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23/04/2003 | SUISSE | N°1A.181/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 avril 2003, 1A.181/2002


{T 0/2}
1A.181/2002 /col

Séance du 23 avril 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Féraud, Reeb, Fonjallaz
et Mme Pont-Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Kurz.

X. ________,
recourante, agissant par ses parents, représentée par Me Kathrin
Gruber,
avocate, rue de la Madeleine 33B, case postale,
1800 Vevey 1,

contre

Etat de Vaud, 1014 Lausanne, représenté par Me Laurent Gilliard,
avocat, rue
du Casino 1

, case postale 367,
1400 Yverdon-les-Bains,
Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours, route du
Sign...

{T 0/2}
1A.181/2002 /col

Séance du 23 avril 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Féraud, Reeb, Fonjallaz
et Mme Pont-Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Kurz.

X. ________,
recourante, agissant par ses parents, représentée par Me Kathrin
Gruber,
avocate, rue de la Madeleine 33B, case postale,
1800 Vevey 1,

contre

Etat de Vaud, 1014 Lausanne, représenté par Me Laurent Gilliard,
avocat, rue
du Casino 1, case postale 367,
1400 Yverdon-les-Bains,
Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours, route du
Signal 8,
1014 Lausanne.

art. 13 LAVI

recours de droit administratif contre l'arrêt de la Chambre des
recours du
Tribunal cantonal du canton de Vaud du 10 avril 2002.

Faits:

A.
Par jugement du 17 mars 1999, le Tribunal correctionnel du district
de Nyon a
condamné Y.________ à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis,
pour des
actes d'ordre sexuel commis entre 1994 et 1997 sur sa nièce
X.________, née
en 1985. Statuant sur les conclusions civiles de la victime, le
tribunal a
alloué 35'785 fr. de dommages-intérêts décomposés comme suit: 14'569
fr. de
frais d'internat pour l'année scolaire 1998-1999, ainsi que 1'008 fr.
de
frais de déplacement; 200 fr. de frais - non couverts - de
psychothérapie,
ainsi que 216 fr. de frais de déplacement; à titre de dommage futur,
15'288
fr. pour les trois années suivantes d'externat ainsi que 3'672 fr. de
frais
de déplacement et 832 fr. de frais de psychothérapie. Sur conseil de
leur
médecin, les parents avaient sorti leur fille de l'école publique de
leur
lieu de domicile à B.________, pour la placer au collège de
A.________ pour
l'année en cours en tant qu'interne, et pour les trois années
suivantes en
tant qu'externe semi-pensionnaire. Le Tribunal correctionnel a
considéré
qu'il était dans l'ordre des choses que la victime de ce genre
d'agissements
ait un parcours scolaire perturbé, ce qui pouvait nécessiter un
changement
d'école et d'environnement. La somme de 8'000 fr. a également été
allouée à
titre d'indemnité pour tort moral.

B.
Y.________ étant sans ressources, X.________, agissant par ses
parents, s'est
adressée au Conseil d'Etat de l'Etat de Vaud pour obtenir, en se
fondant sur
la LAVI (RS 312.5), les sommes allouées dans le jugement du 17 mars
1999.
L'Etat de Vaud a pris position le 21 avril 1999 en acceptant de
verser 8'000
fr. pour tort moral ainsi que les frais non couverts de
psychothérapie, mais
non les frais supplémentaires d'écolage.

C.
X.________ a déposé, le 23 septembre 1999, une demande
d'indemnisation fondée
sur la LAVI, devant le Président du Tribunal civil du district
d'Yverdon
(ci-après: le tribunal). Une tentative de transaction a échoué; une
expertise
a été mise en oeuvre, et confiée à deux médecins du service de
pédopsychiatrie de Bienne, lesquels ont rendu leur rapport le 9 mai
2001.
Par jugement du 20 novembre 2001, le tribunal a alloué 12'825 fr. de
dommages-intérêts. Le placement en internat pour l'année 1998-1999
s'était
avéré judicieux puisqu'il permettait l'éloignement du domicile, où
les abus
avaient été commis. Un montant de 11'577 fr. a été alloué de ce chef,
soit
14'569 fr. plus 1'008 fr. de frais de déplacement, sous déduction de
4'000
fr. correspondant, forfaitairement, aux frais de repas non pris à son
domicile. Les frais d'externat pour l'année suivante - justifiés
selon les
experts uniquement pour éviter un changement scolaire - ainsi que
pour les
deux années supplémentaires, n'étaient en revanche pas indispensables,
puisque l'enfant devait de toute façon rentrer à domicile tous les
soirs. Les
transformations apportées à la maison familiale ne constituaient qu'un
dommage indirect. Les frais de psychothérapie et de déplacement, par
1'248
fr., ont été alloués. Sans figurer dans le dispositif du jugement,
l'indemnité pour tort moral a été fixée à 8'000 fr.

D.
Par arrêt du 10 avril 2002, la Chambre des recours du Tribunal
cantonal
vaudois a confirmé cette décision. L'instance d'indemnisation LAVI
n'était
pas liée par le juge pénal s'agissant de questions de droit telles que
l'existence d'un lien de causalité adéquate entre l'infraction et le
dommage.
La poursuite de la scolarité en externat était certes souhaitable,
mais non
indispensable, dès lors que l'enfant devait retourner chaque soir à
son
domicile. Les frais de transformation de l'habitation familiale ne
semblaient
pas constituer un dommage direct, et la victime ne paraissait par
avoir
qualité pour en réclamer le remboursement; ces frais n'étaient de
toute façon
pas établis. Le montant de la réparation morale a été jugé adéquat. Le
dispositif du jugement de première instance a été complété pour tenir
compte
de ce versement.

E.
X.________ forme un recours de droit administratif contre ce dernier
arrêt.
Elle réclame 43'785 fr. de la part de l'Etat de Vaud, sous déduction
des
8'000 fr. déjà payés. Elle demande en outre l'assistance judiciaire.
La cour cantonale se réfère à son arrêt. L'Etat de Vaud conclut au
rejet du
recours, avec suite de dépens. Dans ses déterminations, l'Office
fédéral de
la justice (OFJ) relève que l'instance d'indemnisation peut s'écarter
de
l'appréciation juridique du juge pénal, s'agissant d'estimer un
dommage
hypothétique. La recourante a répliqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'arrêt attaqué est rendu en application de la LAVI. La démarche de la
recourante tend à l'obtention d'une indemnité, pour son dommage
matériel et
pour tort moral, fondée sur cette loi, et il n'est pas contesté que la
recourante a qualité de victime au sens de l'art. 2 al. 1 LAVI.

1.1 Dirigé contre une décision (art. 5 PA) ne relevant pas des
exceptions
prévues aux art. 99 ss OJ (ATF 122 II 315 consid. 1 p. 317, 121 II 116
consid. 1 p. 117) et émanant de l'autorité cantonale de dernière
instance, le
recours de droit administratif est recevable (ATF 126 II 237 consid.
1a p.
239, 125 II 169 consid. 1 p. 171 et les arrêts cités).

1.2 La procédure ayant conduit au prononcé attaqué a été menée sur la
base de
l'ancienne loi cantonale d'application de la LAVI, qui imposait à la
victime
de s'adresser d'abord au Conseil d'Etat puis, à défaut d'accord, de
saisir le
président du Tribunal de district compétent, dont le jugement était
susceptible d'un recours au Tribunal cantonal. Le Tribunal fédéral a
déjà eu
l'occasion de s'interroger sur la compatibilité de ce système
(intervention
successive de trois autorités, obligation d'intenter un procès contre
l'Etat)
avec les exigences de simplicité et de célérité posées par le droit
fédéral
(art. 16 LAVI; ATF 123 II 425 consid. 4a p. 429). Le canton de Vaud a
d'ailleurs modifié sa loi d'application le 15 juin 1999, en
instituant une
autorité d'indemnisation (le Service de justice et législation), avec
recours
au Tribunal cantonal des assurances, mais cette modification n'est
entrée en
vigueur que le 1er janvier 2000, soit après le dépôt de la demande,
de sorte
que celle-ci a été traitée selon l'ancien droit.
La recourante se plaint de la procédure suivie en relevant que
l'obligation
d'intenter un procès civil et de se soumettre à une nouvelle
expertise aurait
aggravé son état, en l'obligeant à revivre le traumatisme et en
réveillant un
sentiment de culpabilité. Elle ne paraît toutefois pas en faire un
grief
distinct qui conduirait à lui seul à l'annulation de la décision
attaquée.
Cela étant, il n'y a pas lieu de réexaminer la question de la
conformité de
la procédure suivie, car une annulation de celle-ci et le réexamen de
la
demande selon la nouvelle procédure ne feraient qu'aggraver les vices
dont se
plaint la recourante, en entraînant notamment un retard incompatible
avec
l'obligation de célérité prévue à l'art. 16 al. 1 LAVI. Au demeurant,
la
recourante se plaint pour l'essentiel non pas de la procédure suivie,
mais de
son résultat sur le fond.

2.
La cour cantonale a considéré, avec le premier juge, que l'instance
LAVI est
liée par le jugement pénal pour ce qui est de l'établissement des
faits. Elle
ne le serait pas en revanche pour les questions de droit, comme
l'existence
d'un lien de causalité adéquate entre l'infraction et le dommage subi.

2.1 La recourante estime que lorsqu'il existe un jugement pénal
statuant sur
les prétentions civiles de la victime, l'instance d'indemnisation
LAVI ne
pourrait s'en écarter qu'en raison de faits nouveaux inconnus au
pénal, ou
pour des motifs inhérents à la LAVI (limitation de l'indemnité à
100'000 fr.,
critères de revenus de la victime). Permettre à l'instance LAVI de
s'écarter
des conclusions du juge pénal irait à l'encontre de la loi qui tend à
une
réparation intégrale et inconditionnelle du dommage (sous réserve des
conditions de revenus ou de l'existence d'une faute concomitante), en
facilitant l'obtention des prétentions civiles de la victime.

2.2 Pour l'Etat de Vaud, la notion d'immédiateté serait assimilable à
celle
de causalité adéquate; il s'agirait d'une question de droit que
l'instance
LAVI pourrait revoir librement. L'OFJ relève que le juge pénal a admis
l'existence d'un lien de causalité adéquate entre l'infraction et les
frais
d'écolage en internat, puis en externat, de manière générale, en
considérant,
sur la base d'une "courte attestation du médecin traitant", qu'il
était "dans
l'ordre des choses, malheureusement, qu'une victime d'attouchements
répétés
voie son parcours scolaire perturbé et doive être changée d'école et
d'environnement". Pour l'OFJ, la causalité adéquate serait donnée
pour les
frais d'internat, mais plus douteuse s'agissant des frais futurs.
L'autorité
LAVI serait en droit de vérifier cette question juridique.

2.3 La recourante part d'une prémisse erronée lorsqu'elle affirme que
la LAVI
aurait pour but l'indemnisation intégrale du dommage. Comme l'a
rappelé le
Tribunal fédéral à plusieurs reprises, le législateur n'a pas voulu,
en
mettant en place le système d'indemnisation prévu par la LAVI,
assurer à la
victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage
qu'elle
a subi (ATF 125 II 169 consid. 2b p. 173 ss). Ce caractère incomplet
est
particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort
moral, qui
se rapproche d'une allocation "ex aequo et bono". Il se retrouve
toutefois
aussi en matière de dommage matériel, l'indemnité étant plafonnée à
100'000
fr. et soumise à des conditions de revenus de la victime. La
collectivité
n'étant pas responsable des conséquences de l'infraction, mais
seulement liée
par un devoir d'assistance publique envers la victime, elle n'est pas
nécessairement tenue à des prestations aussi étendues que celles
exigibles de
la part de l'auteur de l'infraction (ATF 128 II 49 consid. 4.3 p.
55). La
jurisprudence a aussi rappelé que l'utilisation des critères du droit
privé
est en principe justifiée, mais que l'instance LAVI peut au besoin
s'en
écarter (ATF 128 II 49 consid. 4.1 p. 53; 125 II 169 consid 2b p.
173).

2.4 S'agissant de l'établissement des faits, la jurisprudence se
réfère à la
pratique relative au retrait du permis de conduire: afin d'éviter des
décisions contradictoires, l'autorité administrative ne doit pas
s'écarter
sans raisons des faits établis au pénal, en particulier lorsque
l'enquête
pénale a donné lieu à des investigations approfondies (auxquelles
l'instance
LAVI ne peut normalement pas se livrer en raison du caractère simple
et
rapide de la procédure) et lorsque le juge a entendu directement les
parties
et les témoins (ATF 124 II 8 consid. 3d/aa p. 13; 115 Ib 163 consid.
2a p.
164; 103 Ib 101 consid. 2b p. 105). Cette retenue ne se justifie pas,
en
revanche, lorsque les faits déterminants pour l'autorité
administrative n'ont
pas été pris en considération par le juge pénal, lorsque des faits
nouveaux
importants sont survenus entre-temps, lorsque l'appréciation à
laquelle le
juge pénal s'est livré se heurte clairement aux faits constatés, ou
encore
lorsque le juge pénal ne s'est pas prononcé sur toutes les questions
de droit
(ATF 124 II 8 consid. 3d/aa p. 13/14; 109 Ib 203 consid. 1 p. 204).
Dans ces
circonstances, l'autorité administrative peut s'écarter de l'état de
fait
retenu au pénal en procédant à sa propre administration des preuves.

2.5 En revanche, compte tenu de la spécificité de la procédure fondée
sur la
LAVI et de la liberté d'examen dont dispose l'autorité
d'indemnisation, cette
dernière n'est pas liée en droit par le prononcé du juge pénal. Dans
le cadre
de la LAVI, l'autorité alloue une indemnité fondée sur un devoir
d'assistance
de l'Etat (ATF 123 II 425 consid. 4c p. 431), en vertu de règles pour
partie
spécifiques, et doit dès lors se livrer à un examen autonome de la
cause. Le
Tribunal fédéral a ainsi affirmé que l'instance LAVI peut faire
abstraction
d'une transaction judiciaire passée entre la victime et l'accusé. A
cette
occasion, il a considéré, en appliquant également par analogie la
jurisprudence relative aux autorités administratives prononçant un
retrait du
permis de conduire, que l'instance LAVI n'est pas liée par le
prononcé pénal
pour les questions purement juridiques, sans quoi elle méconnaîtrait
la
liberté d'application du droit qui lui est reconnue (ATF 124 II 8
consid.
3d/aa p. 13/14 et la référence
à l'ATF 109 Ib 203 consid. 1 p. 204).

2.6 L'indépendance de l'autorité LAVI par rapport au juge pénal, pour
les
questions de droit, se justifie également par le fait que l'Etat,
débiteur de
l'indemnisation fondée sur la LAVI, ne participe pas en tant que tel
au
procès pénal, et ne peut par conséquent défendre ses intérêts lorsque
le juge
fixe le montant de l'indemnité. Le Ministère public - qui peut dans
certains
cas recourir contre le prononcé civil - a pour fonction de soutenir
l'accusation, et non de défendre les intérêts financiers de l'Etat,
ces deux
rôles n'étant d'ailleurs pas compatibles.

2.7 En réplique, la recourante prend l'exemple des autorités chargées
de
l'avance et du recouvrement des pensions alimentaires. La comparaison
tombe
toutefois à faux car, dans ce dernier cas, la cause du versement
opéré par
l'Etat réside dans l'obligation de droit privé du débiteur
d'entretien (art.
290 CC), que l'Etat contribue à faire exécuter et dont il peut, le cas
échéant, assurer l'avance en devenant titulaire par subrogation de la
même
créance (art. 293 al. 2 CC). En matière d'indemnisation LAVI, le
débiteur de
l'obligation est différent, ainsi que la cause juridique de
l'indemnité. Cela
justifie le large pouvoir d'appréciation reconnu à l'autorité
d'indemnisation, qui n'est pas une simple autorité d'exécution (arrêt
1A.299/2000 du 30 mai 2001, qui tient compte, pour la fixation de
l'indemnité
pour tort moral, d'un coût de la vie moins élevé dans le pays de
résidence).

2.8 Il y a lieu, par conséquent, de suivre l'opinion exprimée par
l'OFJ,
selon laquelle l'autorité LAVI est en principe liée par les faits
établis au
pénal, mais non par les considérations de droit ayant conduit au
prononcé
civil (cf. également dans ce sens Gomm, Einzelfragen bei der
Ausrichtung von
Entschädigung und Genugtuung nach dem Opferhilfegesetz, Solothurner
Festgabe
zum Schweizerischen Juristentag 1998, p. 673-690, 683 ss; Guyaz,
L'indemnisation du tort moral en cas d'accident, SJ 2003 II p. 1-48,
n. 101
p. 26). L'instance LAVI peut donc, en se fondant sur l'état de fait
arrêté au
pénal, déterminer le montant de l'indemnité allouée à la victime sur
la base
de considérations juridiques propres (ATF 124 II 8 consid. 3d/cc p.
15). Elle
peut, au besoin, s'écarter du prononcé civil s'il apparaît que
celui-ci
repose sur une application erronée du droit. Cela peut certes
conduire, comme
en l'espèce, à une réduction du montant alloué par le juge pénal,
mais peut
aussi, dans d'autres cas, permettre à l'autorité LAVI de s'écarter
d'une
indemnité manifestement insuffisante.

3.
La recourante ne conteste pas que la question de savoir si, dans le
cours
ordinaire des choses, un comportement donné est propre à aboutir au
résultat
qui s'est effectivement produit (causalité adéquate), est une
question de
droit. Elle soutient en revanche qu'après une année d'internat à
A.________,
elle devait pouvoir poursuivre sa scolarité en externat dans le même
établissement afin de garantir la stabilité de son environnement
social.

3.1 Pour admettre l'indemnisation des frais d'internat, puis
d'externat, le
juge pénal s'est fondé sur une "courte attestation" du médecin
traitant,
datée du 3 juin 1998, affirmant en quelques lignes que la poursuite
des
études au collège de A.________ apparaissait "indiquée et même
nécessaire".
Sur cette base, le Tribunal correctionnel a alloué non seulement les
frais de
l'année déjà passée en internat, mais aussi des trois années suivantes
d'externat, au titre du dommage futur et hypothétique, sans faire
aucune
distinction entre ces différents postes de dommage. S'agissant d'un
dommage
futur, le juge pénal pouvait difficilement en admettre par avance
l'indemnisation, sans savoir en particulier si l'évolution de l'état
de la
victime pouvait commander ou non le maintien, en externat, dans
l'établissement de A.________. Dans un tel cas, on peut se demander
si le
juge pénal n'aurait pas dû faire application de l'art. 9 al. 2, voire
9 al. 3
LAVI, qui permettent de statuer ultérieurement sur les prétentions
civiles
(après avoir ordonné, le cas échéant, une expertise), ou de renvoyer
la
victime à agir devant les juridictions civiles après avoir admis le
principe
de la responsabilité.

3.2 Requise d'indemniser elle-même la victime, l'autorité LAVI
pouvait juger
insuffisante l'attestation précitée, ainsi que les attestations
ultérieures
(du 9 août 1999 et du 27 mars 2000) qui n'apportent rien de nouveau
et ne
comportent aucun détail sur la nécessité pour la victime de poursuivre
l'école à A.________ en externat. Dans ces conditions, la recourante
ne
saurait reprocher au Tribunal civil d'avoir ordonné une expertise. Il
est
certes tout à fait regrettable que cette dernière ait pu avoir pour
effet une
aggravation de son état, en l'obligeant à revivre le traumatisme et en
réveillant son sentiment de culpabilité, ce qui représente, aux dires
des
experts eux-mêmes, "un tort moral supplémentaire". Ayant éprouvé des
doutes
sur un point particulier, l'autorité LAVI pouvait toutefois
légitimement
considérer qu'une instruction complémentaire était nécessaire.
L'expertise a
d'ailleurs été, sinon requise, du moins expressément approuvée par le
représentant de la recourante, qui a procédé sans faire aucune
réserve à cet
égard.

3.3 Il n'est pas contesté que le placement de la victime en internat,
puis en
externat, est en rapport de causalité naturelle avec l'infraction,
sans
laquelle cette mesure n'aurait jamais été prise. L'exigence de la
causalité
adéquate consiste à savoir si le fait générateur de responsabilité -
l'infraction - était propre, selon le cours ordinaire des choses et
l'expérience générale de la vie, à entraîner un résultat du genre de
celui
qui s'est produit (ATF 125 V 461 consid. 5a et les références; 123
III 110
consid. 3a p. 112). En matière d'aide aux victimes, l'exigence de
causalité
découle non seulement de la notion générale de dommage, mais
également des
termes de l'art. 2 al. 1 LAVI qui met au bénéfice de la loi quiconque
subit
une atteinte "du fait d'une infraction". L'atteinte doit ainsi
résulter
directement de l'infraction, ce qui exclut notamment les "atteintes
par
ricochet" (Corboz, Les droits procéduraux découlant de la LAVI, SJ
1996 p. 53
ss, 57). Par ailleurs, parmi les principes de droit civil qui peuvent
être
appliqués au calcul de l'indemnité, figure celui de la "limitation du
dommage" (art. 44 al. 1 CO). Ce principe, étroitement lié à la
question de la
causalité adéquate, est partiellement repris à l'art. 13 al. 2 LAVI,
qui
prévoit la réduction de l'indemnité lorsque la victime a contribué,
par un
comportement fautif, à créer ou à aggraver le dommage.

3.4 A l'instar du premier juge, la cour cantonale ne nie pas que le
placement
en internat constituait une nécessité directement liée aux abus
sexuels dont
la recourante a été la victime. Les experts ont relevé à ce sujet que
le
placement en internat était une idée de la mère de la recourante, sur
conseil
du médecin traitant. L'éloignement de B.________, où a eu lieu une
partie des
faits, s'était révélé efficace et avait fortement contribué à la
diminution
des symptômes. Se prononçant ensuite sur l'estimation du dommage
matériel,
les experts ont estimé qu'un montant couvrant un an d'internat puis
un an
d'externat paraissait "légitime". Sur ce dernier point toutefois, les
experts
n'expliquent guère leur position; ils se bornent à dire que la
poursuite des
études au collège de A.________ n'est pas indispensable et ne se
justifie que
pour éviter un nouveau changement d'école. On ne comprend pas, dès
lors, ce
qui pourrait justifier la distinction entre la première année
d'externat et
les deux années suivantes.
S'agissant de la première année d'externat, déjà exécutée au moment de
l'expertise, les experts ont sans doute voulu faire suite au voeu
exprimé par
la jeune fille, et épargner aux parents le paiement de frais déjà
encourus,
bien que ne répondant pas forcément à une nécessité. Ce faisant, les
experts
n'ont pas élucidé une question de fait en se fondant sur leurs
connaissances
spécifiques, mais se sont prononcés en équité. L'instance
d'indemnisation,
puis la cour cantonale, pouvaient dès lors s'écarter de cette
opinion, ce
d'autant plus que leurs propres décisions apparaissent suffisamment
motivées.
La cour cantonale a en effet retenu que l'on ne voyait pas pourquoi
l'enfant
ne pourrait pas fréquenter l'école publique de B.________, puisqu'elle
rentrait tous les soirs au domicile familial. C'est également la
conclusion à
laquelle aboutissent les experts à propos des deux années subséquentes
d'externat: la poursuite de la scolarité dans le collège de
A.________ se
justifiait uniquement par l'avantage d'éviter un nouveau changement
scolaire,
"avec l'énergie que cela demanderait à la jeune fille pour s'adapter
une fois
de plus à une nouvelle école". Les experts ajoutent, de manière plus
précise
encore, que le maintien en externat "contribue sans doute plus à son
bien-être sans être pour autant indispensable". On peut certes
imaginer que
le passage au régime d'externat après une année d'internat
constituait une
transition entre l'éloignement total du domicile et un retour à la
scolarité
normale, mais rien dans l'expertise ne permet d'appuyer cette
supposition. La
recourante ne saurait dès lors prétendre que l'expertise confirmerait
le
prononcé civil du juge pénal.
La recourante insiste aussi sur l'importance de l'environnement
social, et
soutient que l'arracher, après une année, à ce nouvel environnement
où elle
avait trouvé son équilibre, était de nature à la déstabiliser une
nouvelle
fois. L'argument ne manque certes pas de pertinence, mais a été
écarté par
les experts, pour qui le retour à l'école de B.________ présentait les
inconvénients liés à tout changement scolaire, mais n'était pas
contre-indiqué du point de vue thérapeutique.
Les experts relèvent enfin que le placement en internat, avec la
séparation
et les frais qui y sont liés, aurait pu être évité si les parents de
la
victime avaient reçu une aide psychologique répondant aux nombreuses
questions qui se posaient alors. Selon l'art. 3 al. 2 LAVI, les
centres de
consultation sont notamment chargés de fournir une aide à la victime,
sous la
forme d'une assistance médicale, psychologique, sociale, matérielle et
juridique. L'aide est fournie immédiatement et au besoin durant une
période
prolongée. Les centres de consultation prennent aussi à leur charge
d'autres
frais comme les frais médicaux, dans la mesure où la situation
personnelle de
la victime le justifie (art. 3 al. 4 LAVI). S'il est vrai qu'une
assistance
psychologique ainsi que des conseils adéquats auraient pu permettre
d'éviter
les frais engagés par les parents de la victime, l'aide immédiate
prévue par
la loi n'est pas offerte spontanément: la police doit simplement
informer la
victime de l'existence d'un centre de consultation et, le cas échéant,
transmettre à ce dernier l'identité de la victime. On ne saurait en
tout cas
faire grief à l'Etat de ne pas être intervenu d'office à ce stade.

3.5 La recourante conteste enfin la déduction "forfaitaire" de 4'000
fr. de
frais de repas (calculée à raison de 10 fr. par jour, cinq jours par
semaine)
économisés durant l'année d'internat. Sans critiquer le principe même
de
cette déduction, la recourante se contente de juger ce montant
disproportionné, mais s'abstient de toute démonstration à ce propos.
Le grief
est insuffisamment motivé au regard de l'art. 108 al. 2 OJ (cf. ATF
125 II
230 consid. 1c p. 233). Au demeurant, un montant forfaitaire de 10
fr. pour
trois repas journaliers n'apparaît pas manifestement exagéré, de
sorte que le
grief devrait de toute manière être écarté.

3.6 En définitive, la décision attaquée ne viole pas le droit fédéral
en
niant que les frais d'externat soient en rapport de causalité
adéquate avec
l'infraction. La nature subsidiaire et, dans certains cas,
incomplète, de
l'aide instaurée par la LAVI peut conduire, comme en l'espèce, à des
solutions rigoureuses, la loi n'ayant pas la prétention de faire
disparaître
complètement le préjudice causé par une infraction, mais seulement de
combler
certaines lacunes du droit positif afin d'éviter que la victime
supporte
seule son dommage lorsque l'auteur de l'infraction ne peut être
recherché
civilement.

4.
Le recours de droit administratif doit par conséquent être rejeté,
dans la
mesure où il est recevable. La recourante a demandé l'assistance
judiciaire,
et les conditions en sont réalisées. Me Gruber est désignée comme
avocate
d'office, rémunérée par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas
perçu
d'émolument judiciaire. En vertu du principe de gratuité posé à
l'art. 16 al.
1 LAVI, il n'est pas non plus mis de dépens à la charge de la partie
dont les
conclusions sont écartées (ATF 124 II 507 consid. 3 p. 510). Par
ailleurs,
aucune indemnité n'est allouée aux autorités qui obtiennent gain de
cause
(art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise. Me Kathrin Gruber est
désignée
comme avocate d'office de la recourante et une indemnité de 2'000 fr.
lui est
allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal
fédéral.


3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires de la
recourante et
de l'Etat de Vaud, à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du
canton de
Vaud, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice.

Lausanne, le 23 avril 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.181/2002
Date de la décision : 23/04/2003
1re cour de droit public

Analyses

Art. 13 LAVI. L'instance LAVI n'est pas liée par les considérations de droit ayant conduit au prononcé civil du juge pénal (consid. 2); elle peut notamment revoir la question de la causalité adéquate entre l'infraction et le dommage (consid. 3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-04-23;1a.181.2002 ?
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