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22/05/2003 | SUISSE | N°2A.85/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 22 mai 2003, 2A.85/2003


{T 1/2}
2A.85/2003 /svc

Arrêt du 22 mai 2003
IIe Cour de droit public

MM. les Juges Wurzburger, Président,
Müller, Merkli.
Greffier: M. Langone.

Etablissements Ed. Cherix et Filanosa S.A.,
rue de la Colombière 12, 1260 Nyon, recourante, représentée par Me
Lionel
Aeschlimann, avocat, Schellenberg Wittmer, cours de Rive 10,
case postale 3054, 1211 Genève 3,

contre

Edipresse S.A., avenue de la Gare 33,
case postale 1001, 1000 Lausanne, représentée par
Me Silvio Venturi, avocat, rue To

epffer 11bis,
1206 Genève, intimée,

Commission de la concurrence, Monbijoustrasse 43, 3003 Berne,

Commis...

{T 1/2}
2A.85/2003 /svc

Arrêt du 22 mai 2003
IIe Cour de droit public

MM. les Juges Wurzburger, Président,
Müller, Merkli.
Greffier: M. Langone.

Etablissements Ed. Cherix et Filanosa S.A.,
rue de la Colombière 12, 1260 Nyon, recourante, représentée par Me
Lionel
Aeschlimann, avocat, Schellenberg Wittmer, cours de Rive 10,
case postale 3054, 1211 Genève 3,

contre

Edipresse S.A., avenue de la Gare 33,
case postale 1001, 1000 Lausanne, représentée par
Me Silvio Venturi, avocat, rue Toepffer 11bis,
1206 Genève, intimée,

Commission de la concurrence, Monbijoustrasse 43, 3003 Berne,

Commission de recours pour les questions de concurrence, 3202
Frauenkappelen,

concentration d'entreprises, retrait de l'effet suspensif,

recours de droit administratif contre la décision incidente
de la Commission de recours pour les questions de concurrence du 20
février
2003.
Faits:

A.
Par communiqué de presse du 17 décembre 2002, la Commission de la
concurrence
a annoncé que, lors de sa séance du 16 décembre 2002, elle avait
approuvé le
rachat du groupe Corbaz, qui édite les quotidiens "La Presse Riviera
Chablais" et " La Presse Nord Vaudois", par le groupe de presse
lausannois
Edipresse. Elle indiquait que cette opération de concentration, quand
bien
même elle renforçait la position d'Edipresse sur le marché des
quotidiens
vaudois, n'était pas susceptible de supprimer la concurrence efficace
sur ce
marché.

B.
Le 30 janvier 2003, la société Etablissements Ed. Cherix et Filanosa
SA, qui
édite le journal de "La Côte", à Nyon, a saisi la Commission de
recours pour
les questions de concurrence d'un pourvoi tendant à l'annulation de
l'acte du
16 décembre 2002 autorisant la concentration en cause, au maintien de
l'effet
suspensif attaché au recours et à l'adoption de diverses mesures
provisoires.
Par décision incidente du 20 février 2003, la Commission de recours
pour les
questions de concurrence a retiré l'effet suspensif au recours du 30
janvier
2003 et, au surplus, a rejeté la requête de mesures provisionnelles.

C.
Agissant le 3 mars 2003 par la voie du recours de droit administratif,
Etablissements Ed. Cherix et Filanosa SA demande au Tribunal fédéral,
en tous
les cas, d'annuler la décision précitée du 20 février 2003,
principalement,
de dire et constater que l'effet suspensif est attaché au recours
adressé le
30 janvier 2003 à la Commission de recours pour les questions de
concurrence
et, subsidiairement, d'ordonner diverses mesures provisoires
adéquates (art.
56 PA) de façon à maintenir la situation actuelle dans l'attente d'une
décision définitive sur le recours du 30 janvier 2003.
Tant la Commission de recours pour les questions de concurrence que la
Commission de la concurrence ont renoncé à se déterminer. Quant à
Edipresse
SA, elle conclut au rejet du recours.

D.
Par ordonnance présidentielle du 25 mars 2003, la requête d'effet
suspensif
au recours a été rejetée.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 La décision attaquée est une décision incidente. Selon l'art. 101
lettre
a OJ (a contrario), les décisions incidentes ne peuvent faire l'objet
d'un
recours de droit administratif que si celui-ci est également
recevable
contre la décision finale. Tel est bien le cas en l'espèce. Les
décisions
finales prises par la Commission de recours pour les questions de
concurrence
(cf. art. 44 de la loi fédérale sur les cartels et autres
restrictions à la
concurrence [Loi sur les cartels, LCart; RS 251]) peuvent être
attaquées par
la voie du recours de droit administratif (art. 97 al. 1 et 98 lettre
e OJ;
ATF 129 II 18 consid. 1.1; 127 III 219 consid. 1a).

1.2 Encore faut-il que la décision incidente - qu'elle soit ou non
expressément énumérée à l'art. 45 al. 2 PA - puisse causer au
recourant un
dommage irréparable (voir art. 97 OJ en relation avec les art. 5 al.
2 et 45
al. 1 PA). Sont notamment considérées comme des décisions incidentes
séparément susceptibles de recours, les décisions sur les mesures
provisionnelles selon les art. 55 et 56 PA (art. 45 al. 2 lettre g
PA). Dans
un recours de droit administratif, un dommage de nature juridique
n'est pas
exigé; un dommage de pur fait, tel un préjudice économique important,
est
suffisant. Il faut donc que le recourant ait un intérêt digne de
protection à
ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée
(ATF 127
II 132 consid. 2a et les arrêts cités).
En l'occurrence, il est loin d'être certain que la décision
entreprise soit
de nature à causer un dommage irréparable à la société recourante. En
effet,
la décision attaquée ne l'empêche pas d'éditer le journal "La Côte",
à Nyon.
La recourante n'a pas non plus rendu vraisemblable que les recettes
publicitaires de son journal auraient notablement diminué - ou
baisseraient
sensiblement au cours des prochains mois de l'année 2003 - si l'effet
suspensif au recours du 30 janvier 2003 n'était pas maintenu. Enfin,
on ne
voit pas en quoi la société recourante subirait un préjudice
irréparable du
fait que le groupe Edipresse est autorisé, du moins provisoirement, à
poursuivre les opérations de concentration d'entreprises durant la
procédure
de recours. A cet égard, on peut relever que, si le groupe Edipresse
entend
procéder à des investissements en vue de la concentration sans
attendre
l'issue définitive de la procédure de recours devant la Commission de
recours
pour les questions de concurrence, il le fait à ses risques et
périls. En
effet, il sait que, le cas échéant, il peut être tenu de rétablir la
situation dans l'état antérieur afin de se conformer au droit.
Point n'est cependant besoin de trancher définitivement le point de
savoir si
la condition du dommage irréparable est réalisée, du moment que le
recours
est de toute manière, comme on le verra ci-après, mal fondé.

1.3 Aux termes de l'art. 103 lettre a OJ, a qualité pour former un
recours de
droit administratif "quiconque est atteint par la décision attaquée
et a un
intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée".
Dans la
procédure d'examen des concentrations d'entreprises, seules les
entreprises
participantes ont qualité de partie (art. 43 al. 4 LCart). Dans la
mesure où
la société recourante ne fait pas partie du cercle des entreprises
participantes, on peut se demander si elle a qualité pour former un
recours
administratif au regard de l'art. 48 lettre a PA d'une part et un
recours de
droit administratif selon l'art. 103 lettre a OJ d'autre part, étant
précisé
que ces deux dispositions légales s'interprètent de la même manière
(cf. ATF
124 II 499 consid. 3b). Là encore, la question peut demeurer
indécise, dès
lors que le recours doit de toute façon être rejeté.

2.
2.1La société recourante soutient que l'autorité intimée a abusé de
son
pouvoir d'appréciation, partant violé l'art. 55 PA, en décidant de
retirer
l'effet suspensif au recours du 30 janvier 2003. A son avis, la
pesée des
intérêts en présence aurait été faite de manière erronée.

2.2 Le recours a effet suspensif (art. 55 al. 1 PA). Sauf si la
décision
porte sur une prestation pécuniaire, l'effet suspensif peut être
retiré ou
restitué par l'autorité de recours (art. 55 al. 2 et 3 PA). La loi
n'indique
pas quels motifs peuvent justifier le retrait de l'effet suspensif.
L'octroi,
le retrait ou la restitution de l'effet suspensif résultent d'une
comparaison
entre les intérêts à l'exécution immédiate de la décision, d'une
part, et au
maintien du régime antérieur jusqu'à droit connu, d'autre part. Il
s'agit
donc de procéder à une pesée des intérêts publics et privés en
présence. Le
retrait de l'effet suspensif doit reposer sur des motifs clairs et
convaincants. La règle de l'art. 55 al. 1 PA, selon laquelle le
recours a
effet suspensif, n'a cependant pas pour conséquence que seules des
circonstances exceptionnelles justifieraient le retrait d'un tel
effet.
Disposant d'une certaine liberté d'appréciation, l'autorité se fonde
en
général sur les pièces qui sont dans le dossier et qu'elle examine
prima
facie, sans ordonner de compléments de preuve. Il n'y a lieu de tenir
compte
de l'issue probable du procès au fond que si elle paraît manifeste.
En cas
de recours contre une décision portant sur l'octroi, le retrait ou la
restitution de l'effet suspensif, le Tribunal fédéral - qui se limite
à un
examen provisoire du dossier - contrôle seulement si l'autorité
intimée a
commis un excès ou un abus de son pouvoir d'appréciation. Il n'annule
sa
décision que si elle a négligé des intérêts essentiels ou fait une
appréciation manifestement fausse (ATF 117 V 185 consid. 2b; 110 V 40
consid.
5b; 106 Ib 115 consid. 2a; 99 Ib 215 consid. 5 et la jurisprudence
citée;
voir aussi arrêt 4A.5/1996 du 30 janvier 1997, reproduit in: sic! 3
1997 p.
327).

2.3 Selon la décision attaquée, l'intérêt privé de la recourante au
maintien
de l'effet suspensif ne saurait l'emporter sur l'intérêt privé
d'Edipresse SA
à l'exécution immédiate, ou plutôt à la poursuite, de la concentration
envisagée. En effet, cette dernière société a, de bonne foi, commencé
le 1er
janvier 2003 les opérations de concentration des entreprises en
procédant
notamment à des investissements importants. Le maintien de l'effet
suspensif
aurait donc des conséquences graves non seulement sur Edipresse SA,
qui est
cotée en bourse, mais également sur les autres investisseurs
impliqués dans
la concentration en cause. De plus, il existerait un intérêt public
(sécurité
du droit) prépondérant à ce que ces opérations ne soient pas
interrompues.
La société recourante reproche à l'autorité intimée d'avoir omis de
prendre
en compte ses intérêts privés légitimes lors de la pesée des intérêts
en
présence. A titre principal, elle allègue - sans toutefois en
apporter la
moindre preuve - qu'en cas de retrait de l'effet suspensif, elle
subirait un
manque à gagner qu'elle chiffre entre 900'000 fr. et 1'440'000 fr.
pour
l'année 2003, ce qui entraînerait à terme la disparition du journal
"La
Côte". On a de la peine à suivre le raisonnement de la recourante
lorsqu'elle
affirme qu'avec la concentration projetée, le groupe Edipresse
serait en
mesure d'offrir aux annonceurs nationaux un taux de couverture et de
pénétration suffisant pour leur permettre de se passer du journal "La
Côte".
En effet, il ne faut pas perdre de vue que le journal "La Côte" d'une
part,
et les journaux "La Presse Riviera Chablais" et "La Presse Nord
Vaudois",
d'autre part, qui sont tous des journaux à caractère régional, sont
diffusés
dans des zones géographiques différentes et s'adressent à un lectorat
qui ne
se recoupe pas. On ne voit donc pas pourquoi les annonceurs nationaux
(et
régionaux) cesseraient de faire paraître des annonces publicitaires
dans le
journal "La Côte" du seul fait du rachat du groupe Corbaz par
Edipresse. Quoi
qu'il en soit, la recourante n'a pas rendu suffisamment vraisemblable
qu'en
cas de retrait de l'effet suspensif, le recettes publicitaires du
journal "La
Côte" diminueraient sensiblement en raison de la concentration
litigieuse.
Tout compte fait, il n'apparaît pas - sur la base d'un examen
sommaire des
pièces du dossier - que l'autorité intimée ait omis de tenir compte
d'un
intérêt important dans sa pesée des intérêts en présence et qu'elle
ait
commis un abus de son pouvoir d'appréciation en retirant l'effet
suspensif au
recours du 30 janvier 2003. Au contraire, il y a lieu de considérer
que
l'autorité intimée a procédé à une appréciation correcte de tous les
intérêts
publics et privés en cause dans le cadre de la pesée des intérêts et
ce,
indépendamment de la question de savoir si l'autorisation de rachat
du 16
décembre 2002 constitue ou non une "décision" et si la recourante a
ou non
qualité pour recourir devant la Commission de recours pour les
questions de
concurrence.

2.4 Les conclusions subsidiaires de la recourante tendant à
l'adoption de
mesures provisionnelles doivent être rejetées pour les mêmes motifs.

3.
Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure où il
est
recevable, avec suite de frais à la charge de la recourante (art. 156
al. 1
OJ). Obtenant gain de cause, la société intimée Edipresse SA, qui est
assistée d'un mandataire professionnel, a droit à un indemnité
équitable à
titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 10'000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
Dit que la recourante versera à Edipresse SA un montant de 5'000 fr.
à titre
de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties,
à la
Commission de la concurrence et à la Commission de recours pour les
questions
de concurrence.

Lausanne, le 22 mai 2003

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2A.85/2003
Date de la décision : 22/05/2003
2e cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-05-22;2a.85.2003 ?
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