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29/04/2003 | SUISSE | N°1P.653/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 29 avril 2003, 1P.653/2002


{T 0/2}
1P.653/2002 /col

Arrêt du 29 avril 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Thélin.

la société S.________,
recourante, représentée par Me Bernard Ziegler, avocat, case postale
18, 1211
Genève 12,

contre

Collège des juges d'instruction du canton de Genève, place du
Bourg-de-Four
1, case postale 3344, 1211 Genève 3.
Juge d'instruction Claude Wenger, case postale 334

4, 1211 Genève 3,

récusation

recours de droit public contre la décision du Collège des juges
d'instruction
du ...

{T 0/2}
1P.653/2002 /col

Arrêt du 29 avril 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Thélin.

la société S.________,
recourante, représentée par Me Bernard Ziegler, avocat, case postale
18, 1211
Genève 12,

contre

Collège des juges d'instruction du canton de Genève, place du
Bourg-de-Four
1, case postale 3344, 1211 Genève 3.
Juge d'instruction Claude Wenger, case postale 3344, 1211 Genève 3,

récusation

recours de droit public contre la décision du Collège des juges
d'instruction
du 7 novembre 2002.

Faits:

A.
En septembre 2000, H.________ s'est adressé aux autorités judiciaires
genevoises pour dénoncer des malversations commises, prétendument,
lors de
l'émission d'un emprunt par obligations convertibles de la société
S.________. Le Ministère public a ordonné l'ouverture d'une enquête,
d'abord
confiée au Juge d'instruction Marc Tappolet, puis, dès novembre 2001,
au Juge
d'instruction Claude Wenger. En l'état, aucune constitution de partie
civile
ni aucune inculpation ne sont intervenues. S.________ conteste toute
irrégularité dans l'émission de l'emprunt concerné; elle affirme que
la
dénonciation est un acte de malveillance destiné à l'entraver dans ses
démarches tendant à obtenir l'autorisation d'exploiter une banque. En
mai
2001, la Commission fédérale des banques a effectivement décidé de
suspendre
la procédure d'autorisation alors en cours.

B.
Un rapport d'expertise a été déposé le 9 novembre 2001 et soumis à
l'avocat
de S.________. Le Ministère public a ensuite demandé que ce document
fût
aussi soumis, pour déterminations, au conseil de H.________, ce que
le juge
Wenger a fait le 28 novembre 2001. S.________ est intervenue le
lendemain,
donc trop tard, pour s'opposer à cette transmission. A sa demande,
par lettre
du 10 décembre 2001, le Juge d'instruction a interdit au dénonciateur
de
communiquer le rapport à des tiers, sous la menace des peines prévues
à
l'art. 292 CP.
Par lettre du 19 mars 2002, dans le but de favoriser une issue rapide
de
l'enquête pénale, S.________ a fourni spontanément une note de
dix-neuf pages
contenant des renseignements qu'elle souhaitait soumettre à l'expert
judiciaire. L'expert s'est prononcé dans un rapport complémentaire
daté du 4
juin 2002. D'entente entre le Juge d'instruction et le Ministère
public, ce
document a été soumis pour déterminations, simultanément, aux
conseils de
S.________ et de H.________.
Ayant appris que ce rapport complémentaire avait lui aussi été remis
au
dénonciateur, par l'intermédiaire de son conseil, S.________ a
protesté le 12
août 2002 auprès du Juge d'instruction. Celui-ci a répondu que "la
soumission
de tels documents à toutes les parties directement intéressées est
justifiée
dans l'intérêt de rendre une bonne justice et pour respecter
l'égalité de
traitement des parties".

C.
Le 17 septembre 2002, S.________ a demandé la récusation du Juge
d'instruction Wenger en raison de ces communications qu'il avait
faites à
H.________. A son avis, elles portaient sur des éléments
confidentiels et
elle les considérait comme un signe de partialité à son détriment. Par
ailleurs, elle a déposé une plainte pénale contre ce magistrat, pour
abus
d'autorité et violation du secret de fonction, et elle l'a aussi
dénoncé à
l'autorité disciplinaire compétente; elle a en outre recouru à la
Chambre
d'accusation contre les décisions de transmettre au dénonciateur
l'expertise
d'abord, puis son complément.
Le juge Wenger a pris position sur la demande de récusation le 24
septembre
2002. Il a admis que les communications en cause étaient intervenues
"en
dépit de l'absence d'information contradictoire, mais dans le but et
l'intérêt de rendre une bonne justice et pour respecter l'égalité de
traitement des «parties» (au sens large)".
Le Collège des juges d'instruction s'est prononcé sur la demande le 7
novembre suivant. Il l'a déclarée irrecevable au motif que S.________
n'avait
pas qualité de partie à la cause pénale et qu'elle n'avait donc pas
non plus,
selon la législation cantonale applicable, qualité pour présenter une
telle
demande.
La Chambre d'accusation s'est prononcée, elle, le 20 novembre 2002.
Elle a
jugé le recours irrecevable parce que tardif; S.________ n'avait pas
agi dans
le délai légal de dix jours comptés dès le moment où elle avait eu
connaissance certaine des transmissions contestées.

D.
Agissant par la voie du recours de droit public, S.________ requiert
le
Tribunal fédéral d'annuler la décision du 7 novembre 2002 concernant
la
demande de récusation. Elle soutient que la possibilité d'invoquer la
garantie conférée par l'art. 29 al. 1 Cst., relative à l'indépendance
et à
l'impartialité des autorités d'instruction, lui est déniée en
violation de
cette disposition. Elle soutient également que la décision repose sur
une
application arbitraire du droit cantonal. Enfin, elle persiste dans
ses
critiques dirigées contre le juge Wenger.
Invités à répondre, ce magistrat propose le rejet du recours; le
Collège des
juges d'instruction a renoncé à déposer des observations.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Dans la procédure incidente consécutive au dépôt de sa demande de
récusation,
la recourante bénéficie des garanties conférées par l'art. 29 Cst.,
telles
que, en particulier, la protection de son droit de recevoir une
décision (cf.
ATF 117 Ia 116 consid. 3a p. 117/118). Au regard de l'art. 88 OJ,
elle a
ainsi qualité pour contester le prononcé du 7 novembre 2002 qui,
précisément,
lui dénie ce droit au motif qu'elle n'est pas partie à la cause
pénale (ATF
121 I 42 consid. 2e p. 47). Le recours de droit public ne peut être
formé que
pour violation des droits constitutionnels (art. 84 al. 1 let. a OJ);
il en
résulte que l'application des règles cantonales de procédure n'est en
principe contrôlée que par rapport à l'art. 9 Cst. (ATF 113 Ia 426
consid. 3a
p. 431).

2.
Une décision est arbitraire, donc contraire à cette dernière
disposition,
lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair
et
indiscuté, ou contredit d'une manière choquante le sentiment de la
justice et
de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue
par
l'autorité cantonale de dernière instance que si sa décision apparaît
insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective,
adoptée
sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. En outre,
il ne
suffit pas que les motifs de la décision soient insoutenables; encore
faut-il
que celle-ci soit arbitraire dans son résultat. A cet égard, il ne
suffit pas
non plus qu'une solution différente de celle retenue par l'autorité
cantonale
puisse être tenue pour également concevable, ou apparaisse même
préférable
(ATF 128 II 259 consid. 5 p. 280/281; 127 I 54 consid. 2b p. 56; voir
aussi
ATF 128 I 177 consid. 2.1 p. 182; 126 I 168 consid. 3a p. 170).

3.
Aux termes de l'art. 98 al. 1 de la loi genevoise sur l'organisation
judiciaire (OJ gen.), toute récusation est proposée par requête
signée de la
partie ou de son avocat, ou d'un représentant autorisé par la loi.
L'art. 23
CPP gen. dispose, par ailleurs, que le Procureur général, la partie
civile et
l'inculpé ont qualité de partie au procès pénal. Le Collège des juges
d'instruction retient que la recourante, faute d'être partie selon
cette
seconde disposition, ne l'est pas non plus selon la première, et
qu'elle
n'est donc pas habilitée à demander une récusation.
Ce syllogisme est formellement exact et la recourante ne le conteste
pas.
Elle le tient cependant pour incompatible avec le sens et le but des
dispositions en cause, et gravement contraire à l'équité. Elle juge
inadmissible d'être privée de toute possibilité d'obtenir,
éventuellement, la
récusation du magistrat qu'elle soupçonne de partialité, alors
qu'elle subit
l'enquête pénale et que celle-ci, à son avis, compromet des secrets
d'affaire
dont la préservation est essentielle à la confiance de ses clients,
et lui
cause ainsi un grave préjudice.
A l'appui de son argumentation, la recourante tente de mettre en
évidence des
démarches du Juge d'instruction qui, à première vue, ne correspondent
pas au
cadre de la procédure défini par la loi. Ainsi, elle fait valoir que
le
rapport d'expertise et son complément sont des éléments du dossier
d'enquête
qui était en principe secret jusqu'à une éventuelle inculpation (art.
131,
142 al. 1 CPP gen.), et qu'ils ont néanmoins été communiqués à des
personnes
qui, au surplus, n'auraient pas qualité pour les recevoir même dans
une étape
ultérieure de la procédure. Le Tribunal fédéral n'a cependant pas à
contrôler
la régularité de l'enquête, en particulier la validité des motifs
avancés par
le Juge d'instruction. En effet, il n'est de toute manière pas
arbitraire
d'interpréter l'art. 98 al. 1 OJ gen. selon son texte et, par
conséquent, de
lire cette disposition en rapport avec l'art. 23 CPP gen. Au
demeurant,
S.________, personne morale, ne pouvait être inculpée et ne s'est pas
constituée partie civile. Elle n'a dès lors pas qualité de partie, ce
qu'elle
pouvait reconnaître d'emblée, d'autant qu'elle est assistée d'un
mandataire
professionnel. La décision attaquée échappe ainsi au grief tiré des
art. 9 et
29 Cst.

4.
Une autre des garanties conférées par l'art. 29 al. 1 Cst. consiste
dans le
droit d'exiger, en principe, la récusation d'un juge d'instruction
dont la
situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute
sur son
impartialité (ATF 127 I 196 consid. 2b p. 198, 125 I 119 consid. 3b
p. 123).
Jusqu'à présent, le Tribunal fédéral n'a pas examiné s'il existe au
surplus,
conformément à l'argumentation de la recourante, un droit d'accès à
une
procédure cantonale de récusation. On peut renoncer à cet examen
aussi dans
la présente affaire car, de toute évidence, un tel droit n'est
garanti, le
cas échéant, qu'à une partie à l'affaire en cause; or, on a vu qu'en
l'espèce, il n'est pas arbitraire de dénier cette qualité de partie à
la
recourante.

5.
La recourante qui succombe doit acquitter l'émolument judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La recourante acquittera un émolument judiciaire de 2'000 fr.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la
recourante, au
Collège des juges d'instruction du canton de Genève et au Juge
d'instruction
Claude Wenger.

Lausanne, le 29 avril 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.653/2002
Date de la décision : 29/04/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-04-29;1p.653.2002 ?
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