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02/04/2003 | SUISSE | N°8G.32/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 02 avril 2003, 8G.32/2003


{T 0/2}
8G.32/2003 /dxc

Arrêt du 2 avril 2003
Chambre d'accusation

MM. les Juges Karlen, Président,
Fonjallaz, Vice-président, et Marazzi.
Greffier: M. Denys.

X. ________,
recourant, représenté par Me Michel Amaudruz, avocat, rue de Hesse
8-10,
case postale 5715, 1211 Genève 11,

contre

Ministère public de la Confédération,
Taubenstrasse 16, 3003 Berne.

ordonnance de ne pas donner suite,

recours contre l'ordonnance du Ministère public
de la Confédération du 28 f

évrier 2003.

Faits:

A.
Au début 2003, Stuart Eizenstat, ancien sous-secrétaire d'Etat
américain qui
était interv...

{T 0/2}
8G.32/2003 /dxc

Arrêt du 2 avril 2003
Chambre d'accusation

MM. les Juges Karlen, Président,
Fonjallaz, Vice-président, et Marazzi.
Greffier: M. Denys.

X. ________,
recourant, représenté par Me Michel Amaudruz, avocat, rue de Hesse
8-10,
case postale 5715, 1211 Genève 11,

contre

Ministère public de la Confédération,
Taubenstrasse 16, 3003 Berne.

ordonnance de ne pas donner suite,

recours contre l'ordonnance du Ministère public
de la Confédération du 28 février 2003.

Faits:

A.
Au début 2003, Stuart Eizenstat, ancien sous-secrétaire d'Etat
américain qui
était intervenu dans l'affaire des fonds en déshérence, a fait
paraître un
livre intitulé "Imperfect Justice". En couverture y figure un drapeau
suisse,
dont la croix fédérale est recouverte de lingots d'or, la
transformant en
croix gammée.

Plusieurs personnes se sont insurgées de l'offense pour la Suisse que
représentait la couverture du livre. Elles s'en sont plaintes auprès
du
Ministère public de la Confédération. X.________ est l'une d'elles.

B.
Le 28 février 2003, le Ministère public de la Confédération a rendu
une
ordonnance de ne pas donner suite (art. 100 al. 3 PPF) en tant que les
plaintes pénales concernaient l'infraction d'atteinte aux emblèmes
suisses
(art. 270 CP). S'agissant d'une éventuelle application de la loi
fédérale du
5 juin 1931 pour la protection des armoiries publiques et autres
signes
publics (LPAP; RS 232.21), il a transféré les plaintes aux autorités
genevoises, car la législation précitée relève de la compétence
cantonale.

C.
X.________ recourt à la Chambre d'accusation du Tribunal fédéral. Il
conclut
à l'annulation de l'ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère
public
de la Confédération, pour ouverture d'une enquête à raison de l'art.
270 CP.

Dans ses observations, le Ministère public de la Confédération
conteste la
qualité pour recourir de X.________.

La Chambre considère en droit:

1.
1.1 Le recourant est d'avis que la couverture du livre tombe sous le
coup de
l'art. 270 CP. Cette disposition réprime de l'emprisonnement ou de
l'amende
le comportement de celui qui, par malveillance, aura enlevé, dégradé,
ou aura
par des actes outragé un emblème suisse de souveraineté arboré par une
autorité, notamment les armes ou le drapeau de la Confédération ou
d'un
canton. Contenue dans le titre treizième du Code pénal, cette
infraction
ressortit à la compétence directe de la juridiction fédérale si elle
est
commise contre la Confédération ou une autorité fédérale (cf. art.
340 ch. 1
al. 7 CP).

1.2 L'art. 100 al. 1 PPF prévoit que chacun a qualité pour dénoncer
les
infractions poursuivies d'office en vertu de la législation fédérale.
Selon
l'al. 3 de cette disposition, s'il n'existe pas de motif d'ouvrir une
enquête, le Ministère public de la Confédération (le procureur
général) ne
donne aucune suite à la dénonciation. Cela peut être le cas par
exemple si le
comportement n'est à l'évidence pas punissable ou si les autorités
cantonales
sont compétentes (cf. FF 1998 p. 1253 ss, 1281). Ces hypothèses sont
précisément à l'origine de l'ordonnance attaquée, qui a été rendue en
vertu
de l'art. 100 al. 3 PPF parce que l'art. 270 CP apparaissait d'emblée
non
applicable et que la LPAP ressortissait à la compétence cantonale. La
première question à résoudre ici est de déterminer si le recourant a
qualité
pour attaquer une telle décision devant la Chambre d'accusation du
Tribunal
fédéral.

1.3 Le recourant fonde sa qualité pour recourir sur l'art. 105bis al.
2 PPF.
Selon cette disposition, les opérations et les omissions du procureur
général
peuvent faire l'objet d'une plainte à la Chambre d'accusation du
Tribunal
fédéral en vertu des art. 214 à 219 PPF; l'art. 214 al. 2 PPF ouvre
une
plainte aux parties, ainsi qu'à toute personne à qui la décision du
procureur
général fait subir un préjudice illégitime; le délai pour recourir
est de
cinq jours (art. 217 PPF).

1.4 Récemment, le Tribunal fédéral a jugé que la loi n'ouvre pas la
voie du
recours au dénonciateur en tant que tel, même si celui-ci doit être
informé
selon l'art. 100 al. 4 PPF de la décision par laquelle il n'est pas
donné
suite à sa dénonciation (art. 100 al. 3 PPF); tout au plus le
dénonciateur
qui est simultanément un lésé direct de l'infraction en cause
pourrait subir
un préjudice illégitime au sens de l'art. 214 al. 2 PPF en raison de
la
décision de ne pas donner suite à sa dénonciation; il pourrait ainsi
être
légitimé à recourir en vertu de l'art. 105bis al. 2 PPF; le Tribunal
fédéral
n'a toutefois pas approfondi cette question (ATF 128 IV 223 consid. 2
p.
224/225).

1.5 A l'égard d'une décision par laquelle le procureur général ne
donne pas
suite à une dénonciation (art. 100 al. 3 PPF), la loi ouvre
clairement une
voie de recours à la victime au sens de l'art. 2 de la loi fédérale
sur
l'aide aux victimes d'infractions (LAVI; RS 312.5). L'art. 100 al. 5
PPF
prévoit en effet qu'une décision au sens de l'al. 3 doit être
notifiée à la
victime LAVI, qui peut recourir dans un délai de dix jours à la
Chambre
d'accusation du Tribunal fédéral. Le délai de recours selon l'art.
100 al. 5
PPF (dix jours) est le double de celui découlant de l'art. 105bis al.
2 PPF
(par le renvoi à l'art. 217 PPF). Il est douteux que le but de l'art.
100 al.
5 PPF soit simplement d'assurer à la victime LAVI un délai de recours
plus
étendu. Contre une décision prise selon l'art. 100 al. 3 PPF, on peut
ainsi
se demander si l'art. 100 al. 5 PPF n'est pas exclusif de toute autre
voie de
recours, en particulier celle de l'art. 105bis al. 2 PPF.

A réception d'une dénonciation, le Ministère public de la
Confédération doit
soit ordonner par écrit l'ouverture d'une enquête en raison de
soupçons
suffisants (art. 101 al. 1 PPF), soit décider de ne pas donner suite
à la
dénonciation s'il n'existe pas de motif d'ouvrir une enquête (art.
100 al. 3
PPF). Il est tenu d'adopter l'une de ces deux options (cf. Felix
Bänziger/Luc
Leimgruber, Le nouvel engagement de la Confédération dans la
poursuite pénale
- Commentaire succinct du "Projet d'efficacité", Berne 2001, n. 241
ad art.
100 PPF et n. 244 ad art. 101 PPF). Il est admis qu'avant de décider
de ne
pas donner suite à la dénonciation (art. 100 al. 3 PPF), le Ministère
public
de la Confédération puisse procéder à des recherches préliminaires
(cf.
Bänziger/Leimgruber, op. cit., n. 241 in fine ad art. 100 PPF). Mais
il ne
s'agit pas là d'actes d'investigation dans le cadre d'une enquête
ouverte
selon l'art. 101 al. 1 PPF. Or, la systématique de la loi impose de
rattacher
d'une part la voie de recours de l'art. 100 al. 5 PPF à une décision
appliquant l'art. 100 al. 3 PPF et, d'autre part, la voie de l'art.
105bis
al. 2 PPF à un acte de l'enquête, après l'ouverture de celle-ci selon
l'art.
101 al. 1 PPF. Aucun amalgame entre les deux voies de recours n'est
envisageable. L'intention du législateur à ce propos est établie par
le
message du Conseil fédéral du 28 janvier 1998. Il en ressort que
l'art. 100
al. 5 PPF ouvre un recours contre une décision prise en vertu de
l'art. 100
al. 3 PPF, alors que l'art. 105bis al. 2 PPF assure la possibilité
d'un
contrôle judiciaire par le Tribunal fédéral de l'activité du procureur
général dans la procédure d'investigation, autrement dit après
l'ouverture
d'une enquête en vertu de l'art. 101 al. 1 PPF (cf. FF 1998 p.
1281/1282 et
p. 1275/1276, auxquelles renvoie le commentaire de l'art. 105bis al.
2 PPF).
Il s'ensuit que la question laissée ouverte dans l'arrêt publié aux
ATF 128
IV 223 d'une possibilité de recourir en vertu de l'art. 105bis al. 2
PPF doit
être tranchée négativement. Autrement dit, même un dénonciateur qui
serait
directement lésé par l'infraction en cause ne saurait se fonder sur
l'art.
105bis al. 2 PPF pour recourir contre une décision de ne pas donner
suite au
sens de l'art. 100 al. 3 PPF. Conformément à l'art. 100 al. 5 PPF, le
recours
n'est ouvert qu'à la victime LAVI.

A noter par ailleurs qu'il importe peu qu'au pied de l'ordonnance
attaquée,
le Ministère public de la Confédération ait mentionné la faculté de
recourir
sur la base de l'art. 105bis al. 2 PPF, une indication erronée ne
pouvant pas
créer un recours qui n'existe pas (ATF 129 III 88 consid. 2.1 p. 89;
117 Ia
297 consid. 2 p. 299).

1.6 Il reste à examiner si le recourant est une victime LAVI, ainsi
que
l'exige l'art. 100 al. 5 PPF. Par victime LAVI, on entend toute
personne qui
a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité
corporelle, sexuelle ou psychique (ATF 128 IV 188 consid. 2 p. 190).

L'art. 270 CP fait partie du titre treizième du Code pénal concernant
les
crimes ou délits contre l'Etat et la défense nationale. Le bien
juridique
protégé par cette norme est l'honneur ainsi que l'autorité de l'Etat
(cf.
Stefan Wehrenberg, Basler Kommentar, Strafgesetzbuch II, 2002, n. 8
ad art.
270 CP). Le titulaire du bien juridique est donc l'Etat, à
l'exclusion des
personnes privées qui ne peuvent le cas échéant qu'être atteintes
indirectement. Il s'ensuit que l'infraction en cause n'est pas
susceptible de
léser directement le recourant dans un intérêt personnel et
juridiquement
protégé. Le recourant n'est donc à l'évidence pas une victime LAVI, ne
pouvant se réclamer d'une atteinte directe à son intégrité corporelle,
sexuelle ou psychique.

1.7 Faute d'être une victime LAVI, le recourant n'a pas qualité pour
attaquer
une décision de ne ne pas donner suite à sa dénonciation. Son recours
est
donc irrecevable.

2.
Au demeurant, c'est à bon escient que le Ministère public de la
Confédération
a conclu que l'infraction réprimée par l'art. 270 CP n'était pas
réalisée.
L'une des conditions objectives fait en effet défaut. Aux termes de
cette
disposition (cf. supra, consid. 1.1), l'auteur doit s'en être pris à
un
emblème de souveraineté arboré par une autorité. La doctrine unanime
observe
que, selon cette formulation, l'usage par une personne privée d'un tel
emblème n'est pas concerné (cf. Bernard Corboz, Les infractions en
droit
suisse, vol. II, Berne 2002, n. 3 ad art. 270 CP; Jörg Rehberg,
Strafrecht
IV, 2e éd., p. 219; Günter Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht,
Bes.
Teil II, Berne 2000, § 45 n. 9; Stefan Trechsel, Kurzkommentar, 2e
éd., n. 1
ad art. 270 CP; Stefan Wehrenberg, op. cit., n. 11 ad art. 270 CP).
L'usage
d'un drapeau par un particulier en couverture de son livre échappe
donc à
l'art. 270 CP.

Cela étant, comme le mentionne l'ordonnance attaquée, la couverture
du livre
serait éventuellement susceptible de tomber sous le coup de la LPAP.
Selon
l'art. 15 al. 1 LPAP, la poursuite et le jugement des infractions à
cette loi
incombent aux cantons. Faute de compétence en cette matière, le
Ministère
public de la Confédération devait, comme il l'a fait, transmettre le
dossier
aux autorités cantonales (cf. art. 107 PPF).

3.
En raison de l'indication erronée des voies de recours contenue dans
l'ordonnance attaquée, il est statué sans frais.

Par ces motifs, la Chambre prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Il n'est pas perçu de frais.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant
et au
Ministère public de la Confédération.

Lausanne, le 2 avril 2003

Au nom de la Chambre d'accusation
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 8G.32/2003
Date de la décision : 02/04/2003
Chambre d'accusation

Analyses

Art. 100 al. 3 et 5 et art. 105bis al. 2 PPF; décision de ne pas donner suite à la dénonciation, voie de recours. En application de l'art. 100 al. 5 PPF, seule la victime LAVI peut recourir contre une décision prise selon l'art. 100 al. 3 PPF de ne pas donner suite à la dénonciation. Le dénonciateur qui, sans être une victime LAVI, serait lésé par l'infraction en cause ne peut pas recourir contre une telle décision sur la base de l'art. 105bis al. 2 PPF. Précision de la jurisprudence publiée aux ATF 128 IV 223 (consid. 1). Art. 270 CP; atteinte aux emblèmes suisses. L'usage d'un drapeau suisse par un particulier en couverture de son livre échappe à l'art. 270 CP (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-04-02;8g.32.2003 ?
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