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28/02/2003 | SUISSE | N°2P.237/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 28 février 2003, 2P.237/2002


2P.237/2002/elo
{T 0/2}

Arrêt du 28 février 2003
IIe Cour de droit public

MM. les Juges Wurzburger, Président,
Hungerbühler et Zappelli, Juge suppléant.
Greffier: M. Addy.

N. ________, recourante,
représentée par Me Pierre Lièvre, avocat et notaire, rue P. Péquignat
12,
case postale 65, 2900 Porrentruy 2,

contre

Caisse de compensation des médecins, dentistes et vétérinaires,
Oberer Graben
37, Case postale 148,
9001 St. Gallen, intimée,
Tribunal cantonal de la République e

t canton du Jura, Chambre des
assurances,
Le Château,
2900 Porrentruy.

art. 9 Cst. (allocations familiales),

...

2P.237/2002/elo
{T 0/2}

Arrêt du 28 février 2003
IIe Cour de droit public

MM. les Juges Wurzburger, Président,
Hungerbühler et Zappelli, Juge suppléant.
Greffier: M. Addy.

N. ________, recourante,
représentée par Me Pierre Lièvre, avocat et notaire, rue P. Péquignat
12,
case postale 65, 2900 Porrentruy 2,

contre

Caisse de compensation des médecins, dentistes et vétérinaires,
Oberer Graben
37, Case postale 148,
9001 St. Gallen, intimée,
Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Chambre des
assurances,
Le Château,
2900 Porrentruy.

art. 9 Cst. (allocations familiales),

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal cantonal de la
République
et canton du Jura, Chambre des assurances, du 12 septembre 2002.

Faits:

A.
Le 7 août 1995, N.________ a mis au monde l'enfant A.________. Elle a
ensuite
épousé, le 26 septembre 1998, le père de l'enfant, dont elle a pris
le nom de
famille. Entre-temps, elle a été engagée par le docteur X.________, à
Delémont, en qualité d'aide médicale à 100% à partir du 1er décembre
1997.

Par décision du 31 janvier 1998, la Caisse de compensation des
médecins,
dentistes et vétérinaires (ci-après: la Caisse) a accordé à
N.________ des
allocations familiales et de ménage, avec effet rétroactif au 1er
décembre
1997. Après s'être assurée que le père de l'enfant, domicilié et
travaillant
en France, ne touchait pas d'allocations familiales dans ce pays, la
Caisse a
confirmé, le 20 janvier 1999, l'octroi des allocations pour l'enfant
A.________.

Le 30 novembre 2001, N.________ a annoncé à la Caisse la naissance
d'une
deuxième fille, B.________, née le 5 novembre 2001, en demandant que
des
allocations familiales lui soient dorénavant versées pour ses deux
enfants.
Elle a joint à sa demande une attestation de la Caisse d'allocations
familiales du Haut-Rhin, à Mulhouse, certifiant que les prestations
familiales du régime français n'étaient pas servies pour les enfants
A.________ et B.________.

Par décision du 10 décembre 2001, la Caisse a mis fin au versement des
allocations familiales pour l'enfant A.________ à compter du 30
novembre
2001. Elle a motivé sa décision par la circonstance que, dès le 1er
décembre
2001, le père des enfants devait recevoir des allocations pour
ceux-ci de la
part de son employeur français, à Mulhouse.

B.
N.________ a recouru contre la décision administrative précitée du 10
décembre 2001.

Par arrêt du 12 septembre 2002, la Chambre des assurances du Tribunal
cantonal du canton du Jura (ci-après: le Tribunal cantonal) a rejeté
le
recours, en considérant que la loi jurassienne du 20 avril 1989 sur
les
allocations familiales (ci-après citée: LAll ou loi cantonale)
déniait le
droit à des allocations familiales au requérant qui bénéficiait déjà
de
prestations de même nature en vertu d'une autre réglementation. Or,
tel était
bien le cas de la recourante, puisqu'elle avait touché - à partir
d'une date
ne ressortant pas du dossier - des allocations familiales françaises
pour ses
deux enfants, étant revenue sur sa décision d'y renoncer après que la
Caisse
eut mis fin à ses prestations à partir du 30 novembre 2001.
L'intéressée ne
pouvait donc pas bénéficier de la jurisprudence du Tribunal cantonal
selon
laquelle un frontalier domicilié en France travaillant dans le canton
du Jura
peut prétendre au versement d'allocations familiales jurassiennes s'il
renonce aux allocations familiales françaises.

C.
N. ________ saisit le Tribunal fédéral d'un recours de droit public,
en
concluant, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt
précité
rendu le 12 septembre 2002 par le Tribunal cantonal. Elle invoque la
protection contre l'arbitraire et la protection de la bonne foi
garanties à
l'art. 9 Cst.

Le Tribunal cantonal conclut au rejet du recours, tandis que la
Caisse a
renoncé à déposer des observations.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 128 I 177 consid. 1
p. 179,
46 consid. 1a p. 48; 128 II 66 consid. 1 p. 67, 56 consid. 1 p. 58 et
les
références).

1.1 Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre
une
décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des
citoyens
(art. 84 al. 1 let. a OJ).

L'arrêt rendu par la cour cantonale, qui est final, n'est susceptible
d'aucun
autre moyen de droit sur le plan fédéral ou cantonal dans la mesure
où la
recourante se prévaut de la violation directe d'un droit de rang
constitutionnel, de sorte que la règle de subsidiarité du recours de
droit
public est respectée (art. 84 al. 2 et 86 al. 1 OJ).

En outre, la recourante est personnellement touchée par l'arrêt atta-
qué,
qui confirme une décision de refus de lui allouer des allocations
familiales,
de sorte qu'elle a un intérêt personnel, actuel et juridiquement
protégé à
faire contrôler la constitutionnalité de cet acte; elle a donc
qualité pour
recourir (art. 88 OJ).

1.2 Pour le surplus, déposé en temps utile (art. 89 al. 1 OJ), le
recours en
est principe recevable, sous la réserve que, saisi d'un recours de
droit
public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs d'ordre
constitutionnel
invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (art. 90 al.
1 let. b
OJ; ATF 127 I 38 consid. 3c p. 43 et les références).

2.
La recourante estime que l'arrêt attaqué est contraire à l'art. 9
Cst. qui
dispose que "toute personne a le droit d'être traitée par les organes
de
l'Etat sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi."
2.1Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une règle
ou un
principe juridique clair et indiscuté ou lorsqu'elle contredit d'une
manière
choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. Le Tribunal
fédéral ne
s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière
instance
que si elle est insoutenable, en contradiction évidente avec la
situation de
fait, si elle a été adoptée sans motifs objectifs ou en violation
d'un droit
certain; par ailleurs, il ne suffit pas que les motifs de la décision
attaquée soient insoutenables, encore faut-il que celle-ci soit
arbitraire
dans son résultat (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 127 I 60 consid. 5a
p. 70;
125 I 166 consid. 2a p. 168 et les arrêts cités). La nouvelle
Constitution
n'a pas amené de changement à cet égard (cf. art. 8 et 9 Cst.; ATF
126 I 168
consid. 3a p. 170).

2.2 Aux termes de l'art. premier al. 1er LAll, "tout salarié qui doit
subvenir à l'entretien d'un ou de plusieurs enfants et qui travaille
au
service d'un employeur soumis à la présente loi a droit aux
allocations
familiales, sous réserve des exceptions prévues ci-après." Ces
exceptions
sont énumérées à l'art. 2 LAll, qui dispose notamment, sous lettre c,
que
"n'a pas droit aux allocations familiales celui qui est au bénéfice
d'allocations versées sur la base de toute autre réglementation."

Selon la jurisprudence du Tribunal cantonal, citée dans l'arrêt
attaqué, un
frontalier domicilié en France qui travaille en Suisse peut
bénéficier des
allocations familiales jurassiennes, pour autant qu'il renonce aux
allocations familiales françaises (cf. RJJ 2001 p. 307 ss). Comme la
recourante avait, dans un premier temps, "valablement renoncé aux
allocations
françaises", les premiers juges en ont conclu que la décision de la
Caisse
était "erronée" lorsqu'elle a été rendue. Du moment toutefois que
l'intéressée était, dans un second temps, revenue sur sa décision de
renoncer
aux allocations familiales françaises, ils ont estimé qu'elle ne
pouvait pas
bénéficier de la jurisprudence précitée mais qu'elle devait au
contraire se
laisser opposer l'art. 2 al. 2 lettre c LAll.

2.3 La recourante reproche à la Cour cantonale d'avoir omis de tenir
compte
du fait, pourtant dûment allégué, qu'elle n'avait jamais renoncé à
toucher
des allocations familiales en Suisse et que c'est seulement parce que
la
Caisse avait mis fin, d'une manière contraire au droit, au versement
de
telles prestations à partir du 30 novembre 2001, qu'elle avait été
contrainte, vu la diminution de son revenu, de demander sa
réaffiliation à la
Caisse d'allocations familiales du Haut-Rhin.

Elle tient en outre l'arrêt attaqué pour contraire au principe de la
bonne
foi car, tout en admettant qu'au moment où la Caisse lui a refusé le
droit à
des allocations sa décision était "erronée", les juges cantonaux la
déboutent
tout de même au motif que, postérieurement et en raison même de cette
décision erronée, elle a requis et obtenu le versement d'allocations
familiales françaises.

2.4 La question du respect du principe de la bonne foi peut demeurer
ouverte,
car le recours doit être admis, l'arrêt attaqué devant être qualifié
d'arbitraire au sens de la jurisprudence rappelée ci-dessus.

Il est en effet établi que la recourante avait, comme cela lui avait
été
prescrit pour ses demandes antérieures, renoncé à percevoir des
allocations
familiales en France afin de pouvoir bénéficier de telles prestations
en
Suisse, et qu'elle avait produit une attestation dans ce sens émanant
de la
Caisse d'allocations familiales du Haut-Rhin. L'instruction a
également
révélé que la recourante ne s'était résolue à revenir sur sa décision
de
renoncer aux allocations familiales françaises et qu'elle ne les avait
sollicitées à nouveau qu'après que la Caisse eut refusé toute
prestation à
partir du 30 novembre 2001. Selon les éléments au dossier, il semble
que ce
refus trouve son origine dans une directive no 13 de l'Office des
assurances
sociales du canton du Jura du 16 janvier 2001 (ci-après: la
Directive), dont
on peut extraire le passage suivant:

"(...) En effet, il a été relevé que la renonciation aux allocations
familiales en France n'a aucune valeur juridique. Par conséquent,
pour les
ressortissants des départements ci-dessus [dont le Haut-Rhin], à
l'exception
de ceux qui ont renoncé avant le 1er janvier 2001 au droit français,
aucune
allocation familiale suisse ne devra leur être versée. Nous vous
rappelons
que les travailleurs frontaliers n'ayant qu'un seul enfant de plus de
trois
ans ne sont pas concernés par cette procédure, vu que le droit aux
prestations familiales en France n'existe pas [pour les familles à
enfant
unique]."

Il apparaît ainsi que la nouvelle pratique de la Caisse s'écarte de la
jurisprudence du Tribunal cantonal qui considère qu'une renonciation
au
régime français des allocations familiales ouvre le droit aux
allocations
familiales jurassiennes. Dès lors, à défaut d'approuver cette nouvelle
pratique, la Cour cantonale, si elle maintenait sa jurisprudence,
n'avait
d'autre choix que d'annuler la décision de la Caisse. En effet, les
premiers
juges ne pouvaient tenir rigueur à la recourante d'être revenue sur sa
renonciation aux allocations familiales françaises, dès lors que cette
rétractation procédait précisément, comme on l'a vu, du refus même de
toute
prestation opposé à la recourante par la Caisse, refus que les
premiers juges
tiennent eux-mêmes pour "erroné"; par ailleurs, ce refus plaçait
assurément
la recourante dans une situation difficile, dans la mesure où elle
risquait,
si elle ne demandait pas des prestations en France, de se retrouver
sans
allocations familiales, du moins pendant la durée de la procédure
qu'elle
devait engager contre la Caisse.

En résumé, le fait que, pour rejeter le recours dont il était saisi,
le
Tribunal cantonal ait tiré argument des dispositions prises par la
recourante
(rétractation de sa renonciation aux allocations familiales
françaises) en
vue de parer aux difficultés consécutives à la décision de la Caisse,
qualifiée d'"erronée", heurte gravement le sentiment de la justice et
de
l'équité, et justifie l'admission du recours.

2.5 De surcroît, la recourante s'est déclarée prête à rembourser les
allocations familiales françaises dont elle avait bénéficié. Certes.
contrairement à la loi cantonale, la législation française autorise en
principe, semble-t-il, le cumul des allocations, ce qui a pour
conséquence
que la recourante ne peut, juridiquement, être contrainte de
rembourser les
allocations familiales perçues en France (arrêt attaqué, ch. 3 p. 4).
Il n'y
a toutefois là matière à mettre en doute ni la sincérité des
intentions
affichées par la recourante ni la possibilité pratique de les
concrétiser.
Il appartiendra à l'autorité cantonale de faire en sorte et de
s'assurer que
la recourante respecte l'engagement qu'elle a pris de rembourser les
allocations familiales françaises déjà perçues, afin qu'elle puisse
ensuite
obtenir le versement des allocations familiales jurassiennes
auxquelles la
loi et la jurisprudence lui donnent droit.

2.6 Il suit de ce qui précède que le recours doit être admis et
l'arrêt du 12
septembre 2002 annulé.

La Caisse, qui succombe, est tenue au paiement des frais judiciaires
et
versera à la recourante une indemnité à titre de dépens (art. 156 al.
1 et
159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt du 12 septembre 2002 est annulé.

2.
Un émolument judiciaire de 1'000 fr. est mis à la charge de la Caisse
de
compensation des médecins, dentistes et vétérinaires, à Saint-Gall.


3.
La Caisse de compensation des médecins, dentistes et vétérinaires, à
Saint-Gall, versera à la recourante une indemnité de 1'500 fr. à
titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la
recourante, à la
Caisse de compensation des médecins, dentistes et vétérinaires, à
Saint-Gall,
et au Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Chambre
des
assurances.

Lausanne, le 28 février 2003

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2P.237/2002
Date de la décision : 28/02/2003
2e cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-02-28;2p.237.2002 ?
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