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13/02/2003 | SUISSE | N°5A.23/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 13 février 2003, 5A.23/2002


{T 0/2}
5A.23/2002 /frs

Arrêt du 13 février 2003
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Raselli, président,
Nordmann, Escher, Meyer, Marazzi,
greffier Abrecht.

D. ________,
recourante, représentée par Me Jean-Michel Henny, avocat, place
Saint-François 11, case postale 3485, 1002 Lausanne,

contre

T.________
intimée, représentée par Me Christian Fischer, avocat, avenue
Juste-Olivier
9, 1006 Lausanne,

S._______
intimée, représentée par Me Robert Liron, avocat, rue des Remp

arts 9,
1400
Yverdon-les-Bains,

Tribunal administratif du canton de Vaud, avenue Eugène-Rambert 15,
1014
Lausanne....

{T 0/2}
5A.23/2002 /frs

Arrêt du 13 février 2003
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Raselli, président,
Nordmann, Escher, Meyer, Marazzi,
greffier Abrecht.

D. ________,
recourante, représentée par Me Jean-Michel Henny, avocat, place
Saint-François 11, case postale 3485, 1002 Lausanne,

contre

T.________
intimée, représentée par Me Christian Fischer, avocat, avenue
Juste-Olivier
9, 1006 Lausanne,

S._______
intimée, représentée par Me Robert Liron, avocat, rue des Remparts 9,
1400
Yverdon-les-Bains,

Tribunal administratif du canton de Vaud, avenue Eugène-Rambert 15,
1014
Lausanne.

décision en constatation selon l'art. 84 LDFR,

recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal
administratif du
canton de Vaud du 28 août 2002.

Faits:

A.
M.________, décédé le 22 octobre 1995, a laissé pour héritières sa
veuve
S.________, sa fille T.________ et sa petite-fille D.________. Il
était
propriétaire d'immeubles d'une surface totale de 69'312 m2,
comprenant d'une
part diverses parcelles sises en zone agricole des communes de
X.________ et
Z.________, et d'autre part la parcelle n° x de la commune de
X.________.
Cette dernière parcelle, située pour partie en zone constructible et
pour
partie en zone agricole, est bâtie d'une ferme rénovée comportant
plusieurs
logements d'une surface totale de 300 m2.

B.
Dans le cadre de la procédure de partage pendante devant le Président
du
Tribunal d'arrondissement de la Broye et du Nord vaudois, T.________,
dont le
mari est exploitant agricole, a demandé l'attribution à la valeur de
rendement de l'ensemble des immeubles compris dans la succession de
son père.
Elle a exposé que ces immeubles constituaient une entreprise agricole
dont
elle et son mari avaient assuré l'exploitation depuis de nombreuses
années,
respectivement qu'ils constituaient le centre de l'exploitation de
tout leur
domaine agricole, qui incluait d'autres terres apportées ou prises à
bail par
son mari. Le 3 avril 2001, le Président du Tribunal d'arrondissement a
imparti au conseil de T.________ un délai de trente jours "pour
saisir la
Commission foncière rurale de la manière dont il l'entend".

C.
Par requête du 2 mai 2001, T.________ a demandé à la Commission
foncière
rurale, section I, de constater qu'avec les immeubles exploités par
son mari,
les immeubles de la succession constituaient une entreprise agricole
(I), de
constater qu'elle était fondée à en obtenir l'attribution à la valeur
de
rendement, subsidiairement au double de cette valeur (II), et de
fixer la
valeur de rendement des parcelles en cause (III).

Dans ses déterminations sur cette requête, D.________ a conclu
principalement
à l'irrecevabilité des conclusions I et II, en exposant que le juge du
partage était seul compétent pour statuer sur ces questions. A titre
subsidiaire, elle a requis la Commission foncière rurale de constater
le
contraire de ce que la requérante demandait dans ses conclusions I et
II.

Par décision du 28 septembre 2001, la Commission foncière rurale, se
fondant
notamment sur une expertise qu'elle avait demandée d'office, a
constaté que
les immeubles de la succession ne constituaient pas une entreprise
agricole
au sens de l'art. 7 de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur le droit
foncier
rural (LDFR; RS 211.412.11) et n'étaient par conséquent pas soumis à
l'interdiction de partage matériel (I). Elle a en outre fixé la
valeur de
rendement de la surface en nature de prés-champs des immeubles de la
succession à 17'395 fr. et celle des bâtiments édifiés sur la
parcelle n° x
de X.________ à 740'000 fr. (II). Pour le surplus, elle a considéré
que seul
le juge du partage était compétent pour statuer sur l'objet de la
conclusion
II de la requête.

D.
T.________ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal
administratif
du canton de Vaud. La Commission foncière rurale et S.________ ont
conclu au
rejet du recours. D.________ a conclu au rejet du recours et à la
confirmation de la décision du 28 septembre 2001.

Par arrêt du 28 août 2002, le Tribunal administratif a réformé le
chiffre I
du dispositif de la décision du 28 septembre 2001 en ce sens qu'il a
déclaré
irrecevables les conclusions de la requête de T.________ du 2 mai 2001
tendant à faire constater d'une part l'existence d'une entreprise
agricole et
d'autre part la faculté d'en obtenir l'attribution à la valeur de
rendement
ou au double de cette valeur. Il a en outre annulé le chiffre II du
dispositif de la décision de la Commission foncière rurale et renvoyé
la
cause à cette autorité pour nouvelle décision dans le sens des
considérants.

S'agissant de l'irrecevabilité des conclusions en constatation de
l'existence
d'une entreprise agricole ¿ seul point litigieux devant le Tribunal
fédéral ¿
ainsi que de la faculté d'en obtenir l'attribution à la valeur de
rendement
ou au double de cette valeur, le Tribunal administratif a considéré
que seul
le juge du partage était compétent pour trancher la question de
savoir "s'il
existe une entreprise agricole imputable sur la part d'un héritier
exploitant
ou si un héritier a droit à l'attribution d'un immeuble agricole",
tandis que
le rôle de la Commission foncière rurale se bornait à estimer la
valeur de
rendement. Selon le Tribunal administratif, la Commission foncière
rurale
était certes habilitée par l'art. 84 LDFR à rendre des décisions de
constatation, notamment sur le point de savoir si une entreprise ou un
immeuble agricole était soumis à l'interdiction de partage matériel,
ce qui
impliquait de statuer à titre préalable sur l'existence d'une telle
entité
agricole. Toutefois, elle n'intervenait alors qu'en sa qualité
d'autorité
cantonale compétente en matière d'autorisation au sens de l'art. 83
al. 1
LDFR, dans les seules causes susceptibles d'être examinées en vertu
des
dispositions de droit public de la LDFR; en revanche, pour les causes
relevant du droit privé ¿ ainsi lorsqu'il était question de
l'exercice d'un
droit de préemption ou, comme en l'espèce, du droit à l'attribution
dans une
succession ¿, le juge civil était seul compétent.

E.
Agissant par la voie du recours administratif au Tribunal fédéral,
D.________
conclut à l'admission de son recours (I) et à la réforme de l'arrêt du
Tribunal administratif en ce sens qu'il soit constaté que les
immeubles de la
succession ne constituent pas une entreprise agricole au sens de
l'art. 7
LDFR et ne sont dès lors pas soumis à l'interdiction de partage
matériel de
l'art. 58 LDFR (IIa), que la parcelle n° x de X.________ peut faire
l'objet
d'un morcellement au sens de l'art. 60 let. a LDFR (IIb), et que la
valeur de
rendement de la surface en nature de prés-champs des immeubles de la
succession est fixée à 17'395 fr. (IIc). A titre subsidiaire, la
recourante
conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause au
Tribunal administratif pour nouvelle décision dans le sens des
considérants
(III).

Dans sa réponse au recours, T.________ conclut avec suite de frais et
dépens
principalement au rejet du recours et subsidiairement à l'annulation
de
l'arrêt attaqué. Renonçant à déposer une réponse, S.________ s'est
bornée à
porter à la connaissance du Tribunal fédéral qu'elle adhérait
purement et
simplement aux conclusions de la recourante. Le Tribunal administratif
propose le rejet du recours en se référant aux considérants de son
arrêt.
L'Office fédéral de la justice (Office chargé du droit du registre
foncier et
du droit foncier) conclut à l'admission des conclusions I et IIa,
subsidiairement de la conclusion III, du recours et s'en remet à
Justice pour
le surplus.

le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 L'arrêt entrepris est une décision au sens de l'art. 5 de la loi
fédérale sur la procédure administrative (PA; RS 172.021); prononcé en
dernière instance cantonale, il peut faire l'objet d'un recours de
droit
administratif au Tribunal fédéral (art. 97 al. 1 et 98 let. g OJ),
dès lors
qu'un tel recours n'est pas exclu par les art. 99 à 102 OJ. L'art. 89
LDFR
prévoit d'ailleurs expressément la voie du recours de droit
administratif au
Tribunal fédéral contre les décisions sur recours prises par les
autorités
cantonales de dernière instance au sens des art. 88 al. 1 et 90 let.
f LDFR.

1.2 Selon l'art. 103 let. a OJ, a qualité pour recourir par la voie
du
recours de droit administratif au Tribunal fédéral quiconque est
atteint par
la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à ce qu'elle
soit
annulée ou modifiée. Lorsque la qualité pour recourir est fondée sur
cette
disposition, comme c'est le cas en l'espèce, il est requis que le
recourant
ait participé à la procédure devant l'instance inférieure et que les
conclusions qu'il avait formulées devant celle-ci aient été rejetées
en tout
ou en partie (exigence de l'"atteinte formelle" ou "lésion formelle,
en
allemand "formelle Beschwer"; ATF 116 Ib 418 consid. 3a; 123 II 115
consid.
2a; 121 II 359 consid. 1b/aa; 118 Ib 356 consid. 1a; Fritz Gygi,
Bundesverwaltungsrechtspflege, 2e éd., 1983, p. 150 et 155; André
Grisel,
Traité de droit administratif, vol. II, 1984, p. 900).

En l'occurrence, en tant qu'il a déclaré irrecevables les conclusions
I et II
de la requête de T.________ du 2 mai 2001 ¿ qui tendaient à faire
constater
l'existence d'une entreprise agricole (I) et la faculté d'en obtenir
l'attribution à la valeur de rendement ou au double de cette valeur
(II) ¿,
le Tribunal administratif a rendu une décision qui correspond
exactement aux
conclusions que D.________ avait prises à titre principal devant la
Commission foncière rurale. Toutefois, devant le Tribunal
administratif,
D.________ a conclu à la confirmation de la décision par laquelle la
Commission foncière rurale a notamment constaté que les immeubles de
la
succession ne constituaient pas une entreprise agricole au sens de
l'art. 7
LDFR et n'étaient par conséquent pas soumis à l'interdiction de
partage
matériel. Dès lors, la recourante est formellement lésée (beschwert)
par
l'arrêt du Tribunal administratif réformant cette décision.

1.3 Il reste à examiner si la recourante a un intérêt digne de
protection à
ce que cet arrêt soit annulé ou modifié (art. 103 let. a OJ). En tant
que
partie à une procédure de partage successoral dans laquelle est
litigieuse
l'attribution à la valeur de rendement de l'ensemble des immeubles
compris
dans la succession, la recourante a un intérêt digne de protection à
faire
trancher la question de savoir si ces immeubles constituent ou non une
entreprise agricole. Ayant ainsi un intérêt légitime à obtenir sur ce
point
une décision de constatation au sens de l'art. 84 LDFR (cf. consid.
2.1
infra), la recourante est du même coup légitimée à recourir contre
une telle
décision, même si celle-ci a été rendue sur requête d'une autre
partie. La
notion d'intérêt digne de protection au sens de l'art. 103 let. a OJ
concorde
en effet avec celle d'intérêt légitime utilisée à l'art. 84 LDFR, les
textes
allemand et italien utilisant d'ailleurs la même expression
("schutzwürdiges
Interesse", "interesso degno di protezione") dans les deux
dispositions.

2.
La recourante reproche au Tribunal administratif d'avoir violé le
droit
fédéral en déclarant irrecevables les conclusions en constatation de
l'existence d'une entreprise agricole pour le motif que seul le juge
du
partage était compétent pour trancher cette question.

2.1 Aux termes de l'art. 84 LDFR, celui qui y a un intérêt légitime
peut en
particulier faire constater par l'autorité compétente en matière
d'autorisation si: (a) une entreprise ou un immeuble agricole est
soumis à
l'interdiction de partage matériel, à l'interdiction de morcellement,
à la
procédure d'autorisation ou au régime de la charge maximale; (b)
l'acquisition d'une entreprise ou d'un immeuble agricole peut être
autorisée.

L'utilisation des termes "en particulier" ne laisse aucun doute sur
le fait
que cette énumération n'est pas exhaustive. La doctrine admet que, de
manière
générale, toutes les causes susceptibles d'être examinées en vertu des
dispositions de droit public de la LDFR peuvent faire l'objet d'une
décision
de constatation au sens de l'art. 84 LDFR; s'y ajoutent toutes les
questions
en rapport avec le champ d'application à raison du lieu (art. 2-5
LDFR),
comme par exemple la question de savoir si un bien-fonds est (ou non)
assujetti à la LDFR (Beat Stalder, Le droit foncier rural,
Commentaire de la
loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991, Brugg 1998
[ci-après: Commentaire LDFR], n. 4 ad art. 84 LDFR; Reinhold Hotz,
Verfahrensrechtliche Probleme bei der Konkretisierung allgemeiner
Begriffe
des bäuerlichen Bodenrechts, in Communications de droit agraire 2001
p. 67
ss, n. 9.2 p. 76).

Peuvent également faire l'objet d'une décision de constatation les
notions
définies aux articles 6 à 10 LDFR: il est ainsi possible de faire
constater
s'il s'agit (ou non) d'un immeuble agricole au sens de l'art. 6 LDFR
ou d'une
entreprise agricole au sens de l'art. 7 LDFR, ou si une personne
remplit (ou
non) les conditions d'une exploitation à titre personnel conformément
à
l'art. 9 LDFR (Stalder, Commentaire LDFR, n. 4 ad art. 84 LDFR; Hotz,
op.
cit., n. 9.2 p. 76).

En revanche, les questions de droit privé
¿ comme par exemple celle
de savoir
s'il y a cas de préemption ou si les conditions personnelles et
objectives de
l'exercice du droit de préemption ou du droit à l'attribution sont
remplies ¿
ne peuvent pas faire l'objet d'une décision de constatation au sens
de l'art.
84 LDFR et doivent être tranchées par le juge civil (Stalder,
Commentaire
LDFR, n. 5 ad art. 84 LDFR; Hotz, op. cit., n. 9.3 p. 76).

2.2 Les dispositions générales de la LDFR définissent quatre notions
¿
celles de l'immeuble agricole (art. 6 LDFR), de l'entreprise agricole
(art. 7
et 8 LDFR), de l'exploitation à titre personnel (art. 9 LDFR) et de
la valeur
de rendement (art. 10 LDFR) ¿ qui sont utilisées de manière uniforme
dans
l'ensemble de la loi, aussi bien dans ses dispositions de droit
public que
dans celles de droit privé (Hotz, op. cit., n. 10.1 p. 77; Message du
Conseil
fédéral à l'appui du projet de loi fédérale sur le droit foncier
rural, FF
1988 III 889 ss, 903). Il se pose dès lors la question de savoir qui,
des
tribunaux civils ou des autorités administratives respectivement des
tribunaux administratifs, va concrétiser dans le cas d'espèce ces
notions
générales lorsqu'elles sont utilisées dans des dispositions de droit
privé de
la loi (Hotz, op. cit., n. 10.2 p. 77 et n. 16.1 p. 83).

Les dispositions de droit privé de la LDFR règlent, selon l'intitulé
du titre
deuxième de cette loi, les restrictions de droit privé dans les
rapports
juridiques concernant les entreprises et les immeubles agricoles:
dans le
partage successoral, dans la fin de la propriété collective fondée
sur un
contrat et dans les contrats d'aliénation (Hotz, op. cit., n. 16.2 p.
83).
Toutefois, ces restrictions de droit privé, tout comme les
restrictions de
droit public figurant au titre troisième de la LDFR, ont été édictées
en vue
d'atteindre les buts mentionnés à l'art. 1 LDFR (Benno Studer,
Commentaire
LDFR, remarques préalables aux articles 11-27 LDFR), dans l'idée que
ces
buts, d'intérêt public, ne sont pas ¿ ou ne sont qu'insuffisamment ¿
réalisés
par le droit ordinaire (Hotz, op. cit., n. 16.2 p. 83; le même,
Commentaire
LDFR, n. 1 ad art. 1 LDFR). Ainsi, qualifier dans un cas d'espèce un
bien-fonds d'immeuble agricole au sens de l'art. 6 LDFR ou une
exploitation
d'entreprise agricole au sens de l'art. 7 LDFR revient à déterminer
s'il faut
ou non, dans l'intérêt public, les soumettre aux restrictions (de
droit
public et privé) prévues par la LDFR; de même, constater concrètement
qu'une
personne remplit (ou non) les critères de l'exploitation à titre
personnel au
sens de l'art. 9 LDFR revient à résoudre la question, de politique
foncière,
de savoir s'il est dans l'intérêt public que cette personne en
particulier
puisse acquérir une entreprise agricole à la valeur de rendement
(Hotz,
Verfahrensrechtliche Probleme, n. 11.4 p. 78, 12.2 p. 79, 13.3 p. 81
et 16.6
p. 84).

Il s'ensuit que lorsqu'un tribunal civil, appelé à trancher des
questions qui
relèvent en principe du droit privé, concrétise des notions générales
de la
LDFR ¿ à l'exception de la valeur de rendement, qui, en vertu de
l'art. 87
LDFR, est fixée dans tous les cas par l'autorité administrative, d'une
manière qui lie le juge civil (Message précité du Conseil fédéral, FF
1988
III 999; Eduard Hofer, Commentaire LDFR, n. 2 ad art. 87 LDFR; Hotz,
Verfahrensrechtliche Probleme, n. 14.4 p. 82 et n. 18.2 p. 86) ¿, il
remplit
une tâche de droit public en tant qu'il répond à des questions de
politique
agraire et foncière qui relèvent de l'intérêt public (Hotz,
Verfahrensrechtliche Probleme, n. 16.7 p. 85). En même temps, dès
lors que
cette concrétisation ressortit au droit public, elle peut, sans
réserve,
faire l'objet d'une décision de constatation au sens de l'art. 84
LDFR (Hotz,
Verfahrensrechtliche Probleme, n. 17.1 et 17.2 p. 85 s.),
conformément au
principe général exposé plus haut (cf. consid. 2.1 supra).

2.3 Il convient par conséquent d'examiner comment les compétences
concurrentes du juge civil et de l'autorité administrative pour
concrétiser
les notions générales de la LDFR ¿ à l'exception de la valeur de
rendement,
toujours fixée par l'autorité administrative ¿ doivent s'articuler
entre
elles.

Généralement, la décision du juge civil qui aura nécessité la
concrétisation
de notions générales de la LDFR devra de toute manière être suivie
par une
décision de l'autorité administrative compétente en matière
d'autorisation,
avec le risque de décisions contradictoires. Ainsi, par exemple, le
fermier
qui obtient gain de cause devant le juge civil en ce qui concerne
l'exercice
de son droit de préemption sur une entreprise agricole, ce qui aura
nécessité
la concrétisation des notions d'entreprise agricole et d'exploitation
à titre
personnel (cf. art. 47 al. 1 LDFR), devra encore obtenir de l'autorité
administrative l'autorisation d'acquérir (art. 61 LDFR; Hotz,
Commentaire
LDFR, n. 26 ad art. 47 LDFR; Stalder, Commentaire LDFR, n. 20 ad art.
62
LDFR), ce qui impliquera une nouvelle concrétisation de ces notions
(cf. art.
63 al. 1 let. a LDFR). De même, dans un cas tel que la présente
espèce, où le
juge civil doit notamment concrétiser la notion d'entreprise agricole
(cf.
art. 11 al. 1 LDFR), si le procès successoral aboutit à un partage
matériel,
l'autorité administrative appelée à statuer sur l'interdiction de
partage
matériel devra à son tour concrétiser la notion d'entreprise agricole
(cf.
art. 58 al. 1 LDFR).

Or, si l'on admet que la concrétisation des notions générales de la
LDFR,
ressortissant au droit public (cf. consid. 2.2 supra), est
naturellement de
la compétence matérielle de l'autorité administrative et que, dans un
procès
civil, elle ne constitue qu'une question préjudicielle de droit
public (Hotz,
op. cit., n. 18.2 p. 86 s.), l'autorité administrative matériellement
compétente n'est pas liée par la décision préjudicielle du juge civil
(cf.
Ulrich Häfelin/Georg Müller, Allgemeines Verwaltungsrecht, 4e éd.,
2002, n.
69), de sorte que le risque de décisions contradictoires est réel.
C'est
pourquoi, même si le juge civil est habilité à concrétiser à titre
préjudiciel les notions générales de la LDFR ¿ à l'exception
susmentionnée de
la valeur de rendement ¿ tant que l'autorité administrative
matériellement
compétente n'a pas statué (Hotz, Verfahrensrechtliche Probleme, n.
18.2 p. 86
s.), il apparaît préférable, dans le cas où une partie au procès
civil a
saisi l'autorité administrative d'une demande de constatation portant
sur la
concrétisation dans le cas d'espèce d'une notion générale de la LDFR
qui est
pertinente pour l'issue du procès civil, que le juge civil suspende la
procédure jusqu'à la décision sur la demande de constatation (Hotz,
Verfahrensrechtliche Probleme, n. 18.3 p. 87). Cela permet en effet
d'éviter
des décisions contradictoires, puisque le juge civil est alors en
principe
lié par la décision de l'autorité administrative (Hotz,
Verfahrensrechtliche
Probleme, n. 18.2 p. 86), laquelle est en principe elle-même liée par
sa
propre décision dans le cadre d'une procédure d'autorisation
subséquente
(Stalder, Commentaire LDFR, n. 9 ad art. 84 LDFR).

En tout cas, l'autorité administrative saisie de conclusions en
constatation
portant sur la concrétisation de notions générales de la LDFR qui sont
pertinentes pour l'issue d'un procès civil pendant ne saurait
déclarer de
telles conclusions irrecevables pour le motif qu'elles relèveraient
de la
seule compétence du juge civil. Le Tribunal administratif a ainsi
erré en
déclarant irrecevables les conclusions en constatation de l'existence
d'une
entreprise agricole pour le motif que seul le juge saisi de la
procédure de
partage pendante était compétent pour trancher cette question.

3.
Il résulte de ce qui précède que le recours est bien fondé. Il
n'apparaît
toutefois pas opportun que le Tribunal fédéral statue lui-même sur des
questions sur lesquelles le Tribunal administratif n'est ¿ à tort ¿
pas entré
en matière. Dès lors, il convient, en admission des conclusions
subsidiaires
du recours, d'annuler l'arrêt attaqué et de renvoyer l'affaire au
Tribunal
administratif pour nouvelle décision (art. 114 al. 2 OJ). L'intimée
S.________ ayant adhéré aux conclusions de la recourante, ni frais ni
dépens
ne peuvent être mis à sa charge (Messmer/Imboden, Die eidgenössischen
Rechtsmittel in Zivilsachen, 1992, p. 35 note 19 et les arrêts cités;
cf. ATF
95 I 313 consid. 4). En revanche, l'intimée T.________, qui a conclu
principalement au rejet du recours, succombe, ce qui justifie de
mettre à sa
charge les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) ainsi que ceux
occasionnés à
la recourante par la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 159
al. 1 et
2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et l'affaire est
renvoyée à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision.

2.
Sont mis à la charge de l'intimée T.________:
2.1 un émolument judiciaire de 2'000 fr.;
2.2 une indemnité de 2'000 fr. à verser à la recourante à titre de
dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et au
Tribunal administratif du canton de Vaud ainsi qu'au Département
fédéral de
justice et police.

Lausanne, le 13 février 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5A.23/2002
Date de la décision : 13/02/2003
2e cour civile

Analyses

Art. 6 ss et 84 LDFR; compétences respectives de l'autorité administrative et du juge civil pour concrétiser les notions générales des art. 6 ss LDFR. La concrétisation des notions générales définies aux articles 6 à 9 LDFR ressortit au droit public et relève en principe de la compétence matérielle de l'autorité administrative. Le juge civil saisi d'un litige sur l'application de dispositions de droit privé de la LDFR est habilité à concrétiser à titre préjudiciel ces notions générales tant que l'autorité administrative matériellement compétente n'a pas statué. Toutefois, en raison du risque de décision postérieure contradictoire de l'autorité administrative compétente en matière d'autorisation, qui n'est pas liée par la décision préjudicielle du juge civil, il apparaît préférable de suspendre le procès civil lorsqu'une partie saisit l'autorité administrative d'une demande de constatation (art. 84 LDFR) relative à une notion générale pertinente pour l'issue de ce procès. En tout cas, l'autorité administrative ne peut déclarer la demande de constatation irrecevable pour le motif que le juge civil serait seul compétent à cet égard (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-02-13;5a.23.2002 ?
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