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21/01/2003 | SUISSE | N°4P.226/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 21 janvier 2003, 4P.226/2002


{T 0/2}
4P.226/2002 /ech

Arrêt du 21 janvier 2003
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Corboz, président, Walter et Favre,
greffier Carruzzo

1. A.________,

2. B.________,

3. C.________,

4. D.________,

5. E.________,
recourants,

contre

X.________,
intimé, représenté par Me Anne Reiser, avocate, rue de Saint-Léger 2,
1205
Genève,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 et

29 Cst.; procédure civile genevoise

(recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la
Cour de
justice du canton de Genève...

{T 0/2}
4P.226/2002 /ech

Arrêt du 21 janvier 2003
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Corboz, président, Walter et Favre,
greffier Carruzzo

1. A.________,

2. B.________,

3. C.________,

4. D.________,

5. E.________,
recourants,

contre

X.________,
intimé, représenté par Me Anne Reiser, avocate, rue de Saint-Léger 2,
1205
Genève,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 et 29 Cst.; procédure civile genevoise

(recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la
Cour de
justice du canton de Genève du 13 septembre 2002)

Faits:

A.
Le 15 février 2000, X.________ a assigné A.________ en paiement de
92'120 fr.
75, plus intérêts, pour divers travaux de rénovation qu'il avait
effectués à
l'intérieur d'une villa propriété en main commune des quatre enfants
de
A.________, soit B.________, C.________, D.________ et E.________. Le
demandeur a également requis l'inscription définitive d'une
hypothèque légale
sur la parcelle où se trouve cette villa .

Par jugement du 20 septembre 2001, le Tribunal de première instance
de Genève
a condamné A.________ à payer au demandeur la somme de 92'120 fr. 75,
avec
intérêts à 5% l'an dès le 2 septembre 1999, et il a ordonné
l'inscription
définitive de l'hypothèque légale, à concurrence de ce montant, sur la
parcelle appartenant aux quatre enfants de A.________. Les cinq
défendeurs
ont été condamnés solidairement au paiement des dépens.

B.
En temps utile, les cinq défendeurs ont appelé de ce jugement. Le
mémoire
d'appel, déposé le 29 octobre 2001, était signé "pour les appelants"
par
A.________ seul.

Par arrêt du 13 septembre 2002, la Cour de justice du canton de
Genève a
déclaré l'appel irrecevable. Constatant que les cinq défendeurs
étaient
certes énumérés en tête de l'acte d'appel, mais que seul A.________
avait
signé cette écriture, la cour cantonale a considéré, s'agissant des
enfants
du prénommé, qu'ils n'avaient pas valablement formé appel, en vertu de
l'adage "nul ne plaide par procureur", et qu'il en allait de même
pour leur
père, dès lors que les cinq défendeurs auraient dû interjeter appel
ensemble
en leur qualité de consorts nécessaires.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________,
B.________,
C.________, D.________ et E.________concluent à l'annulation de
l'arrêt de la
Cour de justice et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour
nouvel
examen. Ils reprochent à cette autorité d'avoir commis un excès de
formalisme
et d'avoir appliqué de manière arbitraire le droit de procédure
genevois.
Selon eux, A.________ avait toujours agi pour lui-même et pour ses
consorts.
Aussi la Cour de justice aurait-elle dû leur offrir la possibilité de
réparer
une éventuelle irrégularité (l'absence de quatre signatures)
affectant le
mémoire d'appel, qui avait été déposé deux jours seulement avant la
fin du
délai légal. Subsidiairement, les recourants font valoir que
A.________ avait
qualité pour interjeter appel, à titre individuel, contre sa
condamnation
pécuniaire.
La Cour de justice se réfère à son arrêt. L'intimé conclut au rejet du
recours. Il met en doute l'authenticité de la procuration donnée le 30
septembre 2001 à A.________ par ses quatre enfants pour faire appel à
la Cour
de justice contre le jugement de première instance.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le recours de droit public au Tribunal est ouvert contre une
décision
cantonale pour violation des droits constitutionnels des citoyens
(art. 84
al. 1 let. a OJ).

L'arrêt attaqué est final dans la mesure où la cour cantonale a
déclaré
irrecevable l'appel des recourants, écartant ainsi leurs moyens
libératoires
par une décision qui n'est susceptible d'aucun autre moyen de droit
sur le
plan fédéral ou cantonal s'agissant du grief de violation directe
d'un droit
de rang constitutionnel (art. 84 al. 2 et 86 al. 1 OJ).

Les recourants sont personnellement touchés par la décision
entreprise, qui
refuse d'entrer en matière sur leurs conclusions libératoires, de
sorte
qu'ils ont un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce
que
cette décision n'ait pas été adoptée en violation de leurs droits
constitutionnels; en conséquence, la qualité pour recourir doit leur
être
reconnue (art. 88 OJ) .

Dans la mesure où les recourants font valoir l'interdiction du
formalisme
excessif et une application arbitraire des art. 7 al. 1 let. b et 300
al. 1
let. a de la loi de procédure civile du canton de Genève du 10 avril
1987
(LPC/GE), ils invoquent la violation directe de droits de rang
constitutionnel, de sorte que leur recours de droit public est
recevable au
regard de l'art. 84 al. 2 OJ.

Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ) dans la forme prévue par
la loi
(art. 90 al. 1 OJ), le présent recours est également recevable sous
cet
angle.

1.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine
que les
griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans
l'acte
de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 128 III 50 consid. 1c et les
arrêts
cités).

1.3 En raison de la nature cassatoire du recours de droit public (ATF
127 III
279 consid. 1b et les références), la conclusion tendant au renvoi de
la
cause à l'autorité cantonale est superflue.

2.
L'art. 300 al. 1 LPC/GE exige, à peine de nullité, que l'appel soit
formé par
un mémoire signé comportant, notamment, la désignation des parties. En
l'occurrence, cette dernière condition est remplie. Toutefois, seul
A.________ a signé l'acte d'appel. Relativement à cette personne, le
mémoire
d'appel satisfait donc aux réquisits légaux. Aussi, à supposer, que
l'intéressé ait été en droit d'appeler seul du jugement de première
instance,
sans égard à un éventuel appel des quatre autres défendeurs, la Cour
de
justice serait-elle tombée dans l'arbitraire en n'entrant pas en
matière sur
son appel. Il convient dès lors d'examiner - question préjudicielle
relevant
du droit fédéral - si les cinq défendeurs sont des consorts
nécessaires,
suivant l'opinion des juges cantonaux, ce que contestent les
recourants.

2.1 Il y a consorité matérielle nécessaire lorsque plusieurs
personnes sont
ensemble le titulaire ou le sujet passif d'un droit, de sorte qu'elles
doivent nécessairement agir en commun ou être actionnées ensemble. Le
droit
matériel fédéral détermine, expressément ou implicitement, dans quels
cas
plusieurs personnes disposent d'un droit en commun (arrêt C.139/1987
du 5
octobre 1987, consid. 2a, publié in SJ 1988 p. 83 et les auteurs
cités; voir
aussi: Fabienne Hohl, Procédure civile, Tome I, Berne 2001, n. 472 s.;
Marie-Françoise Schaad, La consorité en procédure civile, thèse
Neuchâtel
1993, p. 42 s.).

En revanche, lorsque la consorité est dite simple (sur cette notion
et sur la
distinction entre consorité simple matérielle et consorité simple
formelle,
cf. Hohl, op. cit., n. 521 ss; Schaad, op. cit., 40 s.), les consorts
procèdent en commun, mais ils sont indépendants les uns des autres.
L'attitude de l'un d'entre eux, notamment son désistement, son défaut
ou son
recours, est sans aucune influence sur la situation juridique des
autres
(Hohl, op. cit., n. 525 à 527 et n. 536 à 539).

2.2 En l'espèce, l'intimé a ouvert simultanément deux actions: il a
formé une
demande en paiement du prix de l'ouvrage visant le recourant n° 1
(A.________) et une demande en inscription définitive d'une
hypothèque légale
dirigée contre les recourants n°s 2 à 5 (les quatre enfants majeurs de
A.________). Dans son jugement du 20 septembre 2001, le Tribunal de
première
instance a condamné le recourant n° 1 au paiement de la somme
réclamée et les
recourants n°s 2 à 5 à souffrir l'inscription d'une hypothèque légale
définitive au profit de l'intimé, à concurrence du même montant.

Contrairement à l'avis des juges cantonaux, le demandeur n'a pas
assigné les
cinq défendeurs en tant que consorts nécessaires en procédant de la
sorte.
Certes, comme l'autorité intimée constate que les quatre enfants de
A.________ forment une société simple relativement à la parcelle où
se trouve
la villa litigieuse, il en découle que ce bien-fonds leur appartient
en
commun (art. 544 al. 1 CO), qu'ils ne peuvent en disposer que
conjointement,
qu'ils revêtent donc la qualité de consorts nécessaires à cet égard
et,
partant, qu'ils devaient être actionnés ensemble en vue de
l'inscription de
l'hypothèque légale (cf. Dieter Zobl, Das Bauhandwerkerpfandrecht de
lege
lata und de lege ferenda, in RDS 101 vol. II p. 121). Il ne s'ensuit
pas pour
autant que l'action en paiement du prix de l'ouvrage, ouverte
simultanément
par l'entrepreneur, aurait dû être dirigée non seulement contre le
maître
(A.________) mais également contre les propriétaires en main commune
de la
parcelle sur laquelle a été édifiée la villa concernée par les travaux
litigieux. L'existence d'une consorité nécessaire entre le père et
ses quatre
enfants ne résulte, en effet, ni des dispositions régissant le contrat
d'entreprise, auquel les enfants n'étaient pas partie, ni de celles
réglant
les rapports des associés avec les tiers. Sur ce dernier point, il
convient
de souligner, même en faisant abstraction du fait que A.________
n'était pas
membre de la société simple formée par ses enfants, que le principe
de la
responsabilité solidaire des associés pour les engagements qu'ils
assument
envers les tiers, lequel est ancré à l'art. 544 al. 3 CO, exclut la
possibilité d'une consorité nécessaire passive entre les associés à
l'égard
des créanciers (arrêt 4C.190/1996 du 14 octobre 1996, consid. 3b et
les
références, publié in SJ 1997 p. 400 s.).

La consorité nécessaire, retenue par la cour cantonale, ne découle pas
davantage du régime juridique auquel est soumise l'hypothèque légale
des
artisans et entrepreneurs (art. 839 ss CC). De fait, dans un récent
arrêt de
principe, le Tribunal fédéral a clairement indiqué que les actions en
paiement du prix de l'ouvrage et en inscription définitive de
l'hypothèque
légale sont dissociables, le créancier pouvant se contenter de
n'introduire
que la seconde (ATF 126 III 427 consid. 3 et les références).

Il ressort de ces considérations que A.________ avait la légitimation
passive
pour résister seul à l'action en paiement dirigée contre lui, sans
que le
demandeur dût mettre en cause les autres défendeurs. En conséquence,
il était
en droit d'appeler, en son nom et pour son propre compte, du jugement
condamnatoire de première instance. C'est ce qu'il a fait en
respectant les
exigences formelles fixées à l'art. 300 LPC/GE. Aussi la Cour de
justice
a-t-elle appliqué de manière arbitraire cette disposition en déclarant
irrecevable l'appel interjeté par ce défendeur contre sa condamnation
à
paiement et en le condamnant à tous les dépens d'appel. Il y a lieu,
partant,
d'annuler son arrêt dans cette mesure en tout cas.

3.
Les recourants reprochent également à la Cour de justice d'avoir fait
preuve
d'un formalisme excessif en déclarant leur appel irrecevable, parce
qu'il
aurait été interjeté par une personne - l'un d'entre eux - inapte à
représenter les autres, sans leur avoir donné l'occasion de corriger
le vice.

3.1 Selon la jurisprudence, l'interdiction du formalisme excessif ne
comprend
pas l'obligation d'octroyer un délai supplémentaire au justiciable
qui a
mandaté une personne non habilitée à le représenter, afin qu'il puisse
corriger ce vice. Ce principe n'exclut cependant pas qu'un tel délai
soit
imparti dans des circonstances particulières telles que la volonté du
législateur de simplifier le plus possible la procédure, en matière
d'assurances sociales notamment, l'imprécision des dispositions
cantonales
sur la représentation des justiciables ou encore la participation
devant
l'instance inférieure du mandataire non autorisé (ATF 125 I 166
consid. 3c et
d avec d'autres références).

3.2 Appliqué au cas particulier, le principe jurisprudentiel
sus-indiqué
prive de fondement le grief de formalisme excessif articulé par les
recourants.

L'art. 2 de la loi genevoise sur la profession d'avocat réserve la
représentation des parties en justice aux seuls avocats. A.________ ne
pouvait donc pas valablement représenter ses quatre enfants majeurs
devant
les juridictions genevoises ni, partant, signer le mémoire d'appel en
leur
nom. Que ceux-ci lui aient délivré une procuration à cette fin, comme
ils le
soutiennent en produisant devant le Tribunal fédéral la pièce arguée
de faux
par l'intimé, ne modifie en rien la situation juridique. Ainsi, la
Cour de
justice n'était, en principe, pas tenue d'octroyer un délai
supplémentaire
aux recourants pour qu'ils déposent un mémoire d'appel signé par un
avocat
dûment mandaté par eux ou portant la signature de chacun d'entre eux.

Cela étant, l'arrêt attaqué ne viole pas les droits constitutionnels
des
intéressés en tant qu'il déclare irrecevable l'appel interjeté par les
recourants n°s 2 à 5 contre leur condamnation à souffrir
l'inscription d'une
hypothèque légale sur l'immeuble dont ils sont propriétaires en main
commune.
Dans cette mesure, il n'y a donc pas lieu de l'annuler.

4.
L'intimé s'est opposé en vain à l'admission du recours, en tant qu'il
concernait
A.________, mais il y a résisté avec succès en tant qu'il
visait
les autres recourants. Il apparaît ainsi que la partie recourante et
la
partie intimée ont obtenu gain de cause, respectivement ont succombé,
dans
une mesure égale. Dès lors, chacune d'elles supportera la moitié de
l'émolument judiciaire (art. 156 al. 3 OJ), la part mise à la charge
des
recourants l'étant avec solidarité entre eux (art. 156 al. 7 OJ).
Quant aux
dépens, il se justifie, par identité de motifs, de les compenser
(art. 159
al. 3 OJ), ce que n'exclut pas le fait que les recourants ne sont pas
représentés par un avocat devant le Tribunal fédéral
(Messmer/Imboden, Die
eidgenössischen Rechtsmittel in Zivilsachen, p. 37 s. note de pied
29).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis et l'arrêt attaqué est annulé dans
la
mesure où il a, d'une part, déclaré irrecevable l'appel interjeté par
A.________ contre sa condamnation à paiement et sa condamnation
solidaire aux
dépens prononcées le 20 septembre 2001 par le Tribunal de première
instance
dans la cause C/4753/2000-2 et, d'autre part, condamné A.________ à
tous les
dépens d'appel.

2.
Un émolument judiciaire de 2'500 fr. est mis à la charge des
recourants,
solidairement entre eux, et un émolument judiciaire de 2'500 fr.
également
est mis à la charge de l'intimé.

3.
Les dépens sont compensés.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre
civile
de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 21 janvier 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.226/2002
Date de la décision : 21/01/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-01-21;4p.226.2002 ?
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