La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/06/2003 | SUISSE | N°1P.170/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 04 juin 2003, 1P.170/2003


{T 0/2}
1P.170/2003 /col

Arrêt du 4 juin 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Nay, Vice-président du Tribunal fédéral, et Reeb.
Greffier: M. Zimmermann.

S. ________,
recourante, représentée par Me Marc von Niederhäusern, avocat, avenue
Léopold-Robert 73, case postale 1260, 2301 La Chaux-de-Fonds,

contre

Ministère public du canton de Neuchâtel, rue du Pommier 3, case
postale 2672,
2001 Neuchâtel 1,
Cour

de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel,
rue du
Pommier 1, case postale 1161, 2001 Neuchâtel 1...

{T 0/2}
1P.170/2003 /col

Arrêt du 4 juin 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Nay, Vice-président du Tribunal fédéral, et Reeb.
Greffier: M. Zimmermann.

S. ________,
recourante, représentée par Me Marc von Niederhäusern, avocat, avenue
Léopold-Robert 73, case postale 1260, 2301 La Chaux-de-Fonds,

contre

Ministère public du canton de Neuchâtel, rue du Pommier 3, case
postale 2672,
2001 Neuchâtel 1,
Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel,
rue du
Pommier 1, case postale 1161, 2001 Neuchâtel 1,
Tribunal correctionnel du district du Val-de-Travers, Hôtel de
district,
Grande-Rue 10, 2112 Môtiers.

art. 32 al. 1 Cst., art. 6 par. 2 CEDH (procédure pénale),

recours de droit public contre le jugement du Tribunal correctionnel
du
district du Val-de-Travers du 27 janvier 2003.

Faits:

A.
Le 21 juin 2000, le Ministère public du canton de Neuchâtel a renvoyé
devant
le Tribunal correctionnel du district du Locle S.________, requérante
d'asile
originaire de l'ex-Yougoslavie, comme prévenue d'escroquerie et
d'usure.
S.________ aurait, entre 1997 et 1998, soutiré à C.________, née en
1919, un
montant de plusieurs dizaines de milliers de francs, mais d'au moins
34'000
fr., sous des prétextes fallacieux, en profitant de la santé mentale
déficiente de sa victime.
Le 2 avril 2001, le Tribunal correctionnel a acquitté S.________, au
motif
que l'élément constitutif de l'astuce faisait défaut en l'occurrence.
Par arrêt du 14 juin 2002, la Cour de cassation pénale du Tribunal
cantonal
du canton de Neuchâtel a admis le pourvoi formé par le Ministère
public
contre ce jugement qu'elle a cassé en renvoyant la cause au Tribunal
correctionnel du district du Val-de-Travers pour nouvelle décision au
sens
des considérants.
Saisi d'un recours de droit public formé par S.________ contre cet
arrêt, le
Tribunal fédéral l'a déclaré irrecevable au regard de l'art. 87 al. 2
OJ
(cause 1P.426/2002).
Le 27 janvier 2003, le Tribunal correctionnel du Val-de-Travers a
reconnu
S.________ coupable d'escroquerie, à raison des faits mentionnés dans
la
décision de renvoi, et l'a condamnée à la peine de sept mois
d'emprisonnement
avec sursis pendant deux ans.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, S.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 14 juin 2002 et le jugement du
27
janvier 2003. Elle invoque les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH.
Elle
requiert l'assistance judiciaire.
La Cour de cassation conclut à l'irrecevabilité du recours, le
Ministère
public à son rejet. Le Tribunal correctionnel du Val-de-Travers ne
s'est pas
déterminé.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public n'est recevable qu'à l'encontre des
décisions
prises en dernière instance cantonale (art. 86 OJ). Le Tribunal
fédéral
renonce cependant à l'exigence de l'épuisement des instances
cantonales
lorsque la décision finale d'une autorité inférieure repose, comme en
l'occurrence, sur un arrêt de l'autorité de recours et que, dès lors,
celle-ci l'a approuvée par avance dans son résultat, de telle sorte
que le
fait d'interjeter un nouveau recours cantonal se révélerait inutile
et ne
constituerait qu'une formalité vide de sens (ATF 106 Ia 229 consid. 4
p. 236
et les arrêts cités; cf. ATF 117 Ia 251 consid. 1 p. 254/255). La
recourante
est ainsi habilitée à remettre en cause l'arrêt du 14 juin 2002 et le
jugement subséquent du 27 janvier 2003.

2.
Invoquant les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH, la recourante se
plaint
d'une violation de la présomption d'innocence sous la forme d'une
appréciation arbitraire des preuves; ce grief est recevable dans le
cadre du
recours de droit public pour la violation des droits constitutionnels
au sens
de l'art. 84 al. 1 let. a OJ (ATF 120 Ia 31 consid. 2b p. 36 in fine
et les
arrêts cités).

3.
S'agissant de la constatation des faits et l'appréciation des
preuves, la
maxime "in dubio pro reo" est violée lorsque l'appréciation objective
de
l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute
insurmontable
quant à la culpabilité de l'accusé (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41;
124 IV 86
consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 2c p. 37). Une constatation de
fait n'est
pas arbitraire pour la seule raison que la version retenue par le
juge ne
coïncide pas avec celle de l'accusé; encore faut-il que
l'appréciation des
preuves soit manifestement insoutenable, en contradiction flagrante
avec la
situation effective, qu'elle constitue la violation d'une règle de
droit ou
d'un principe juridique clair et indiscuté, ou encore qu'elle heurte
de façon
grossière le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 127 I 38
consid. 2a
p. 41; 124 IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 2d p. 37/38; 118
Ia 28
consid. 1b p. 30, et les arrêts cités).

4.
La recourante conteste être la personne à laquelle C.________ a remis
de
l'argent.

C. ________ a été placée dans un home le 30 novembre 1998. A cette
époque,
selon le médecin responsable de cet établissement, elle était
atteinte de
démence, des suites probables de la maladie d'Alzheimer. Sa capacité
de
discernement n'était plus que partielle à ce moment-là - ce qui fait
qu'elle
n'a pu être entendue elle-même dans le cadre de la procédure - et les
effets
de la maladie avaient dû se faire sentir depuis un an au moins.
G.________,
amie de C.________ s'était occupée de la famille S.________ jusqu'en
1992
dans le cadre de l'aide bénévole aux réfugiés. Dans le courant de
1997,
C.________ lui a confié avoir donné de l'argent à une réfugiée
bosniaque pour
financer un voyage au Kosovo. C.________ n'avait pas désigné
nommément la
bénéficiaire, mais indiqué que celle-ci avait déménagé du Locle à la
Chaux-de-Fonds, à une adresse qui a immédiatement fait penser
G.________ à la
recourante. En 1998, C.________ a dit à G.________ que la réfugiée en
question lui demandait 8000 ou 9000 fr. pour financer une opération
chirurgicale. G.________ avait indiqué à C.________ qu'il s'agissait

probablement de mensonges, car les requérants d'asile sont tenus de
demeurer
en Suisse et leurs frais d'assurance pris en charge par la
collectivité.
O.________, employé de banque qui gérait les biens de C.________ a
constaté
que ceux-ci avaient diminué en 1997 et 1998. Il avait interrogé à ce
propos
C.________ qui lui avait confessé avoir fait une "bêtise" en prêtant
de
l'argent à une "dame yougoslave", sans connaître son identité, ni lui
avoir
fait signer de reçu. C.________ avait évoqué à ce propos un montant
de 5000
fr. Elle se sentait harcelée par cette personne qui lui réclamait de
l'argent. Constant Bernard, concierge de la maison où habitait
C.________, a
reconnu la recourante sur une photographie comme la personne qui
visitait
fréquemment C.________. Sur le vu de ces éléments, c'est sans
arbitraire que
les autorités cantonales pouvaient admettre que la recourante était la
bénéficiaire des montants prêtés par la victime.
Comme objection à cela, la recourante fait valoir deux notes
manuscrites
trouvées chez la victime, et qui attesteraient, selon elle, que
d'autres
personnes auraient soutiré des fonds à C.________. Ces documents,
dont l'un
est daté du 8 avril 1998, non signés et difficilement intelligibles,
émanent
d'une personne qui se présente "Mme Suisan" ou "Susana". Ils peuvent
être
compris comme des demandes de fonds. Le premier se réfère en outre à
une
personnes désignée comme "Fatima". Ces billets laissent supposer que
la
victime, connue pour sa générosité, a fait l'objet d'autres
sollicitations,
dont on ignore le sort. Ils n'ont cependant pas pour effet de
démontrer que
l'appréciation des autorités cantonales quant à l'implication dans
l'affaire
de la recourante serait arbitraire. Il n'est en effet pas exclu que la
victime ait reçu d'autres demandes.

5.
La recourante conteste avoir reçu les montants indiqués, soit
plusieurs
milliers de francs, et au moins 34'000 fr.
M.________, amie de C.________, a déclaré que celle-ci avait donné
depuis
1996 de l'argent à une Yougoslave non identifiée. A plusieurs
reprises,
C.________ avait évoqué un montant total de 34'000 fr. Cette somme a
été
confirmée par le secrétariat neuchâtelois de l'association "Pro
Senectute",
lequel a, le 20 novembre 1998, averti l'autorité tutélaire du Locle
que la
fortune de C.________ (de l'ordre de 50'000 fr.) avait été dilapidée,
notamment par des "dons inconsidérés" de l'ordre de 34'000 fr. Les
extraits
du compte bancaire de C.________ confirment qu'entre juin 1996 et
août 1998,
ses avoirs ont fondu progressivement. Même si aucune pièce ne permet
de
déterminer à quoi ont pu servir ces prélèvements, eu égard au train
de vie
modeste de la victime, il existe suffisamment d'éléments concordants
pour
admettre, sans arbitraire, que le montant du préjudice est de l'ordre
de
celui retenu par les autorités cantonales.

6.
La recourante conteste que la condition de l'astuce soit remplie.

6.1 L'escroquerie se définit comme le fait de celui qui, dans le
dessein de
se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime,
induit
astucieusement en erreur une personne par des affirmations
fallacieuses ou
par la dissimulation de faits vrais, ou exploite l'erreur dans
laquelle se
trouve une personne et détermine de la sorte la victime à des actes
préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers (art.
146 ch.
1 CP). L'astuce au sens de cette disposition est réalisée non
seulement
lorsque l'auteur utilise un édifice de mensonges, des manoeuvres
frauduleuses
ou une mise en scène, mais aussi lorsqu'il fait de fausses
déclarations dont
la vérification ne serait possible qu'au prix d'un effort particulier
ou ne
pourrait raisonnablement être exigée, ou encore lorsque l'auteur
dissuade la
victime de les contrôler, voire prévoit, d'après les rapports de
confiance
particuliers qui le lient à la victime, que celle-ci ne les vérifiera
pas
(ATF 128 IV 18 consid. 3a p. 20; 126 IV 165 consid. 2a p. 171/172;
122 IV 146
consid.3a p. 426/427; 120 IV 122 consid. 6a/bb p. 132/133, 186
consid. 1a
p.187/188; 119 IV 30 consid. 3a p. 34/35, et les arrêts cités).
L'astuce
n'est cependant pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un
minimum
d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on
pouvait
attendre d'elle. Il n'est pas nécessaire, pour qu'il y ait
escroquerie, que
la dupe ait fait preuve de la plus grande diligence et de la plus
grande
prudence possibles; le point déterminant n'est pas de savoir si elle
fait
tout ce qui était en son pouvoir pour éviter d'être trompée (ATF 128
IV 18
consid. 3a p. 20; 126 IV 165 consid. 2a p. 171/172; 122 IV 246
consid. 3a p.
247/248). Pour apprécier si l'auteur a usé d'astuce et si la dupe a
omis de
prendre les mesures de précaution élémentaires, il ne suffit pas de se
demander comment une personne raisonnable et expérimentée aurait
réagi à sa
place; il faut au contraire prendre en considération la situation
particulière de la dupe, telle que l'auteur la connaît et l'exploite
(ATF 128
IV 18 consid. 3a p. 21; 120 IV 186 consid. 1a p. 188). Dans le cadre
du
recours de droit public, le Tribunal fédéral examine sous l'angle
restreint
de l'arbitraire les constatations de fait relatives à l'application
du droit
matériel, soit, en l'occurrence, la condition de l'astuce (cf. ATF
127 I 38
consid. 2a p. 41; 124 IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 2d p.
37/38;
118 Ia 28 consid. 1b p. 30, et les arrêts cités).

6.2 Au moment des faits, la victime, de nature généreuse, était déjà
atteinte
dans ses facultés mentales. Il est plausible, selon la thèse retenue
par la
Cour de cassation, qu'elle se trouvait dans une situation
d'infériorité par
rapport à la recourante, tenace et vindicative, qui la harcelait pour
obtenir
de l'argent. Sans doute les raisons avancées pour obtenir de l'argent
étaient-elles fallacieuses, qu'il s'agisse d'un voyage à faire à
Sarajevo,
d'un appartement à y acheter ou d'une opération cardiaque à payer.
G.________
a au demeurant attiré l'attention de la victime sur le caractère
fantaisiste
de ces raisons. C.________ se trouvait cependant à cette époque sous
une
telle emprise qu'elle n'a pas pu s'y soustraire, même si, dans
quelques accès
de lucidité, elle s'est rendue compte avoir commis ce qu'elle a
appelé une
"bêtise". Vieille, isolée et atteinte dans son équilibre mental, elle
était
sans doute hors d'état de discerner le vrai du faux des affirmations
de la
recourante, qu'elle n'était pas en mesure de vérifier. La Cour de
cassation
pénale pouvait, sans appréciation arbitraire des faits déterminants
de la
cause, admettre que le comportement de la recourante était astucieux
au sens
de la jurisprudence qui vient d'être citée.

7.
Le recours doit ainsi être rejeté. Son sort étant scellé d'emblée, la
deuxième condition cumulative de l'art. 152 OJ n'est pas remplie. La
demande
d'assistance judiciaire doit ainsi être rejetée. Les frais sont mis à
la
cause de la recourante (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des
dépens
(art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire
est rejetée.

3.
Un émolument judiciaire de 3000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

4.
Il n'est pas alloué de dépens.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la
recourante, au
Ministère public, à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal
du
canton de Neuchâtel et au Tribunal correctionnel du district du
Val-de-Travers.

Lausanne, le 4 juin 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.170/2003
Date de la décision : 04/06/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-06-04;1p.170.2003 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award