________ depuis le début 1998. En particulier, il n'avait
pas suivi
le dossier de la recourante.

En écartant ce témoignage, qui rappelait un principe sans faire de
référence
aux circonstances propres à l'affaire litigieuse, la cour cantonale
n'a pas
versé dans l'arbitraire. Elle a procédé à une appréciation de
l'ensemble des
preuves, compatible avec l'art. 9 Cst., qui l'a conduite à admettre,
de façon
soutenable, que l'intimée avait commis une erreur de fait, entrant
dans les
prévisions de l'art. 189 LPC/GE, lorsqu'elle a invoqué le contrat de
consignation à l'appui de sa demande en paiement, aveu judiciaire
rétractable
en raison de cette circonstance.

Il s'ensuit que le grief d'arbitraire dans l'appréciation des preuves
et
l'application de l'art. 189 LPC/GE doit être écarté, ce qui entraîne
le rejet
du recours.

4.
Vu l'issue du recours, il appartiendra à la recourante, qui succombe,
d'assumer les frais judiciaires et les dépens de la procédure
fédérale (art.
156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5'500 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 6'500 fr. à titre
de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 13 juin 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.58/2003
Date de la décision : 13/06/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-06-13;4p.58.2003 ?
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