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23/01/2003 | SUISSE | N°2P.75/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 janvier 2003, 2P.75/2002


{T 0/2}
2P.75/2002 /svc

Arrêt du 23 janvier 2003
IIe Cour de droit public

Les juges fédéraux Wurzburger, président,
Hungerbühler, Müller, Yersin et Merkli,
greffière Kurtoglu-Jolidon.

D. G.________ et E.G.________,
recourants,
représentés par Me Yves Noël, avocat, avenue du
Tribunal-Fédéral 27, 1005 Lausanne,

contre

Kantonales Steueramt Zürich, Abteilung Rechtsdienst, Sumatrastrasse
10, 8090
Zürich,
Commission d'impôt et recette de E.________,
représentée par
Admi

nistration cantonale des impôts du canton de Vaud, route de
Chavannes 37,
1014 Lausanne

art. 127 al. 3 Cst.: double impos...

{T 0/2}
2P.75/2002 /svc

Arrêt du 23 janvier 2003
IIe Cour de droit public

Les juges fédéraux Wurzburger, président,
Hungerbühler, Müller, Yersin et Merkli,
greffière Kurtoglu-Jolidon.

D. G.________ et E.G.________,
recourants,
représentés par Me Yves Noël, avocat, avenue du
Tribunal-Fédéral 27, 1005 Lausanne,

contre

Kantonales Steueramt Zürich, Abteilung Rechtsdienst, Sumatrastrasse
10, 8090
Zürich,
Commission d'impôt et recette de E.________,
représentée par
Administration cantonale des impôts du canton de Vaud, route de
Chavannes 37,
1014 Lausanne

art. 127 al. 3 Cst.: double imposition intercantonale, liquidation
d'une
société immobilière

(recours de droit public contre la décision de taxation de
l'Administration
fiscale du canton de Zurich du 19 février 2002 et contre la décision
de
taxation de la Commission d'impôt et recette de E.________ du 7
février 2000)

Faits:

A.
D. G.________ et E.G.________ détenaient l'entier du capital-actions
de
50'000 fr. de la société immobilière T.________ SA, entièrement
libéré et
divisé en 50 actions au porteur de 1'000 fr. Le siège de la société
était à
E.________. Son seul actif était la parcelle xxx sise à E.________ sur
laquelle se trouve un immeuble d'habitation.

B.
Ayant décidé de liquider leur société immobilière, les époux
G.________,
alors domiciliés dans le canton de Zurich, ont demandé aux
administrations
fiscales zurichoise et vaudoise des renseignements sur le traitement
fiscal
de cette liquidation. Par courrier du 3 avril 1998, l'Administration
fiscale
zurichoise leur a exposé les systèmes fédéral et zurichois de
l'imposition de
l'excédent de liquidation. Sur demande de D.G.________ et
E.G.________,
l'Administration cantonale des impôts du canton de Vaud (ci-après:
l'Administration des impôts vaudoise) a fixé, par courrier du 13
novembre
1998, la valeur de transfert de l'immeuble de T.________ SA, dans le
cadre
d'une liquidation privilégiée, à 4'350'000 fr. Elle attirait également
l'attention des époux G.________ sur le fait qu'ils devaient être
domiciliés
dans le canton de Vaud avant la radiation de la société au registre du
commerce pour qu'ils y soient imposés sur l'excédent de liquidation
en tant
qu'actionnaires et ainsi bénéficier du régime d'imposition
privilégiée prévu
par ce canton.

Le 2 mars 1999, T.________ SA a été dissoute. Par acte notarié du
même jour,
T.________ SA en liquidation a transféré aux époux G.________, en
propriété
commune, la parcelle xxx d'une valeur de 4'350'000 fr. Selon cet
acte, ledit
montant a été acquitté "par compensation de créances" entre les
parties.
D.G.________ et E.G.________ ont, en outre, repris la dette de
354'354 fr.
qu'avait T.________ SA auprès de O.________. L'appel aux créanciers a
été
publié dans la Feuille officielle suisse du commerce. Puis, les
conditions
d'une répartition anticipée de l'actif étant réalisées, le
liquidateur a
requis, le 8 juillet 1999, la radiation de la société au registre du
commerce.

A cette même date, D.G.________ a rempli les formules 102 et 1050
relatives à
l'impôt anticipé sur l'excédent de liquidation. Le montant de la
prestation
soumise à l'impôt anticipé indiqué était de 3'786'342.35 fr. et la
date
d'échéance le 2 mars 1999.

Entre-temps, soit le 15 mai 1999, D.G.________ et E.G.________ ont
transféré
leur domicile du canton de Zurich dans le canton de Vaud.

C.
Par décision de taxation définitive du 7 février 2000, la Commission
d'impôt
et recette de E.________ a fixé l'excédent de liquidation de la
société
immobilière à 3'794'700 fr. L'impôt unique et distinct cantonal et
communal,
pour l'année de taxation 1999, sur la part du bénéfice obtenue par les
actionnaires se montait à 138'791.15 fr., compte tenu de la réduction
de 75%
dudit impôt. Le bordereau mentionne le 9 juillet 1999 comme date de
la fin de
la liquidation.

La raison sociale T.________ SA en liquidation a été radiée du
registre du
commerce le 29 mars 2000.

Le 16 octobre 2000, l'Administration fiscale zurichoise a notifié aux
époux
G.________ une proposition de taxation ("Einschätzungsvorschlag") de
l'impôt
cantonal et communal sur le revenu et sur la fortune pour la période
allant
du 1er janvier 1999 au 15 mai 1999. L'excédent de liquidation obtenu
de la
société T.________ SA était compris dans le revenu arrêté à 3'786'300
fr.
imposable au taux de 4'271'400 fr. Malgré un courrier de D.G.________
et
E.G.________ expliquant que ledit excédent avait déjà été imposé dans
le
canton de Vaud, la liquidation s'étant terminée le 9 juillet 1999,
soit après
le déménagement des époux G.________ dans ce canton, l'Administration
fiscale
zurichoise a maintenu sa position par décision de taxation
("Einschätzungsentscheid") du 19 février 2002.

D.
Agissant par la voie du recours de droit public contre les cantons de
Zurich
et de Vaud, D.G.________ et E.G.________ demandent au Tribunal
fédéral, sous
suite de frais et dépens, de dire que seul le canton de Vaud est
compétent
pour imposer l'excédent de liquidation et d'annuler la décision de
taxation
de l'Administration fiscale zurichoise du 19 février 2002.
Subsidiairement,
ils l'invitent à dire que le canton de Zurich est seul compétent pour
imposer
l'excédent de liquidation, à annuler la décision de taxation de la
Commission
d'impôt et recette de E.________ du 7 février 2000 et à ordonner au
canton de
Vaud et à la commune de E.________ de restituer, avec intérêts,
l'entier de
l'impôt unique et distinct prélevé.

L'Administration fiscale zurichoise conclut au rejet du recours en
tant qu'il
est dirigé contre le canton de Zurich. L'Administration des impôts
vaudoise
déclare adhérer aux motifs et conclusions du recours.

Les parties ont confirmé leurs conclusions lors d'un deuxième échange
d'écritures.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le contribuable qui se plaint d'être imposé à double peut former
un
recours de droit public pour violation de l'interdiction de la double
imposition intercantonale (art. 46 al. 2 aCst. et 127 al. 3 1ère
phrase Cst.
dont la portée est similaire, cf. Message du Conseil fédéral du 20
novembre
1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale in: FF 1997 I 1 ss,
p.
352/353) au plus tard dans les trente jours dès la notification de la
dernière prétention fiscale qui, selon lui, constitue la double
imposition.
L'épuisement des instances cantonales de recours n'est pas nécessaire
(art.
86 al. 2 OJ). Le recours déposé en temps utile contre la décision du
dernier
canton qui a statué peut également être dirigé contre la décision de
taxation
antérieure qui a été prise par l'autre canton et qui est déjà entrée
en force
(cf. art. 89 al. 3 OJ; ATF 123 I 289 consid. 1a p. 291).

Les intéressés dirigent leur recours contre les cantons de Zurich et
de Vaud.
Ils concluent à l'annulation de la décision de taxation de
l'Administration
fiscale zurichoise du 19 février 2002. Leur recours est recevable à
cet
égard. Il est également recevable en tant qu'il est dirigé à titre
subsidiaire contre la décision de taxation de la Commission d'impôt et
recette de E.________ du 7 février 2000.

1.2 Le recours de droit public n'a en principe qu'un caractère
cassatoire
(ATF 127 II 1 consid. 2c p. 5; 126 II 377 consid. 8b p. 395; 125 II 86
consid. 5a p. 96). Il est toutefois fait exception à cette règle
lorsque le
recours est fondé sur le principe de l'interdiction de la double
imposition
intercantonale et qu'il apparaît nécessaire de donner des
instructions aux
cantons concernés sur les limites de leur compétence fiscale ou pour
ordonner
le remboursement d'impôts perçus au mépris de l'interdiction
constitutionnelle de la double imposition. Les conclusions des
intéressés
allant au-delà de la simple annulation de l'arrêt attaqué sont donc
recevables (Revue fiscale 2001 p. 340 consid. 1b p. 341 et les
références
citées, 2P.119/2000), à l'exception de celle relative à l'allocation
d'un
intérêt sur un éventuel trop-perçu d'impôt à restituer.

En effet, en dehors des cas de double imposition et d'autres
exceptions non
réalisées en l'espèce (art. 86 al. 2 OJ), le recours de droit public
(de
nature purement cassatoire) n'est recevable qu'à l'encontre d'une
décision de
dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ). L'allocation d'un
intérêt
moratoire ne relève pas de l'interdiction de la double imposition,
mais de
l'application du droit cantonal (cf. sur ce point, Kurt Locher/Peter
Locher,
Die Praxis der Bundessteuern, III. Teil, Das interkantonale
Doppelbesteuerungsrecht, Band 4, § 12, III C 2, no 8) et la décision
vaudoise
mise en cause par les recourants n'examine nullement cette question et
n'émane pas d'une dernière instance cantonale. Par conséquent, la
conclusion
tendant à ce qu'un intérêt au taux légal rémunère les montants d'impôt
éventuellement perçus en trop par le canton de Vaud est irrecevable.

1.3 Pour le surplus, déposé en temps utile contre une décision qui
touche les
recourants dans leurs intérêts juridiquement protégés, le présent
recours est
recevable au regard des art. 84 ss OJ.

1.4 Saisi d'un recours en matière de double imposition
intercantonale, le
Tribunal fédéral dispose d'un libre pouvoir d'examen en fait et en
droit
(RDAF 2001 II 506, 2P.289/2000; Martin Arnold, Der steuerrechtliche
Wohnsitz
natürlicher Personen im interkantonalen Verhältnis nach der neueren
bundesgerichtlichen Rechtsprechung, in: Archives 68 p. 449 ss, p.
488; Peter
Locher, Die staatsrechtliche Beschwerde wegen Verletzung von Art. 46
Abs. 2
BV, in: ZBl 91/1990 p. 97 ss, p. 105 et les références citées).

2.
2.1Le principe de l'interdiction de la double imposition
intercantonale (art.
46 al. 2 aCst. et 127 al. 3 1ère phrase Cst.) s'oppose à ce qu'un
contribuable soit concrètement soumis, par deux ou plusieurs cantons,
sur le
même objet, pendant la même période, à des impôts analogues (double
imposition effective) ou qu'un canton excède les limites de sa
souveraineté
fiscale et, violant des règles de conflit jurisprudentielles, prétende
prélever un impôt dont la perception est de la seule compétence d'un
autre
canton (double imposition virtuelle); en outre, le Tribunal fédéral a
déduit
des art. 46 al. 2 aCst. et 127 al. 3 1ère phrase Cst., le principe
selon
lequel un canton ne peut imposer plus lourdement un contribuable du
fait
qu'il est assujetti aux impôts dans un autre canton (ATF 125 I 458
consid. 2a
p. 466/467, 54 consid. 1b p. 55/56; 121 I 259 consid. 2a p. 261 et les
références citées).

2.2 L'Administration fiscale zurichoise a estimé que le transfert de
l'immeuble de la société aux actionnaires constituait une
distribution de
dividende en nature. Cette distribution a été décidée par l'assemblée
générale qui a voté la dissolution le 2 mars 1999 et le transfert de
l'immeuble a eu lieu à cette même date, de sorte que celle-ci ferait
foi.
Comme les recourants avaient encore leur domicile dans le canton de
Zurich à
ce moment-là, ladite administration a inclus l'excédent de
liquidation dans
leur revenu imposable avec leurs autres revenus acquis du 1er janvier
au 15
mai 1999 (§ 49 et 50 LI/ZH) et l'ont soumis à l'impôt sur le revenu
ordinaire
- sans réduction particulière (§ 20 al. 1 let. c de la loi fiscale
zurichoise
du 8 juin 1997 [ci-après: LI/ZH], entrée en vigueur le 1er janvier
1999) -
pour la période allant du 1er janvier au 15 mai 1999. Le fait que la
liquidation n'était pas terminée le 2 mars 1999, en particulier que
l'appel
aux créanciers n'avait pas encore eu lieu, ne serait pas relevant,
car cet
appel n'était, dans le cas présent, qu'un acte de pure forme en
l'absence
d'incertitude quant à l'existence d'éventuels créanciers de la
société.

2.3 Les autorités vaudoises ont considéré que la liquidation de la
société
immobilière s'était terminée le 9 juillet 1999, soit le lendemain de
la
réquisition de radiation au registre du commerce. C'était donc à
cette date
que les recourants ont acquis l'excédent de liquidation. L'impôt
étant dû au
moment de l'acquisition de la prestation ou du bénéfice (art. 29 al.
3 de la
loi vaudoise du 26 novembre 1956 sur les impôts directs cantonaux
[ci-après:
aLI/VD], en vigueur en 1999) et les recourants étant domiciliés dans
le
canton de Vaud à ce moment-là, l'Administration des impôts vaudoise
s'est
estimée compétente pour imposer ledit excédent. Elle l'a donc soumis
à un
impôt unique et distinct de l'impôt ordinaire (art. 29 al. 1 let. d
aLI/VD),
au taux de 7% (art. 29 al. 4 let. c aLI/VD), réduit de 75%
conformément à
l'art 135 al. 1 et 2 aLI/VD qui dispose que:
"Les sociétés immobilières constituées avant le 1er janvier 1995, qui
décident leur dissolution pour permettre le transfert de leurs
immeubles à
leurs actionnaires, proportionnellement à leur participation au
capital-actions, et dont la liquidation est terminée avant le 1er
janvier
2000, bénéficient d'une réduction de 75% de l'impôt frappant le
bénéfice
réalisé à l'occasion du transfert immobilier.

L'impôt sur l'excédent de liquidation obtenu par l'actionnaire est
réduit
dans la même proportion."
Les autres revenus des recourants acquis après leur arrivée dans le
canton de
Vaud ont été annualisés et soumis à l'impôt sur le bénéfice au pro
rata de la
présence des recourants dans ce canton,
soit sept mois et demi.

2.4 Selon les recourants, le canton compétent pour imposer l'excédent
de
liquidation est celui où ils étaient domiciliés au moment où cet
excédent est
devenu exigible. Or, l'excédent pouvait être acquis, au plus tôt, au
terme de
l'écoulement du délai de l'appel aux créanciers. Comme les recourants
étaient
domiciliés dans le canton de Vaud ce moment-là, la compétence de
taxer cet
excédent reviendrait à ce canton.

3.
L'excédent de liquidation, obtenu par les recourants, de la société
immobilière a été soumis par le canton de Zurich à l'impôt sur le
revenu
cantonal et communal pour la période fiscale 1999 et par le canton de
Vaud à
l'impôt unique et distinct dû par les actionnaires pour l'année
fiscale 1999.
Les recourants sont donc victimes d'une double imposition effective.

Pour déterminer à quel canton revient le droit d'imposer l'excédent
en cause,
il convient d'abord de déterminer à quel moment, selon le droit des
sociétés,
l'actionnaire acquiert un excédent de liquidation.

3.1 La dissolution d'une société ouvre l'étape de la liquidation -
sauf en
cas de fusion, de reprise par une corporation de droit public ou de
transformation en société à responsabilité limitée - (art. 738 CO).
Lors
d'une dissolution avec liquidation, la société en liquidation garde sa
personnalité juridique aussi longtemps que la répartition entre
actionnaires
n'est pas terminée (art. 739 al. 1 CO). Le but de la société est
alors sa
liquidation aux meilleures conditions possibles (Roland Ruedin, Droit
des
sociétés, p. 366). Il s'agit de terminer les affaires courantes, de
recouvrer
les créances, de réaliser les actifs, de payer les dettes, de
rembourser les
apports des associés et de répartir entre eux le bénéfice ou la perte
de
liquidation (Roland Ruedin, op. cit., p. 368). Les liquidateurs sont
tenus de
dresser un bilan d'entrée en liquidation (art. 742 al. 1 CO). Afin de
déterminer le passif, l'art. 742 al. 2 CO, de droit impératif,
prévoit de
procéder à un appel aux créanciers. Même si une société n'a que
quelques
dettes, elle est tenue de procéder à cet appel (ATF 115 II 272
consid. 2 p.
273; Peter Böckli, Schweizer Aktienrecht, 2ème édition, no 1957b p.
1037;
Peter Forstmoser / Arthur Meier-Hayoz / Peter Nobel, Schweizerisches
Aktienrecht, § 56 no 94 p. 860). Les revendications des éventuels
créanciers
sont prises en compte jusqu'au moment de la répartition de l'actif
restant à
la fin de la liquidation (Pascal Montavon, Droit Suisse de la SA,
Tome III,
p. 370). Une fois les opérations de liquidation terminées, notamment
le
paiement de toutes les dettes, les liquidateurs dressent en principe
un bilan
de clôture (bien que ce dernier ne soit pas expressément prévu dans
la loi).
C'est sur la base de ce bilan que sera réparti le produit de
liquidation
entre les actionnaires (Peter Böckli, op. cit., no 1960 p. 1042; Peter
Forstmoser / Arthur Meier-Hayoz / Peter Nobel, op. cit., § 56 no 86
p. 859;
Pascal Montavon, op. cit., p. 374; Roland Ruedin, op. cit., p. 374).
La
répartition ne peut se faire qu'après le délai d'une année dès le
jour où
l'appel aux créanciers a été publié pour la troisième fois, voire
après un
délai de trois mois si un réviseur particulièrement qualifié atteste
que les
dettes sont éteintes et qu'on peut inférer des circonstances qu'aucun
intérêt
de tiers n'est mis en péril (art. 745 al. 2 et 3 CO). Les liquidations
informelles, dans les sociétés à personnalité juridique, sont
contraires au
droit. Il en va ainsi des liquidations de fait et tacite. Cette
dernière
consiste à exécuter toutes les opérations matérielles de liquidation
sans
respecter les formalités protectrices légales puis à requérir la
radiation
(Roland Ruedin, op. cit., p. 378/379). La radiation ne peut et ne
doit être
requise par les liquidateurs que si la liquidation a été faite
conformément
aux dispositions légales en la matière. Dans tous les cas, les
liquidateurs
doivent prouver que la triple publication de l'appel aux créanciers
dans la
Feuille officielle suisse du commerce a eu lieu et que le délai légal
est
expiré (Circulaire no 8 de l'Administration fédérale des
contributions du 6
mai 1985 sur la liquidation et radiation des sociétés de capitaux et
des
sociétés coopératives; fin de l'assujettissement in: Archives de
droit fiscal
suisse 54 p. 31).

Lors de la dissolution de la société anonyme, toute action donne
droit à une
part du bénéfice résultant de la liquidation de la société (art. 660
al. 2
CO). Il s'agit du dividende de liquidation proprement dit, à
distinguer de la
part relative au remboursement du capital de dotation initial (Pascal
Montavon, op. cit., p. 244). Ce droit présente de nombreuses
similitudes avec
le droit à une part au bénéfice, car il consiste à répartir des
bénéfices non
distribués au cours de la vie sociale. Il est conditionnel durant
toute
l'existence de la société mais, après la dissolution et le paiement
des
dettes, il se transforme en une créance contre la société, puisque
celle-ci
est tenue de répartir son actif entre les actionnaires (art. 745 al.
1 CO;
Peter Böckli, op. cit., no 1960e p. 1043; Wolfhart Bürgi / U.
Nordmann-Zimmermann, Commentaire zurichois, n. 2 ad art. 745 CO). Ce
droit ne
se concrétise donc qu'à la fin de la liquidation de la société (Roland
Ruedin, op. cit., p. 284) puisqu'aucune répartition de dividende ne
peut
avoir lieu auparavant (Peter Forstmoser / Arthur Meier-Hayoz / Peter
Nobel,
op. cit., § 56 no 114 p. 863; Pascal Montavon, op. cit., p. 366). En
général,
la part de liquidation de chaque actionnaire lui est payée par le
versement
d'une somme d'argent. Toutefois, à la demande d'un actionnaire et avec
l'approbation de l'assemblée générale de la société, celle-ci peut
s'acquitter de sa dette envers l'actionnaire en lui transférant un
actif de
la société (Wolfhart Bürgi / U. Nordmann-Zimmermann, op. cit., n. 14
ad art.
745 CO). Ce transfert a pour conséquence l'extinction de la dette de
la
société envers l'actionnaire dont l'origine est la dissolution de la
société.

Il résulte de ce qui précède que l'actionnaire a un droit à
l'excédent de
liquidation qui découle de sa qualité d'actionnaire, mais que ce
droit ne se
transforme en créance contre la société qu'à la fin de la procédure de
liquidation. Il ne peut être tiré argument, comme le fait
l'Administration
fiscale zurichoise, du seul fait qu'apparemment la société dissoute
n'avait
pas de créancier et que l'appel aux créanciers était purement formel
pour
admettre la légalité d'une distribution anticipée de l'excédent. En
effet,
comme on l'a vu ci-dessus, la protection d'éventuels créanciers est
primordiale et les liquidations informelles interdites.

3.2 La société en question a procédé aux différentes démarches
obligatoires
lors d'une liquidation. Elle a publié les trois appels aux créanciers
dans la
Feuille officielle suisse du commerce. Ce n'est qu'après l'expiration
du
délai de trois mois dès la publication du troisième appel que la
fiduciaire a
émis l'attestation en vue d'une répartition anticipée de l'actif.
Cette
attestation établit que, selon l'appréciation des réviseurs, les
dettes de la
société dissoute sont éteintes et qu'aucun intérêt de tiers n'est mis
en
péril par une répartition anticipée de l'actif. Elle est datée du 5
juillet
1999. C'est donc au plus tôt à cette date que les actionnaires
pouvaient
acquérir l'excédent de liquidation. Et ce, pour autant que les autres
actes
de liquidation (paiement des dettes, recouvrement des créances, etc.)
aient
été effectués auparavant.

4.
4.1D'après les principes généraux du droit fiscal, un revenu est
considéré
comme réalisé lorsque le contribuable peut effectivement en disposer,
c'est-à-dire lorsqu'un bien ou une prestation a passé en sa
possession ou
lorsqu'il a acquis un droit ferme à obtenir un bien ou une
prestation. Les
revenus en argent sont réalisés au moment du paiement, du virement au
compte
de chèques ou de banque ou du transfert sous une autre forme de la
somme
d'argent dans le patrimoine du contribuable (ATF 113 Ib 23 consid. 2e
p. 26;
105 Ib 238 consid. 4 p. 242). Il faut que la prétention, de
potentielle, soit
devenue actuelle par une concrétisation la rendant disponible (Walter
Ryser /
Bernard Rolli, Précis de droit fiscal suisse, p. 162). S'agissant
d'une
prestation en nature, c'est l'acquisition de la propriété qui est
déterminante pour fixer le moment de la réalisation du revenu (RDAF
1997 II
564 consid. 3b/aa p. 569, 2A.341/1993).

4.2 L'excédent de liquidation imposable comprend toutes les
prestations qui
sont faites aux détenteurs de droits de participation ou à des
personnes qui
leur sont proches à la suite de la dissolution de la société, pour
autant que
ces prestations ne représentent pas le remboursement du capital
existant au
moment de la dissolution (ATF 115 Ib 274 consid. 9c p. 279; 106 Ib 375
consid. 2a p. 377).

Selon la jurisprudence en matière d'impôt fédéral direct (RDAF 1997
II 175,
2A.392/1994), dont il n'y a pas lieu de s'écarter en principe ici, la
"liquidation est achevée lorsque toutes les opérations essentielles de
liquidation ont été exécutées, autrement dit lorsque les affaires
courantes
sont liquidées, les actifs réalisés, les engagements remplis et
d'éventuels
excédents d'actifs répartis. Cette réglementation correspond à la
règle
inscrite à l'art. 745 al. 1 CO, d'après laquelle l'actif d'une société
dissoute est, après paiement des dettes sauf disposition contraire des
statuts, réparti entre les actionnaires".
Ainsi, lorsqu'une liquidation se déroule selon les prescriptions
légales, les
règles de droit commercial (cf. consid. 3) s'appliquent également sur
le plan
fiscal.

4.3 Dans le cas présent, la liquidation a été faite conformément aux
dispositions y relatives (notamment l'appel aux créanciers).
L'excédent de
liquidation n'a été acquis sur le plan fiscal en principe qu'à la fin
de la
liquidation de la société; il ne pouvait en tout cas pas l'être avant
l'écoulement du délai de trois mois après le dernier appel aux
créanciers.
C'est ainsi au plus tôt au mois de juillet 1999 (cf. consid. 3.2) que
les
contribuables ont acquis une créance contre la société, soit un droit
à
l'excédent de liquidation. Il est vrai que l'acte notarié du
transfert de
l'immeuble de la société immobilière aux actionnaires est daté du 2
mars
1999. Ce transfert n'apparaît pas toutefois comme le versement en
nature d'un
excédent de liquidation, mais comme un transfert ordinaire, dont le
prix a
été acquitté par compensation de créances. Les actionnaires
demeuraient donc
débiteurs du prix de transfert de l'immeuble jusqu'à la fin de la
liquidation. Cela signifie que, si des créanciers s'étaient annoncés
alors
que le transfert avait déjà eu lieu, les recourants auraient dû
verser les
montants nécessaires pour acquitter les créances présentées.
L'attestation du
réviseur du 5 juillet 1999, qui mentionne que les dettes de la société
dissoute sont éteintes et qu'aucun intérêt de tiers n'est mis en
péril par
une répartition anticipée de l'actif, a mis fin au statut de
débiteurs des
actionnaires qui acquéraient alors un droit ferme à l'excédent de
liquidation
susceptible de compenser leur dette du prix de l'immeuble envers la
société.
L'acquisition de l'excédent ne pouvait donc pas être définitive avant
juillet
1999. La question de savoir ce qui s'est passé entre la réquisition de
radiation intervenue le 8 juillet 1999 et la radiation effective de la
société au registre du commerce, le 29 mars 2000, n'est, en
l'occurrence, pas
pertinente.

Cette solution s'impose d'autant plus qu'il s'agit d'une liquidation
privilégiée, institution instaurée pour favoriser la disparition des
sociétés
immobilières (cf. Message du Conseil fédéral du 25 mai 1983
concernant les
lois fédérales sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et
des
communes ainsi que sur l'impôt fédéral, in FF 1983 III 1 ss p. 70 et
250). En
effet, ces sociétés qui n'ont souvent qu'une existence formelle ne
font que
détenir des immeubles sans développer d'autres activités. Vu
l'importance de
leurs réserves latentes, une liquidation, même justifiée et souhaitée
par les
intéressés, serait impossible en raison du poids de la charge
fiscale. La
liquidation a donc été rendue avantageuse pour que ces sociétés
puissent être
juridiquement liquidées. Comme la disparition juridique de la société
est
l'élément déterminant de la liquidation privilégiée, il paraît
d'autant plus
logique d'admettre que l'excédent n'est acquis qu'à la date
déterminante
selon le droit des sociétés.

4.4 La position de l'Administration fiscale zurichoise, consistant à
privilégier l'aspect économique de la liquidation ne peut, en
l'occurrence,
être suivie. Elle pourrait se justifier en cas de liquidation
informelle
équivalant à une distribution dissimulée de bénéfice ou en cas
d'évasion
fiscale. Dans ces situations, c'est-à-dire lorsque la procédure
formelle de
la liquidation n'a pas été respectée, il n'est pas impossible que le
transfert de l'immeuble corresponde à l'acquisition de l'excédent de
liquidation et que la date de ce transfert soit alors déterminante.
Toutefois, comme on l'a vu ci-dessus, les recourants ont observé la
procédure
de liquidation.

Les autorités zurichoises tirent également argument du fait que les
recourants ont indiqué, comme
date d'échéance de la prestation dans
les
formules relatives à l'impôt anticipé, le 2 mars 1999, soit la date du
transfert de l'immeuble. De toute évidence, cette mention était
inexacte
puisque l'excédent de liquidation ne pouvait être acquis à ce
moment-là, la
liquidation n'étant pas terminée. Cette erreur n'avait d'ailleurs pas
de
conséquence puisque, quelle que soit la date de son acquisition,
l'excédent
de liquidation était soumis à l'impôt anticipé (art. 20 de
l'ordonnance
d'exécution de la loi fédérale sur l'impôt anticipé du 19 décembre
1966 [RS
642.211]). Au demeurant, les formules ont été remplies le 8 juillet
1999,
soit le jour de la réquisition de la radiation.

5.
Au regard de ce qui précède, les recourants n'ont acquis l'excédent de
liquidation en cause qu'à la fin de la liquidation de la société
T.________
SA, soit en juillet 1999 au plus tôt.

S'agissant d'un revenu de la fortune mobilière, c'est le canton de
domicile
de l'actionnaire au moment de l'exigibilité de l'excédent qui est
compétent
pour imposer ce revenu (ATF 83 I 100 consid. 4 p. 108/109 ; Peter
Locher,
Einführung in das interkantonale Steuerrecht, p. 83). Or, les
recourants
étaient domiciliés dans le canton de Vaud au moment de l'acquisition
de
l'excédent, soit au mois de juillet 1999. C'est donc à ce dernier que
revient
le droit d'imposer l'excédent de liquidation.

6.
En tant qu'il est dirigé contre le canton de Zurich, le présent
recours est
admis et la décision de taxation rendue le 19 février 2002 par
l'Administration fiscale zurichoise est annulée. Il appartiendra à
cette
administration de procéder à une nouvelle taxation pour la période
fiscale du
1er janvier au 15 mai 1999. En revanche, en tant qu'il est dirigé
contre le
canton de Vaud, le recours est rejeté dans la mesure où il est
recevable.

Succombant, le canton de Zurich, dont les intérêts pécuniaires sont
en cause,
doit supporter les frais judiciaires (art. 156 al. 1 et 2 a contrario
en
relation avec les art. 153 et 153a OJ). Il versera en outre une
indemnité à
titre de dépens aux recourants qui obtiennent gain de cause avec
l'assistance
d'un avocat (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis en tant qu'il est dirigé contre le canton de
Zurich et
la décision prise le 19 février 2002 par l'Administration cantonale
des
impôts du canton de Zurich est annulée.

2.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable, en tant
qu'il est
dirigé contre le canton de Vaud.

3.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du canton de
Zurich.

4.
Le canton de Zurich versera une indemnité de 2'000 fr. aux recourants
à titre
de dépens.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des
recourants, à
l'Administration fiscale du canton de Zurich et à l'Administration
cantonale
des impôts du canton de Vaud.

Lausanne, le 23 janvier 2003

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2P.75/2002
Date de la décision : 23/01/2003
2e cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-01-23;2p.75.2002 ?
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