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19/05/2003 | SUISSE | N°4C.377/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 19 mai 2003, 4C.377/2002


{T 1/2}
4C.377/2002 /ech

Arrêt du 19 mai 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Favre.
Greffier: M. Ramelet.

Télésonique SA, rte de Pré-Bois 20, case postale 1830, 1215 Genève 15
Aéroport,
défenderesse et recourante principale,

contre

Deutsche Telekom AG, Friedrich-Allee 140,
DE-53113 Bonn,
demanderesse, intimée et recourante par voie de jonction, représentée
par Me
Christophe Maillefer, avocat, rue Beauregard 9, 1204 Genève.

protection des n

oms de domaine internet,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice
du canton d...

{T 1/2}
4C.377/2002 /ech

Arrêt du 19 mai 2003
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Favre.
Greffier: M. Ramelet.

Télésonique SA, rte de Pré-Bois 20, case postale 1830, 1215 Genève 15
Aéroport,
défenderesse et recourante principale,

contre

Deutsche Telekom AG, Friedrich-Allee 140,
DE-53113 Bonn,
demanderesse, intimée et recourante par voie de jonction, représentée
par Me
Christophe Maillefer, avocat, rue Beauregard 9, 1204 Genève.

protection des noms de domaine internet,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice
du canton de Genève du 11 octobre 2002.

Faits:

A.
Deutsche Telekom AG (ci-après: Deutsche Telekom) est notamment
titulaire des
trois marques internationales "T-Online" n° 463826, n° 650171 et n°
653891,
déposées en 1995 et couvrant entre autres pays la Suisse pour les
produits et
services des classes internationales 9, 16, 36, 37, 38, 41 et 42. Elle
utilise la marque "T-Online" pour fournir au public divers services
par le
biais d'internet (téléphonie fixe et mobile, email, banking, SMS,
etc.).
L'usager d'internet a accès à ces services en tapant les noms de
domaine qui
ont été enregistrés par Deutsche Telekom, à savoir "t-online.com",
"tonline.com", "t-online.org" et "t-online.ch", le site internet
rattaché à
cette dernière adresse étant plus spécialement destiné aux
consommateurs
suisses.

Télésonique SA (ci-après: Télésonique) est titulaire des noms de
domaine
"telesonique.ch" et, depuis le 7 janvier 2000, "tonline.ch", qui
conduisent
l'utilisateur sur un site Internet où elle se présente comme un
opérateur
international en télécommunications basé à Genève, offrant les
prestations
les plus modernes aux particuliers, aux entreprises et aux autres
opérateurs.

B.
En janvier 2002, Deutsche Telekom a demandé en vain à Télésonique de
lui
transférer le nom de domaine "tonline.ch". Le 15 février 2002, la
Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève, statuant en
instance unique
sur une requête de mesures provisoires urgentes déposée par Deutsche
Telekom,
a interdit à Télésonique d'utiliser le nom de domaine "tonline.ch" et
de le
transférer à un tiers. Télésonique n'a toutefois cessé d'utiliser le
nom de
domaine litigieux que le 1er mars 2002

La Cour de justice a rendu le 24 mai 2002 une ordonnance de mesures
provisoires confirmant l'ordonnance préprovisionnelle, cela jusqu'à
droit
jugé ou accord entre les parties sur la demande introduite par
Deutsche
Telekom le 25 mars 2002. Cette action au fond tend à ce qu'il soit
interdit à
Télésonique d'utiliser le nom de domaine "tonline.ch" et
d'enregistrer tout
autre nom de domaine similaire, et à ce qu'il soit ordonné à la
défenderesse
de transférer ce nom à la demanderesse ou à tout tiers désigné par
elle.
Télésonique n'a pas procédé sur cette demande.
Par arrêt du 11 octobre 2002, la Cour de justice a fait interdiction à
Télésonique d'utiliser le nom de domaine "tonline.ch", sous menace
des peines
prévues par l'art. 292 CP, et l'a condamnée au paiement d'une
indemnité de
15'000 fr. en faveur de la demanderesse. L'autorité cantonale a
retenu en
substance qu'il existait un risque de confusion entre les marques de
la
demanderesse (T-Online) et le nom de domaine litigieux "tonline.ch",
dès lors
que ce dernier est presque identique aux marques enregistrées
antérieurement,
et que les produits et services offerts sont les mêmes. Elle a
considéré
qu'il n'y avait pas lieu d'interdire à la défenderesse d'enregistrer
tout
autre nom de domaine similaire, car aucun élément ne permettait
d'admettre
l'imminence de nouveaux enregistrements contrevenant au droit à la
marque de
la demanderesse. Elle a rejeté la conclusion de Deutsche Telekom
tendant au
transfert en sa faveur du nom de domaine en cause, au motif qu'elle ne
reposait sur aucune base légale. La cour cantonale a encore jugé que
le
risque de confusion retenu constituait un acte de concurrence déloyale
dommageable pour la demanderesse, à laquelle il convenait d'octroyer
15'000
fr. à titre de dommages-intérêts, compte tenu que l'atteinte avait
duré plus
de deux ans.

C.
C.aLa défenderesse recourt en réforme au Tribunal fédéral et conclut
à ce que
la demanderesse soit déboutée de toutes ses conclusions. A l'appui de
son
recours, elle fait valoir que, le 15 juin 2002, les parties s'étaient
mises
d'accord pour une suspension de la procédure devant la Cour de
justice, si
bien qu'elle n'a pas répondu à la demande. Elle reproche à l'autorité
cantonale de n'avoir pas mentionné cet élément dans la décision
attaquée. A
suivre la défenderesse, la demanderesse aurait violé la bonne foi en
affaires
protégée par l'art. 2 CC en faisant croire à sa partie adverse qu'un
accord
allait être trouvé, au point de dissuader cette dernière de prendre
des
conclusions en instance cantonale.

Sur le fond, la défenderesse allègue que les services offerts par les
deux
sociétés étaient différents; si la demanderesse propose sur ses sites
des
informations générales, Télésonique permet à ses clients d'accomplir
des
actes de gestion dans le cadre strict des relations contractuelles
qui la lie
à ceux-ci. En outre, en matière de noms de domaine, une simple
différence de
signe dans l'adresse - même s'il ne s'agit que d'un détail comme un
trait
d'union - permet d'orienter l'utilisateur sur un autre site et
d'éviter ainsi
la confusion. A l'en croire, aucune violation du droit des marques ne
saurait
donc entrer en ligne de compte. La défenderesse, qui a des relations
d'affaires avec la demanderesse, prétend encore n'avoir pas eu
l'intention de
créer une confusion et nie avoir agi de manière déloyale. Enfin,
poursuit-elle, la demanderesse n'a pas prouvé l'existence du dommage
allégué.

C.b Deutsche Telekom propose le rejet du recours et la confirmation de
l'arrêt attaqué. Elle forme également un recours joint, concluant
principalement à ce que le Tribunal fédéral ordonne à la défenderesse
de
transférer le nom de domaine "tonline.ch" à la demanderesse ou à tout
tiers
désigné par elle et de remplir et signer tout document nécessaire à
cet
égard; subsidiairement, la recourante par voie de jonction requiert
que soit
ordonnée la radiation du nom de domaine précité.

La défenderesse conclut au rejet du recours joint.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté par la partie qui a succombé et dirigé contre un jugement
final,
rendu en instance cantonale unique (art. 58 al. 3 de la loi fédérale
sur la
protection des marques et des indications de provenance du 28 août
1992 (LPM;
RS 232.11) et art. 1 de la loi genevoise (I 1 10) sur la concurrence
déloyale, les liquidations et opérations analogues et sur les
jeux-concours
publicitaires du 3 mai 1991) par l'autorité judiciaire suprême du
canton de
Genève, portant sur une contestation civile au sens de l'art. 45 let.
a OJ,
le recours en réforme est en principe recevable; en outre, il a été
formé en
temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55
OJ).

1.1 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral
(art. 43
al. 1 OJ). En revanche, il ne permet pas d'invoquer la violation
directe d'un
droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1, 2e phrase, OJ) ou la
violation
du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral conduit son
raisonnement
juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à
moins
que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été
violées,
qu'il faille rectifier des constatations reposant sur une inadvertance
manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations de
l'autorité
cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents
et
régulièrement allégués (art. 64 OJ).

1.2 Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait
qui
s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se
prévaloir avec
précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il
n'est pas
possible d'en tenir compte. Il ne peut être présenté de griefs contre
les
constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux
(art. 55
al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est donc pas ouvert pour se
plaindre de l'appréciation des preuves et des constatations de fait
qui en
découlent.

La défenderesse n'est pas recevable à invoquer la duplicité de sa
partie
adverse, laquelle aurait prolongé des pourparlers pour dissuader
Télésonique
de se défendre devant la Cour de justice, ce qui aurait entraîné
l'application - préjudiciable pour la recourante principale - en
instance
cantonale de l'art. 126 al. 2 et 3 LPC gen. Ce moyen concerne pour
l'essentiel le droit de procédure cantonal, dont la censure échappe,
on vient
de le voir, à la juridiction fédérale de réforme (art. 55 al. 1 let.
c in
fine OJ). Il s'ensuit que le grief de violation de l'art. 2 CC, fondé
exclusivement sur ce fait de procédure, est irrecevable.

2.
2.1Dans son examen du recours, le Tribunal fédéral ne saurait aller
au-delà
des conclusions des parties, lesquelles ne peuvent en prendre de
nouvelles
(art. 55 al. 1 let. b OJ); en revanche, il n'est lié ni par les
motifs que
les parties invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation
juridique de
la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ). Il peut donc admettre un
recours pour
d'autres motifs que ceux invoqués par la partie recourante et rejeter
un
recours en adoptant une autre argumentation juridique que celle
retenue par
la cour cantonale (ATF 127 III 248 consid. 2c et les références
citées).

Comme les conclusions du recours joint sont, à l'instar de celles du
recours
principal, soumises aux exigences de l'art. 55 al. 1 let. b OJ (art.
59 al. 3
OJ), la demanderesse ne peut pas en prendre de nouvelles par rapport
à celles
soumises à la dernière instance cantonale, pas davantage qu'elle n'a
le
pouvoir de les modifier (Poudret, COJ II, n. 1.4.3. ad art. 55 OJ p.
425 et
n. 2.4.2. ad art. 59 et 61 OJ p. 480/481). La recourante par voie de
jonction
n'est ainsi pas recevable à requérir la radiation du nom de domaine
"tonline.ch", qui est une conclusion nouvelle par rapport à sa
demande de
transfert. Même si la radiation sollicitée poursuit le même but de
protection
de la marque que le transfert du nom de domaine, elle a une nature et
des
conséquences différentes de celui-ci. Il s'ensuit que le recours
joint est
irrecevable en ce que la demanderesse conclut subsidiairement à la
radiation
du nom de domaine "tonline.ch".

2.2 D'un point de vue technique, le nom de domaine n'est qu'un
instrument qui
a pour fonction d'identifier un ordinateur connecté au réseau.
Toutefois,
pour l'usager d'Internet, il désigne un site Web comme tel et permet
de
rechercher la personne qui l'exploite, la chose ou les prestations
qui s'y
rattachent. Dans cette mesure, suivant les cas particuliers, le nom de
domaine est comparable à un signe distinctif, comme un nom, une raison
sociale ou une marque. La fonction d'identification des noms de
domaine a
pour conséquence qu'ils doivent se distinguer suffisamment des signes
distinctifs appartenant à des tierces personnes et protégés par un
droit
absolu, cela afin d'empêcher des confusions. Partant, si le signe
utilisé
comme nom de domaine est protégé par le droit au nom, le droit des
raisons de
commerce ou le droit des marques, le titulaire des droits exclusifs y
afférents peut en principe interdire au tiers non autorisé
l'utilisation de
ce signe comme nom de domaine. En cas de collision entre divers
droits, il
convient de peser les intérêts respectifs afin de parvenir à la
solution la
plus équitable possible (ATF 128 III 353 consid. 3 p. 357/358 et les
références; Philippe Gilliéron, Les noms de domaine: Possibilités de
protection et de résolution des conflits, in: sic ! 2000, p. 73 et 75;
Andreas Ruff, DomainLaw, Der Rechtsschutz von Domain-Namen im
Internet,
Berlin 2002, p. 62 in initio).

Pour apprécier si un nom de domaine peut être confondu avec un droit
exclusif
tel une marque enregistrée, il faut se fonder non pas sur le contenu
du site
que cette adresse électronique permet d'atteindre, mais bien sur le
libellé
de l'adresse internet. C'est en effet uniquement celle-ci qui éveille
l'intérêt du public et lui donne l'espoir d'obtenir des informations
conformes à l'association d'idées évoquée par le nom de domaine.
Partant, et
contrairement à ce que soutient la défenderesse, il n'importe que les
services offerts dans le site soient de nature différente de ceux
proposés
par le titulaire de la marque (cf. ATF 128 III 353 consid. 4.2.2.1 et
la
doctrine citée, p. 363). Pour évaluer le risque de confusion, qui est
une
notion identique pour tout le domaine des signes distinctifs (ATF 128
III 353
consid. 4 p. 359; 126 III 239 consid. 3a), il convient d'examiner
l'impression d'ensemble qui se dégage en Suisse du signe distinctif
litigieux
(ATF 128 III 353 consid. 4 in fine et les références, p. 359), même
si, comme
le relève la défenderesse, en matière de noms de domaine, chaque
détail
pourrait avoir une fonction distinctive propre à éviter le danger de
confusion (cf. Joachim Bornkamm, Domain-Namen - Kennzeichen- und
lauterkeitsrechtliche Probleme, in: Neueste Entwicklungen im
europäischen und
internationalen
Immaterialgüterrecht, Fünftes St. Galler
internationales
Immaterialgüterrechtsforum 2001, p. 116, auteur qui laisse la question
ouverte).

2.3 Dans le cas présent, la cour cantonale était fondée à relever que
la
marque antérieure "T-Online" et le nom de domaine "tonline.ch"
présentent un
très haut degré de similarité, indépendamment du contenu des sites
web, de
sorte qu'elle n'a pas violé le droit fédéral, singulièrement le droit
des
marques (art. 13 al. 1 LPM), en frappant d'interdiction l'usage du
nom de
domaine "tonline.ch" par la défenderesse, lequel créait
indubitablement un
risque de confusion avec la marque de la demanderesse et les services
de
télécommunications que celle-ci offre, à l'instar de son adverse
partie, à sa
clientèle. Le moyen de la défenderesse pris d'une mauvaise
application de la
LPM est sans fondement.

En revanche, la Cour de justice a méconnu que le transfert du nom de
domaine
au titulaire de la marque lésée pouvait se fonder sur l'art. 43 al. 1
CO,
norme qui n'exclut pas la réparation en nature (ATF 107 II 134
consid. 4 et
les arrêts cités, p. 139/140), de sorte que l'injonction faite à
l'usurpateur
de fournir toutes les déclarations nécessaires au rétablissement d'une
situation conforme au droit, soit en l'espèce le transfert ultérieur
du nom
de domaine litigieux au titulaire de la marque, est possible, même si
l'art.
53 LPM ne le prévoit pas expressément (ATF 128 III 401 consid. 8,
publié in:
sic ! 2002 p. 865). Le recours joint sera en conséquence admis sur ce
point,
en ce sens que le Tribunal fédéral ordonnera à la défenderesse de
fournir
tous les éléments et déclarations nécessaires au transfert du nom de
domaine
"tonline.ch" à la demanderesse ou à tout tiers désigné par elle.

3.
La cour cantonale a retenu à juste titre que le risque de confusion,
sanctionné en vertu de l'art. 13 al. 1 LPM, tombait également sous le
coup
des art. 2 et 3 let. d de la loi fédérale contre la concurrence
déloyale du
19 décembre 1986 (LCD; RS 241). Cette dernière disposition prévoit
qu'agit de
façon déloyale celui qui prend des mesures qui sont de nature à faire
naître
une confusion avec les marchandises, les oeuvres, les prestations ou
les
affaires d'autrui, étant rappelé qu'il n'est pas nécessaire que des
confusions se soient produites, mais qu'il suffit que les acheteurs,
voire
même les cercles spécialisés, puissent croire à l'existence de liens
entre
deux entreprises utilisant des désignations prêtant à confusion (ATF
114 II
106 consid. 3b in fine, p. 111 et l'arrêt cité; Kamen Troller, Précis
du
droit suisse des biens immatériels, p. 342). Ainsi, la protection
contre le
risque de confusion est assurée aussi bien par le droit des marques
que par
l'art. 3 let. d LCD, norme qualifiée de "petite clause générale" de
la loi
contre la concurrence déloyale en ce qu'elle précise l'art. 2 LCD
tout en
offrant au lésé une garantie plus efficace (cf. François Dessemontet,
La
propriété intellectuelle, publication CEDIDAC 42, p. 357). De manière
générale, l'action fondée sur l'art. 3 let. d LCD suit le sort de
celle basée
sur le droit des marques, lorsque la LPM et la LCD s'appliquent
ensemble, en
concours idéal (Philippe Gilliéron, op. cit., p. 80).

En l'occurrence, en ayant enregistré le 7 janvier 2000 le nom de
domaine
"tonline.ch", dont la similarité orthographique et euphonique avec la
marque
antérieure "T-Online" de la demanderesse est patente, la défenderesse
a
adopté un comportement contraire à la bonne foi qui tombe sous le
coup de
l'art. 3 let. d LCD, de sorte que le moyen de la recourante
principale qui
repose sur l'application erronée de cette loi fédérale est dénué de
tout
fondement.

4.
La défenderesse reproche enfin à la Cour de justice d'avoir alloué
15'000 fr.
de dommages-intérêts à la demanderesse, alors que cette dernière
n'aurait pas
établi avoir subi un préjudice. La recourante principale y voit une
violation
des règles sur le fardeau de la preuve.

4.1 La fixation du dommage ressortit en principe au juge du fait.
Saisi d'un
recours en réforme, le Tribunal fédéral n'intervient que si l'autorité
cantonale a méconnu la notion juridique du dommage ou si elle a violé
des
principes juridiques relatifs au calcul du préjudice. L'estimation du
dommage
d'après l'art. 42 al. 2 CO repose sur le pouvoir d'apprécier les
faits; elle
relève donc de la constatation des faits, laquelle ne peut être revue
en
instance de réforme. Ressortit par contre au droit le point de savoir
quel
degré de vraisemblance la survenance du dommage doit atteindre pour
justifier
l'application de l'art. 42 al. 2 CO et si les faits allégués
permettent de
statuer sur la prétention en dommages-intérêts déduite en justice. Il
n'en
demeure pas moins que, dans la mesure où l'autorité cantonale, sur la
base
d'une appréciation des preuves et des circonstances concrètes, a
admis ou nié
que la vraisemblance de la survenance du préjudice confinait à la
certitude,
elle a posé une constatation de fait qui est, sous réserve
d'exceptions non
réalisées en l'espèce, soustraite au contrôle de la juridiction
fédérale de
réforme (ATF 126 III 388 consid. 8a et les arrêts cités).
En l'espèce, le grief de violation des règles sur la répartition du
fardeau
de la preuve est devenu sans objet (ATF 128 III 271 consid. 2b/aa et
les
arrêts cités, p. 277), dans la mesure où, dans son appréciation des
preuves
et des faits, la cour cantonale a été convaincue de l'existence d'un
dommage,
dont la quotité ne pouvait être fixée avec exactitude, raison pour
laquelle
elle a fait usage de l'art. 42 al. 2 CO. En effet, l'art. 8 CC ne
permet pas
de corriger l'appréciation des preuves à laquelle a procédé la
juridiction
cantonale (ATF 128 III 22 consid. 2d et les arrêts cités, p. 25/26).

4.2 Les art. 55 al. 2 LPM et 9 al. 3 LCD réservent les actions
intentées en
vertu du code des obligations, et notamment l'action en
dommages-intérêts
fondée sur l'art. 41 CO, dont les conditions doivent être réalisées
(Kamen
Troller, Manuel du droit suisse des biens immatériels, tome II, 2e
éd., p.
1030; Roland von Büren/Lucas David, Schweizerisches Immaterialgüter-
und
Wettbewerbsrecht, vol. I/2, 2e éd., p. 113; Mario M.
Pedrazzini/Federico A.
Pedrazzini, Unlauterer Wettbewerb UWG, 2e éd., p. 236 ss).

La défenderesse ne critique pas l'arrêt attaqué sous l'angle des
conditions
d'application de l'art. 41 CO relatives à l'acte illicite, à la faute
et au
rapport de causalité adéquate, mais s'attache uniquement à contester
l'existence d'un dommage. Dans la mesure où ce moyen est recevable -
ce qui
est douteux -, il apparaît que la cour cantonale a tenu compte
notamment de
la durée de l'atteinte, qui s'est étendue sur plus de deux ans, ainsi
que du
comportement de la défenderesse, laquelle n'a pas obtempéré
immédiatement à
l'ordonnance de mesures provisionnelles urgentes lui interdisant
l'utilisation du nom de domaine litigieux et n'a pas répondu à la
demande au
fond. Sur la base de ces éléments, la Cour de justice a pu faire
usage du
pouvoir d'appréciation que lui confère l'art. 42 al. 2 CO,
disposition qui ne
se rapporte pas seulement à la quotité du dommage, mais déjà à la
constatation de son existence même (von Büren/David, op. cit., p.
116). On ne
discerne in casu aucune violation du droit fédéral.

5.
En résumé, le recours principal est rejeté dans la mesure où il est
recevable. Le recours joint est partiellement admis dans la mesure où
il est
recevable. Il s'ensuit qu'un émolument global de 4'000 fr. (3'000 fr.
+ 1'000
fr.) doit être mis à la charge de la défenderesse qui succombe
entièrement.
De même, un émolument de 1'000 fr. sera mis à la charge de la
demanderesse,
dont le recours joint est en partie irrecevable. Dans ces conditions,
la
demanderesse, dont les conclusions ont été en grande partie
accueillies, a
droit à une indemnité réduite à titre de dépens que lui versera la
recourante
principale.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours principal est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Le recours joint est partiellement admis dans la mesure où il est
recevable.

3.
Il est ordonné à la défenderesse de fournir les éléments et
déclarations
nécessaires au transfert du nom de domaine "tonline.ch" à la
demanderesse ou
à tout tiers désigné par elle.

4.
Un émolument judiciaire de 4000 fr. est mis à la charge de la
défenderesse.

5.
Un émolument judiciaire de 1000 fr. est mis à la charge de la
demanderesse.

6.
La défenderesse versera à la demanderesse une indemnité de 4000 fr. à
titre
de dépens réduits.

7.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre
civile
de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 19 mai 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.377/2002
Date de la décision : 19/05/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-05-19;4c.377.2002 ?
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