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10/03/2003 | SUISSE | N°5P.439/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 10 mars 2003, 5P.439/2002


{T 0/2}
5P.439/2002 /frs

Arrêt du 10 mars 2003
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Raselli, président,
Nordmann et Hohl,
greffière Mairot.

Dame B.________ (épouse), recourante, représentée par
Me Christian Fischer, avocat, avenue Juste-Olivier 9,
1006 Lausanne,

contre

B.________ (époux), intimé, représenté par
Me Alexandre Reil, avocat, place St-François 7,
case postale 3640, 1002 Lausanne,
Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois,
case postale, 1800 Vevey 1.

art. 9

Cst. (mesures provisionnelles de divorce),

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'arrondissement
de l'Es...

{T 0/2}
5P.439/2002 /frs

Arrêt du 10 mars 2003
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Raselli, président,
Nordmann et Hohl,
greffière Mairot.

Dame B.________ (épouse), recourante, représentée par
Me Christian Fischer, avocat, avenue Juste-Olivier 9,
1006 Lausanne,

contre

B.________ (époux), intimé, représenté par
Me Alexandre Reil, avocat, place St-François 7,
case postale 3640, 1002 Lausanne,
Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois,
case postale, 1800 Vevey 1.

art. 9 Cst. (mesures provisionnelles de divorce),

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'arrondissement
de l'Est
vaudois du 17 octobre 2002.

Faits:

A.
B. ________, né en 1957, et dame B.________, née en 1958, se sont
mariés le 3
juin 1983. Ils ont eu deux enfants, V.________, née le 15 novembre
1988, et
F.________, née le 17 septembre 1992.

Le 27 janvier 1999, l'épouse a déposé une demande de séparation de
corps. Le
mari a conclu reconventionnellement au divorce.

De nombreuses décisions de mesures provisionnelles ont été rendues,
qui ont
notamment attribué la garde des enfants à la mère et réglementé le
droit de
visite du père.

Par ordonnance du 24 juin 1999, confirmée le 30 août suivant, le mari
a été
astreint à payer une contribution mensuelle de 10'500 fr., allocations
familiales en sus, pour l'entretien de sa famille. Le 7 avril 2000,
ordre a
été donné à l'employeur du mari de verser directement cette somme en
mains de
l'épouse; la conclusion du débiteur d'aliments tendant à une
réduction de la
contribution a par ailleurs été rejetée.

Le 7 septembre 2001, le Président du Tribunal d'arrondissement de
l'Est
vaudois a réduit le montant de la contribution d'entretien à 10'000
fr. par
mois, allocations familiales non comprises, dès le 1er mars 2001. La
retenue
en mains de l'employeur a été limitée à cette somme par décision du
1er
octobre suivant. L'ordonnance du 7 septembre 2001 a fait l'objet d'un
appel,
qui a été rejeté le 15 janvier 2002.

B.
Par ordonnance de mesures provisionnelles du 28 mai 2002, le
Président du
Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois a fixé le montant de la
contribution d'entretien à 8'000 fr. par mois de décembre 2001 à mars
2002,
puis à 7'000 fr. par mois dès avril 2002, allocations familiales non
comprises; l'avis de l'art. 177 CC a été maintenu. Ce magistrat a par
ailleurs ordonné au mari de verser en mains du conseil de l'épouse une
provision ad litem de 20'000 fr., payable par mensualités de 2'500
fr. Toutes
autres ou plus amples conclusions ont été rejetées.

Chacun des conjoints a interjeté appel contre cette décision.
L'épouse a
conclu principalement au versement d'une contribution d'entretien de
10'000
fr. par mois, allocations familiales en sus. Au cas où celle-ci
serait d'un
montant inférieur, elle a requis, à titre subsidiaire, que les
intérêts du
prêt hypothécaire garanti par l'immeuble des conjoints soient mis à
la charge
du mari, dès et y compris janvier 2002.

Le mari a sollicité la diminution de la contribution d'entretien à
8'000 fr.
par mois de décembre 2001 à mars 2002, puis à 4'500 fr. dès avril
2002,
allocations familiales non comprises. Il a de plus demandé que la
retenue de
salaire en mains de son employeur soit limitée aux montants précités,
aucune
provision ad litem n'étant par ailleurs due à l'épouse.
Par arrêt du 17 octobre 2002, le Tribunal d'arrondissement de l'Est
vaudois a
rejeté les appels et confirmé l'ordonnance de mesures provisionnelles
du 28
mai 2002.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, l'épouse demande au
Tribunal
fédéral d'annuler l'arrêt du 17 octobre 2002 et de renvoyer la cause à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision.
Des observations n'ont pas été requises.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Les décisions prises en matière de mesures provisoires de divorce
ou de
séparation de corps ouvrent la voie du recours de droit public (ATF
126 III
261 consid. 1 p. 263; 100 Ia 12 consid. 1b p. 14 et les citations). Le
présent mémoire a de plus été déposé en temps utile (art. 89 al. 1
OJ).

1.2 En vertu de l'art. 86 al. 1 OJ, le recours de droit public n'est
recevable qu'à l'encontre des décisions prises en dernière instance
cantonale. Cela suppose que le grief soulevé devant le Tribunal
fédéral ne
puisse pas être soumis à une autorité cantonale par la voie d'un
recours
ordinaire ou extraordinaire (ATF 126 I 257 consid. 1a p. 258 et
l'arrêt cité;
110 Ia 71 et les références).

Dans le canton de Vaud, l'arrêt sur appel en matière de mesures
provisionnelles peut faire l'objet d'un recours en nullité pour tous
les
motifs prévus par l'art. 444 al. 1 CPC/VD, et, en particulier, pour
violation
des règles essentielles de procédure (ch. 3), soit pour déni de
justice
formel et pour appréciation arbitraire des preuves (ATF 126 I 257
consid. 1;
JdT 2001 III p. 128). Interjeté, non pour ces motifs, mais pour
arbitraire
dans l'application du droit civil fédéral, le présent recours est donc
recevable au regard de l'art. 86 al. 1 OJ.

2.
La recourante se plaint d'une application arbitraire des art. 137 al.
2 et
176 CC, d'une part, de l'art. 125 CC et des principes posés dans
l'arrêt
publié aux ATF 128 III 65, d'autre part. Elle reproche à l'autorité
cantonale
d'avoir réduit le montant de la contribution d'entretien, partant,
son niveau
de vie et celui de ses enfants, alors que l'intimé - dont le salaire
a certes
diminué - a reçu, après la séparation du couple, un legs de plus de
2'400'000
fr. Elle estime que le débirentier doit mettre à contribution les
revenus, si
ce n'est la substance de sa fortune pour garantir l'entretien
convenable de
sa famille. Même placés à un taux modeste, ces fonds devraient, selon
elle,
permettre au débirentier de conserver, voire d'améliorer son train de
vie,
tout en continuant de verser une contribution d'entretien d'un
montant de
10'000 fr. par mois. Le tribunal aurait par ailleurs considéré de
manière
insoutenable que la réglementation applicable à la contribution après
divorce
(art. 125 CC), et en particulier la question de la reprise ou de
l'augmentation de l'activité lucrative du crédirentier, devaient en
l'occurrence être prises en compte; elle se plaint en outre d'un
défaut de
motivation sur ce point.

2.1 Selon l'art. 176 al. 1 CC - auquel renvoie par analogie l'art.
137 al. 2
CC - le juge fixe la contribution pécuniaire à verser par l'une des
parties à
l'autre en application de l'art. 163 al. 1 CC. Conformément à la
jurisprudence, les deux époux doivent participer, chacun selon ses
facultés,
aux frais supplémentaires engendrés par l'existence parallèle de deux
ménages
(cf. ATF 114 II 13 consid. 5 p. 17). Lorsque le revenu des conjoints
ne
suffit pas à couvrir le minimum vital de la famille, leur fortune
peut être
prise en considération pour déterminer leur capacité financière (cf.
ATF 114
II 117 consid. 4 p. 122). En l'absence de déficit, seul le rendement
du
patrimoine entre en principe en ligne de compte (arrêt 5P.173/2002 du
29 mai
2002 consid. 5a, in FamPra 2002 p. 806 et les citations; Leuenberger,
in
Praxiskommentar Scheidungsrecht, 2000, n. 31 ad art. 137 CC et les
auteurs
cités). Suivant la fonction et la composition de la fortune des
époux, on
peut toutefois attendre du débiteur d'aliments - comme du créancier -
qu'il
en entame la substance. En particulier, si elle a été accumulée dans
un but
de prévoyance pour les vieux jours, il est justifié de l'utiliser pour
assurer l'entretien des époux après leur retraite; en revanche, tel
n'est en
principe pas le cas lorsque les biens patrimoniaux ne sont pas
aisément
réalisables, qu'ils ont été acquis par succession ou investis dans la
maison
d'habitation (ATF 129 III 7 consid. 3.1.2 p. 9/10 et l'auteur cité).
En tant
que le revenu du débiteur provient du produit de sa fortune, on ne
peut pas
partir d'un rendement hypothétique lorsque celui-ci a aliéné son
patrimoine -
pour quelque raison que ce soit - et qu'il n'est plus possible de le
reconstituer (ATF 117 II 16 consid. 1b p. 17).

2.2 En l'espèce, l'autorité cantonale a considéré qu'à la suite des
difficultés de son employeur, le salaire mensuel net du mari avait
été réduit
à 15'713 fr.15 dès le mois de novembre 2001. Depuis le 1er avril
2002, il
avait diminué son temps de travail à 80% à la demande de son syndicat
et
réalisait un gain net de 12'150 fr. en chiffre rond. Il avait
cependant
hérité d'une somme de 2'450'618 fr., après paiement des impôts
successoraux.
Le 26 avril 2002, il avait investi 2'200'000 fr. dans l'acquisition
d'un
petit hôtel de six à huit chambres, y compris le mobilier et le
matériel
d'exploitation de celui-ci. Une somme de 63'000 fr. avait servi au
paiement
de la contribution provisionnelle et le solde, de 160'000 fr., avait
été
placé sur un compte en vue d'effectuer des travaux de rénovation de
l'immeuble, pour un montant total de 760'000 fr.; à cet effet, une
cédule en
premier rang de 600'000 fr. avait été constituée. Le mari avait
expliqué
l'achat de cet hôtel, actuellement géré par son amie, par le fait
qu'à un
moment donné, il n'était pas certain de pouvoir garder son emploi de
pilote,
d'une part, et pour s'assurer une meilleure retraite, d'autre part,
ses
perspectives à cet égard étant moins bonnes à la suite de la faillite
de la
compagnie aérienne qui l'employait; il espérait que cet établissement
serait
rentable d'ici trois à quatre ans.

Le Tribunal d'arrondissement ne s'est pas prononcé sur l'application,
par le
juge de première instance, de la jurisprudence selon laquelle on ne
peut
partir d'un revenu hypothétique quand le débiteur d'aliments a aliéné
son
patrimoine. En effet, le train de vie mené par les époux durant le
mariage
constituait de toute manière la limite supérieure du droit à
l'entretien. Or,
dans le cas particulier, ledit train de vie se fondait uniquement sur
le
revenu du travail de chacun d'eux. Comme le mari avait perçu son
héritage
après la cessation de la vie commune, le juge de première instance
n'en avait
à juste titre pas tenu compte pour fixer la contribution litigieuse.
Le
tribunal a par ailleurs estimé, sur la base de l'arrêt paru aux ATF
128 III
65, que lorsqu'il n'y a pas lieu de s'attendre à une reprise de la vie
commune, les critères applicables à l'entretien après le divorce et,
en
particulier, la question de la reprise ou de l'augmentation de
l'activité
lucrative d'un époux doivent être pris en considération pour évaluer
l'entretien.

2.3 Contrairement à l'opinion de l'autorité cantonale, on ne voit pas
pourquoi, en cas de baisse de son activité lucrative, le débiteur ne
devrait
pas, à certaines conditions, mettre à contribution sa fortune pour
garantir
les besoins élémentaires de sa famille. Toutefois, le résultat auquel
est
parvenu cette juridiction ne saurait être qualifié d'arbitraire (ATF
128 I
177 consid. 2.1 p. 182; 127 I 54 consid. 2b p. 56 et les arrêts
cités). Un
débiteur d'entretien peut certes se voir imputer un revenu
hypothétique
supérieur à celui qu'il obtient effectivement de son travail ou de sa
fortune
lorsqu'il renonce volontairement ou par négligence à un revenu plus
élevé;
encore faut-il que l'augmentation de gain correspondante soit
possible et
qu'elle puisse raisonnablement être exigée de lui. La jurisprudence a
laissé
indécise la question de l'opportunité de subordonner la fixation d'un
revenu
hypothétique à de telles conditions lorsque le débiteur agit dans
l'intention
délibérée de nuire (ATF 128 III 4 consid. 4 p. 5/6 et les références).

En l'occurrence, un tel dessein de nuire n'est pas en cause et la
recourante
ne démontre pas, conformément aux exigences de motivation de l'art.
90 al. 1
let. b OJ (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités), que
les
conditions précitées seraient réalisées. En particulier, elle
n'établit pas
qu'il serait à la fois possible et raisonnable d'obliger le mari à
vendre
l'hôtel qu'il vient juste d'acquérir aux fins d'effectuer un placement
supposé plus avantageux dans l'immédiat. Elle se contente d'affirmer
que le
patrimoine de l'intimé, placé à un taux de 3,5 ou 4,5%, pourrait
rapporter à
celui-ci un revenu annuel de 84'700 fr. dans le premier cas et de
108'000 fr.
dans le second; elle expose en outre qu'un capital de 2'400'000 fr.
correspond, pour un homme de son âge, à une rente viagère de 119'920
fr. par
an. Cette critique est purement appellatoire et ne peut dès lors être
prise
en compte (ATF 117 Ia 10 consid. 4b p. 11/12). Il n'apparaît pas non
plus
manifestement insoutenable de permettre à l'intimé d'affecter le
solde de son
héritage, d'un montant de 160'000 fr., à des travaux de rénovation de
son
établissement, dont le caractère nécessaire n'est pas contesté. Enfin,
l'utilisation de la cédule hypothécaire de 600'000 fr. à des fins
d'entretien
reviendrait à mettre à contribution non seulement le produit, mais
aussi la
substance du patrimoine du débirentier, ce qui n'est en principe pas
justifié
s'agissant de biens acquis par succession; au demeurant, la
recourante ne
prétend pas que son minimum vital du droit des poursuites et celui de
ses
enfants ne seraient pas couverts (cf. supra consid. 2.1), mais se
contente
d'affirmer que depuis le 1er avril 2002, elle ne dispose plus, après
paiement

des intérêts hypothécaires, que d'une somme de 4'366 fr. par mois.

La décision attaquée échappe ainsi au grief d'arbitraire, sans qu'il
soit
nécessaire d'examiner les critiques de la recourante relatives à une
éventuelle augmentation de son activité lucrative, que l'arrêt
attaqué ne
paraît du reste pas envisager concrètement.

En conclusion, le recours se révèle mal fondé et doit par conséquent
être
rejeté, dans la mesure où il est recevable. Les frais de la procédure
seront
supportés par la recourante, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y
a pas
lieu d'allouer des dépens, des observations n'ayant pas été requises.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et au
Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois.

Lausanne, le 10 mars 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5P.439/2002
Date de la décision : 10/03/2003
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-03-10;5p.439.2002 ?
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