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07/02/2003 | SUISSE | N°4C.277/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 07 février 2003, 4C.277/2002


{T 0/2}
4C.277/2002 /ech

Arrêt du 7 février 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Walter et Pagan, Juge suppléant.
Greffier: M. Ramelet.

X. ________ SA,
demanderesse et recourante, représentée par Me Jean-Pierre Guidoux,
avocat,
Forum des Alpes, Avenue du Rothorn 8, Case postale 460, 3960 Sierre,

contre

1. A.________,

2. B.________,

3. C.________,

4. D.________,

5. E.________,

6. F.________,
défendeurs et intimés,
tous rep

résentés par Me Philippe Pont, Avocat, Case postale 788, 3960
Sierre.

cession de créance; légitimation

(recours en réforme cont...

{T 0/2}
4C.277/2002 /ech

Arrêt du 7 février 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Walter et Pagan, Juge suppléant.
Greffier: M. Ramelet.

X. ________ SA,
demanderesse et recourante, représentée par Me Jean-Pierre Guidoux,
avocat,
Forum des Alpes, Avenue du Rothorn 8, Case postale 460, 3960 Sierre,

contre

1. A.________,

2. B.________,

3. C.________,

4. D.________,

5. E.________,

6. F.________,
défendeurs et intimés,
tous représentés par Me Philippe Pont, Avocat, Case postale 788, 3960
Sierre.

cession de créance; légitimation

(recours en réforme contre le jugement de la Ire Cour civile du
Tribunal
cantonal valaisan du 11 juillet 2002)

Faits:

A.
A.a F.________, architecte indépendant, louait des locaux dans les
bureaux de
l'atelier d'architecture Y.________ SA, devenue le 8 mars 1991
Z.________ SA.

Au début 1990, F.________ et Y.________ SA se sont associés en vue de
l'exécution de travaux d'architecture portant sur un ensemble
d'immeubles
devant être construit sur le territoire de la commune de L.________,
dans la
région de K.________. Un contrat a ainsi été conclu le 5 février 1990
entre
les promoteurs, soit A.________, G.________ - père de F.________ - et
H.________, et le consortium d'architectes F.________/Y.________ SA;
les
honoraires devaient être calculés en pour-cent du coût de l'ouvrage
"pour
l'ensemble des prestations ordinaires d'architecte". F.________ était
chargé
de s'occuper principalement de l'aspect informatique de l'affaire,
alors que
Y.________ SA devait traiter le projet et l'avant-projet.

La construction en est restée au stade du projet, l'activité du
consortium
ayant été interrompue dans le courant de l'année 1993.

A.b Le 7 février 1992, Z.________ SA a signé en faveur de la banque
W.________ une cession générale de créances à titre de garanties,
portant sur
"toutes ses créances présentes et futures, résultant de ses relations
d'affaires avec ses débiteurs, y compris tous les droits accessoires
et de
préférence ainsi que les intérêts échus, courants ou à échoir".

Dans le courant de l'année 1992, F.________ a quitté et libéré les
locaux
qu'il occupait chez Z.________ SA. Les partenaires ont alors liquidé
tous les
comptes résultant de leur association, exception étant faite du
contrat dit
de K.________, car ils considéraient qu'il s'agissait d'un mandat
particulier
pour lequel aucune facture à l'intention des promoteurs n'avait
encore été
établie.

Le 29 septembre 1994, Z.________ SA a envoyé aux promoteurs prénommés
une
note d'honoraires de 156'500 fr. fondée sur le contrat du 5 février
1990.
Cette facture, qui n'opérait aucune distinction entre l'activité de
Z.________ SA et celle de F.________, précisait qu'elle avait été
établie
pour l'ensemble des prestations fournies au 30 septembre 1993. La note
d'honoraires a été entièrement contestée par les promoteurs.

La faillite de Z.________ SA a été prononcée le 13 décembre 1994. La
banque
W.________ a fait valoir la cession générale de créances du 7 février
1992.
La procédure de faillite a été suspendue faute d'actifs et les
productions
ont été retournées aux créanciers.

Dans le courant du mois de septembre 1994, F.________ est entré dans
une
communauté religieuse; il ne s'est alors plus intéressé au sort du
projet
K.________ et n'a rien entrepris lorsqu'il a eu connaissance de la
faillite
précitée. Entendu comme témoin, F.________ a estimé que le travail
qu'il
avait effectué dans le cadre de ce projet pouvait justifier une
prétention
oscillant entre 10'000 fr. et 22'000 fr.; il n'a pas déclaré vouloir y
renoncer.

A.c Par acte des 26 août et 9 septembre 1996, la banque W.________ a
cédé à
X.________ SA la créance concernant A.________, H.________ et l'hoirie
G.________.

B.
Le 13 juillet 1999, X.________ SA a ouvert action contre A.________
et les
membres de l'hoirie G.________, soit B.________, C.________,
D.________,
E.________ et F.________.

Les défendeurs ont conclu à libération pour défaut de légitimation
active de
la demanderesse.

A l'issue d'une instruction partielle, les parties ont requis le
prononcé
d'un jugement préjudiciel sur la qualité pour agir de la demanderesse.

Par jugement du 11 juillet 2002, la Ire Cour civile du Tribunal
cantonal
valaisan a rejeté la demande.

En substance, la cour cantonale a qualifié de contrat de société
simple les
rapports juridiques noués entre Z.________ SA et F.________
relativement au
projet immobilier de K.________. Elle en a déduit qu'en septembre
1994,
Z.________ SA a acquis, par l'entremise de cette société simple, une
créance
commune, avec F.________, contre les défendeurs pour les travaux
d'architecte
exécutés dans le cadre du projet susmentionné. Nul ne pouvant
transférer plus
de droit qu'il n'en a, la cession générale de créances du 7 février
1992 en
faveur de la banque W.________, qui n'a été signée que par Z.________
SA,
n'avait donc pu porter, s'agissant de ce projet immobilier, que sur
la part
de la société anonyme à la créance commune; comme la société simple
n'a pas
été liquidée, la banque W.________, en acquérant la part de
Z.________ SA à
la créance commune contre les défendeurs, était devenu titulaire en
main
commune de celle-ci avec F.________. La cession subséquente consentie
par la
banque W.________ à la demanderesse avait porter sur la même part à la
créance commune. Partant, dès l'instant où les titulaires d'une
créance en
main commune ne peuvent la faire valoir en justice que conjointement
comme
consorts nécessaires, la demanderesse n'a pas qualité pour agir seule
contre
les défendeurs.

C.
X.________ SA exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle
requiert
qu'il soit constaté qu'elle possède la légitimation active et qu'en
conséquence le dossier soit retourné au Tribunal de district de
Sierre pour
qu'il poursuive l'instruction et rende un jugement au fond.
Les intimés proposent le rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Selon la jurisprudence, la qualité pour agir et la qualité pour
défendre
appartiennent aux conditions matérielles de la prétention litigieuse;
elles
sont fonction du droit au fond et leur défaut conduit au rejet de
l'action,
solution qui intervient indépendamment de la réalisation des éléments
objectifs de la prétention litigieuse. Cette question doit être
examinée
d'office et librement (ATF 126 III 59 consid. 1a).

De même que la reconnaissance de la qualité pour défendre signifie
seulement
que le demandeur peut faire valoir sa prétention contre le défendeur,
disposer de la qualité pour agir signifie que le demandeur est en
droit de
faire valoir cette prétention. Autrement dit, la question de la
qualité pour
agir revient à déterminer qui peut faire valoir une prétention en
qualité de
titulaire d'un droit, en son propre nom. En conséquence, la
reconnaissance de
la qualité pour agir ou pour défendre n'emporte pas décision sur
l'existence
de la prétention du demandeur, que ce soit dans son principe ou dans
sa
quotité (ATF 125 III 82 consid. 1a; 114 II 345 consid. 3a et les
références).

1.2 Selon l'art. 48 al. 1 OJ, le recours en réforme n'est recevable
en règle
générale que contre les décisions finales prises par les tribunaux ou
autres
autorités suprêmes des cantons et qui ne peuvent pas être l'objet d'un
recours ordinaire de droit cantonal. Cette voie de droit n'est donc
ouverte
qu'à l'encontre d'un prononcé qui statue sur le fond du droit, ou qui
refuse
d'en connaître pour un motif excluant définitivement que la prétention
litigieuse fasse l'objet d'un nouveau procès entre les mêmes parties
(ATF 127
III 433 consid. 1b, 474 consid. 1a; 126 III 445 consid. 3b).
Un jugement est en particulier final lorsqu'il statue sur le droit
litigieux
avec l'autorité de la chose jugée (ATF 119 II 241 consid. 2; 116 II
381
consid. 2a). Lorsque l'action est rejetée, il importe peu que ce soit
pour un
motif préjudiciel, à l'exemple du défaut de qualité pour agir
(Poudret, COJ
II, n. 1.1.3 ad art. 48 OJ, p. 270).

En l'espèce, le jugement déféré, en déniant la qualité pour agir de la
demanderesse, a mis fin à l'action que celle-ci avait ouverte le 13
juillet
1999 à l'encontre notamment des défendeurs. Il s'agit donc bien d'une
décision finale au sens de l'art. 48 al. 1 OJ.

2.
Pour la recourante, la jurisprudence a prévu des aménagements au
principe
selon lequel les consorts matériels nécessaires doivent agir
ensemble. Ainsi,
il suffirait qu'ils soient tous parties au procès. Aussi la Cour
civile
aurait-elle méconnu le fait que les deux titulaires de la créance en
main
commune, à savoir la demanderesse et F.________, étaient tout deux
parties à
la procédure, la première en qualité de demanderesse, le second comme
défendeur. Il convenait également de tenir compte du fait que
F.________
aurait refusé de se joindre à la demanderesse dans la procédure
engagée
contre les intimés. En effet, le prénommé n'avait jamais manifesté
l'intention de faire valoir des prétentions à l'endroit des débiteurs
de la
société simple qu'il avait formée avec Z.________ SA, d'autant qu'il
risquait, s'il agissait en justice, de se voir reconnu débiteur
solidaire
d'un montant plus élevé que celui de sa propre créance. Quoi qu'il en
soit,
F.________, qui n'a pas renoncé à sa part de créance, peut exciper de
compensation à due concurrence avec le montant que lui-même et ses
codébiteurs solidaires devront verser à la recourante.

3.
3.1Il est constant que Z.________ SA et F.________, qui ont convenu
d'unir
leurs efforts pour réaliser des travaux d'architecture portant sur des
immeubles à construire dans la commune de L.________, ont conclu un
contrat
de société simple au sens de l'art. 530 CO. Partant, le patrimoine de
la
société, lequel incluait singulièrement les créances sociales à
l'endroit des
tiers, leur appartenait, de par la loi, en main commune (art. 544 al.
1 CO;
von Steiger, Traité de droit privé suisse, VIII/1, p. 382; Siegwart;
Commentaire zurichois, n. 8 ad art. 544 CO; Tercier; Les contrats
spéciaux,
3e éd., n. 6753, p. 966/967; Bucher, Schweizerisches
Obligationenrecht,
Allgemeiner Teil, p. 502; Gauch/Schluep/Schmid/Rey, Schweizerisches
Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, 7e éd., vol. II, n. 3787). Il
n'a pas
été établi qu'une autre forme de répartition des actifs de la société
-
laquelle serait en elle-même admissible (von Steiger, op. cit., loc.
cit.;
Tercier, op. cit., loc. cit.; Gauch/Schluep/Schmid/Rey, op. cit., n.
3790) -
aurait été convenue dans le contrat de société simple.

Les décisions portant sur les créances de la société simple
nécessitaient
donc le concours des deux associés (von Steiger, op. cit., loc. cit.;
Siegwart, op. cit., n. 13 ad art. 544 CO; Bucher, op. cit., loc. cit.;
particulièrement clair von Tuhr/Escher, Allgemeiner Teil des
Schweizerischen
Obligationenrechts, § 89, ch. V, p. 392 s.; inexact Spirig,
Commentaire
zurichois, n. 64 ad art. 164 CO, qui confond propriété en main
commune et
communauté de créanciers solidaires). Un tel concours peut également
être
apporté dans le cadre d'une représentation.

Sous cet angle, il convient donc d'examiner la portée juridique de la
cession
qui est intervenue le 7 février 1992.

3.2 Selon l'état de fait déterminant (art. 63 al. 2 OJ), la cession
globale
de créances opérée par Z.________ SA au bénéfice de la banque
W.________ l'a
été à fin de garanties; elle se rapportait à "toutes ses créances
présentes
et futures, résultant de ses relations d'affaires avec ses débiteurs,
y
compris tous les droits accessoires et de préférence ainsi que les
intérêts
échus, courants ou à échoir".
Il n'a pas été constaté que l'associé F.________ ait consenti à cette
cession, ni qu'il ait investi quiconque du pouvoir de le représenter
en sa
qualité de créancier. Et il appert d'emblée que Z.________ SA ne
pouvait
invoquer un pouvoir légal d'administration, du moment que la cession
d'une
créance de la société pour garantir les dettes d'un associé ne
constitue pas
un acte d'administration ordinaire de la société simple. La cession
en cause
était ainsi inefficace, peu importât que le tiers cessionnaire fût de
bonne
foi (Siegwart, op. cit., n. 15 ad art. 544 CO).

Il sied de rappeler l'adage fondamental "nemo plus iuris transferre
potest
quam ipse habet". Il est juridiquement impossible de disposer d'un
bien sans
pouvoir pour ce faire (art. 20 al. 1 CO; Spirig, op. cit., n. 68 ad
art. 164
CO). La cession d'une créance sans le pouvoir d'en disposer est en
conséquence nulle (Bucher, op. cit., p. 542). Hormis les situations
particulières de l'art. 18 al. 2 CO (cas où l'intéressé est
cessionnaire
d'une créance reconnue fictivement par écrit) ou de l'art. 164 al. 2
CO (cas
où l'intéressé est cessionnaire de bonne foi d'une créance dont la
clause
d'incessibilité n'était pas libellée dans le titre) et contrairement
aux
droits réels (cf. art. 714 al. 2 CC en relation avec l'art. 933 CC),
l'acquéreur de bonne foi de la créance cédée sans droit n'est pas
protégé
(Spirig, op. cit., n. 44 ad Vorbemerkungen ad Art. 164-174 CO). Il
n'en va
pas différemment lorsqu'on se trouve en présence, comme en l'espèce,
d'une
chaîne de cessions. Le dernier acquéreur peut se voir opposer toutes

les
objections qui résultaient des cessions précédentes (Bucher, op.
cit., p.
557). Autrement dit, une créance qui n'a pas été valablement cédée ne
saurait
être guérie de ce vice par une cession ultérieure à un tiers.

3.3 Il suit de là que Z.________ SA, agissant seule, n'était pas en
droit de
céder à la banque W.________ la créance d'honoraires de la société
simple
qu'elle avait formée avec F.________. Tout au plus, Z.________ SA a
pu céder
unilatéralement les droits patrimoniaux qu'elle avait contre la
société
simple, ainsi son droit à une part de liquidation dans ladite société
(von
Steiger, op. cit., p. 410 s.; Siegwart, op. cit., n. 4 ad art. 542 CO;
Tercier, op. cit., n. 6669, p. 956/957; Jean-Marc Löliger, Die
Unterbeteiligung an Personengesellschaftsanteilen, thèse Bâle 1998,
p. 36
ss.). La créance que la demanderesse entend faire valoir contre le
partenaire
contractuel de la société simple n'entre manifestement pas dans cette
catégorie. Il s'agit en effet d'une créance liée à l'activité de la
société
simple,
résultant plus précisément des "relations d'affaires" de celle-ci,
comme le
mentionne expressément l'acte de cession générale du 7 février 1992.

En définitive, la recourante invoque une créance de la société simple
elle-même. Mais comme F.________ n'a jamais consenti à ce que cette
créance
sociale soit transférée, la demanderesse, dernier maillon de la
chaîne de
cessions, ne peut déduire aucun droit contre les défendeurs, ancien
cocontractant ou successeurs à titre universel d'un ancien
cocontractant de
la société simple précitée.

Partant, la cour cantonale n'a nullement violé le droit fédéral en
rejetant
la demande pour défaut de légitimation active de la recourante.

4.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté. Les frais de la
procédure seront
mis à la charge de la recourante qui succombe. Celle-ci devra en
outre verser
aux intimés, créanciers solidaires, une indemnité à titre de dépens
(art. 156
al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 4'500 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera aux intimés, créanciers solidaires, une
indemnité de
5'500 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Ire Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Valais.

Lausanne, le 7 février 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.277/2002
Date de la décision : 07/02/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-02-07;4c.277.2002 ?
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