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17/04/2003 | SUISSE | N°6P.17/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 17 avril 2003, 6P.17/2003


{T 0/2}
6P.17/2003 /dxc

Arrêt du 17 avril 2003
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Denys.

X. ________,
Y.________,
recourants,
représentés par Me Christian Pirker, avocat,
place du Molard 7, case postale 3534, 1211 Genève 3,

contre

A.________,
intimé, représenté par Me Michel A. Halpérin, avocat, avenue
Léon-Gaud 5,
1206 Genève,
Procureur général du canton de Gen

ève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, case ...

{T 0/2}
6P.17/2003 /dxc

Arrêt du 17 avril 2003
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Denys.

X. ________,
Y.________,
recourants,
représentés par Me Christian Pirker, avocat,
place du Molard 7, case postale 3534, 1211 Genève 3,

contre

A.________,
intimé, représenté par Me Michel A. Halpérin, avocat, avenue
Léon-Gaud 5,
1206 Genève,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, case postale
3108, 1211
Genève 3.

Procédure pénale; arbitraire,

recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de justice du
canton de
Genève, Chambre pénale, du 13 janvier 2003.

Faits:

A.
Par jugement du 24 mai 2002, le Tribunal de police du canton de
Genève a
condamné X.________ et Y.________, pour diffamation (art. 173 CP), à
quatre
mille francs d'amende chacun. Il leur était reproché d'avoir rédigé et
diffusé un communiqué de presse attentatoire à l'honneur de
A.________, dans
le cadre d'une conférence de presse tenue le 29 mars 2001. A.________
a
obtenu une indemnité au titre de participation aux honoraires de son
avocat,
mais a été débouté de ses conclusions civiles ainsi que de ses
conclusions
tendant à la publication du jugement.

B.
Par arrêt du 13 janvier 2003, la Chambre pénale de la Cour de justice
genevoise a partiellement admis les appels interjetés par X.________
et
Y.________, ramenant l'amende à mille francs chacun.

En bref, il en ressort les éléments suivants:

Le 29 mars 2001, X.________ et Y.________ ont fait publier un
communiqué de
presse intitulé: "Genève, plate-forme d'une fraude scientifique sans
précédent: des documents nominatifs accablants sur les activités du
Professeur «genevois» A.________". Dans leur texte, ils ont indiqué
que
A.________, professeur d'hygiène à la Faculté de médecine de
l'Université de
Genève, et professeur à l'Université de Göteborg (Suède), était
"secrètement
employé par Philip Morris USA et payé par les Fabriques de Tabac
Réunies
(Neuchâtel)". Ils ont également expliqué qu'en tant que collaborateur
de
l'Institut de médecine sociale et préventive, A.________ était
responsable de
plusieurs thèmes de recherche sur l'alimentation et le mode de vie,
dont un
sur le tabagisme passif. Selon eux, "la conclusion d'un de ses
projets sur
les infections respiratoires chez les jeunes enfants et facteurs de
l'environnement «la fumée de tabac ne modifie pas les risques de
maladie chez
les jeunes enfants» laisse pantois" et tend à "remettre en cause
l'objectivité de ces travaux lorsqu'on apprend que A.________ était
l'un des
consultants les plus grassement payés de Philip Morris". A la fin du
communiqué, X.________ et Y.________ ont notamment demandé qu'une
enquête
soit ouverte au sein de l'Université de Genève concernant les
activités de
A.________, qu'un "moratoire soit immédiatement ordonné sur toutes
les études
en cours reposant ou faisant référence de près ou de loin aux études
de
A.________", que le rectorat de l'Université de Genève dénonce
publiquement
les études de ce dernier auprès des revues scientifiques et que les
titres
universitaires qui lui ont été attribués à Genève soient annulés.

A. ________ a déposé plainte pénale le 18 avril 2001 contre
X.________ et
Y.________, du chef de diffamation, voire de calomnie. Il a notamment
relevé
que ses travaux sur le tabac représentaient 10 % de l'ensemble de ses
recherches et publications.
Selon la Chambre pénale genevoise, les propos de X.________ et
Y.________
dénonçant A.________ comme responsable d'une "fraude scientifique sans
précédent", comme étant "secrètement employé par Philip Morris", dont
il
était "l'un des consultants les plus grassement payés", font
apparaître
celui-ci comme méprisable et auteur de comportements contraires à
ceux d'un
homme digne et honorable, en particulier d'un scientifique
respectable. Les
propos tenus étaient donc attentatoires à l'honneur et susceptibles
de tomber
sous le coup de l'art. 173 ch. 1 al. 1 CP. X.________ et Y.________
ont été
admis à apporter la preuve de la vérité au sens de l'art. 173 ch. 2
CP, qui
prévoit en particulier que l'inculpé n'encourra aucune peine s'il
prouve que
les allégations qu'il a articulées sont vraies. La Chambre pénale a
examiné
si les trois allégations précitées étaient vraies. Elle a tenu pour
établi le
fait que A.________ "était secrètement employé par Philip Morris" et
qu'il
avait été "l'un des consultants les plus grassement payés". En
revanche,
elle n'a pas considéré comme prouvée sa participation à une "fraude
scientifique sans précédent". Compte tenu de l'absence de preuve pour
cette
affirmation attentatoire à l'honneur, elle a maintenu le verdict de
culpabilité, réduisant l'amende infligée en première instance.

C.
X.________ et Y.________ forment un recours de droit public au
Tribunal
fédéral contre l'arrêt du 13 janvier 2003. Ils concluent à son
annulation et
sollicitent par ailleurs l'effet suspensif.

A. ________ conclut au rejet du recours.

Le Procureur général genevois conclut au rejet du recours.

La Chambre pénale genevoise se réfère aux considérants de son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre une
décision
cantonale pour violation des droits constitutionnels des citoyens
(art. 84
al. 1 let. a OJ). Il n'est en revanche pas ouvert pour se plaindre
d'une
violation du droit fédéral, qui peut donner lieu à un pourvoi en
nullité
(art. 269 al. 1 PPF); un tel grief ne peut donc pas être invoqué dans
le
cadre d'un recours de droit public, qui est subsidiaire (art. 84 al.
2 OJ;
art. 269 al. 2 PPF).

En vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit, à peine
d'irrecevabilité, contenir un exposé succinct des droits
constitutionnels ou
des principes juridiques violés et préciser en quoi consiste la
violation.
Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'a donc pas à
vérifier de lui-même si la décision attaquée est en tous points
conforme au
droit ou à l'équité; il est lié par les moyens invoqués dans le
recours et
peut se prononcer uniquement sur les griefs de nature
constitutionnelle que
le recourant a non seulement invoqués, mais suffisamment motivés (ATF
127 I
38 consid. 3c p. 43; 126 III 534 consid. 1b p. 536; 125 I 71 consid.
1c p.
76). Le Tribunal fédéral n'entre pas non plus en matière sur les
critiques de
nature appellatoire (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495).

2.
2.1Se plaignant d'arbitraire dans l'appréciation des preuves, les
recourants
prétendent avoir démontré la véracité de leur déclaration selon
laquelle
l'intimé a participé à "une fraude scientifique sans précédent".

La fraude scientifique n'est pas une notion qui ressortit au droit
fédéral.
La détermination d'une telle fraude relève de l'établissement des
faits.
C'est au cas par cas, compte tenu de l'ensemble des circonstances
concrètes,
qu'une telle question doit être tranchée. Suivant le domaine
scientifique
concerné, on peut songer que, pour ce faire, le juge se serve
d'éléments
d'orientation, comme les directives de l'Académie suisse des sciences
médicales (ASSM), en particulier celles relatives à l'intégrité
scientifique
dans le domaine de la recherche médicale et biomédicale, version juin
2002,
qui traitent de la fraude dans l'activité scientifique (ch. 3). Eu
égard à la
technicité de la question à résoudre, le juge peut aussi être amené à
commettre un expert. Cela étant, dès lors que savoir si la fraude
évoquée
correspond ou non à la vérité est une question de fait, le Tribunal
fédéral
peut être saisi à cet égard d'un recours de droit public pour
arbitraire dans
l'établissement des faits et l'appréciation des preuves. C'est
précisément ce
que font les recourants.

2.2 Saisi d'un recours de droit public mettant en cause
l'appréciation des
preuves, le Tribunal fédéral examine uniquement si le juge cantonal a
outrepassé son pouvoir d'appréciation et établi les faits de manière
arbitraire (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4 p.
211; 120 Ia
31 consid. 2d p. 37/38).

Selon la jurisprudence, est arbitraire une décision qui méconnaît
gravement
une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou qui heurte de
manière choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. En
d'autres
termes, il ne se justifie de l'annuler que si elle est insoutenable,
en
contradiction manifeste avec la situation effective, si elle a été
adoptée
sans motif objectif ou en violation d'un droit certain. Il ne suffit
pas que
la motivation de la décision soit insoutenable; encore faut-il
qu'elle soit
arbitraire dans son résultat (ATF 128 I 273 consid. 2.1 p. 275; 127 I
54
consid. 2b p. 56; 126 I 168 consid. 3 p. 170).

2.3 La Chambre pénale a admis que l'intimé avait secrètement été
employé par
Philip Morris, relevant en particulier qu'il avait conclu un contrat
de
consultant avec cette société en 1972; qu'il avait tout fait
vis-à-vis de
l'extérieur pour ne pas laisser transparaître de tels liens, afin
selon ses
propres mots de "préserver, autant que possible, l'image d'un
scientifique
indépendant"; qu'après la publication d'un article dans la revue
"European
Journal of Public Health", il avait tenté de dissimuler l'existence
d'un
contrat formel passé avec Philipp Morris. La Chambre pénale a
également tenu
pour vraie l'allégation des recourants selon laquelle l'intimé était
"l'un
des consultants les plus grassement payés de Philip Morris". Elle a
indiqué à
ce propos que plusieurs documents en attestaient, la rémunération
annuelle de
l'intimé s'étant parfois élevées à 85'000 US$, montant important
puisque
celui-ci ne consacrait que 10 % de son activité à la recherche
relative aux
effets du tabac.

2.4 Pour ce qui concerne l'allégation d'"une fraude scientifique sans
précédent", la Chambre pénale a exposé ce qui suit:

Depuis de nombreuses années, l'intimé a eu de fréquents contacts avec
Philip
Morris. Ces rapports sont troublants à plus d'un titre: en 1991, dans
le
cadre d'une étude sur les maladies respiratoires chez les enfants,
l'intimé a
modifié une base de données afin qu'aucun lien ne puisse être
effectué entre
la fumée passive et la fréquence des infections respiratoires. En mai
1992,
il est intervenu dans une conférence internationale pour dire
qu'aucune
relation n'avait été trouvée entre l'exposition à la fumée chez les
enfants
et les infections respiratoires; il avait pourtant deux mois
auparavant
accepté que son nom figure sur un document remis aux participants
d'une
réunion d'épidémiologistes; ce document mentionnait qu'une
corrélation avait
été trouvée entre la fumée passive chez les enfants et la fréquence
des
bronchites. En 1997, il s'est inquiété d'avoir à rencontrer un
scientifique
en présence de représentants des Fabriques de Tabac Réunies, filiale
de
Philip Morris, ce qui pouvait lui nuire alors qu'il s'était jusqu'ici
efforcé
de "préserver, autant que possible, l'image d'un scientifique
indépendant";
une telle remarque laisse entendre qu'il n'était justement pas un
scientifique indépendant. Son indépendance est également sérieusement
remise
en cause par diverses correspondances qu'il a eues avec des
représentants de
Philipp Morris à l'occasion des symposiums qu'il a organisés en 1974
et 1981.
Il ressort en outre de la conviction exprimée par le président de
Reynolds
Tobacco en 1984 que le "symposium A.________" constituait un
instrument utile
pour combattre la reconnaissance de la nocivité du tabagisme passif.

Selon la Chambre pénale, les éléments précités démontrent que
l'intimé n'a
pas hésité à tromper le public afin de se montrer favorable au
cigarettier
qui le rémunérait; en particulier, l'étude sur les maladies
respiratoires
chez les enfants, dont il a modifié la base de données afin qu'aucun
lien ne
puisse être effectué entre la fumée passive et la fréquence des
infections
respiratoires, apparaît comme frauduleuse.

Les recourants se prévalent de ces différents aspects. On peut ici
relever
que parmi ceux-ci, la manipulation de données ou l'omission de
révéler un
conflit d'intérêts sont susceptibles de constituer une fraude
scientifique au
sens donné par les directives de l'ASSM relatives à l'intégrité
scientifique
dans le domaine de la recherche médicale et biomédicale (ch. 3).
Indépendamment de cette référence, les éléments concrètement retenus
par la
Chambre pénale sont révélateurs d'un comportement scientifiquement
incorrect
et laissent par conséquent clairement envisager une fraude. La
Chambre pénale
parle elle-même de tromperie du public et d'étude frauduleuse.

Ce nonobstant, la Chambre pénale a considéré qu'"une fraude
scientifique sans
précédent" n'était pas prouvée. Elle a expliqué que les termes des
recourants
allaient nettement au-delà de la vérité; selon elle en effet, ils
suscitent
l'impression que toute la carrière de l'intimé n'aurait été qu'une
vaste
tromperie; exagérés, ils ne sauraient être tolérés (cf. arrêt
attaqué, p.
16).

La motivation ainsi donnée n'est pas compréhensible. La Chambre pénale
n'indique pas comment elle parvient à la considération que

l'allégation des
recourants concernerait toute la carrière de l'intimé. Pourtant, le
communiqué de presse des recourants, tel que relaté dans l'arrêt
attaqué (p.
3), stigmatise spécialement les liens cachés de l'intimé avec
l'industrie du
tabac et sa manipulation d'une base de données concernant une étude
sur le
tabagisme passif des enfants, éléments dont la Chambre pénale a
précisément
admis la réalité. La Chambre pénale n'explique pas non plus en quoi
les
termes "fraude scientifique sans précédent" seraient exagérés. Cela ne
s'impose pas à l'esprit. En particulier, les mots "sans précédent"
font
ressortir la rareté et la gravité du point de vue scientifique du
comportement reproché. Or, on peut aisément concevoir que les
reproches
opposés à l'intimé et tenus pour vrais par la Chambre pénale sortent
largement de l'ordinaire au sein de la communauté scientifique. Dans
ses
observations, l'intimé conteste toute fraude scientifique en se
référant à
des extraits de témoignages et à un rapport de l'Université de Genève
du 6
novembre 2001. La Chambre pénale ne discute pas de la portée à
accorder à ces
éléments dans son arrêt et il n'incombe pas au Tribunal fédéral,
saisi d'un
recours de droit public, d'apprécier lui-même librement les preuves
apportées.

Il apparaît donc que la Chambre pénale, après avoir énuméré et tenu
pour
établis différents éléments défavorables pour l'intimé, a nié la
preuve
d'"une fraude scientifique sans précédent" en fournissant une
motivation
incompréhensible. On peut penser qu'elle a retenu sa solution sans
motif
soutenable, auquel cas elle est tombée dans l'arbitraire. On peut
aussi
concevoir que les juges cantonaux avaient à l'esprit une motivation
défendable, mais qui n'a pas été exprimée et ne peut être déduite par
interprétation. Dans les deux cas de figure, l'arrêt attaqué doit
être annulé
pour violation de l'art. 9 Cst., car il y a lieu de considérer comme
arbitraire toute décision qui n'est pas compréhensible. Rien ne permet
d'exclure, compte tenu des éléments exposés, que la solution retenue
soit
arbitraire dans son résultat. L'annulation de l'arrêt attaqué rend
superflu
l'examen des autres griefs soulevés par les recourants.

3.
Il ne sera pas perçu de frais et le canton de Genève versera aux
recourants
une indemnité de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral
(art.
159 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer d'indemnité à l'intimé.

La cause étant ainsi jugée, la requête d'effet suspensif n'a plus
d'objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt rendu le 13 janvier 2003 par la Cour
de
justice du canton de Genève, Chambre pénale, est annulé.

2.
Il n'est pas perçu de frais et le canton de Genève versera une
indemnité de
3'000 francs aux recourants à titre de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties,
au
Procureur général et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
pénale.

Lausanne, le 17 avril 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6P.17/2003
Date de la décision : 17/04/2003
Cour de cassation pénale

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-04-17;6p.17.2003 ?
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