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09/04/2003 | SUISSE | N°1P.646/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 09 avril 2003, 1P.646/2002


{T 1/2}
1P.646/2002 /col

Arrêt du 9 avril 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Nay, Vice-président
du Tribunal fédéral, Aeschlimann, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: Kurz.

1. CIBA Spezialitäten Chemie AG, Klybeckstrasse 141,
4002 Basel,

2. Clariant Schweiz AG,

3. Novartis Pharma AG,

4. F. Hoffmann-La Roche AG,

5. Henkel und Cie AG,

6. SF-Chem AG,

7. Rohner AG,
toutes à la même adre

sse,
recourantes, représentées par Me Alain Schweingruber, case postale
872, 2800
Delémont, agissant par Me Christoph Mettler, ...

{T 1/2}
1P.646/2002 /col

Arrêt du 9 avril 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Nay, Vice-président
du Tribunal fédéral, Aeschlimann, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: Kurz.

1. CIBA Spezialitäten Chemie AG, Klybeckstrasse 141,
4002 Basel,

2. Clariant Schweiz AG,

3. Novartis Pharma AG,

4. F. Hoffmann-La Roche AG,

5. Henkel und Cie AG,

6. SF-Chem AG,

7. Rohner AG,
toutes à la même adresse,
recourantes, représentées par Me Alain Schweingruber, case postale
872, 2800
Delémont, agissant par Me Christoph Mettler, avocat, Kirchplatz 16,
Postfach
916, 4132 Muttenz 1,

contre

Commune de Bonfol, 2944 Bonfol,
représentée par Me Pierre Vallat, avocat, chemin de la Gare 27,
case postale 1, 2900 Porrentruy 1,
Président de la Chambre administrative du Tribunal cantonal du canton
du
Jura, Le Château, 2900 Porrentruy.

art. 9 et 29 Cst., art. 6 CEDH (répartition des frais),

recours de droit public contre la décision du Président de la Chambre
administrative du Tribunal cantonal du canton du Jura du 5 novembre
2002.

Faits:

A.
Le 26 septembre 2000, l'Office des eaux et de la protection de la
nature du
canton du Jura (ci-après: l'OEPN) a suspendu, à titre provisoire,
l'autorisation accordée le 20 novembre 1985 à la commune de Bonfol
d'exploiter un dépôt d'ordures ménagères (décharge contrôlée
bioactive), au
motif que cette décharge se trouvait probablement contaminée - dans
une
mesure à préciser - par des lixiviats provenant de la décharge
industrielle
de Bonfol, en cours d'assainissement et exploitée par le consortium
Basler
Chemische Industrie, formé de sept sociétés (ci-après: BCI ou les
recourantes). Selon l'OEPN, il y avait lieu de maintenir l'état de
fait
jusqu'à ce que soient précisés les besoins d'assainissement ou de
surveillance.

B.
La commune de Bonfol a recouru contre cette décision auprès de la
Chambre
administrative du Tribunal cantonal jurassien en soutenant que les
indices de
contamination étaient insuffisants. La commune demandait l'appel en
cause de
BCI, dont la responsabilité pouvait être engagée, ainsi que la mise
en oeuvre
d'une expertise.
Par ordonnance du 11 octobre 2000, le Président de la Chambre
administrative
a admis l'appel en cause.
Le 24 novembre 2000, BCI a conclu, principalement, à l'admission du
recours
de la commune, frais à la charge de l'Etat, subsidiairement, en cas
de rejet
du recours, de mettre les frais à la charge de la commune ou de
l'Etat, des
sûretés étant en outre exigées de la part de ce dernier. BCI
contestait
également l'existence d'une contamination, ainsi que l'urgence des
mesures à
prendre.
Après une audience sur place et une suspension de la procédure afin de
procéder à des investigations, la commune a déclaré, le 29 mai 2002,
qu'elle
retirait son recours, en raison d'éléments fournis notamment par
l'OEPN,
confirmant la crainte d'une contamination, et dans la perspective d'un
assainissement de la décharge industrielle. La commune demandait
l'exemption
des frais de justice, au motif qu'elle pouvait se croire fondée à
recourir.
Le 26 août 2002, BCI s'est déterminée en estimant que les frais
judiciaires
devaient être mis à la charge de la commune recourante, de même que
ses
propres frais d'intervention. BCI s'estimait en droit de poursuivre la
procédure afin de prouver que sa responsabilité n'était pas engagée.
Le 26
août 2002, la commune s'est opposée au versement de dépens en faveur
de BCI.

C.
Par décision du 5 novembre 2002, le Président de la Chambre
administrative a
pris acte du retrait du recours, constaté que la procédure était
devenue sans
objet et rayé la cause du rôle. BCI ne pouvait pas s'opposer au
retrait du
recours et au classement de la procédure. Compte tenu des soupçons de
contamination existant au moment du dépôt du recours, les frais, soit
850
fr., devaient être répartis entre la recourante et l'appelée en cause
qui
avait conclu dans le même sens que la commune. Les dépens ont été
compensés.

D.
BCI forme un recours de droit public contre ce dernier arrêt. Elle en
demande
l'annulation en tant qu'il met à sa charge les frais de procédure,
l'autorité
intimée étant invitée à mettre tous les frais à la charge de la
commune de
Bonfol. Elle demande également l'effet suspensif.
La Chambre administrative et la commune de Bonfol concluent au rejet
du
recours dans la mesure où il est recevable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public est formé en temps utile contre une
décision
finale de dernière instance cantonale.

1.1 Selon l'art. 88 OJ, a notamment qualité pour recourir le
particulier lésé
par la décision attaquée qui le concerne personnellement. Le
recourant doit
être atteint directement dans ses intérêts juridiquement protégés. En
l'occurrence, les recourantes ne paraissent pas directement touchées
par le
fond du litige, qui concernait la suspension provisoire de
l'autorisation
d'exploiter une décharge. L'unique bénéficiaire de cette autorisation
était
la commune de Bonfol, seule habilitée à recourir contre sa
suspension. Les
recourantes ont peut-être un intérêt à se prémunir, par exemple,
contre une
action en responsabilité qui pourrait leur être intentée par la
commune, mais
cela ne constitue à ce stade qu'un intérêt de fait, insuffisant au
regard de
l'art. 88 OJ.

1.2 Celui qui n'a pas qualité pour recourir sur le fond peut
cependant, s'il
avait qualité de partie dans la procédure cantonale, se plaindre de la
violation des garanties formelles offertes aux parties par le droit
cantonal
de procédure ou par le droit constitutionnel, notamment le droit
d'être
entendu (art. 29 al. 2 Cst.). L'intérêt juridiquement protégé exigé
par
l'art. 88 OJ découle alors du droit de participer à la procédure
cantonale.
La partie recourante ne saurait toutefois, par ce biais, remettre en
cause la
décision attaquée sur le fond, en critiquant l'appréciation des
preuves ou en
faisant valoir que la motivation retenue serait matériellement fausse
(ATF
126 I 81 consid. 3b p. 86; 125 II 86).
Les recourantes peuvent donc agir à l'encontre du prononcé sur les
frais en
invoquant les droits de partie qui, dans une certaine mesure, leur
ont été
reconnus.

2.
La cour cantonale a estimé que, faute de disposer de l'objet du
litige,
l'appelé en cause ne pouvait s'opposer au classement de la procédure
après
retrait du recours. Sans en faire un grief distinct, les recourantes
mentionnent des opinions doctrinales plus nuancées (Felix Huber, Die
Beiladung, insbesondere im Zürcher Baubewilligungsverfahren, ZBl 1989
p.
234-264, 256; Benoît Bovay, Procédure administrative, Berne 2000 p.
154),
selon lesquelles l'appelé en cause disposerait en principe de tous
les droits
d'une partie. Les recourantes estiment ensuite qu'il serait
contradictoire de
leur dénier d'une part le droit de s'opposer à ce classement, et de
leur
reconnaître d'autre part suffisamment de droits de partie pour leur
faire
supporter des frais.

2.1 Selon l'art. 11 de la loi jurassienne de procédure et de
juridiction
administrative et constitutionnelle (Code de procédure administrative,
ci-après: CPA), l'autorité peut, d'office ou sur requête, appeler en
cause la
personne dont la situation juridique est susceptible d'être affectée
par
l'issue de la procédure; l'appel en cause est obligatoire pour les
personnes
dont la situation juridique sera certainement touchée par la
décision. Les
allégués et conclusions des parties sont communiqués à l'appelé en
cause, qui
peut se déterminer à leur sujet et faire valoir ses propres moyens; la
décision sur le fond lui est opposable, qu'il ait ou non participé à
la
procédure, le cas échéant avec suite de frais et dépens.
L'appel en cause dans une procédure administrative de recours ne peut
être
comparé à l'institution de procédure civile. Celle-ci permet de
liquider,
dans un procès initial, les prétentions connexes avec un tiers, lequel
devient une partie au procès et peut prendre ses propres conclusions à
l'égard des parties principales. En revanche, dans une procédure de
recours
en matière administrative, l'objet de la procédure reste limité à la
décision
attaquée. L'appel en cause n'a alors pas pour but d'examiner une
éventuelle
action récursoire, mais de rendre la décision opposable à des tiers,
tout en
sauvegardant leur droit d'être entendus (cf.
Merkli/Aeschlimann/Herzog,
Kommentar zum Gesetz über die Verwaltungsrechtspflege des Kantons
Bern, Berne
1997, p. 140 ss ad art. 14; Huber, op. cit. p. 246). En l'occurrence,
seule
la commune de Bonfol, titulaire de l'autorisation, était concernée par
l'interdiction provisoire d'exploiter sa décharge; elle avait donc
seule la
qualité pour recourir contre cette interdiction. Dès lors, si
l'appelé en
cause selon l'art. 11 CPA se voit reconnaître certains droits (droit
de se
déterminer sur les conclusions et moyens de la partie principale,
droit de
participer à l'administration des preuves et de consulter le dossier;
cf.
Boinay, op. cit. ad art. 11 al. 3, p. 21), son intervention demeure
accessoire et il n'était pas arbitraire de dénier aux recourantes le
droit
d'exiger la continuation de la procédure après le retrait du recours.

2.2 Les recourantes ne se plaignent pas d'une application arbitraire
des
dispositions du droit cantonal de procédure (art. 219 al. 1 et 220
al. 1 CPA
concernant la répartition des frais entre les parties qui succombent,
compte
tenu de leurs intérêts en jeu et du sort fait à leurs conclusions). En
particulier, elles ne se prévalent pas de l'art. 219 al. 2 CPA qui
permet
d'exempter la partie qui pouvait de bonne foi se croire fondée à
recourir,
respectivement à intervenir.

3.
En définitive, si les recourantes se plaignent d'arbitraire, c'est
essentiellement en raison de la contradiction qu'elles prétendent
voir dans
l'application conjointe des dispositions cantonales précitées.

3.1 La décision attaquée n'est toutefois pas entachée d'une
contradiction
insurmontable. Le droit de disposer de l'objet du litige dépend de la
qualité
pour agir contre la décision de première instance, alors que
l'obligation de
payer les frais de procédure incombe à toute personne qui, par son
intervention, en est la cause. Toute partie, même disposant de droits
restreints, peut ainsi y être astreinte si, par son attitude
procédurale,
elle peut être considérée comme étant à l'origine de certains frais.
En
l'espèce, en prenant une part active à la procédure, et en
fournissant des
déterminations appuyant le recours de la commune, pour des motifs en
partie
différents, les recourantes ont pris un risque procédural. Même si
elles ne
pouvaient pas disposer de l'objet du litige, elles ont, en
intervenant dans
la procédure, bénéficié de certains avantages comme le droit d'accès
au
dossier, celui de s'exprimer et de requérir l'administration de
preuves,
autant de prérogatives qui entraînaient un certain coût pour l'Etat.
Il
n'était dès lors pas insoutenable de percevoir des frais judiciaires
proportionnés à leur intervention.

3.2 L'autorité intimée relève qu'en cas de retrait du recours,
l'appelé en
cause se retrouve dans la même situation que si la décision n'avait
pas été
attaquée. Les recourantes y voient également une contradiction, en ce
sens
que si la procédure de recours n'avait pas eu lieu, il n'y aurait pas
eu de
frais à leur charge. L'affirmation précitée se rapporte toutefois à la
situation de droit matériel (entrée en force de la décision attaquée,
faute
de recours), et non à la situation procédurale des parties, de sorte
qu'il
n'y a, là non plus, aucune contradiction.

4.
Les recourantes dénoncent enfin une inégalité de traitement prohibée
par les
art. 29 Cst. et 6 CEDH, applicables selon elles à toute procédure: la
décision attaquée violerait l'égalité des parties, puisque la commune
de
Bonfol pouvait disposer librement de l'objet du litige, sans en
assumer
l'entière responsabilité au niveau des frais.
Les recourantes invoquent en vain les principes d'égalité des armes
et de non
discrimination garantis par les art. 6 CEDH et 29 al. 1 Cst. La
première de
ces dispositions ne saurait s'appliquer à une décision relative à la
suspension d'une autorisation administrative à titre provisionnel.
Quant à la
seconde, elle impose une égalité des armes entre les parties à la
procédure,
mais ne s'oppose pas à ce que les personnes qui interviennent à des
titres
différents soient traitées de manière identique au niveau des frais,
lorsque,
comme en l'espèce, leur intervention cause à l'Etat une dépense
similaire.

5.
Le recours de droit public doit dès lors être rejeté, dans la mesure
où il
est recevable. Un émolument judiciaire est mis à la charge des
recourantes,
qui succombent (art. 156 al. 1 OJ), de même que l'indemnité de dépens
allouée
à la commune de Bonfol, qui obtient gain de cause avec l'assistance
d'un
avocat (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge des
recourantes.

3.
Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée à la commune de
Bonfol,
intimée, à la
charge solidaire des recourantes.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des
recourantes et
de la Commune de Bonfol ainsi qu'au Président de la Chambre
administrative du
Tribunal cantonal du canton du Jura.

Lausanne, le 9 avril 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.646/2002
Date de la décision : 09/04/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-04-09;1p.646.2002 ?
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