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20/03/2003 | SUISSE | N°U.381/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 20 mars 2003, U.381/01


{T 7}
U 381/01

Arrêt du 20 mars 2003
IVe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Ferrari.
Greffière: Mme
Berset

Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, Service
juridique,
Fluhmattstrasse 1, 6004 Lucerne, recourante,

contre

V.________, intimée, représentée par Me Jérôme Bénédict, avocat, rue
de Bourg
33, 1002 Lausanne

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 16 juillet 2001)

Faits:

A.> V. ________ a travaillé depuis le mois de septembre 1994 comme
auxiliaire de
reliure auprès de la société X.________ SA. A ce titre,...

{T 7}
U 381/01

Arrêt du 20 mars 2003
IVe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Ferrari.
Greffière: Mme
Berset

Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, Service
juridique,
Fluhmattstrasse 1, 6004 Lucerne, recourante,

contre

V.________, intimée, représentée par Me Jérôme Bénédict, avocat, rue
de Bourg
33, 1002 Lausanne

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 16 juillet 2001)

Faits:

A.
V. ________ a travaillé depuis le mois de septembre 1994 comme
auxiliaire de
reliure auprès de la société X.________ SA. A ce titre, elle était
assurée
auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents
(CNA)
contre les accidents professionnels et non professionnels.

A la suite de douleurs au coude droit, V.________ a consulté
successivement
le docteur A.________ qui l'a traitée en janvier 1997 par
immobilisation de
l'articulation, le docteur B.________ et le docteur C.________,
spécialiste
FMH en chirurgie orthopédique. Ce dernier a pratiqué d'abord des
infiltrations locales de stéroïdes puis a procédé, le 11 septembre
1997, à
une intervention chirurgicale. Par la suite, V.________ a été suivie
au
service de rhumatologie, médecine physique et réhabilitation du Centre
hospitalier Y.________, par la doctoresse D.________. Celle-ci a posé
le
diagnostic d'épicondylite droite d'origine professionnelle, status
après cure
chirurgicale et douleurs résiduelles post-opératoires, épitrochléite
droite
et dérangement inter-vertébral mineur C4-C5 droit, dysfonction de la
1ère
côte droite et dysbalance musculaire scapulo-humérale. Ce diagnostic
se
fondait en partie sur le rapport d'examen de l'Institut universitaire
romand
de Santé au Travail (IST) dont elle avait sollicité l'avis. Selon les
docteurs E.________ et F.________ de cet institut, le poste occupé
partiellement par l'intéressée, soit le travail au carrousel
d'encollage pour
la couverture des livres, présente manifestement un risque élevé sur
le plan
ergonomique en terme de répétition de gestes et de manipulation de
charges
avec les mains.

V. ________ a interrompu son travail le 19 février 1998 et n'a plus
retravaillé depuis lors. Son employeur a annoncé, le 15 janvier 1999,
le cas
à la CNA qui a réuni les renseignements médicaux. Selon le docteur
G.________, de l'équipe médicale de médecine des accidents de la CNA,
les
causes de l'épicondylite sont multifactorielles, la sursollicitation
des
muscles extenseurs du coude ne constituant qu'une facette de
l'étiologie. La
maladie correspond à un processus dégénératif que certaines activités
peuvent
révéler. Dans le cas de l'assurée, l'activité professionnelle n'est
pas
exclusivement ou de manière nettement prépondérante responsable de sa
pathologie du coude.
Se fondant sur cet avis médical, la CNA a, par décision du 25 janvier
2000,
signifié son refus de prester. A la suite de l'opposition de
l'assurée, la
CNA a confirmé son refus par décision sur opposition du 11 avril 2000.

B.
L'intéressée a recouru contre cette décision devant le Tribunal des
assurances du canton de Vaud. En cours d'instruction, le professeur
H.________ et la doctoresse I.________ de l'IST ont déposé un rapport
complémentaire du 12 juillet 2000, dans lequel ils confirmaient les
conclusions de leurs collègues. De son côté, le docteur G.________ a
donné
une appréciation médicale complémentaire le 28 août 2000.

Par jugement du 16 juillet 2001, la juridiction cantonale a admis le
recours
de l'assurée, annulé la décision litigieuse, renvoyé la cause à la
CNA «pour
qu'elle rende telle nouvelle décision que de droit», et alloué 1'800
fr., à
titre de dépens.

C.
La CNA interjette recours de droit administratif contre ce jugement
dont elle
demande l'annulation, concluant principalement au rétablissement de sa
décision sur opposition, subsidiairement au renvoi de la cause à la
juridiction cantonale pour complément d'instruction.

V. ________ conclut au rejet du recours, sous suite de frais et
dépens, alors
que l'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se
déterminer.

Considérant en droit:

1.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances
sociales du 6
octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003,
entraînant la
modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de
l'assurance-accidents. Cependant, le cas d'espèce reste régi par les
dispositions de la LAA en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, eu égard
au
principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur
au moment
où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 127 V
467
consid. 1). En outre, le Tribunal fédéral des assurances apprécie la
légalité
des décisions attaquées, en règle générale, d'après l'état de fait
existant
au moment où la décision litigieuse a été rendue, soit le 11 avril
2000 (ATF
121 V 366 consid. 1b).

2.
2.1Le litige porte sur le droit aux prestations de
l'assureur-accidents, plus
particulièrement sur le caractère de maladie professionnelle de
l'épicondylite contractée par l'intimée.

2.2 Les premiers juges ont retenu l'existence d'une maladie
professionnelle
au sens de l'art. 9 al. 2 LAA. Pour cela, ils se sont référés aux
avis des
médecins de l'IST qu'ils ont considérés comme probants, en
particulier en
raison de l'examen in situ du poste de travail incriminé. Ils ont
ainsi
retenu que l'assurée souffrait d'une affection inflammatoire
déclenchée par
l'activité, répétitive, qu'elle avait exercée pendant deux ans dans
des
conditions discutables du point de vue ergonomique.

3.
3.1Selon l'art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles
les
maladies dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans
l'exercice de
l'activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains
travaux.
Le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle
de ces
travaux et des affections qu'ils provoquent. Se fondant sur cette
délégation
de compétence, ainsi que sur l'art. 14 OLAA, le Conseil fédéral a
dressé à
l'annexe I de l'OLAA la liste des substances nocives, d'une part, et
la liste
de certaines affections, ainsi que des travaux qui les provoquent,
d'autre
part. Selon la jurisprudence, la définition du risque assuré est des
plus
restrictives et la liste figurant en annexe 1 à l'OLAA est exhaustive
(RAMA
1988 no U 61 p. 449 consid. 1a).

Aux termes de l'art. 9 al. 2 LAA, sont aussi réputées maladies
professionnelles (selon la clause dite générale) les autres maladies
dont il
est prouvé qu'elles ont été causées exclusivement ou de manière
nettement
prépondérante par l'exercice de l'activité professionnelle. Cette
clause
générale répond au besoin de combler d'éventuelles lacunes qui
subsisteraient
dans la liste que le Conseil fédéral est chargé d'établir en vertu de
l'art.
9 al. 1 LAA (ATF 116 V 141 consid. 5a et les références). Selon la
jurisprudence, l'exigence d'une relation exclusive ou nettement
prépondérante
est réalisée lorsque la maladie professionnelle résulte à 75 % au
moins de
l'activité professionnelle (ATF 126 V 186 consid. 2b, 119 V 201
consid. 2b).
En d'autres termes, il faut que les cas d'atteintes pour un groupe
professionnel déterminé soient quatre fois plus nombreux que ceux
enregistrés
dans la population en général (cf. ATF 116 V 143 consid. 5c; RAMA
2000 no U
408 p. 407). Ainsi que l'a relevé Maurer, (Schweizerisches
Unfallversicherunsrecht, p. 222), les conditions d'application de
l'art. 9
al. 2 LAA ne sont susceptibles d'être remplies que dans de rares
situations
compte tenu des exigences posées. Elles supposent en tout cas que la
maladie
résulte de l'exposition d'une certaine durée à un risque professionnel
typique ou inhérent. Un événement unique et par conséquent un simple
rapport
de simultanéité ne suffisent pas (ATF 126 V 186 consid. 2b).

3.2 A plusieurs reprises, le Tribunal fédéral des assurances a
examiné la
question de savoir si l'exigence d'une relation exclusive ou nettement
prépondérante au sens de l'art. 9 al. 2 LAA est à apprécier
principalement
sur le vu des bases épidémiologiques médicalement reconnues ou si, au
contraire, ce sont les circonstances particulières de l'occupation
professionnelle qui doivent prévaloir. Il y a répondu, notamment, dans
l'arrêt B. du 3 août 2000 (ATF 126 V 183) et dans l'arrêt A. du 22
septembre
2000 (RAMA 2000 no U 408 p. 407).

3.3 Ainsi que l'a rappelé la Cour de céans, en médecine, la relation
de cause
à effet ne peut que rarement être tirée ou déduite à la manière d'une
science
mathématique. Compte tenu du caractère empirique de la médecine,
lorsqu'une
preuve directe ne peut être apportée à propos d'un état de fait
médical, il
est bien plutôt nécessaire de procéder à des comparaisons avec
d'autres cas
d'atteinte à la santé, soit par une méthode inductive ou par
l'administration
de la preuve selon ce mode. Dans ce cadre, la question de savoir si
et dans
quelle mesure la médecine peut, au regard de l'état des connaissances
dans le
domaine particulier, donner ou non d'une manière générale des
informations
sur l'origine d'une affection médicale joue un rôle décisif dans
l'admission
de la preuve dans un cas concret. S'il apparaît comme un fait
démontré par la
science médicale qu'en raison de la nature d'une affection
particulière, il
n'est pas possible de prouver que celle-ci est due à l'exercice d'une
activité professionnelle, il est hors de question d'apporter la
preuve, dans
un cas concret, de la causalité qualifiée.

Selon la jurisprudence, dans la mesure où la preuve d'une relation de
causalité qualifiée selon l'expérience médicale ne peut pas être
apportée de
manière générale, l'admission de celle-ci dans le cas particulier est
exclue.
En revanche, si les connaissances médicales générales sont
compatibles avec
l'exigence légale d'une relation causale nettement prépondérante,
voire
exclusive entre une affection et une activité professionnelle
déterminée,
subsiste alors un champ pour des investigations complémentaires en vue
d'établir, dans le cas particulier, l'existence de cette causalité
qualifiée
(ATF 126 V 189 sv. consid. 4c et les références).

4.
4.1Faisant le point des publications et études médicales récentes, les
docteurs Bär et Kiener de la Division de médecine des accidents de la
CNA ont
publié en 2000 une étude sous le titre "L'épicondylite n'est pas une
maladie
professionnelle - Un changement de paradigme sur le plan médical
(Informations médicales de la SUVA, Automne 2000, p. 70 sv.). Ils y
exposent
qu'aussi bien des facteurs intrinsèques que des agents physiques
extrinsèques
participent à l'étiologie de l'épicondylite qui n'est pas un processus
inflammatoire (par ex.: prédisposition génétique, âge, sexe,
maladies). Dès
lors, du fait de la genèse particulièrement multifactorielle de cette
affection, dans laquelle l'âge et la constitution physique
individuelle
jouent un rôle essentiel, une activité professionnelle particulière
ne peut y
assumer un rôle exclusif ou nettement prépondérant, même si, dans
certains
cas, on peut estimer qu'elle représente un facteur causal important.

Cet avis autorisé se trouve par ailleurs corroboré par l'étude du
docteur
Meine (Contribution à l'appréciation de la causalité des tendinoses
d'insertion du coude en médecine des assurances) parue dans la Revue
de
traumatologie, d'assicurologie et des maladies professionnelles, vol.
87/1994
(p. 169 ss). Selon ce médecin, les épicondylites et les
épitrochléites ne
sont pas dues à une cause unique, mais à un faisceau de causes, qui
font
intervenir en premier lieu un processus dégénératif dû à l'âge et
favorisé
par le terrain constitutionnel, des influences neurogènes, des
facteurs
locaux, alors que le stress musculaire n'est qu'un facteur adjuvant
parmi les
autres et ne saurait à lui seul dépasser 75% dans l'éventail des
causes (p.
176).
L'avis du professeur H.________, chef de secteur médecine du travail
à l'IST,
au sujet de l'épicondylite, ressort d'une expertise qui a été versée
au
dossier dès le début de l'instruction. Après avoir passé en revue la
littérature médicale, ce médecin signale d'abord qu'il y a de grandes
difficultés à trouver des causes précises à l'apparition d'un CTD
(i.e.
lésions attribuables au travail répétitif) au niveau des membres
supérieurs.
S'agissant de la causalité qualifiée, l'expert rappelle qu'au regard
de la
règle des 75%, l'épicondylite devrait être au minimum quatre fois plus
fréquente dans le métier exercé par l'assuré en question que dans la
population en général; qu'au demeurant il n'existait pas de données
épidémiologiques susceptibles d'aborder la question de cette
manière-là.
C'est pourquoi dans l'affaire ayant donné lieu à expertise, il
s'agissait de
s'en tenir aux données cliniques qui n'excluaient pas que l'exercice
de
l'activité professionnelle ait joué un certain rôle dans l'évolution
des
douleurs du patient. Toutefois, ces données ne permettaient pas
d'aboutir à
des conclusions présentant un degré de vraisemblance suffisant pour
répondre
affirmativement à la question. Selon le professeur H.________ enfin,
en
l'état actuel de la législation suisse, une épicondylite entrant dans
la
catégorie des atteintes de type CTD ne répond pas au critère de
causalité
exigé de plus de 75%.


4.2 Dans le cas d'espèce, on peut raisonnablement considérer que ces
avis
médicaux autorisés reflètent d'une manière générale l'avis de la
médecine au
sujet des épicondylites. D'ailleurs, les études médicales et
publications
produites en instance fédérale par l'intimée ne mettent pas en doute
leurs
conclusions, du moins en ce qui concerne la problématique de la
maladie
professionnelle au sens de l'art. 9 al. 2 LAA. Ainsi, en raison de
l'origine
multifactorielle de cette affection, dans laquelle l'âge et la
constitution
jouent un rôle important, la preuve d'une relation de causalité
qualifiée
entre une activité professionnelle et l'épicondylite ne saurait être
rapportée. En d'autres termes, cette affection, répandue dans la
population,
n'apparaît pas dans les études comme une maladie caractéristique d'une
profession déterminée, à tout le moins pas dans la proportion de 4 -
1.

En conséquence et dès lors que, selon l'expérience médicale, la
preuve d'une
causalité qualifiée ne peut être rapportée de manière générale, il
n'y a plus
de place pour apporter la preuve, dans un cas concret, de cette
causalité
qualifiée.

Au demeurant, les avis médicaux, tenus pour probants par les premiers
juges,
ne se fondent pas sur des bases épidémiologiques suffisantes. Il
n'est ainsi
pas établi qu'une activité professionnelle dans un atelier de reliure
industrielle soit à l'origine d'épicondylites de manière
significative par
rapport à l'ensemble de la population. Au regard des critères posés
par la
jurisprudence, à savoir que les cas d'atteintes pour un groupe
professionnel
déterminé soient quatre fois plus nombreux que ceux enregistrés dans
la
population en général, l'existence d'une maladie professionnelle dans
le cas
de l'intimée doit être niée.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement du 16 juillet 2001 du Tribunal des
assurances du canton de Vaud est annulé.

2.
Il n'est pas perçu de fais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des
assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 20 mars 2003
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la IVe Chambre: La Greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : U.381/01
Date de la décision : 20/03/2003
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-03-20;u.381.01 ?
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