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28/05/2003 | SUISSE | N°5A.16/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 28 mai 2003, 5A.16/2002


{T 0/2}
5A.16/2002 /frs

Arrêt du 28 mai 2003
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, président, Nordmann, Escher, Meyer et
Hohl.
Greffier: M. Fellay.

Office fédéral de la justice, 3003 Berne,
recourant,

contre

I.________,
Y.________,
X.________,
intimés, tous trois représentés par Me Christophe Zellweger, avocat,
rue de
la Fontaine 9, 1204 Genève,
Tribunal administratif de la République et Canton de Genève, rue des
Chaudronniers 3, 1204 Genève.

effets

de l'adoption quant à la filiation de l'adopté,

recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal
administratif de ...

{T 0/2}
5A.16/2002 /frs

Arrêt du 28 mai 2003
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, président, Nordmann, Escher, Meyer et
Hohl.
Greffier: M. Fellay.

Office fédéral de la justice, 3003 Berne,
recourant,

contre

I.________,
Y.________,
X.________,
intimés, tous trois représentés par Me Christophe Zellweger, avocat,
rue de
la Fontaine 9, 1204 Genève,
Tribunal administratif de la République et Canton de Genève, rue des
Chaudronniers 3, 1204 Genève.

effets de l'adoption quant à la filiation de l'adopté,

recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal
administratif de la
République et Canton de Genève du 25 juin 2002.

Faits:

A.
Les époux Y.________ ont eu une fille, I.________, née le 27 mai
1971. Ils
ont divorcé en 1985 et le mari est décédé en 1994. Depuis 1986,
l'épouse fait
ménage commun avec X.________, divorcé sans enfant. La fille a habité
avec sa
mère et celui-ci de 1986 à 1992 ou 1993, date à laquelle elle s'est
mariée
avec M.________ dont elle a divorcé en 1998.
En mars 2000, à la suite d'une très grave maladie, la fille est
devenue
paraplégique. Elle a conservé un domicile séparé, mais a besoin du
soutien de
ceux qu'elle considère comme ses parents, soit sa mère et le concubin
de
celle-ci. D'un commun accord, tous trois ont alors décidé que ce
dernier
adopterait la fille de façon à former une véritable famille.
Le 14 décembre 2000, alors que la fille était âgée de 29 ans, le
concubin de
la mère a déposé, auprès de la Cour de justice du canton de Genève,
une
requête d'adoption, y annexant deux lettres par lesquelles la fille
et la
mère exprimaient leur accord avec la requête d'adoption. Par décision
du 8
mars 2001, la Cour de justice a prononcé l'adoption.

B.
Le 15 juin 2001, la Direction cantonale de l'état civil a informé la
mère que
l'adoption de sa fille par son concubin avait entraîné la suppression
du lien
de filiation maternelle et le changement de son nom, et que sa fille
serait
désignée désormais comme étant la fille de son concubin.
La fille et la mère se sont opposées à la suppression du lien de
filiation
maternelle et ont demandé expressément le rétablissement de ce lien.
La
direction précitée a maintenu sa position par lettre du 23 juillet
2001 en se
fondant sur l'art. 267 CC, disposition prévoyant que l'enfant adopté
acquiert
le statut juridique d'un enfant de ses parents adoptifs et que les
liens de
filiation antérieurs sont rompus, sauf à l'égard du conjoint de
l'adoptant.
En l'espèce, la fille adoptée n'étant pas l'enfant du "conjoint" de
l'adoptant, le lien de filiation de sang avait été supprimé.
Statuant le 3 septembre 2001 en qualité d'autorité cantonale de
surveillance
de l'état civil, le Président du Département genevois de justice, de
police
et des transports (devenu par la suite le Département de justice,
police et
sécurité) a formellement rejeté la requête en rétablissement du lien
de
filiation maternelle et confirmé la décision de la direction de
l'état civil.
Contre cette décision, l'adoptée, la mère naturelle et l'adoptant ont
interjeté un recours au Tribunal administratif du canton de Genève en
concluant à son annulation et à la constatation que l'adoption
n'avait pas eu
pour effet la rupture du lien de filiation maternelle et que l'adoptée
conservait son nom (Y.________) malgré son adoption.
Parallèlement, le 17 décembre 2001, les trois intéressés ont ouvert
devant la
Cour de justice cantonale une procédure en annulation de l'adoption,
qui a
été suspendue jusqu'à droit connu sur la présente procédure.
Par arrêt du 25 juin 2002, le Tribunal administratif a partiellement
admis le
recours, annulé les décisions des 3 septembre et 23 juillet 2001 en
tant
qu'elles supprimaient le lien de filiation maternelle et ordonné à la
direction cantonale de l'état civil de rétablir ce lien de filiation.
Il a
confirmé les deux décisions pour le surplus.

C.
Contre cet arrêt, dont copie lui a été adressée le 8 juillet 2003
conformément à l'art. 132 al. 1 ch. 1 de l'ordonnance du Conseil
fédéral sur
l'état civil (OEC; RS 211.112.1), l'Office fédéral de la justice a
interjeté,
le 2 septembre 2002, un recours de droit administratif au Tribunal
fédéral,
concluant à l'annulation de l'arrêt attaqué.
Dans leur réponse, l'adoptée, la mère naturelle et l'adoptant
concluent à la
confirmation de l'arrêt attaqué.
Le Tribunal administratif n'a pas déposé d'observations.
Invitée à se déterminer, la Cour de justice a déclaré n'avoir pas
d'observations à formuler.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours
qui lui sont soumis (ATF 128 II 56 consid. 1 p. 58 et les références
citées).

1.1 Les décisions de l'autorité cantonale de surveillance peuvent être
attaquées auprès d'une ou plusieurs autorités cantonales et faire
l'objet en
dernier ressort d'un recours de droit administratif au Tribunal
fédéral (art.
20 al. 2 OEC).
En l'espèce, le Président du Département de justice, de police et des
transports du canton de Genève, agissant comme autorité cantonale de
surveillance de l'état civil, a formellement rejeté la requête en
rétablissement du lien de filiation maternelle. Matériellement, il a
confirmé
la teneur des courriers de la Direction cantonale de l'état civil des
15 juin
et 23 juillet 2001 ordonnant l'inscription de l'adoption et la
suppression du
lien de filiation maternelle. Statuant sur recours, le Tribunal
administratif
genevois a ordonné, matériellement, l'inscription de l'adoption et le
maintien de l'inscription du lien de filiation maternelle. L'arrêt
rendu par
cette autorité de dernière instance cantonale peut donc faire l'objet
d'un
recours de droit administratif au Tribunal fédéral.

1.2 L'Office fédéral de la justice a qualité pour saisir le Tribunal
fédéral
d'un recours de droit administratif contre les décisions prises dans
le
domaine de l'état civil par la dernière instance cantonale (art. 20
al. 4 OEC
et art. 103 let. b OJ).

1.3 Selon les exigences de l'art. 108 al. 2 OJ, les conclusions
doivent
mentionner la décision à annuler, totalement ou partiellement, ainsi
que le
contenu de la nouvelle décision à prendre, par le Tribunal fédéral ou
par
l'autorité à laquelle l'affaire serait renvoyée (cf. art. 114 al. 2
OJ; cf.
Peter Karlen, in Geiser/Münch, Prozessieren vor Bundesgericht, n.
3.70). Il
n'est toutefois pas nécessaire qu'elles soient formulées
explicitement; il
suffit qu'elles résultent clairement des motifs allégués (ATF 108 II
487
consid. 1; 103 Ib 91 consid. 2c p. 95; 101 V 127).
L'office recourant conclut formellement à l'admission de son recours
et à
l'annulation de l'arrêt attaqué. Matériellement, il conclut en
réalité à la
réforme de celui-ci, en ce sens que l'inscription de l'adoption est
admise et
le maintien du lien de filiation maternelle rejeté, comme l'ont
prononcé les
décisions du Président du Département de justice, de police et des
transports
du 3 septembre 2001 et de la Direction cantonale de l'état civil du 23
juillet 2001 (cf. art. 114 al. 2 OJ).

1.4 Le recours a été interjeté en temps utile, compte tenu de la
suspension
de délai de l'art. 34 al. 1 let. b OJ.

2.
Selon l'art. 104 let. a OJ, le recours de droit administratif peut
être formé
pour violation du droit fédéral, y compris l'excès et l'abus du
pouvoir
d'appréciation.
Lorsque le recours est dirigé, comme en l'espèce, contre la décision
d'une
autorité judiciaire, le Tribunal fédéral est lié par les faits
constatés dans
cette décision, sauf s'ils sont manifestement inexacts ou incomplets
ou s'ils
ont été établis au mépris des règles essentielles de procédure (art.
105 al.
2 OJ). Il est dès lors exclu d'invoquer un fait ou un moyen de preuve
nouveau.
Saisi d'un recours de droit administratif, le Tribunal fédéral, s'il
ne peut
aller au-delà des conclusions des parties, n'est pas lié par les
motifs
qu'elles invoquent (art. 114 al. 1 OJ). Il doit appliquer le droit
d'office
et peut admettre ou rejeter un recours pour d'autres motifs que ceux
invoqués
par le recourant (ATF 121 III 274 consid. 2c p. 275 s.).

3.
3.1Selon l'arrêt attaqué, le dispositif du jugement de la Cour de
justice
s'est borné à prononcer l'adoption, mais n'a pas supprimé le lien de
filiation de l'adoptée avec sa mère. Les art. 267 et 267a CC sur les
effets
de l'adoption présenteraient une lacune, le législateur n'ayant pas
envisagé
le cas de l'adoption par le concubin; ces dispositions ne tiendraient
ainsi
pas compte du droit international entré en vigueur postérieurement en
Suisse.
Le Tribunal administratif considère en particulier que la suppression
du lien
de filiation maternelle du fait de l'adoption de l'enfant par le
concubin -
et non par le mari -, telle qu'elle découle de l'art. 267 al. 2 CC,
contrevient à l'art. 8 CEDH, car elle constitue une ingérence dans la
vie
familiale des trois intéressés, sans qu'aucune justification prévue
par l'al.
2 de cette disposition ne soit réalisée. Il relève en outre que le
droit de
l'enfant adopté à connaître le nom de sa mère biologique vient d'être
reconnu
par le Tribunal fédéral (ATF 128 I 63) et que la Convention de l'ONU
relative
aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 (RS 0.107) - en
particulier son
art. 9 ch. 3 sur le droit aux relations personnelles - et la prochaine
ratification de la Convention de La Haye sur l'adoption entraîneront
certainement des modifications du droit suisse de l'adoption. Cette
évolution
consacrerait donc bien le lien indissoluble entre la mère biologique
et
l'enfant. Le Tribunal administratif en conclut que la Direction de
l'état
civil et l'autorité de surveillance de l'état civil ont commis une
erreur
manifeste en supprimant le lien de filiation maternelle, alors que
cette
suppression ne résulte nullement du dispositif du jugement d'adoption
et
qu'elle contrevient manifestement aux dispositions de rang supérieur
mentionnées ci-dessus. En revanche, il estime que le changement de
nom ne
contrevient pas à ces dispositions et ne peut donc être annulé.

3.2 Le recourant soutient que la décision d'adoption a créé un lien de
filiation simple à l'égard de l'adoptant, ses motifs faisant
d'ailleurs
expressément référence à l'art. 264b CC (adoption par une personne
seule), et
que la filiation antérieure à l'égard de la mère s'est éteinte.
L'interprétation de la loi ne permettrait pas d'admettre qu'un
concubin
bénéficie d'un statut équivalent à celui d'un époux. Le législateur a
voulu
que toute adoption conjointe par un couple marié et toute adoption
par une
personne seule aient pour effet la rupture des liens de filiation à
l'égard
de la famille de sang. Il s'agit là de la conséquence logique de
l'adoption
plénière, la seule exception envisagée étant l'adoption de l'enfant
d'un
conjoint. La loi ne contiendrait donc pas de lacune proprement dite
en ce qui
concerne l'adoption, par un concubin, de l'enfant de sa partenaire et
seule
une intervention législative pourrait autoriser une telle adoption.
Les art.
8 et 12 CEDH et l'art. 9 de la Convention relative aux droits de
l'enfant ne
s'appliqueraient pas au cas d'espèce.
Dans leurs observations, les intimés relèvent qu'ils n'ont pas
consenti à la
rupture du lien de filiation avec le parent naturel. Selon eux, les
objectifs
de cohérence, d'unité et d'harmonie recherchés par le système de
l'adoption
plénière ne pourraient être atteints, dans le cas d'espèce, que dans
l'hypothèse où l'adoptant peut devenir le père de l'adoptée sans
suppression
du lien de filiation maternelle. Si le champ d'application de l'art.
267 CC
semblait initialement limité aux personnes mariées, l'égalité de
traitement
entre les concubins et les époux a, depuis lors, considérablement
progressé,
comme le démontre le nouvel art. 298a CC qui institutionnalise
l'autorité
parentale conjointe des parents non mariés sur l'enfant. Aucun
intérêt,
public ou privé, ne s'opposerait au maintien du lien de filiation
maternelle
lorsque les concubins forment un foyer aussi stable qu'en l'espèce.
Par
ailleurs, la suppression du lien de filiation maternelle violerait
aussi les
droits garantis par les art. 8 et 12 CEDH et irait à l'encontre des
engagements pris par la Suisse sur le plan international.

4.
Il s'agit donc d'examiner si la loi autorise le concubin, à l'instar
du
conjoint, à adopter l'enfant de son partenaire et, dans la négative,
si elle
contient une lacune qu'il conviendrait de combler.

4.1 La loi s'interprète pour elle-même, c'est-à-dire selon sa lettre,
son
esprit et son but, ainsi que selon les valeurs sur lesquelles elle
repose,
conformément à la méthode téléologique. Le juge s'appuiera sur la
ratio
legis, qu'il déterminera non pas d'après ses propres conceptions
subjectives,
mais à la lumière des intentions du législateur. Le but de
l'interprétation
est de rendre une décision juste d'un point de vue objectif, compte
tenu de
la structure normative, et doit aboutir à un résultat satisfaisant
fondé sur
la ratio legis. Ainsi, une norme dont le texte est à première vue
clair peut
être étendue par analogie à une situation qu'elle ne vise pas ou, au
contraire, si sa teneur paraît trop large au regard de sa finalité,
elle ne
sera pas appliquée à une situation par interprétation téléologique
restrictive (ATF 121 III
219 consid. 1d; 128 I 34 consid. 3b p. 40;
128 III
113 consid. 2a et les arrêts cités). Si la prise en compte d'éléments
historiques n'est pas déterminante pour l'interprétation, cette
dernière doit
néanmoins s'appuyer en principe sur la volonté du législateur et sur
les
jugements de valeur qui la sous-tendent de manière reconnaissable,
tant il
est vrai que l'interprétation des normes légales selon leur finalité
ne peut
se justifier par elle-même, mais doit au contraire être déduite des
intentions du législateur qu'il s'agit d'établir à l'aide des méthodes
d'interprétations habituelles (ATF 121 précité; 128 I 34 consid. 3b
p. 41).
L'interprétation de la loi peut conduire à la constatation d'une
lacune. Une
véritable ou authentique lacune (lacune proprement dite) suppose que
le
législateur s'est abstenu de régler un point qu'il aurait dû régler et
qu'aucune solution ne se dégage du texte ou de l'interprétation de la
loi. Si
le législateur a renoncé volontairement à codifier une situation qui
n'appelait pas nécessairement une intervention de sa part, son
inaction
équivaut à un silence qualifié. Quant à la lacune improprement dite,
elle se
caractérise par le fait que la loi offre certes une réponse, mais que
celle-ci est insatisfaisante. D'après la jurisprudence, seule
l'existence
d'une lacune proprement dite appelle l'intervention du juge, tandis
qu'il lui
est en principe interdit, selon la conception traditionnelle, de
corriger les
lacunes improprement dites, à moins que le fait d'invoquer le sens
réputé
déterminant de la norme ne soit constitutif d'un abus de droit, voire
d'une
violation de la Constitution (ATF 125 III 425 consid. 3a p. 427; 128
I 34
consid. 3b p. 42 et les arrêts cités).

4.2 Aux termes de l'art. 264a al. 3 CC, un époux peut adopter
l'enfant de son
conjoint s'il est marié avec ce dernier depuis cinq ans. Quant à
l'art. 267
al. 2 CC, il prévoit que les liens de filiation antérieurs sont
rompus [par
l'adoption], sauf à l'égard du conjoint de l'adoptant.

4.2.1 Le texte de l'art. 264a al. 3 CC parle expressément d'époux et
de
conjoint ("Ehegatten", "Ehegatte", "coniugi" et "coniuge") et celui
de l'art.
267 al. 2 CC du conjoint de l'adoptant ("der mit dem Adoptierenden
verheiratet ist" et "coniuge dell'adottante").
A première vue, le texte légal est clair et exclut l'adoption de
l'enfant du
concubin. Il y a toutefois lieu d'examiner si cette conclusion
correspond à
la volonté du législateur, à l'aide des méthodes d'interprétation
habituelles.

4.2.2 Selon le système de la loi, il existe deux types d'adoption:
l'adoption
conjointe de l'art. 264a CC et l'adoption par une personne seule de
l'art.
264b CC. Leurs effets sont réglés par les art. 267 et 267a CC.
L'adoption conjointe n'est ouverte qu'à des époux, qui doivent être
mariés
depuis cinq ans ou être âgés de 35 ans révolus (art. 264a al. 2 CC);
elle
n'est pas permise à d'autres personnes (art. 264a al. 1 2e phrase,
CC).
Inversement, des époux ne peuvent adopter que conjointement (art.
264a al. 1
1re phrase, CC). Par ce type d'adoption, un lien de filiation est
établi
entre l'enfant et chacun de ses parents adoptifs.
L'adoption par une personne seule a un caractère exceptionnel et ne
peut être
le fait que d'une personne non mariée (célibataire, veuve ou
divorcée), âgée
de plus de 35 ans (art. 264b al. 1 CC). En dérogation à cette règle,
une
personne mariée, âgée de 35 ans révolus, peut adopter seule lorsqu'une
adoption conjointe se révèle impossible parce que le conjoint est
devenu
incapable de discernement de manière durable, ou qu'il est absent
depuis plus
de deux ans sans résidence connue, ou lorsque la séparation de corps
a été
prononcée depuis plus de trois ans (art. 264b al. 2 CC). Par cette
forme
d'adoption, le lien de filiation n'est établi qu'avec un seul parent
(ATF 125
III 161 consid. 3b p. 163).
Qu'on la considère comme une forme d'adoption conjointe (Hegnauer/
Meier,
Droit suisse de la filiation et de la famille, 4e éd., Berne 1998, p.
66, n.
11.12; Meier/Stettler, Droit civil, vol. VI/1, L'établissement de la
filiation [art. 252 à 269c CC], 2e éd., 2002, p. 119 n. 266; Bernhard
Pulver,
L'union libre, Lausanne 1999, p. 105) ou comme une adoption par une
personne
seule (Tuor/Schnyder/Schmid/Rumo-Jungo, Das Schweizerische
Zivilgesetzbuch,
12e éd., p. 381 s.; André Clerc, Die Stiefkindadoption, thèse
Fribourg 1991,
p. 41 à 43; Rolf Eichenberger, Die materiellen Voraussetzungen der
Adoption
Unmündiger nach neuem schweizerischem Adoptionsrecht, thèse Fribourg
1974, p.
184 s.), l'adoption de l'enfant du conjoint crée un lien de filiation
entre
l'enfant et le beau-parent, tout en laissant subsister le lien
existant entre
l'enfant et son parent (art. 264a al. 3 et 267 al. 2 CC).
Conformément au principe de l'adoption plénière ("Volladoption"),
l'enfant
adopté acquiert le statut juridique d'un enfant de ses parents
adoptifs (art.
267 al. 1 CC) et les liens de filiation antérieurs sont rompus (art.
267 al.
2 CC), sauf dans le cas de l'adoption de l'enfant du conjoint qui
laisse
subsister le lien entre l'enfant et l'époux ou l'épouse de l'adoptant
(art.
267 al. 2 CC).
En exécution de ces dispositions de droit matériel, l'ordonnance du
1er juin
1953 sur l'état civil (OEC; RS 211.112.1) prévoit que l'adoption est
mentionnée en marge de l'inscription de naissance (art. 73a al. 1
OEC) et
qu'il est procédé à une nouvelle inscription de naissance sur une
feuille
complémentaire recouvrant l'ancienne (art. 59 al. 3 et 73a al. 2
OEC). La
feuille complémentaire énonce notamment, en cas d'adoption conjointe
(art.
264a al. 1 CC), le nom du père adoptif et de la mère adoptive (art.
73b al. 1
ch. 5 let. a OEC), en cas d'adoption conjointe par l'époux de la mère
ou
l'épouse du père de l'enfant (art. 264a al. 3 CC), le nom de
l'adoptant et de
son conjoint (art. 73b al. 1 ch. 5 let. b OEC) et en cas d'adoption
par une
personne seule (art. 264b CC), le nom de l'adoptant (art. 73b al. 1
ch. 5
let. c OEC).

4.2.3 Ce système de l'adoption plénière a été introduit par la
révision
totale du droit suisse de l'adoption en 1972, entrée en vigueur le
1er avril
1973. Comme sous le droit antérieur (art. 266 al. 2 aCC), l'adoption
n'est
permise qu'à des époux agissant conjointement (art. 264a al. 1 CC),
sous
réserve de l'adoption de l'enfant de l'autre conjoint (art. 264a al.
3 CC) et
de l'adoption par une personne mariée seule dans les cas spéciaux de
l'art.
264b al. 2 CC; Message du Conseil fédéral du 12 mai 1971, FF 1971 I
1222 ss,
p. 1240). La question de l'adoption d'un enfant par des concubins et
celle de
l'adoption de l'enfant du concubin n'ont fait l'objet d'aucune
discussion, ni
dans le message du Conseil fédéral, ni lors des débats aux Chambres
fédérales
(Message précité, p. 1233 ss, 1239 ss; BO 1972 CN 576; BO 1971 CE
718).
La question n'a pas davantage été discutée lors de la révision du
droit du
divorce en 1998, lorsque le législateur a augmenté la durée du
mariage de
deux à cinq ans pour l'adoption de l'enfant du conjoint (art. 264a
al. 3 CC;
cf. Message du Conseil fédéral du 15 novembre 1995, FF 1996 I 158 ss
n. 243;
Martin Stettler, Les principaux développements enregistrés dans le
droit
suisse de la filiation depuis la révision de 1976, in FamPra.ch 2002
p. 7/8).

4.3 Selon la volonté du législateur, l'adoption doit servir le bien de
l'enfant, favoriser son plein épanouissement et le développement de sa
personnalité, tant du point de vue affectif et intellectuel que
physique.
L'adoption conjointe doit être la règle et l'adoption par une
personne seule
l'exception (ATF 125 III 161 consid. 4a p. 164 et les arrêts cités).
Cette
dernière n'est toutefois soumise à aucune condition spéciale, si ce
n'est
d'être dans l'intérêt de l'enfant (ATF 125 précité, loc. cit.).
L'augmentation de la durée minimale du mariage pour l'adoption de
l'enfant du
conjoint introduite par la révision du droit du divorce rejoint ce
souci de
favoriser le bien de l'enfant. Or, l'adoption ne peut répondre à cette
exigence que si le lien entre les conjoints est fort et durable, ce
qui
exclut a priori les concubins dont le lien est plus instable. C'est
également
cette conception qui a prévalu lors de l'adoption de l'art. 3 al. 3
de la loi
fédérale du 18 décembre 1998 sur la procréation médicalement assistée
(entrée
en vigueur le 1er janvier 2001; LPMA; RS 814.90), qui réserve au seul
couple
marié la possibilité de recourir à un don de sperme. Dans son
message, le
Conseil fédéral a expressément précisé que les exigences en cette
matière ne
sauraient être moins strictes qu'en matière d'adoption conjointe, qui
n'est
ouverte qu'aux seuls époux, à l'exclusion d'autres personnes, qu'en
effet une
relation stable et durable des parents est primordiale pour assurer le
développement harmonieux de l'enfant, que l'union libre n'est
généralement
pas aussi solide que le mariage, que, du point de vue normatif,
l'union
libre, contrairement au mariage, ne garantit aucune pérennité et que,
par
conséquent, l'union libre ne peut être assimilée au mariage (Message
du 26
juin 1996, FF 1996 III 245 n. 322.113).

4.4 De l'interprétation littérale, systématique, historique et
téléologique,
il résulte que la loi exclut l'adoption conjointe d'un enfant par des
concubins, comme aussi l'adoption de l'enfant du concubin. Cette
interprétation de la loi correspond à celle qu'en a donnée la
doctrine, qui
considère que l'adoption conjointe par des concubins est interdite
(Hegnauer,
Commentaire bernois, n. 16 ad art. 264a CC; Breitschmid, Commentaire
bâlois,
n. 2 ad art. 264a CC; Meier/Stettler, op. cit., p. 118 n. 265;
Pulver, op.
cit., p. 106), comme aussi l'adoption de l'enfant du concubin
(Hegnauer, op.
cit., n. 33 ad art. 264a CC; Breitschmid, op. cit., n. 8 ad art. 264a
CC;
Pulver, op. cit., p. 106). L'adoption par un concubin ne pourrait être
envisagée que comme une adoption par une personne seule au sens de
l'art.
264b al. 1 CC, qui supprime le lien de filiation avec le parent (art.
267 al.
2 CC), ce qui n'est pas compatible avec l'intérêt de l'enfant
(Hegnauer, op.
cit., n. 4 ad art. 264b CC; Breitschmid, op. cit., n. 2 ad art. 264b
CC;
Pulver, op. cit., p. 106).
Une application par analogie de l'art. 264a al. 3 CC au concubin ne
saurait
donc entrer en ligne de compte, pas plus que l'admission d'une lacune
proprement dite, qu'il conviendrait de combler.

5.
Selon le Tribunal administratif, qu'approuvent les intimés, une telle
interprétation de la loi, en particulier de l'art. 267 al. 2 CC, ne
tiendrait
cependant pas compte du droit international. La suppression du lien de
filiation maternelle contreviendrait aux art. 8 et 12 CEDH, à l'art.
9 ch. 3
de la Convention de l'ONU du 20 novembre 1989 relative aux droits de
l'enfant
(RS 0.107) et à la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la
protection des
enfants et la coopération en matière d'adoption internationale,
entrée en
vigueur pour la Suisse le 1er janvier 2003 (RS 0.211.221.311).

5.1 Selon la jurisprudence, rien ne s'oppose à un examen de la
conformité
d'une disposition de droit fédéral à la CEDH (ATF 128 III 113 consid.
3a p.
116 et les arrêts cités) ou à d'autres dispositions directement
applicables
contenues dans des conventions internationales ratifiées par la
Suisse, qui
peuvent être invoquées devant les tribunaux (cf. ATF 125 I 257
consid. 3c/bb;
121 V 246 consid. 2b et les arrêts cités).

5.2 Des trois conventions invoquées, seule la CEDH est applicable. En
effet,
la Convention de l'ONU du 20 novembre 1989 relative aux droits de
l'enfant ne
peut être invoquée en l'espèce dès lors que son art. 1er limite son
application aux personnes de moins de 18 ans, condition que
l'adoptée, née en
1971, ne remplit manifestement pas. La Convention de La Haye du 29
mai 1993
sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption
internationale n'entre pas non plus en considération, car son
application est
limitée au cas où l'enfant a été, est ou doit être déplacé de l'"Etat
d'origine" vers l'"Etat d'accueil" après son adoption ou en vue de son
adoption (art. 2), hypothèse non réalisée ici; en outre, son article 3
prévoit également un âge limite de 18 ans.

5.3 La question à résoudre est donc uniquement celle de savoir si la
règle,
posée à l'art. 267 al. 2 CC, de la rupture des liens de filiation
antérieurs
suite à l'adoption viole les art. 8 et 12 CEDH.

5.3.1 Aux termes de l'art. 8 CEDH, toute personne a notamment droit au
respect de sa vie privée et familiale (al. 1). Il ne peut y avoir
ingérence
d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant
que cette
ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui,
dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la
sûreté
publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et
à la
prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de
la
morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (al. 2).
L'art. 8 CEDH protège certes le droit des intéressés de consentir ou
de
s'opposer à l'adoption au cours de la procédure d'adoption (cf.
Isabelle
Lammerant, L'adoption et les droits de l'homme en droit comparé,
Bruxelles/Paris 2001, n. 668 p. 614) et peut justifier, en cas de
non-respect
de ce droit, une procédure en annulation de l'adoption. Il ne confère
en
revanche pas le
droit d'exiger une forme d'adoption non prévue par la
loi au
stade de la procédure administrative d'inscription au registre de
l'état
civil.

5.3.2 L'art. 12 CEDH prévoit qu'à partir de l'âge nubile, l'homme et
la femme
ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois
nationales
régissant l'exercice de ce droit. Ce renvoi aux lois nationales
montre tout
d'abord que le droit fondamental en cause n'est pas absolu (ATF 128
III 113
consid. 3b). En outre, selon ses termes exprès, la norme ne protège
que les
couples mariés et, formellement, elle ne confère pas un droit
d'adopter.

5.3.3 L'essence même de l'adoption est la création de nouveaux liens
familiaux: la personne adoptée change de filiation. La loi suisse le
permet
aux conditions des art. 264 ss CC, en prévoyant cependant que
l'adoption fait
en principe perdre à l'adopté ses liens de filiation avec son ancienne
famille (art. 267 al. 2 CC). En d'autres termes, la loi autorise le
changement de filiation, mais interdit le cumul de filiations, sauf
l'exception en faveur du conjoint de l'adoptant.
On ne voit pas en quoi cette interdiction du cumul de filiations
violerait
les art. 8 et 12 CEDH. Force est dès lors de constater que
l'interprétation
des art. 264a al. 3 et 267 al. 2 CC donnée ci-dessus (consid. 4)
n'est pas
contraire au droit international.

6.
La décision d'adoption prise par la Cour cantonale de justice, comme
cela
ressort de son dispositif et de la référence faite dans ses motifs à
l'art.
264b CC, a prononcé une adoption simple. Il n'en ressort pas que la
cour
cantonale a eu l'intention de faire naître un lien de filiation entre
l'enfant et le concubin tout en laissant subsister le lien de
filiation avec
la mère naturelle. Il n'en résulte pas non plus que les intéressés
auraient
donné leur consentement à la suppression du lien de filiation
maternelle
comme conséquence de l'adoption par le concubin. On ne peut donc en
déduire
que ce jugement d'adoption serait nul. Selon les termes de son
dispositif, il
a créé un lien de filiation entre l'adoptant et l'adoptée (art. 264b
al. 1
CC), qui a entraîné la suppression du lien de filiation maternelle
(art. 267
al. 2 CC). L'autorité cantonale de l'état civil devait donc ordonner
l'ouverture d'une feuille complémentaire recouvrant l'inscription
originale
et mentionner le seul nom de l'adoptant (art. 73b al. 1 ch. 5 let. c
OEC).
Si les intimés entendent se prévaloir du fait qu'ils n'ont pas voulu
la
conséquence légale de la suppression du lien de filiation maternelle
- comme
l'a constaté le Tribunal administratif -, ils doivent le faire par
une action
en annulation de l'adoption pour vices de la volonté (art. 23 ss CO)
conformément aux art. 269 ss CC (Hegnauer, loc. cit., n. 21 ad art.
269, p.
611; Meier/Stettler, op. cit., p. 168 n. 335; Tuor/Schnyder/
Schmid/Rumo-Jungo, op. cit., p. 392; Breitschmid, loc. cit., n. 8 ad
art.
265b CC), et non par un recours contre la décision d'inscription de
l'adoption par les autorités de l'état civil, qui n'ont pas pour
tâche de
revoir les prononcés d'adoption.
Il s'ensuit que le recours doit être admis et l'arrêt du Tribunal
administratif réformé en ce sens que l'inscription de l'adoption est
admise
et le lien de filiation maternelle supprimé.

7.
Les intimés qui succombent doivent supporter les frais (art. 156 al.
1 OJ).
Bien qu'obtenant gain de cause, le recourant n'a pas droit à une
indemnité de
dépens (art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est réformé en ce sens que la
Direction cantonale de l'état civil du canton de Genève est invitée à
inscrire l'adoption de I.________ par X.________ et à supprimer le
lien de
filiation maternelle avec Y.________.

2.
Un émolument judiciaire de 1'000 fr. est mis à la charge des intimés.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Tribunal
administratif de la République et Canton de Genève et à la Cour de
justice du
canton de Genève, Section adoptions.

Lausanne, le 28 mai 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5A.16/2002
Date de la décision : 28/05/2003
2e cour civile

Analyses

Adoption, par le concubin, de l'enfant de son partenaire; effets de l'adoption quant à la filiation de l'adopté (art. 267 al. 2 CC). Le droit suisse exclut l'adoption conjointe d'un enfant par des concubins, comme aussi l'adoption, par un concubin, de l'enfant de son partenaire. L'adoption par un concubin ne pourrait être envisagée que comme une adoption par une personne seule au sens de l'art. 264b al. 1 CC, qui supprime le lien de filiation avec le parent (art. 267 al. 2 CC). Une application par analogie de l'art. 264a al. 3 CC au concubin n'entre pas en ligne de compte, pas plus que l'admission d'une lacune proprement dite qu'il conviendrait de combler (consid. 4). La règle, posée à l'art. 267 al. 2 CC, de la rupture des liens de filiation antérieurs suite à l'adoption ne viole pas les art. 8 et 12 CEDH (consid. 5).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-05-28;5a.16.2002 ?
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