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10/06/2003 | SUISSE | N°4P.263/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 10 juin 2003, 4P.263/2002


{T 0/2}
4P.263/2002 /ech

Arrêt du 10 juin 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Walter, Rottenberg
Liatowitsch,
Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme Charif Feller.

A. ________ Ltd.,
recourante, représentée par Maîtres Sabine Simkhovitch-Dreyfus et Ian
Meakin,
avocats, p.a. Me S. Simkhovitch-Dreyfus, rue de l'Athénée 34, 1206
Genève,

contre

B.________ SA,
C.________ GmbH,
intimées,
toutes 2 représentées par Maîtres Martin Lutz et Peter Hafter,

avocats,
Bleicherweg 58, 8002 Zürich,
Tribunal Arbitral Chambre de Commerce de Zürich, c/o Me Z.________

art. 85 let. c ...

{T 0/2}
4P.263/2002 /ech

Arrêt du 10 juin 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Walter, Rottenberg
Liatowitsch,
Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme Charif Feller.

A. ________ Ltd.,
recourante, représentée par Maîtres Sabine Simkhovitch-Dreyfus et Ian
Meakin,
avocats, p.a. Me S. Simkhovitch-Dreyfus, rue de l'Athénée 34, 1206
Genève,

contre

B.________ SA,
C.________ GmbH,
intimées,
toutes 2 représentées par Maîtres Martin Lutz et Peter Hafter,
avocats,
Bleicherweg 58, 8002 Zürich,
Tribunal Arbitral Chambre de Commerce de Zürich, c/o Me Z.________

art. 85 let. c OJ et art. 190 al. 2 LDIP (arbitrage international;
compétence; honoraires),

recours de droit public contre la sentence du Tribunal Arbitral
Chambre de
Commerce de Zürich du 14 novembre 2002.

Faits:

A.
Le 27 septembre 1994, A.________ Ltd. (demanderesse et recourante),
société
de droit israélien, a conclu avec C.________ GmbH (défenderesse et
intimée),
société de droit allemand, ainsi qu'avec B.________ SA (défenderesse
et
intimée), société suisse, un contrat portant sur le développement d'un
produit pharmaceutique dont les droits ont été acquis par la
demanderesse.

L'article 12 de ce contrat prévoit, en substance, que tout différend
entre
les parties sera tranché par la voie de l'arbitrage conformément aux
règles
de procédure de la Chambre de Commerce de Zurich (CCZ), le tribunal
arbitral
devant siéger dans cette ville.

Les défenderesses ont prématurément résilié ledit contrat, le 8
septembre
1995.

B.
B.aLe 10 septembre 1996, la demanderesse a mis en oeuvre la procédure
arbitrale, concluant à ce que les défenderesses lui paient la somme
de 5,3
millions US$ ainsi qu'un montant non encore déterminé. Elle a proposé
comme
arbitre Mme X.________.

Les défenderesses ont proposé M. Y.________; le président de la CCZ a
désigné
M. Z.________ comme président du Tribunal arbitral.

B.b Par sentence partielle (interim award) du 21 janvier 2000, le
Tribunal
arbitral a admis dans son principe la responsabilité des
défenderesses,
considérant qu'elles avaient à tort résilié le contrat les liant à la
demanderesse, et a réservé sa décision sur la quotité du dommage.

B.c Dans le cadre de la procédure relative aux dommages-intérêts, le
Tribunal
arbitral a exigé le 9 mars 2000 une avance de frais de 300'000 frs.
des deux
parties. La demanderesse a été admise à faire valoir ses prétentions
jusqu'au
31 juillet 2000. A cette date, celles-ci s'élevaient à environ 2,7
milliard
US$. Par la suite, le Tribunal arbitral a exigé des deux parties des
avances
de 1,16 millions frs. le 4 octobre 2000, de 1 million frs. le 15
novembre
2001 et de 1,3 millions frs. le 7 février 2002. Ces exigences
faisaient suite
aux augmentations successives des prétentions de la demanderesse,
lesquelles
ont atteint plus de 16,5 milliard US$ le 9 janvier 2002.

Par lettre du 5 mars 2002, la demanderesse a requis du Tribunal
arbitral un
décompte détaillé des heures investies dans la procédure depuis la
sentence
partielle du 21 janvier 2000. Elle a renvoyé aux articles 2.1 et 2.2
du
nouveau Barème des frais d'arbitrage de la CCZ (Barème CCZ), entré en
vigueur
le 1er janvier 2001, en alléguant que le temps de travail effectif des
arbitres, prévu à l'article 2.2, prévalait sur la valeur litigieuse.
Elle a
déclaré limiter le montant de ses prétentions à celles contenues dans
sa
réplique du 23 février 2001, soit à environ 6,3 milliard US$. Elle a
également annoncé qu'elle tenait pour suspendu le délai pour effectuer
l'avance des frais.

Après avoir transmis à la demanderesse le 6 mars 2002 une copie de
l'art. 2.1
du Barème CCZ, en mentionnant qu'il allait revenir sur cette
question, le
Tribunal arbitral a prolongé, le 18 mars 2002, le délai de paiement de
l'avance des frais par la demanderesse au 22 mars 2002, tout en
invitant les
défenderesses à se substituer, le cas échéant, à la demanderesse. Par
courrier du 20 mars 2002, celle-ci a annoncé qu'elle paierait
l'avance des
frais jusqu'au 5 avril 2002, en signalant toutefois son désaccord
avec ce «
paiement forcé ». A ses yeux, la question soulevée ne concerne ni sa
capacité
de payer ni l'identité du payeur; il s'agit d'une question de
principe à
laquelle le Tribunal arbitral n'a toujours pas répondu. Celui-ci a
déclaré le
21 mars 2002 qu'il allait y revenir.

Le 10 avril 2002, les arbitres ont précisé, lors d'une réunion avec
les
avocats des parties, avoir calculé leur demande d'avance des frais
depuis le
1er janvier 2001 sur la base d'un tarif horaire par arbitre de 2'500
frs.
Dans une lettre du 17 avril 2002, la demanderesse, contestant ce
montant, a
interpellé le président de la CCZ à ce sujet. A l'audience du 22
avril 2002,
elle a réservé tous ses droits, en fonction de la réponse apportée à
la
question soulevée par la CCZ. Le 26 avril 2002, les défenderesses ont
suggéré
que la question du tarif horaire soit soumise à la CCZ, comme prévu à
l'art.
2.1 al. 3 du Barème CCZ, et de s'en remettre à sa décision.

Le 5 juillet 2002, la CCZ a limité à 900 frs. le tarif horaire prévu
à l'art.
2.2. du Barème. Par courrier du 9 juillet 2002, la demanderesse a
proposé au
Tribunal arbitral l'application d'un tarif horaire de 750 frs. dès le
1er
janvier 2001, compte tenu de la directive de la CCZ et du fait que
l'arbitrage avait commencé en 1996, alors que le tarif horaire maximal
s'élevait à 500 frs.; elle sollicitait la confirmation de sa
proposition. Le
13 août 2002, la demanderesse a réitéré son point de vue et demandé le
remboursement de 750'000 frs. à chacune des parties. Le 10 septembre
2002,
les défenderesses ont proposé un tarif horaire de 960 frs.,
conformément au
tarif maximal prévu pour les avocats zurichois et au vu de la valeur
litigieuse excédant les 4 millions frs.

B.d Par courrier du 1er novembre 2002, la demanderesse, mettant en
doute
l'indépendance des trois arbitres en raison de son intervention pour
la
réduction de leurs honoraires, les a récusés. Elle a également requis
la
suspension de la procédure en cours et a demandé le décompte détaillé
des
honoraires des arbitres ainsi que le remboursement des avances
perçues en
trop. Invoquant l'art. 16 du Règlement d'arbitrage international de
la CCZ
(Règlement CCZ), la demanderesse a invité les arbitres à se
déterminer dans
les dix jours et a sollicité la CCZ, à laquelle elle a adressé une
copie de
son courrier, de statuer, au cas où les arbitres contestaient leur
récusation.

B.e Le 14 novembre 2002, le Tribunal arbitral a rendu sa sentence
finale
(final award). Il a condamné les défenderesses à payer à la
demanderesse
125'000 US$, plus intérêts, à titre de dommages-intérêts. Le Tribunal
a mis
les frais d'arbitrage à raison de 1'677'148.23 frs. à la charge de la
demanderesse et de 325'707.77 frs. à la charge des défenderesses. Il
a encore
condamné la demanderesse au paiement de 3'522'970 frs. aux
défenderesses, à
titre de dépens.

Le Tribunal arbitral a appliqué un tarif horaire de 900 frs., dès le
1er
janvier 2001. Les deux parties ayant avancé 4,3 millions frs. au
total, le
Tribunal leur a restitué 2'297'144 frs. au total, après déduction des
frais
d'arbitrage.

Par courrier du même jour, le Tribunal arbitral a contesté la
récusation
requise par la demanderesse.

B.f Le 20 novembre 2002, la demanderesse a réitéré sa demande de
récusation
auprès de la CCZ. Relevant que le Tribunal arbitral avait rendu une
sentence
finale avant que la CCZ n'ait statué sur la demande de récusation,
elle a
déclaré devoir interjeter parallèlement un recours au Tribunal
fédéral.

Par décision du 13 décembre 2002, la Commission d'arbitrage de la CCZ
a
déclaré la demande de récusation irrecevable. Elle a considéré que la
sentence du Tribunal arbitral mettait fin à la procédure arbitrale en
question et que celui-ci avait, le même jour, contesté sa récusation.
Il ne
lui appartenait donc pas de statuer sur la régularité de la sentence
arbitrale, la demanderesse ayant du reste déjà laissé entendre qu'elle
recourrait au Tribunal fédéral. Une appréciation du comportement du
Tribunal
arbitral durant la procédure, sous l'angle d'une éventuelle atteinte à
l'indépendance, ne serait de toute façon plus possible sans référence
à la
sentence arbitrale. Au regard de l'indépendance du Tribunal arbitral
qui a
statué ou d'un éventuel futur Tribunal, la Commission d'arbitrage a
estimé
devoir s'abstenir de commenter de quelque manière que ce soit la
sentence
arbitrale.

C.
La demanderesse a formé un recours de droit public au Tribunal
fédéral, fondé
sur l'art. 190 al. 2 let a, b, d et e LDIP. Elle conclut à
l'annulation de la
sentence attaquée, et, le cas échéant, au renvoi de la cause à la CCZ
pour
qu'elle statue sur sa requête de récusation, ou à la récusation
directe des
trois arbitres par le Tribunal fédéral.

Les défenderesses et intimées concluent au rejet du recours dans la
mesure où
il est recevable.

Le Tribunal arbitral renonce à répondre au recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal arbitral a rédigé la sentence attaquée en anglais. La
recourante
et les intimées se sont exprimées, respectivement, en français et en
allemand
devant le Tribunal fédéral. La Cour de céans décide de rendre son
arrêt en
français (art. 37 al. 3 OJ; cf. Poudret, COJ I, n. 4.2 ad art. 37 OJ).

2.
Selon l'art. 85 let. c OJ, le recours de droit public au Tribunal
fédéral est
ouvert contre une sentence arbitrale aux conditions des art. 190 ss
LDIP.

2.1 La clause compromissoire, insérée dans le contrat conclu le 26
avril
1991, fixe le siège du Tribunal arbitral en Suisse (à Zurich). La
recourante
n'avait, au moment de la conclusion de cette convention d'arbitrage,
ni son
domicile ni sa résidence habituelle en Suisse; les art. 190 ss LDIP
sont donc
applicables (art. 176 al. 1 LDIP), les parties n'en ayant pas exclu
l'application par écrit en choisissant d'appliquer exclusivement les
règles
de la procédure cantonale en matière d'arbitrage (art. 176 al. 2
LDIP).

2.2 Le recours au Tribunal fédéral prévu par l'art. 191 al. 1 LDIP est
ouvert, puisque les parties n'ont pas choisi, en lieu et place, le
recours à
l'autorité cantonale (art. 191 al. 2 LDIP) et qu'elles ne l'ont pas
non plus
exclu conventionnellement (cf. art. 192 al. 1 LDIP).

2.3 Le recours ne peut être formé que pour l'un des motifs énumérés de
manière exhaustive à l'art. 190 al. 2 LDIP (ATF 128 III 50 consid.
1a).

La sentence attaquée étant une décision finale, le recours est ouvert
pour
tous les motifs prévus par l'art. 190 al. 2 LDIP (art. 190 al. 3 LDIP
a
contrario).

3.
Pour le recours en matière d¿arbitrage international, la procédure
devant le
Tribunal fédéral est régie par les dispositions de la loi fédérale
d'organisation judiciaire (OJ) relatives au recours de droit public
(art. 191
al. 1, 2ème phrase, LDIP).

3.1 La recourante a un intérêt personnel, actuel et juridiquement
protégé à
ce que la décision n'ait pas été rendue en violation des garanties
découlant
de l'art. 190 al. 2 LDIP (cf. ATF 128 III 50 consid. 1b); en
conséquence elle
a qualité pour recourir (art. 88 OJ).

Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ), dans la forme prévue par
la loi
(art. 90 al. 1 OJ), le recours est en principe recevable.

3.2 Hormis certaines exceptions, le recours de droit public contre une
sentence arbitrale n'a qu'un caractère cassatoire. Lorsque le litige
porte
sur la récusation, le Tribunal fédéral peut statuer sur cette
question, sans
renvoyer la cause au Tribunal arbitral (Lalive/Poudret/ Reymond, Le
droit de
l'arbitrage interne et international, n. 3.6 ad art. 191 LDIP; cf.
ATF 128
III 50 consid. 1b).

3.3 Dès lors que les règles de procédure sont celles du recours de
droit
public, la partie recourante doit invoquer ses griefs conformément aux
exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (ATF 128 III 50 consid. 1c).

S'agissant du grief de la violation de l'art. 190 al. 2 let. d LDIP,
la
recourante déclare l'invoquer « pour le cas où le Tribunal fédéral
estime que
cette disposition est plus appropriée, tant il est vrai que l'égalité
des
parties n'a pas été respectée ». Ce faisant, la recourante n'a pas
montré de
façon circonstanciée, en partant de la sentence attaquée, en quoi
consistait
la violation de cette disposition (cf. ATF 128 III 50 consid. 1c). Ce
grief
n'est donc pas recevable.

4.
4.1La recourante soutient principalement qu'en rendant sa sentence
avant même
que la CCZ n'ait pu statuer sur la demande de récusation, le Tribunal
arbitral se serait à tort attribué une compétence appartenant à la
CCZ et
l'aurait ainsi privé de la juridiction convenue. La recourante
allègue la
violation de l'art. 180 al. 3 LDIP, qui accorderait la priorité à la
procédure convenue par les parties, soit à l'art. 16 du Règlement
CCZ. Elle
invoque le motif de recours prévu à l'art. 190 al. 2 let. b LDIP
ainsi que la
jurisprudence du Tribunal fédéral, qui interpréterait la notion de
compétence
de manière extensive.

4.2 Selon l'art. 16 al. 1 du Règlement CCZ, les parties peuvent
récuser un
arbitre lorsque les circonstances permettent de douter légitimement
de son
indépendance (art. 180 al. 1 let. c LDIP). Si l'arbitre
concerné
conteste la
récusation, une commission d'arbitrage de cinq membres nommés par le
comité
exécutif (Vorstand) de la CCZ statue à la majorité (al. 2). La
décision de la
commission d'arbitrage est définitive (al. 3).

Selon l'art. 190 al. 2 let. b LDIP, la sentence définitive ne peut
être
attaquée que lorsque le tribunal arbitral s'est déclaré à tort
compétent ou
incompétent.

4.3 Le Tribunal arbitral a simultanément rendu sa sentence finale et
contesté
sa récusation. Ce faisant, il a privé la recourante de la procédure
arbitrale
prévue à l'art. 16 du Règlement CCZ. Toutefois, en l'absence de
disposition
contraire dans le règlement d'arbitrage, la procédure de récusation
devant le
juge n'a généralement pas d'effet suspensif et n'empêche pas le
déroulement
de la procédure arbitrale (Poudret/Besson, Droit comparé de
l'arbitrage
international, n. 428 p. 381s.; Rüede/Hadenfeldt, Schweizerisches
Schiedsgerichtsrecht, 2e éd., p. 182 ch. 3a et les auteurs cités à la
note
98). Le tribunal arbitral conserve donc la compétence de rendre une
sentence,
au risque cependant de la voir annulée, si le motif de récusation est
admis
(Schwab/Walter, Schiedsgerichtsbarkeit, 6e éd., Munich 2000, p. 141
n. 26;
Andreas Bucher, Le nouvel arbitrage international en Suisse, p. 67 n.
181;
Pierre Jolidon, Commentaire du Concordat suisse sur l'arbitrage, n.
43 ad
art. 21 CA).

Le fait qu'en l'espèce la Commission d'arbitrage ne soit plus entrée
en
matière sur la demande de récusation après que les arbitres ont rendu
leur
sentence finale ne porte pas à conséquence, étant donné que le
Tribunal
fédéral examine librement (cf. en rapport avec l'art. 190 al. 2 let.
b LDIP:
ATF 119 II 380 consid. 3c; 118 II 193 consid. 5a; 117 II 94 consid.
5) les
motifs de récusation allégués.

Au vu de ce qui précède, le grief de la violation de l'art. 190 al. 2
let. b
LDIP est dénué de fondement.

5.
5.1La recourante invoque subsidiairement l'art. 190 al. 2 let. a
LDIP. Elle
admet que le Tribunal fédéral peut revoir le motif de récusation dont
l'organe institutionnel n'a pu connaître, notamment le motif prévu à
l'art.
180 al. 1 let. c LDIP. Selon cette disposition, un arbitre peut être
récusé
lorsque les circonstances permettent de douter légitimement de son
indépendance.

Un tribunal arbitral doit, à l'instar d'un tribunal étatique,
présenter des
garanties suffisantes d'indépendance et d'impartialité (ATF 125 I 389
consid.
4a; 119 II 271 consid. 3b et les arrêts cités). Le non-respect de
cette règle
conduit à une composition irrégulière relevant de l'art. 190 al. 2
let. a
LDIP (ATF 118 II 359 consid. 3b).

Selon la recourante, plusieurs éléments objectifs seraient de nature à
éveiller des doutes sérieux quant à l'impartialité du Tribunal
arbitral:
- Les arbitres n'auraient indiqué aux parties le tarif exorbitant de
2'500
frs. l'heure que 15 mois après son application et uniquement à la
suite des
interpellations de la recourante au sujet des avances de frais
considérables;
- il y aurait dès lors eu un sérieux conflit d'intérêt entre le
Tribunal
arbitral et la recourante, laquelle, ne pouvant s'accommoder d'une
prétention
aussi abusive, aurait été dans l'obligation de saisir la CCZ;
- bien que désavoués par la CCZ, les arbitres se seraient abstenus de
prendre
position à ce sujet, invoquant leur indépendance à l'égard de cette
institution, et n'auraient pas répondu aux questions de la
recourante. Ils
auraient ainsi provoqué les prises de position des parties à ce sujet,
lesquelles étaient de nature à les influencer;
- le président du Tribunal arbitral aurait prononcé la clôture de
l'instruction et la suppression des audiences ultérieures, avant même
de
prendre connaissance des écritures des parties.

5.2 Les principes que le Tribunal fédéral a développés à partir de
l'art. 58
al. 1 aCst. sur des demandes de récusation concernant des juges
publics et
qu'il examine librement s'appliquent également aux membres des
tribunaux
arbitraux. La garantie du juge naturel de l'art. 58 aCst., inclue
aujourd'hui
dans les garanties de procédure judiciaire énoncées à l'art. 30 al. 1
Cst.
(ATF 127 I 196 consid. 2b p. 198 et les arrêts cités), permet
d'exiger la
récusation d'un juge dont la situation ou le comportement sont de
nature à
faire naître un doute légitime sur son impartialité. L'élément
déterminant
consiste à savoir si les appréhensions de la partie qui demande la
récusation
sont objectivement justifiées (cf. arrêt 4P. 224/1997 du 9 février
1998,
consid. 3a et 3b, reproduit in Bulletin ASA 1998 634 ss).

5.3 Le nouveau Barème CCZ est entré en vigueur le 1er janvier 2001.
Le 5 mars
2002, la recourante a requis des arbitres un décompte détaillé des
heures
investies dans la procédure consécutive à la sentence partielle du 21
janvier
2000. Le 20 mars 2002, la recourante a annoncé qu'elle paierait
l'avance des
frais requise, tout en signalant son désaccord avec ce « paiement
forcé ». Le
10 avril 2002, les arbitres ont précisé que les avances se basaient
sur un
tarif horaire de 2'500 frs. par arbitre. A l'issue de la séance du 11
avril
2002, le président du Tribunal arbitral a accordé aux parties la
possibilité
de formuler expressément des griefs (complaints); la recourante a
déclaré ne
pas en avoir. Le 17 avril 2002, la recourante a interpellé la CCZ au
sujet du
tarif horaire. A l'audience du 22 avril 2002, elle a réservé tous ses
droits
en fonction de la réponse de la CCZ. A l'issue de la séance du 23
avril 2002,
le président du Tribunal arbitral a accordé aux parties la
possibilité de
proposer ultérieurement un tarif horaire qui leur conviendrait. Les
intimées
ont suggéré le 26 avril 2002 de s'en remettre à la décision de la CCZ.

5.4 Le tribunal arbitral est seul compétent pour fixer ses honoraires
et, par
conséquent, les avances de frais (art. 53 et 54 Règlement CCZ). Il
convient
de relever que dans la procédure arbitrale, les avances de frais ne
servent
pas à assurer les intérêts des parties comme devant les tribunaux
étatiques
(cf. art. 150 al. 2 OJ), mais visent essentiellement à garantir les
honoraires des arbitres (arrêt 4P.2/2003 du 12 mars 2003, consid.
3.1). Pour
fixer ces honoraires, le Tribunal arbitral s'en tient bien entendu au
barème
en vigueur. Or, contrairement au tarif valable jusqu'au 31 décembre
2000, le
tarif applicable depuis le 1er janvier 2001 ne prévoyait plus de
plafond pour
le tarif horaire. La recourante, qui le savait au plus tard depuis le
5 mars
2002, ne pouvait exclure une augmentation du tarif horaire par le
Tribunal
arbitral, ce d'autant plus qu'il est en principe fixé en fonction de
la
valeur litigieuse. Celle-ci a été augmentée en l'espèce de manière
répétée et
considérable au cours de la procédure, d'où une certaine difficulté à
prévoir
les frais futurs et à déterminer le tarif horaire adéquat. A cet
égard, le
remboursement des avances perçues en trop, prévu dans le Règlement
CCZ (art.
58), permet de pallier cet inconvénient.

5.5 En l'espèce, après avoir fixé le montant des honoraires à 2'500
frs., le
Tribunal arbitral a offert aux parties la possibilité de prendre
position à
ce sujet puis, plus concrètement, de proposer un tarif horaire leur
convenant. Il s'est donc montré prêt à revoir le montant litigieux,
lequel
avait du reste également été contesté par les intimées.

L'art. 2.1 al. 3 du Barème CCZ prévoit que si le montant en litige
dépasse
100 millions frs., le tribunal arbitral consultera, au sujet de
l'honoraire,
la direction (Geschäftsleitung) de la CCZ. Même si le Tribunal
arbitral n'a
pas consulté la CCZ, le fait que la recourante l'a saisie de la
question
litigieuse ne pouvait inquiéter les arbitres au point de leur faire
perdre
leur impartialité.

De même, le fait pour le président du Tribunal arbitral de rappeler
le 22 mai
2002, suite à la désapprobation du tarif horaire de 2'500 frs. par la
CCZ,
qu'il mène la procédure indépendamment d'elle, conformément, du
reste, à
l'alinéa 3 du préambule du Règlement CCZ auquel les parties ont
accepté de se
soumettre, n'est pas un élément justifiant pour autant la récusation
des
arbitres. En effet, on attend du juge étatique, dont la décision a été
annulée pour des questions de procédure ou de fond, qu'il continue
sans autre
à traiter le litige de manière objective et impartiale (cf. ATF 116
Ia 28
consid. 2a; 114 Ia 50 consid. 3d p. 58); cette règle s'applique
également aux
tribunaux arbitraux (ATF 113 Ia 407 consid. 2b p. 410 ). En l'espèce,
cela
peut se vérifier dans la sentence finale dans la mesure où celle-ci
retient
en définitive un tarif horaire de 900 frs. dès le 1er janvier 2001,
conformément au plafond fixé par la CCZ.

5.6 S'agissant du reproche adressé au président du Tribunal arbitral
d'avoir
clos l'instruction et supprimé des audiences, avant même de prendre
connaissance des écritures des parties, il n'est pas corroboré par
les faits.
Il résulte de ceux-ci que le 23 avril 2002, des délais ont été fixés
au 5
juillet 2002 et au 9 septembre 2002, pour les déterminations des
parties sur
l'administration des preuves, alors que les dates retenues du 11/12
au 14/15
novembre 2002, pour entendre les parties, n'étaient que provisoires.
Il a
également été convenu que les parties présenteraient leur note de
frais vers
la fin du mois de septembre 2002. Le 10 septembre 2002, soit un jour
après la
réception de la seconde prise de position des parties sur
l'administration
des preuves, le président du Tribunal arbitral les a informées que
l'instruction était close et que la note de frais devait lui parvenir
jusqu'au 4 octobre 2002. Il a également annoncé que les dates
réservées en
novembre pour entendre les parties seraient utilisées pour des
délibérations
internes, à l'issue desquelles le Tribunal décidera si les dates
fixées au
mois de janvier 2003 étaient maintenues. Après avoir reçu la demande
de
récusation de la recourante le 1er novembre 2002, Le Tribunal
arbitral a
invité les parties, le 5 novembre 2002, à lui faire part de toutes
autres
observations à ce sujet, au plus tard jusqu'au 12 novembre à 10
heures, date
à laquelle il avait prévu de se réunir. Le moyen doit en conséquence
être
rejeté.

6.
6.1Par ailleurs, on peut légitimement se demander si la demande de
récusation
n'était pas tardive en l'espèce. A cet égard, il sied de rappeler que
le
principe de la bonne foi, qui est aussi reconnu dans le domaine de
l'arbitrage international (ATF 128 III 50, consid. 2c/aa et les arrêts
cités), trouve son expression légale en matière de récusation à
l'art. 180
al. 2 in fine LDIP. Cette disposition prévoit que la cause de
récusation,
dont la partie a eu connaissance après la nomination, doit être
portée à la
connaissance du tribunal arbitral et de l'autre partie sans délai.
Même si la
loi ne fixe aucun délai, la partie qui ne réagit pas immédiatement
perd son
droit de faire valoir ultérieurement le motif de récusation qu'elle
invoque
(ATF 126 III 249 consid. 3c; Poudret/Besson, op. cit., p. 378 s. n.
427;
Lalive/Poudret/Reymond, op. cit., p. 343 n. 9 ad art. 180 LDIP; arrêt
4P.
224/1997 précité, consid. 3b).

En début de procédure, les parties disposent d'un temps raisonnable
pour
faire valoir leurs moyens de récusation. Il n'en est pas de même dans
la
suite de la procédure, notamment lorsque celle-ci approche du
jugement (ATF
111 72 consid. 2b p. 75; 259 consid. 2b p. 262). Une partie n'ayant
connaissance que d'une manière incomplète d'une cause de récusation
ne peut
conserver ce moyen en réserve pour ne l'invoquer que lorsque le
déroulement
ou l'issue du procès lui paraissent défavorables (ATF 126 III 249
consid.
3c).

6.2 La recourante a eu connaissance le 10 avril 2002 du tarif horaire
que les
arbitres envisageaient d'appliquer. Le 5 juillet 2002, la CCZ a fixé
le
plafond admissible à un montant nettement inférieur. Rien n'empêchait
la
recourante de réagir à ce moment-là, puisque le 5 mars 2002 déjà, elle
n'avait effectué l'avance de frais qu'avec réticence et puisqu'elle
craignait, depuis la déclaration du président du Tribunal arbitral du
22 mai
2002, que celui-ci ne se conforme pas à la limite fixée par la CCZ.

Quant aux dates d'audience retenues par le Tribunal arbitral et dont
la
recourante déplore l'annulation, elles étaient provisoires. A supposer
qu'elles aient été définitives, on ne voit pas pourquoi la recourante
a
attendu du 10 septembre 2002 jusqu'au 1er novembre 2002, avant de
demander la
récusation des arbitres, étant donné qu'à ses yeux, l'annulation des
audiences aurait renforcé sa suspicion quant à l'impartialité du
Tribunal. Au
vu de ces éléments, il y a lieu d'admettre que la recourante n'a pas
fait
valoir la cause de récusation avec la diligence requise.

7.
7.1Se basant sur l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, la recourante allègue
que les
arbitres auraient dû assurer le déroulement serein de l'arbitrage, ce
qui
découlerait de l'ordre public procédural. Le Tribunal arbitral aurait
exploité la dépendance dans laquelle la recourante se trouvait à son
égard,
en exerçant sur elle une pression financière, qu'il aurait maintenu
après la
reconnaissance du caractère excessif, voire abusif du tarif horaire
appliqué.
La recourante aurait été placée dans une situation imprévisible et ses
diverses interventions auraient affecté la sérénité des débats,
que
les
arbitres n'auraient pas rétablie. Par ailleurs, il résulterait de la
sentence
que les exigences financières des arbitres avaient pour but de
l'amener à
transiger. Bref, le litige sur les honoraires les auraient empêchés
d'être
impartiaux.

7.2 L'ordre public procédural garantit aux parties le droit à un
jugement
indépendant sur les conclusions et l'état de fait soumis au Tribunal
arbitral
d'une manière conforme au droit de procédure applicable; il y a
violation de
l'ordre public procédural lorsque des principes fondamentaux et
généralement
reconnus ont été violés, ce qui conduit à une contradiction
insupportable
avec le sentiment de la justice, de telle sorte que la décision
apparaît
incompatible avec les valeurs reconnues dans un Etat de droit (cf.
ATF 126
III 249 consid. 3b et les références).

L'ordre public procédural fait office de règle générale et
subsidiaire. Ce
grief ne peut être soulevé que si le vice invoqué ne fait pas l'objet
d'une
règle énoncée de manière plus précise aux lettres a à d de l'art. 190
al. 2
LDIP (ATF 126 III 249 consid. 3a; Bernard Corboz, Le recours au
Tribunal
fédéral en matière d'arbitrage international, in SJ 2002 II p. 1 ss,
29).

7.3 Les reproches formulés par la recourante au titre de la violation
de
l'ordre public procédural se recoupent avec ceux qu'elle a invoqués en
rapport avec la violation de l'art. 190 al. 2 let. a LDIP, de sorte
qu'il n'y
a pas lieu d'y revenir.

8.
Les frais et dépens de la procédure fédérale seront mis à la charge
de la
recourante (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ). La valeur litigieuse
justifie
de fixer l'émolument judiciaire au maximum admissible, soit 100'000
fr. (art.
153a OJ). Pour une valeur litigieuse supérieure à 5 millions frs., le
montant
des dépens est fixé à 20'000 fr. au minimum et à 1% de la valeur
litigieuse
au maximum (art. 6 du Tarif pour les dépens alloués à la partie
adverse dans
les causes portées devant le Tribunal fédéral). Etant donné que les
questions
soulevées se limitent à celles de la compétence et de l'ordre public,
un
montant de 300'000 fr. sera alloué aux intimées (cf. art. 4 dudit
Tarif).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Rejette le recours dans la mesure où il est recevable.

2.
Met un émolument judiciaire de 100'000 fr. à la charge de la
recourante.

3.
Dit que la recourante versera aux intimées, créancières solidaires,
une
indemnité de 300'000 fr. à titre de dépens.

4.
Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et au
Tribunal Arbitral Chambre de Commerce de Zürich.

Lausanne, le 10 juin 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.263/2002
Date de la décision : 10/06/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-06-10;4p.263.2002 ?
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