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28/01/2003 | SUISSE | N°5C.162/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 28 janvier 2003, 5C.162/2002


{T 0/2}
5C.162/2002 /frs

Arrêt du 28 janvier 2003
IIe Cour civile

M. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Escher et Hohl.
Greffier: M. Braconi.

G. ________,
demanderesse et recourante, représentée par Me Henri Carron, avocat,
case
postale 1472, 1870 Monthey 2,

contre

X.________,
défendeur et intimé, représenté par Me Jean-François Sarrasin,
avocat, rue de
la Poste 5, case postale 440, 1920 Martigny.

responsabilité civile du curateur,

recours en réforme cont

re le jugement de la Cour civile II du Tribunal
cantonal du canton du Valais du 7 juin 2002.

Faits:

A.
a. D.________...

{T 0/2}
5C.162/2002 /frs

Arrêt du 28 janvier 2003
IIe Cour civile

M. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Escher et Hohl.
Greffier: M. Braconi.

G. ________,
demanderesse et recourante, représentée par Me Henri Carron, avocat,
case
postale 1472, 1870 Monthey 2,

contre

X.________,
défendeur et intimé, représenté par Me Jean-François Sarrasin,
avocat, rue de
la Poste 5, case postale 440, 1920 Martigny.

responsabilité civile du curateur,

recours en réforme contre le jugement de la Cour civile II du Tribunal
cantonal du canton du Valais du 7 juin 2002.

Faits:

A.
a. D.________ est l'oncle de G.________. Le 24 mars 1994, la seconde
a ouvert
contre le premier une action en remboursement d'un prêt qu'elle lui
aurait
accordé pour la construction d'un immeuble, concluant au paiement
d'environ
250'000 fr.; D.________ était représenté au procès par Me X.________.

Le 7 juillet 1994, la Chambre pupillaire de Martigny a institué en
faveur de
D.________ une curatelle de gestion au sens de l'art. 393 ch. 2 CC et
nommé
Me X.________ comme curateur. D.________, qui était pensionnaire du
home
W.________, a été reconnu incapable de gérer seul ses affaires; les
factures
restées impayées à l'égard de ce home s'élevaient à 24'797 fr.90 à
fin mai
1995.

Les 2 août et 8 septembre 1994, Me X.________ a requis l'autorisation
de
plaider au procès ouvert par G.________, autorisation qu'il a obtenue
le 20
mars 1995.
b. Du 1er mars au 31 août 1994, les rentes AVS et les allocations pour
impotents dont bénéficiait D.________ ont été payées directement au
home
W.________; de septembre 1994 à janvier 1996, elles ont été versées
sur un
compte de Me X.________. Le coût mensuel de la pension au home était
d'environ 3'000 fr., tandis que les prestations sociales atteignaient
1'400
francs.
c. Le 7 juin 1995, la Chambre de tutelle a relevé Me X.________ de ses
fonctions, estimant qu'il existait un risque de conflit d'intérêts
entre le
curateur et son pupille. Le 3 octobre suivant, Me X.________ a déposé
son
rapport de curatelle. Il y a annexé une facture de frais et
d'honoraires
relative à la période du début de la procédure à la fin de la
curatelle d'un
montant de 7'907 fr.50 pour le procès concernant G.________, ainsi
que 146
fr.25 pour ses frais de curateur; il a alors compensé ces deux sommes
avec
les rentes AVS et les allocations pour impotents qu'il avait
encaissées pour
son pupille, ne rétrocédant que le solde.

Le 6 décembre 1995, la Chambre pupillaire a relevé Me X.________ de
ses
fonctions de curateur, renvoyant sa décharge à l'approbation des
comptes.

Le 22 décembre 1995, G.________ a contesté les comptes présentés par
Me
X.________, lui reprochant en particulier d'avoir engagé contre elle
un
procès manifestement abusif et de n'avoir pas payé le home, tout en
compensant sa note d'honoraires d'avocat avec les prestations sociales
allouées à son pupille.
d. D.________ est décédé le 7 décembre 1996; sa succession a été
répudiée. Le
procès ouvert par G.________ contre le prénommé est devenu sans
objet, la
masse en faillite ayant renoncé à le poursuivre; la créance de la
demanderesse a été admise à l'état de collocation pour le montant de
309'846
francs.

Le 22 octobre 1997, G.________ a obtenu notamment la cession de
l'action en
responsabilité contre Me X.________ en qualité d'ancien curateur du
failli;
elle a perçu un dividende de 10'468 fr.80, et des actes de défaut de
biens
lui ont été délivrés pour 302'051 fr.20.

B.
Le 31 mars 1998, G.________ a cité en conciliation Me X.________,
ainsi que
la commune de Martigny et les membres de la Chambre pupillaire de
Martigny.
Le 22 juin suivant, elle a ouvert une action en responsabilité contre
Me
X.________, concluant au paiement de 299'646 fr. plus intérêts à 5%
dès le 3
octobre 1995.

Par jugement du 7 juin 2002, la Cour civile II du Tribunal cantonal
du canton
du Valais a condamné le défendeur à payer à la demanderesse la somme
de
10'800 fr. avec intérêts, d'une part, et 5% d'intérêt sur différents
montants, d'autre part; elle a rejeté toutes autres ou plus amples
conclusions.

C.
Contre cette décision, la demanderesse exerce un recours en réforme au
Tribunal fédéral, concluant à ce que le défendeur soit condamné à lui
verser,
en sus de ce que l'autorité cantonale lui a alloué, la somme de 8'053
fr.
avec intérêts à 5% dès le 3 octobre 1995.

Le défendeur propose le rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le jugement entrepris tranche une contestation civile portant sur un
droit de
nature pécuniaire (arrêt non publié 5C.75/1992 du 25 janvier 1993,
consid.
1), dont la valeur litigieuse atteint 8'000 fr. (art. 46 OJ). Formé
en temps
utile contre une décision finale rendue en dernière instance par le
tribunal
suprême du canton, le présent recours est aussi ouvert du chef des
art. 48
al. 1 et 54 al. 1 OJ.

2.
Seule demeure litigieuse dans la présente procédure l'admissibilité
de la
compensation opérée par le défendeur, c'est-à-dire le prélèvement du
montant
de sa propre créance de 8'053 fr.75 (7'907 fr.50 de frais et
d'honoraires
pour le procès ayant opposé la demanderesse à D.________, ainsi que
146 fr.25
de frais de curatelle) sur les rentes AVS et d'impotents qu'il a
encaissées
pour son pupille.

2.1 En vertu de l'art. 426 CC, applicable à la curatelle (ATF 70 II 77
consid. 1 p. 80 et les arrêts cités; 85 II 464 consid. 1 p. 466/467
[pour la
prescription de l'action en réparation]), le curateur est responsable
du
dommage qu'il cause au pupille, à dessein ou par négligence, en
n'observant
pas, dans l'exercice de ses fonctions, la diligence d'un bon
administrateur.

Au sens juridique, le dommage réside dans la diminution involontaire
de la
fortune nette; il correspond à la différence entre le montant actuel
du
patrimoine du lésé et le montant qu'aurait ce même patrimoine si
l'événement
dommageable ne s'était pas produit. Le dommage peut se présenter sous
la
forme d'une diminution de l'actif, d'une augmentation du passif, d'une
non-augmentation de l'actif ou d'une non-diminution du passif (ATF
129 III 18
consid. 2.4 p. 23 et les citations). L'existence d'un dommage et sa
quotité
est une question de fait qui ne peut être discutée en instance de
réforme
(art. 55 al. 1 let. c et 63 al. 2 OJ); en revanche, savoir si la
notion
juridique de dommage a été méconnue est une question de droit (ATF
129 III 18
consid. 2.4 p. 23 et les arrêts cités).

2.2 Selon l'autorité cantonale, le prélèvement des frais et
honoraires du
défendeur sur les rentes du pupille ne viole pas l'art. 125 ch. 2 CO,
faute
de «créances réciproques entre le curateur et son protégé», le
débiteur des
rentes AVS et d'impotents étant l'assurance-vieillesse et survivants.
Il ne
s'agit donc pas d'un problème de compensation, mais d'affectation de
ces
prestations. Certes, les art. 76 al. 3 et 76bis RAVS excluent la
compensation, et prévoient que les rentes doivent être utilisées
exclusivement pour l'entretien du bénéficiaire et des personnes à sa
charge.
Toutefois, même si le défendeur savait que les rentes ne couvraient
pas les
frais du home dans lequel vivait le pupille, et que sa prétention
comportait
des frais et honoraires antérieurs à la curatelle, l'usage
inapproprié des
rentes n'a causé aucun dommage: si la dette du pupille envers le home
a été
augmentée, celle envers le défendeur a été éteinte. Il s'ensuit que,
aussi
bien du point de vue économique que juridique, le patrimoine de
l'intéressé
n'en a pas été affecté.

2.3
2.3.1Lorsqu'elle soutient que tant l'art. 125 ch. 2 CO que l'art. 76
al. 3
RAVS interdisent la compensation et que, partant, le défendeur
n'était pas en
droit de compenser sa créance avec les rentes AVS et d'impotents, la
demanderesse méconnaît que c'est bien le résultat auquel est parvenue
la cour
cantonale: en effet, celle-ci a explicitement admis qu'il y avait eu
un
«usage mal approprié des rentes»; ce qu'elle a nié, c'est l'existence
d'un
dommage.

Le défendeur invoque l'art. 125 ch. 2 CO, affirmant que le pupille
avait
consenti à la compensation et que les rentes n'étaient pas absolument
nécessaires à son entretien au sens de cette disposition. Bien qu'il
soit
soumis au premier chef aux règles du droit civil, qui l'emportent sur
celles
des assurances sociales (cf. ATF 118 V 88 consid. 5 p. 94 et la
jurisprudence
citée; Meier, Mesures tutélaires et assurances sociales, in: RDT
49/1994 p.
229 ss, spéc. 238 in fine et 241 in fine), le curateur doit exercer
sa tâche
avec diligence; indirectement, il est donc tenu par l'art. 76 al. 3
RAVS
(Meier, op. cit., p. 242) - applicable également aux allocations pour
impotents (art. 76bis RAVS) -, dont le texte est clair: «Les rentes
versées à
un tiers (...) ne peuvent être compensées par celui-ci avec des
créances à
l'égard de l'ayant droit. Elles doivent être utilisées exclusivement
pour
l'entretien de l'ayant droit et des personnes à sa charge». La
question de
savoir si, comme le prévoit l'art. 125 CO (principio), le pupille
créancier
peut néanmoins accepter la compensation peut demeurer indécise, car
un tel
consentement ne ressort de toute façon pas des constatations
souveraines de
l'autorité cantonale (art. 63 al. 2 OJ), l'échec de la preuve de cette
objection (fait destructeur) étant à la charge du défendeur (art. 8
CC; ATF
126 III 189 consid. 2b p. 191/192; Deschenaux, Le titre préliminaire
du Code
civil, in: Traité de droit privé suisse, t. II/I, p. 240; Hohl,
Procédure
civile, t. I, n. 1187/1188). Par ailleurs, l'art. 76 al. 3 RAVS ne
subordonne
l'interdiction de la compensation à aucune condition.

2.3.2 Nonobstant l'«usage mal approprié» des rentes, les magistrats
cantonaux
ont toutefois considéré que, dans ses effets, l'exercice de la
compensation
n'avait finalement pas affecté le patrimoine du pupille, puisqu'à
l'augmentation de la dette de celui-ci à l'égard du home avait
correspondu
l'extinction de la créance du défendeur.

On ne voit pas en quoi pareille conclusion violerait la notion
juridique de
dommage. Si la compensation est prohibée, le débiteur - ici le
curateur - ne
peut opposer sa contre-créance en compensation; il doit payer
l'entier de sa
dette à son créancier - ici le pupille - et supporte le risque de ne
pouvoir,
de son côté, obtenir l'exécution intégrale de sa prétention; en
particulier,
si son propre débiteur tombe en faillite, il ne pourra que produire sa
réclamation (art. 232 al. 2 ch. 2 LP), qui sera colloquée à un
certain rang
(art. 219 LP), et toucher le dividende qui lui sera attribué aux
termes du
tableau de distribution (art. 261 LP). Par conséquent, si la
compensation est
interdite, mais que le débiteur y procède néanmoins et ne verse pas
l'entier
de sa dette à la masse, les créanciers de la faillite sont lésés, car
l'actif
destiné à les désintéresser est moindre; en revanche, le failli ou la
masse
ne sont pas lésés, car à la non-augmentation de l'actif équivaut une
diminution correspondante du passif.

2.3.3 La demanderesse fait cependant valoir que la compensation se
justifiait
d'autant moins que la note de frais et d'honoraires n'avait pas été
approuvée
par la Chambre pupillaire, et qu'une approbation pure et simple du
décompte
ne saurait intervenir parce que la rémunération du curateur est
arrêtée sur
d'autres bases que celle d'un avocat. Dans sa réponse, le défendeur
objecte
qu'il a agi comme avocat jusqu'au 7 juillet 1994 et comme curateur
par la
suite, que la demanderesse ne peut contester son activité de
mandataire avant
le 7 juillet 1994, la cession des droits de la masse n'ayant pour
objet que
l'action en responsabilité en sa qualité de curateur du failli, et
que sa
facture - qui concerne essentiellement les prestations effectuées en
tant
qu'avocat (seule sa participation au débat préliminaire du 6
septembre 1994
relevant de son activité de curateur) - n'est dès lors pas soumise
aux règles
sur la rémunération d'un curateur de gestion et ne doit pas être
approuvée
par l'autorité tutélaire; il soutient, enfin, qu'il n'a pas établi
une note
excessive au regard du tarif de l'Ordre des avocats valaisans, et que
la
demanderesse n'a pas fait administrer de moyens de preuve dans ce
sens, son
argumentation étant ainsi tardive.

Sur la base des faits constatés par la juridiction inférieure, on ne
peut
exclure d'emblée l'existence d'un dommage. Approuvée ou non par
l'autorité
tutélaire, la rémunération de l'activité déployée en qualité de
curateur
(art. 417 al. 2 CC) doit être conforme aux exigences légales, telles
qu'elles
ont été fixées par la jurisprudence (ATF 116 II 399 et les nombreuses
références), à défaut de quoi un dommage est causé au pupille. Le
bien-fondé
du montant que le défendeur a facturé pour son activité comme avocat
doit
être aussi examiné, puisque, dans le cadre de l'action en
responsabilité de
l'art. 426 CC, le juge doit se prononcer sur l'existence d'un dommage
causé
au pupille par le comportement du curateur et que, précisément, ce
dernier a
profité de cette position pour prélever des honoraires - peut-être
injustifiés - sur les avoirs du pupille.

En conclusion, la cause doit être renvoyée à l'autorité cantonale, en
application de l'art. 64 al. 1 OJ, pour
qu'elle examine l'existence
d'un
éventuel dommage et, le cas échéant, en fixe la quotité. Si les frais
et
honoraires auxquels le défendeur peut prétendre devaient être
inférieurs au
montant de 8'053 fr.75, qu'il a facturé et compensé avec les rentes
de son
pupille, un dommage correspondant à la différence entre cette somme
et les
frais et honoraires admissibles devrait être retenu, pour autant que
les
autres conditions de l'art. 426 CC soient par ailleurs remplies.

3.
Vu le sort du recours, les frais et dépens doivent être mis à la
charge du
défendeur, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ; ATF 119 Ia 1
consid.
6b p. 3).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis.

2.
Le chiffre 2 du jugement attaqué est annulé en ce qui concerne le
rejet du
montant de 8'053 fr.75 avec intérêts en raison de l'admission de la
compensation de ce montant avec les rentes AVS et d'impotents;
partant, les
chiffres 3, 4 et 5 du jugement attaqué sont annulés.

3.
La cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouveau jugement
dans le
sens des considérants.

4.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du défendeur.

5.
Le défendeur versera à la demanderesse une indemnité de 2'000 fr. à
titre de
dépens.

6.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Cour civile II du Tribunal cantonal du canton du Valais.

Lausanne, le 28 janvier 2003

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.162/2002
Date de la décision : 28/01/2003
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-01-28;5c.162.2002 ?
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