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15/01/2003 | SUISSE | N°I.189/02

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 15 janvier 2003, I.189/02


{T 7}
I 189/02

Arrêt du 15 janvier 2003
Ire Chambre

MM. les Juges Schön, Président, Borella, Rüedi, Kernen et Frésard.
Greffier : M. Vallat

M.________, recourant,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 26 octobre 2001)

Faits:

A.
M.________, né en 1971, a été amputé de la jambe droite au niveau du
tiers
proximal à l'Ã

¢ge de 7 ans. Après l'interruption de son apprentissage
de
peintre en bâtiment, en raison de résultats pratiques et scolaires
nette...

{T 7}
I 189/02

Arrêt du 15 janvier 2003
Ire Chambre

MM. les Juges Schön, Président, Borella, Rüedi, Kernen et Frésard.
Greffier : M. Vallat

M.________, recourant,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 26 octobre 2001)

Faits:

A.
M.________, né en 1971, a été amputé de la jambe droite au niveau du
tiers
proximal à l'âge de 7 ans. Après l'interruption de son apprentissage
de
peintre en bâtiment, en raison de résultats pratiques et scolaires
nettement
insuffisants, au mois d'avril 1987, il a entrepris une formation de
maçon dès
le mois d'août suivant au Centre d'orientation et de formation
professionnelles X.________. Cette formation a, elle aussi, été
interrompue,
en raison de problèmes de santé (infection du moignon) survenus à fin
1988.
D'entente avec l'Office régional de réadaptation professionnelle du
canton de
Vaud (ci-après: l'ORRP), il a été convenu que l'assuré serait orienté
vers le
domaine du dessin en bâtiment, par le Centre de formation
professionnelle
Y.________, dont il a toutefois été renvoyé à fin 1989 déjà à titre de
sanction pour avoir consommé du haschich. Dans la suite, l'assuré a
exercé
quelques mois durant une activité de décorateur dans une grande
surface, puis
de barman. Sans nouvelles de sa part, l'ORRP a renoncé à de plus
amples
mesures de réadaptation professionnelle en l'informant toutefois
qu'une
nouvelle demande de prestations était susceptible d'être examinée s'il
faisait preuve d'une motivation suffisante. Après que le tuteur de
M.________
eut déposé une nouvelle demande de prestations, au mois de mai 1994,
il est
apparu que l'intéressé avait été placé en détention préventive.

Jugé au mois d'avril 1997, il a été incarcéré aux Etablissements
Z.________,
probablement jusqu'au 9 mai 2012.

Au mois de septembre 2000, le Service socio-éducatif des
Etablissements
Z.________ a informé l'Office de réadaptation AI du désir de l'assuré
de
suivre une formation d'assistant-audio dispensée par le Centre de
formation
W.________, lorsque son régime de détention le lui permettrait. Par
décision
du 25 mai 2001, l'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de
Vaud
(ci-après: l'OAI) a rejeté cette demande de prestations. L'OAI
relevait
notamment que l'atteinte à sa santé n'empêcherait pas M.________
d'exercer un
certain nombre d'activités légères et sédentaires ne requérant pas de
formation professionnelle particulière, dont l'absence chez l'assuré
- qui
avait en son temps préféré se former à des activités qui
n'apparaissaient pas
particulièrement adaptées et avait, par la suite décidé de se
débrouiller par
ses propres moyens - n'était, du reste, pas en relation avec son état
de
santé.

B.
Par jugement du 26 octobre 2001, le Tribunal des assurances du canton
de Vaud
a rejeté le recours formé contre cette décision par l'assuré.

C.
Ce dernier interjette recours de droit administratif contre ce
jugement,
concluant à son annulation et à l'octroi de mesures de réadaptation
d'ordre
professionnel.

L'OAI conclut au rejet du recours. L'Office fédéral des assurances
sociales a
renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Il s'agit d'examiner le droit du recourant, atteint dans sa santé
depuis son
enfance mais actuellement en détention, à des mesures de réadaptation
d'ordre
professionnel.

Le premier juge a nié ce droit au motif que l'assuré ne subissait
aucune
perte de gain en raison de son atteinte à la santé et, en particulier,
qu'après avoir occupé des emplois physiquement exigeants (peintre en
bâtiment
et maçon) il demeurait en mesure de mettre en valeur une pleine
capacité de
gain dans un emploi léger et sédentaire, l'absence de formation
professionnelle étant, pour le surplus, sans relation avec l'atteinte
à la
santé.

2.
2.1Selon l'art. 8 al. 1 LAI, les assurés invalides ou menacés d'une
invalidité imminente ont droit aux mesures de réadaptation qui sont
nécessaires et de nature à rétablir leur capacité de gain, à
l'améliorer, à
la sauvegarder ou à en favoriser l'usage. Ce droit est déterminé en
fonction
de toute la durée d'activité probable.

2.2 Au titre des mesures d'ordre professionnel, la loi distingue la
formation
professionnelle initiale (art. 16 al. 1 LAI) du reclassement
professionnel
(art. 17 al. 1 LAI). Conformément à la première disposition citée, les
surcoûts occasionnés par l'invalidité sont pris en charge si la
formation
répond aux aptitudes de l'assuré et que celui-ci n'a pas encore eu
d'activité
lucrative (art. 16 al. 1 LAI); selon la jurisprudence, est invalide
au sens
de cette disposition l'assuré dont la formation initiale à une
profession
répondant à ses aptitudes occasionne, du fait de son invalidité, des
frais
beaucoup plus élevés qu'à un non-invalide (ATF 114 V 30 consid. 1b et
les
références citées). Quant au reclassement dans une nouvelle
profession,
l'assuré peut y prétendre s'il est rendu nécessaire par l'invalidité
pour
sauvegarder ou améliorer de manière notable la capacité de gain (art.
17 al.
1 LAI).

Le critère déterminant le droit à l'une ou l'autre de ces mesures de
réadaptation d'ordre professionnel réside dans l'exercice d'une
activité
lucrative d'une certaine importance avant la survenance de
l'invalidité et
l'application de la mesure (VSI 2000 p. 194 consid. 2a et les
références à
ATF 118 V 14 consid. 1c/cc et Meyer-Blaser, Zum
Verhältnismässigkeitsgrundsatz im staatlichen Leistungsrecht, thèse,
Berne
1985 p. 168). Dans un arrêt récent, la Cour de céans a, en outre,
précisé que
des mesures d'ordre professionnel appliquées à un assuré qui n'a pas
terminé
son apprentissage en raison de son invalidité mais a commencé à
exercer,
fût-ce depuis plusieurs années, une activité lucrative qui se révèle
inadaptée et non exigible à long terme, ne constituent pas un
reclassement
mais une "deuxième" formation professionnelle initiale ouvrant le
droit à une
"petite" indemnité journalière selon l'art. 22 al. 1 en corrélation
avec
l'art. 21bis al. 1 RAI (VSI 2002 p. 98 ss).

2.3 En l'espèce, il est constant que l'assuré est handicapé depuis son
enfance. A l'adolescence, il a bénéficié de diverses mesures de
formation
professionnelle initiale prises en charge par l'assurance-invalidité.
Ces
mesures ont toutefois été interrompues en raison du manque
d'aptitudes -
notamment physiques - de l'intéressé (apprentissage de peintre en
bâtiment)
et de problèmes de santé liés à son moignon (apprentissage de maçon).
En
dernier lieu, l'assuré a séjourné, avec l'accord de
l'assurance-invalidité,
au Centre Y.________, où ont été évaluées ses aptitudes à l'activité
de
dessinateur. Ce séjour d'observation a certes été interrompu pour des
motifs
étrangers à l'invalidité. Comme le révèlent les pièces du dossier, et
en
particulier le rapport rédigé par le Centre Y.________ à l'intention
de
l'Office régional AI de Lausanne le 13 septembre 1989, il ne
constituait
toutefois pas une formation professionnelle à proprement parler, mais
présentait plutôt le caractère d'une orientation professionnelle (cf.
ch.
3004 du Supplément 1 à la circulaire de l'Office fédéral des
assurances
sociales concernant les mesures de réadaptation d'ordre professionnel
[CMRP]). Dans les mois et les années qui ont suivi, l'intéressé a
exercé
diverses activités professionnelles, dont décorateur dans une grande
surface
(de février à août 1990 pour un revenu mensuel brut de 2'500 fr.) et
barman
(de mars à juin 1991 pour un revenu comparable), demandant, par
ailleurs, le
versement d'indemnités de chômage. Ni la première de ces activités,
abandonnée en raison d'irritations itératives du moignon, ni la
seconde,
interrompue en raison de la faillite de l'employeur, ne présentent le
caractère sédentaire ou semi-sédentaire (rapport du docteur
A.________, du 10
novembre 1994) permettant d'en exiger l'exercice, à long terme, par
l'assuré.

En l'absence de tout autre élément permettant d'établir que l'assuré,
avant
sa détention aurait, exercé une activité exigible d'une certaine
importance
économique, force est de constater qu'il n'a, jusque là, acquis aucune
formation professionnelle initiale, celles entreprises ayant été
interrompues, essentiellement, en raison de son handicap physique.

2.4 S'agissant des autres conditions ouvrant le droit à la prise en
charge
des frais d'une formation initiale, peu importe que, comme l'ont
retenu l'OAI
et le premier juge, l'assuré soit actuellement, même sans formation,
en
mesure, d'un point de vue théorique tout au moins, d'exercer une
activité
légère adaptée à son handicap; seul est en effet déterminant,
conformément à
la jurisprudence rappelée ci-dessus (consid. 2.2), le point de savoir
si la
formation en cause, à supposer qu'elle réponde aux aptitudes de
l'intéressé,
lui occasionne, en raison de son atteinte à la santé, des frais
beaucoup plus
élevés qu'à un non-invalide.

3.
Il convient, par ailleurs, également d'examiner si, et dans quelle
mesure, la
situation de l'assuré, actuellement en détention, influence son droit
auxdites prestations.

3.1 Selon la jurisprudence, l'exécution d'une peine privative de
liberté ne
confère pas à l'assuré un statut juridique particulier justifiant le
refus
des prestations de l'assurance-invalidité. Le droit à certaines de ces
prestations - le versement des rentes en particulier - est néanmoins
suspendu
pendant l'exécution de la peine; cette suspension est notamment
justifiée par
le souci d'éviter que le détenu, qui est entretenu par la collectivité
publique, ne retire un avantage économique en raison de l'exécution
de sa
peine durant laquelle, qu'il soit ou non invalide, il perd, en règle
générale, son salaire ou ses gains professionnels (ATF 113 V 276
consid. 2;
voir aussi l'art. 21 al. 5 LPGA). La jurisprudence a également eu
l'occasion
de préciser que le fait qu'un assuré est soumis à des mesures
ressortissant
au droit pénal (placement en maison d'éducation [art. 91 ch. 1 al. 1
CP];
placement dans un établissement pour alcooliques ou toxicomanes [art.
44 ch.
1 et 6 CP]) n'excluait pas l'octroi de mesures d'ordre professionnel
par les
organes de l'assurance-invalidité sur lesquelles les mesures pénales
n'ont
pas la priorité. Il s'agit plutôt, dans ce contexte, de collaboration
ou tout
au moins de coordination entre les services compétents (ATF 114 V 31
consid.
2b et les références citées).

3.2 Ces considérations, qui tiennent compte du caractère éducatif
(art. 91
ch. 1 CP), respectivement thérapeutique (art. 44 CP) des mesures
pénales de
placement dans une maison d'éducation et de traitement des
alcooliques et des
toxicomanes ne sont certes pas transposables telles quelles aux cas
dans
lesquels, comme en l'espèce, l'assuré subit une peine au sens des
art. 35 et
36 CP. Aussi convient-il, s'agissant d'évaluer la nécessité d'une
mesure
d'ordre professionnel au sens de la LAI et de son idonéité à rétablir,
améliorer, sauvegarder ou favoriser l'usage de la capacité de gain
(v. supra
consid. 2.1), de tenir compte des particularités du régime
d'exécution de la
peine de l'intéressé.

En ce sens, et cela va de soi, l'application d'une mesure d'ordre
professionnel du droit des assurances sociales ne doit pas permettre à
l'intéressé de recouvrer durant l'exécution de sa peine une partie de
la
liberté dont cette dernière tend précisément à le priver. C'est,
toutefois,
en premier lieu, à l'autorité cantonale d'exécution des peines et non
aux
autorités administratives et judiciaires compétentes en matière de
droit
social, qu'il appartient de décider si l'application d'une mesure
ressortissant au droit des assurances sociales est compatible avec
l'exécution d'une peine privative de liberté. Cela étant, le détenu
peut
bénéficier dans le cadre de l'exécution d'une peine d'emprisonnement
ou de
réclusion, de certains allégements, durant lesquels l'exécution de la
sentence pénale n'interfère pas nécessairement avec l'application
d'une
mesure d'ordre professionnel: ainsi, notamment, lorsqu'il bénéficie
d'un
régime de semi-liberté (art. 37 ch. 3 CP) ou de la liberté
conditionnelle
(art. 38 CP), voire, pour des peines de courte durée, respectivement
n'excédant pas six mois ou une année, d'un régime de semi-détention
(art.
37bis CP en corrélation avec les art. 4 OCP [1] et 1 OCP [3]). Dans
de telles
hypothèses, et sous réserve de l'accord et des conditions posées par
l'autorité cantonale d'exécution des peines, l'application d'une
mesure
d'ordre professionnel apparaît d'autant moins exclue qu'elle peut, le
cas
échéant, également favoriser la réinsertion sociale, qui constitue
l'un des
buts de l'exécution de la peine (Martin Killias et Bernard Dénéréaz,
Précis
de droit pénal général, Berne 1998, p. 198; Jörg Rehberg, Strafrecht
II, 6ème
éd., Zurich 1994, p. 37).

Afin que la mesure d'ordre professionnel puisse atteindre son but, il
convient également de tenir compte du terme auquel le condamné
pourra, après
avoir recouvré totalement ou partiellement sa liberté, mettre
concrètement en
valeur sa capacité de gain sur le marché du travail. En ce sens,
l'acquisition d'une formation professionnelle - surtout dans une
activité
comme celle désirée par l'assuré, à caractère
technique et évoluant
rapidement - n'apparaît réellement nécessaire au sens de l'art. 8 al.
1 LAI
que lorsque la profession peut être exercée dans un délai raisonnable
après
son apprentissage.

On ne saurait, enfin, sous-estimer non plus l'action éducative de
l'exécution
de la peine et, en particulier, des travaux auxquels le détenu est
astreint
et qui, autant que possible, doivent répondre à ses aptitudes et lui
permettre, une fois en liberté, de subvenir à son entretien (art. 37
ch. 1
al. 2 CP). Ces activités peuvent, le cas échéant, permettre à
l'intéressé
d'acquérir en cours de détention une formation initiale rendant sans
objet
l'intervention de l'assurance-invalidité.

3.3 En l'état, les pièces du dossier ne fournissent, hormis la date
de la fin
de sa peine, aucun renseignement sur la situation de l'intéressé, ses
activités en détention, la date à partir de laquelle il pourrait
bénéficier
d'un régime de semi-liberté ou d'une libération conditionnelle, ni
même sur
ses aptitudes et les éventuels frais supplémentaires qu'engendrerait
son
invalidité dans le cadre de la formation envisagée. Aussi la cause
doit-elle
être renvoyée à l'administration afin qu'elle complète l'instruction
sur ces
différents points et rende une nouvelle décision.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis. Le jugement du Tribunal des assurances du
canton de
Vaud du 26 octobre 2001 ainsi que la décision de l'Office de
l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, du 25 mai 2001, sont
annulés
et la cause renvoyée à l'administration pour instruction
complémentaire et
nouvelle décision au sens des considérants.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des
assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 15 janvier 2003
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la Ire Chambre: Le Greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.189/02
Date de la décision : 15/01/2003
Cour des assurances sociales

Analyses

Art. 8 et 16 LAI: Mesures de réadaptation professionnelle en cas d'exécution d'une peine privative de liberté. - Il appartient à l'autorité d'exécution des peines de décider si l'application d'une mesure de réadaptation d'ordre professionnel est compatible avec l'exécution d'une peine privative de liberté. Sous réserve de l'accord et des conditions posées par cette dernière, l'octroi de mesures de réadaptation à un assuré subissant une peine privative de liberté n'est pas exclu. - Lorsqu'il s'agit d'évaluer le caractère nécessaire au sens de l'art. 8 al. 1 LAI de la mesure, il convient de tenir compte, notamment, du régime d'exécution de la peine et du moment auquel l'intéressé pourra exercer l'activité à laquelle il souhaite se former. S'agissant, en particulier, du droit à la prise en charge d'une formation initiale, il convient également d'examiner dans quelle mesure les travaux auxquels le détenu est astreint ne lui permettent pas d'acquérir une telle formation, rendant alors sans objet l'intervention de l'assurance-invalidité.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-01-15;i.189.02 ?
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