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17/03/2003 | SUISSE | N°1P.47/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 17 mars 2003, 1P.47/2003


{T 0/2}
1P.47/2003 /svc

Arrêt du 17 mars 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Catenazzi.
Greffier: M. Zimmermann.

A. ________ Sàrl, recourante, représentée par Me Catherine Seppey,
place Centrale 7, case postale 558, 1920 Martigny,

contre

Office du Juge d'instruction cantonal,
Palais de Justice, case postale, 1950 Sion 2,
Ministère public du canton du Valais,
Palais de Justice, case postale, 1950 Sion 2,
T

ribunal cantonal du canton du Valais,
Chambre pénale, Palais de Justice, 1950 Sion 2.

maintien du séquestr...

{T 0/2}
1P.47/2003 /svc

Arrêt du 17 mars 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Catenazzi.
Greffier: M. Zimmermann.

A. ________ Sàrl, recourante, représentée par Me Catherine Seppey,
place Centrale 7, case postale 558, 1920 Martigny,

contre

Office du Juge d'instruction cantonal,
Palais de Justice, case postale, 1950 Sion 2,
Ministère public du canton du Valais,
Palais de Justice, case postale, 1950 Sion 2,
Tribunal cantonal du canton du Valais,
Chambre pénale, Palais de Justice, 1950 Sion 2.

maintien du séquestre,

recours de droit public contre la décision
du Tribunal cantonal du canton du Valais,
Chambre pénale, du 5 décembre 2002.

Faits:

A.
La société A.________ Sàrl (ci-après: A.________) a pour but social
d'étudier, de développer, de fabriquer et de commercialiser tous les
produits
dérivés directement ou indirectement du chanvre de manière compatible
avec
les dispositions légales suisses, et de créer des entreprises
analogues ou
identiques. B.________ est l'associé principal et le gérant de la
société.

B.
Le 8 novembre 2001, le Juge d'instruction du Bas-Valais a ordonné
l'arrestation de B.________, soupçonné d'infraction à la LStup, ainsi
que la
perquisition des locaux qu'il occupait.

Le 14 novembre 2001, la police valaisanne a perquisitionné divers
locaux à
Conthey, Charrat, Châteauneuf, Saillon et Martigny, et séquestré
vingt-cinq
tonnes de chanvre, vingt-cinq tonnes de tisane de chanvre, une tonne
de
résine de chanvre, une demi-tonne de fleurs de chanvre, quarante
kilos de
haschich et deux cent litres d'huile de résine. Ont été également
saisis des
documents comptables et administratifs, ainsi que du matériel divers.

Selon un rapport de synthèse établi le 24 juin 2002 par la police
cantonale,
B.________, sous couvert de la production de chanvre à but
thérapeutique,
aurait en réalité produit et écoulé du chanvre présentant une forte
teneur en
tétrahydrocannabinol (THC), c'est-à-dire un stupéfiant destiné à une
consommation illégale.

Le 15 février 2002, A.________ a demandé au Juge d'instruction la
levée du
séquestre pour 25 tonnes de chanvre, que la société a expliqué
vouloir faire
distiller pour produire de l'huile essentielle.

Le 18 février 2002, le Juge d'instruction a rejeté cette demande.

A. ________ est revenue à la charge les 24 avril et 3 juillet
suivants.

Le 28 octobre 2002, le Juge d'instruction a derechef refusé de lever
le
séquestre.

Le 5 décembre 2002, le Tribunal cantonal du canton du Valais a rejeté
la
plainte formée par A.________ contre cette décision. Il a considéré,
en bref,
que seul B.________ pouvait prétendre être le véritable possesseur du
chanvre
séquestré. Toutes les garanties n'avaient pas été données quant à une
utilisation licite.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler la décision du 5 décembre 2002. La société
invoque
les art. 26 et 27 Cst. Elle se plaint en outre d'une violation
arbitraire des
art. 8, 97 et 100 CPP/VS.

Le Tribunal cantonal et le Juge d'instruction se réfèrent à la
décision
attaquée. Le Ministère public conclut au rejet du recours dans la
mesure de
sa recevabilité.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 128 I 46 consid. 1a
p. 48,
et les arrêts cités).

1.1 Selon l'art. 87 OJ, le recours de droit public est recevable
contre les
décisions préjudicielles et incidentes sur la compétence et sur les
demandes
de récusation, prises séparément; ces décisions ne peuvent être
attaquées
ultérieurement (al. 1); le recours de droit public est recevable
contre
d'autres décisions préjudicielles et incidentes prises séparément
s'il peut
en résulter un dommage irréparable (al. 2); lorsque le recours de
droit
public n'est pas recevable selon l'alinéa 2 ou qu'il n'a pas été
utilisé, les
décisions préjudicielles et incidentes peuvent être attaquées avec la
décision finale (al. 3).

La décision refusant la levée du séquestre pénal est de caractère
incident
(ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; cf. ATF 123 I 325 consid. 3b p. 327;
122 I
39 consid. 1a/aa p. 41; 120 Ia 369 consid. 1b p. 372, et les arrêts
cités).
Elle cause cependant un dommage irréparable à la personne privée
temporairement de la libre disposition des objets ou avoirs
séquestrés (ATF
89 I 185 consid. 4 p. 187; cf. aussi ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131;
126 I 97
consid. 1b p. 101; 118 II 369 consid. 1 p. 371, et les arrêts cités,
ainsi
que les arrêts 1P.489/1997 et 1P.287/1998, concernant la recourante).
Le
recours est ainsi recevable au regard de l'art. 87 al. 2 OJ.

1.2 Lorsque la décision attaquée se fonde sur plusieurs motivations
indépendantes, alternatives ou subsidiaires, toutes suffisantes, le
recourant
doit, à peine d'irrecevabilité, démontrer que chacune d'entre elles
viole ses
droits constitutionnels (art. 90 al. 1 let b OJ; ATF 119 Ia 13
consid. 2 p.
16; 107 Ib 264 consid. 3b p. 268), au besoin par des voies de droit
différentes (ATF 121 IV 94 consid. 1b p. 95; 115 II 300 consid. 2a p.
302,
396 consid. 2a p. 397, et les arrêts cités).
La décision attaquée comporte une double motivation, l'une principale,
l'autre subsidiaire. Dans un premier temps, le Tribunal cantonal a
considéré
que la plainte devait être écartée pour le motif que seul B.________,
à
l'exclusion de la recourante, disposerait d'un droit sur le chanvre
séquestré. Dans un deuxième temps, le Tribunal cantonal a considéré
que le
maintien du séquestre était justifié. Comme l'indique l'usage des
termes « en
tout état de cause », cette deuxième motivation est subsidiaire à la
première.
Sous couvert du grief de violation arbitraire de l'art. 8 CPP/VS (cf.
consid.
1.3 ci-dessous), la recourante fait valoir, de manière juste
suffisante au
regard des exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, que le chanvre
séquestré
lui appartiendrait, contrairement à ce qu'aurait erronément retenu le
Tribunal cantonal, partant qu'elle était habilitée à demander la
levée du
séquestre. Il faut en conclure que la recourante a aussi critiqué la
motivation principale de l'arrêt attaqué.

1.3 Aux termes de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit
contenir
un exposé des droits constitutionnels ou des principes juridiques
violés,
précisant en quoi consiste la violation. Le Tribunal fédéral examine
uniquement les griefs soulevés devant lui de manière claire et
détaillée (ATF
128 II 50 consid. 1c p. 53/54; 127 I 38 consid. 4 p. 43; 126 III 534
consid.
1b p. 536, et les arrêts cités).

A titre préliminaire, la recourante reproche au Tribunal cantonal
d'avoir
violé arbitrairement l'art. 8 CPP/VS. Or, cette disposition a trait à
la
jonction et à la disjonction des causes, point sur lequel la décision
attaquée n'a pas porté. L'argumentation que développe la recourante à
ce
propos est de surcroît peu compréhensible, car on ne voit pas en quoi
B.________ n'aurait pas pu demander lui-même la levée du séquestre
(s'il
s'estimait propriétaire du chanvre séquestré), malgré le fait que la
procédure le concernant était suspendue. Tel qu'il est formulé, le
grief de
violation arbitraire de l'art. 8 CPP/VS est irrecevable.

2.
La recourante conteste les motifs pour lesquels le Tribunal cantonal
lui a
dénié la qualité pour agir.

La décision attaquée met en exergue le rôle joué par B.________.
Celui-ci,
sous couvert de la production de chanvre à des fins légales, aurait en
réalité mis sur pied une structure compliquée mais efficace permettant
d'écouler du chanvre à forte teneur en THC (donc propre à un usage
illicite)
auprès des consommateurs de haschich. Selon le Tribunal cantonal,
B.________
serait le véritable ayant droit (au sens de l'art. 100 ch. 3 CPP/VS)
du
chanvre saisi. Il aurait entretenu (sous-entendu: sciemment) une telle
confusion sur la marche de ses affaires qu'il serait impossible de
déterminer
la quantité de chanvre sur laquelle la recourante pourrait prétendre
exercer
un quelconque pouvoir de disposition.
A cela, la recourante objecte que c'est avec elle (et non B.________)
que les
producteurs de chanvre ont passé les contrats de livraison du chanvre
saisi.
Il peut certes paraître plausible que B.________, comme associé
gérant avec
signature individuelle, ait dominé la recourante au point de réduire
quasiment à néant le rôle effectif de celle-ci. Il n'en demeure pas
moins
qu'une partie du chanvre saisi l'a été dans des locaux de la
recourante,
laquelle pouvait prétendre utiliser cette matière pour la réalisation
de ses
buts sociaux, du moins à première vue (cf. consid. 3 ci-dessous).
D'un point
de vue formel, la recourante avait de bonnes raisons de revendiquer le
chanvre saisi comme sa propriété. Son grief est bien fondé.

3.
Il reste à examiner les motifs de fond pour lesquels le Tribunal
cantonal a
maintenu le séquestre. La recourante se plaint à cet égard d'une
violation de
son droit de propriété, garanti par l'art. 26 al. 1 Cst. Les griefs de
violation de la liberté économique (art. 27 Cst.) et de violation
arbitraire
des art. 97 et 100 CPP/VS n'ont pas de portée propre à cet égard (cf.
arrêt
1P.287/1998, précité).

3.1 Les restrictions à la propriété ne sont compatibles avec la
Constitution
que si elles reposent sur une base légale, sont justifiées par un
intérêt
public suffisant et respectent le principe de la proportionnalité
(art. 36
al. 1 à 3 Cst.; ATF 126 I 219 consid. 2a p. 221, 2c p. 221/222, et
les arrêts
cités). Le principe de la proportionnalité exige qu'une mesure
restrictive
soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne
puissent être
atteints par une mesure moins incisive; en outre, il interdit toute
limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport
raisonnable
entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 124 I
40
consid. 3e p. 44/45; 119 Ia 348 consid. 2a p. 353; 118 Ia 394 consid.
2b p.
397). Saisi d'un recours de droit public pour violation de l'art. 26
al. 1
Cst., le Tribunal fédéral examine la légalité de la décision
librement ou
sous l'angle de l'arbitraire selon que la restriction contestée est
grave ou
non (ATF 124 I 6 consid. 4b/aa p. 8; 121 I 117 consid. 3b/bb p.
120/121; 119
Ia 88 consid. 5c/bb p. 96, 362 consid. 3a p. 366, et les arrêts
cités). En
l'occurrence, le séquestre a pour seul effet (du moins, en l'état de
la
procédure) de priver temporairement la recourante de la libre
disposition du
chanvre litigieux. Cette mesure ne constitue pas une restriction
grave au
droit de propriété.

3.2 Aux termes de l'art. 97 al. 1 CPP/VS, le juge ordonne le
séquestre des
objets et valeurs pouvant servir de moyens de preuve ou qui sont
susceptibles
de confiscation. Cette disposition a une portée analogue à l'art. 58
al. 1
CP, à teneur duquel, alors même qu'aucune personne déterminée n'est
punissable, le juge prononcera la confiscation d'objets qui ont servi
à
commettre une infraction ou qui sont le produit d'une infraction, si
ces
objets compromettent la sécurité des personnes, la morale ou l'ordre
public.
Le séquestre ainsi ordonné constitue une mesure provisoire, dont le
sort
définitif dépend de celui de la procédure pénale au fond (art. 100
al. 1
CPP/VS). Conformément au principe de la proportionnalité, le
séquestre doit
être levé dès que les raisons qui l'ont fait ordonner n'existent plus
(art.
100 al. 2 CPP/VS).

3.3 Le chanvre saisi se prête, à raison de sa forte teneur en THC, à
un usage
illicite (cf. ATF 125 IV 185). Il reste à déterminer si le séquestre
devait
être levé parce que la recourante se proposait de l'écouler dans un
but
licite. Ce point est sans rapport avec celui de savoir si le chanvre
a été
cultivé en vue d'un usage illicite, ce qu'il appartiendra au juge du
fond de
trancher, le cas échéant (cf. les arrêts 1P.489/1997 et 1P.287/1998,
précités). Le séquestre de chanvre doit être levé lorsqu'il est
possible d'en
tirer un produit ne présentant pas les caractéristiques d'un
stupéfiant - par
exemple, de la bière (arrêt 1P.489/1997, précité) ou de l'huile
essentielle
(arrêt 1P.287/1998) - à condition que toutes les garanties soient
données
quant à l'usage licite ultérieur.

3.3.1 La recourante a demandé la levée du séquestre en se prévalant
d'une
commande passée le 11 novembre 2002 par la société C.________ S.A.
(ci-après:
C.________), portant sur la livraison de 50 kg d'huile essentielle de
chanvre
- soit un produit qui ne se prête pas à un usage comme stupéfiant
(cf. arrêt
1P.287/1998, consid. 2c/bb) -, pour un prix de 2500 fr. le kg, soit
125'000
fr. au total. A l'appui de sa plainte adressée au Tribunal cantonal,
elle a
fait valoir l'offre de la société D.________, prête à distiller 26
tonnes de
chanvre, pour un prix de 36'000 fr., auquel s'ajouteraient les frais
de
main-d'oeuvre (à raison de 260 heures de travail prévues). Le Tribunal
cantonal a jugé ces offres insuffisantes: faute de moyens, le
financement de
la distillation ne serait pas assuré et la livraison à C.________ ne
pourrait
se faire que de manière échelonnée. En outre, il n'était pas sûr que
26
tonnes de chanvre soient nécessaires à la distillation, certains

éléments
pouvant laisser à penser que la moitié seulement de cette quantité
pourrait
suffire. La recourante critique cette appréciation, en expliquant
qu'il lui
sera possible de payer les frais de distillation au fur et à mesure
des
livraisons à C.________. Il s'agit là cependant de pures conjectures
que la
commande du 11 novembre 2002 ne permet pas de confirmer. De même, la
recourante n'indique pas la quantité de chanvre qui lui serait
nécessaire
pour exécuter la commande. La demande de levée du séquestre porte sur
25
tonnes du chanvre séquestré, alors qu'il semble que la moitié de cette
quantité serait suffisante pour produire 50 kg d'huile essentielle. Il
subsiste ainsi un doute quant à l'utilisation du solde de chanvre
lequel se
prête sans autre préparation à un usage illicite. Faute d'indications
plus
précises, on se trouve ainsi dans une situation de fait analogue à
celle
ayant conduit au prononcé de l'arrêt du 17 août 1998 (1P.287/1998).

Le grief est mal fondé.

4.
Le recours doit ainsi être rejeté. Les frais en sont mis à la charge
de la
recourante (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens
(art. 159
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument de 3000 fr. est mis à la charge de la recourante. Il
n'est pas
alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie à la mandataire de la
recourante, à
l'Office du Juge d'instruction cantonal, au Ministère public et à la
Chambre
pénale du Tribunal cantonal du canton du Valais.

Lausanne, le 17 mars 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.47/2003
Date de la décision : 17/03/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-03-17;1p.47.2003 ?
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