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02/04/2003 | SUISSE | N°1P.105/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 02 avril 2003, 1P.105/2003


{T 0/2}
1P.105/2003 /svc

Arrêt du 2 avril 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral,
Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

A. ________ et B.________, recourants,
représentés par Me Mauro Poggia, avocat,
rue De-Beaumont 11,
1206 Genève,

contre

C.________, intimé,
représenté par Me Mike Hornung, avocat,
place du Bourg-de-Four 9, 1204 Genève,
Procureur général du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four

1, case postale 3565,
1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108,...

{T 0/2}
1P.105/2003 /svc

Arrêt du 2 avril 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral,
Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

A. ________ et B.________, recourants,
représentés par Me Mauro Poggia, avocat,
rue De-Beaumont 11,
1206 Genève,

contre

C.________, intimé,
représenté par Me Mike Hornung, avocat,
place du Bourg-de-Four 9, 1204 Genève,
Procureur général du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3565,
1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst. (procédure pénale),

recours de droit public contre l'ordonnance
de la Chambre d'accusation du canton de Genève
du 8 janvier 2003.

Faits:

A.
Le vendredi 23 avril 1999, à 8 h. 55, C.________ conduisait un camion
sur la
route de Vernier, en direction de Châtelaine. Après s'être arrêté aux
signaux
lumineux du carrefour avec l'avenue de l'Ain, il s'est engagé, après
le
passage sous le viaduc de l'Ecu, sur la voie de droite de l'avenue de
Châtelaine. Une collision a alors eu lieu entre le côté droit du
camion et le
cyclomoteur conduit par D.________, âgé de seize ans, qui circulait
dans la
même direction. Celui-ci est décédé des suites de ses blessures. Le
10 juin,
puis le 14 septembre 1999, les parents de la victime, A.________ et
B.________, ont déposé plainte pénale pour homicide par négligence,
avec
constitution de partie civile. Ils estimaient en substance que le
camion
avait rattrapé le cyclomoteur, avant de le coincer sur le bord de la
route.

B.
Le Juge d'instruction du canton de Genève fit procéder à une
expertise. Le
rapport du 26 juin 2001, fondé notamment sur l'examen du tachygraphe
du
camion, ne permet pas de déterminer si le camion avait dépassé le
cyclomoteur, ou si ce dernier avait remonté le camion par la droite.
Par
décision du 25 juillet 2001, le Ministère public du canton de Genève
a classé
la procédure. Sur recours des époux A.________ et B.________, la
Chambre
d'accusation genevoise a annulé cette décision et ordonné un
complément
d'instruction.
Le juge d'instruction a entendu l'expert, qui a notamment trouvé
inexplicable
le fait que le camion ait pu rattraper le cyclomoteur, dont
l'accélération
est nettement supérieure. Les témoins E.________ et G.________ ont
aussi été
entendus. Tous deux ont affirmé que le camion était arrêté
relativement près
des feux. Le premier a déclaré s'être arrêté juste derrière le
camion, et
avoir vu passer un cyclomotoriste sur la bande cyclable de droite,
masqué
ensuite par le camion; il l'aurait perdu de vue, pour ne le revoir
qu'après
l'accident. Le second a déclaré avoir vu les deux véhicules converger
au même
endroit sans se voir, de sorte que l'accident apparaissait
inévitable. Une
reconstitution a été effectuée et l'expert a déposé un rapport
complémentaire
le 17 décembre 2002.

Le 28 octobre 2002, le juge d'instruction a communiqué la procédure au
Ministère public, sans inculpation: les circonstances exactes de
l'accident
n'ayant pu être démontrées, on ignorait si le cyclomoteur avait
rattrapé le
camion ou si c'était l'inverse. Le 5 novembre 2002, le Ministère
public a
classé la procédure, vu l'absence d'inculpation et de prévention.

Par ordonnance du 8 janvier 2003, la Chambre d'accusation a confirmé
cette
décision: rien ne permettait d'affirmer que le chauffeur du camion
pouvait
voir le cyclomotoriste, et il n'était pas possible d'établir les
faits avec
certitude.

C.
A.________ et B.________ forment un recours de droit public contre
cette
dernière ordonnance, dont ils requièrent l'annulation.

La Chambre d'accusation se réfère à sa décision. Le Ministère public
conclut
au rejet du recours, de même que l'intimé C.________.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours
qui lui sont soumis, notamment en ce qui concerne le recours de droit
public
(ATF 127 I 92 consid. 1 p. 93 et les arrêts cités).

1.1 Formé en temps utile contre une décision finale rendue en dernière
instance cantonale, le recours est recevable sous l'angle des art.
86, 87 et
89 OJ.

1.2 L'art. 88 OJ ne reconnaît la qualité pour agir par la voie du
recours de
droit public qu'à celui qui est atteint par l'acte attaqué dans ses
intérêts
personnels et juridiquement protégés. Lorsque le recourant est une
victime au
sens de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI;
RS
312.5), il peut recourir contre un classement ou un non-lieu en se
fondant
sur l'art. 8 al. 1 let. c LAVI.

En application de l'art. 2 al. 2 let. a LAVI, les parents sont
assimilés à la
victime pour ce qui est des droits dans la procédure pénale (cf. ATF
126 IV
42 consid. 3c p. 46). Il faut pour cela qu'ils aient eu qualité de
partie
dans le cours de la procédure pénale, et qu'ils aient élevé des
prétentions
civiles (ATF 120 IV 44 consid. I/4-8 p. 51 ss; Corboz, Les droits
procéduraux
découlant de la LAVI, SJ 1996 p. 53-92, 80).
En l'espèce, il ne fait aucun doute que les recourants, parties
civiles, ont
participé à la procédure ayant abouti à la décision contestée même
si, à
défaut d'inculpation, ils n'ont bénéficié que de droits restreints.
Par
ailleurs, lorsque le recours est dirigé contre une décision de
classement ou
de non-lieu, c'est-à-dire avant tout jugement, on ne saurait
reprocher à la
victime de ne pas avoir pris formellement de conclusions civiles,
puisque
cela n'était pas possible à ce stade (ATF 120 Ia 101 consid. 2b p.
106, IV 44
consid. I/4a p. 53). Les recourants indiquent par ailleurs, dans leur
recours
de droit public, qu'ils pourraient prétendre à une indemnisation pour
tort
moral fondée sur l'art. 47 CO. Le recours est par conséquent
recevable au
regard de l'art. 88 OJ.

2.
Les recourants se plaignent d'arbitraire. D.________ se trouvait
forcément
devant le camion au moment où le feu est passé au vert, puisque le
témoin
E.________ l'avait vu passer à ses côtés et devancer le camion alors
que les
véhicules étaient à l'arrêt. Compte tenu de la faible accélération du
cyclomoteur, et du fait que les témoins ne l'avaient pas vu suivre le
camion,
ce dernier ne pouvait le renverser qu'après l'avoir rattrapé.
C.________
disait n'avoir pas vu le cyclomotoriste, mais tel était précisément le
reproche formulé à son égard. Il y avait ainsi suffisamment
d'éléments pour
justifier une inculpation au sens de l'art. 134 du code de procédure
pénale
genevois (CPP/GE).

2.1 Il y a arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., lorsque la décision
attaquée viole gravement une règle ou un principe juridique clair et
indiscuté ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le
sentiment de la
justice ou de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution
retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle est
insoutenable ou en contradiction évidente avec la situation de fait,
si elle
a été adoptée sans motif objectif ou en violation d'un droit certain.
Par
ailleurs, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée
soient
insoutenables, encore faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son
résultat
(ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 128 I 273 consid. 2.1 p. 275 et la
jurisprudence citée).

2.2 Selon l'art. 198 al. 1 CPP/GE, une décision de classement peut
être prise
par le Procureur général lorsqu'il estime que "les circonstances ne
justifient pas l'exercice de l'action publique". Il peut s'agir de
motifs
tenant à l'absence d'éléments suffisants à charge, ou à
l'opportunité. Le
classement pour insuffisance de charges est ainsi admissible lorsqu'il
apparaît que les débats devant la juridiction de jugement aboutiraient
nécessairement à une libération au bénéfice du doute.

2.3 Les recourants présentent une argumentation à charge, censée
démontrer
qu'entre la thèse du cyclomoteur remontant par la droite et celle du
dépassement par le camion, cette dernière serait la seule possible.
Or,
l'expert a examiné les deux possibilités et les a estimées toutes deux
techniquement possibles, mais peu probables. L'expert envisageait
encore une
autre hypothèse, celle du cyclomotoriste poursuivant sur le trottoir,
traversant le carrefour au passage pour piétons, et rejoignant
l'avenue de
Châtelaine peu avant l'accident, ce qui expliquerait que les témoins
ne l'ont
pas vu avant. La thèse des recourants se heurte notamment au fait
que, lors
de la reconstitution, le camion, arrêté aux feux peu avant la ligne
d'arrêt
(à une hauteur paraissant vraisemblable au conducteur et au témoin
E.________), n'est pas parvenu à rattraper le cyclomoteur. Quant aux
témoins,
ils n'ont pas été en mesure d'indiquer ce qui se serait passé durant
le
moment, déterminant, situé entre le passage de la signalisation
lumineuse au
vert et l'accident, le témoin G.________ ayant seulement vu les deux
véhicules qui "convergeaient chacun au même endroit".

Il n'est par conséquent pas insoutenable de considérer qu'en dépit
d'une
instruction complète, les faits n'avaient pas pu être déterminés avec
certitude, et qu'en l'absence d'autres éléments de preuve précis, le
doute
devrait conduire à la libération de l'intimé, si celui-ci était
traduit en
jugement.

3.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être
rejeté. Un
émolument judiciaire est mis à la charge des recourants (art. 156 al.
1 OJ),
de même qu'une indemnité de dépens à laquelle a droit l'intimé (art.
159 al.
1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral, vu l'art. 36a OJ, prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge des
recourants.

3.
Une indemnité de dépens de 1500 fr. est allouée à l'intimé
C.________, à la
charge des recourants.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties,
au
Procureur général et à la Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 2 avril 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.105/2003
Date de la décision : 02/04/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-04-02;1p.105.2003 ?
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