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14/01/2003 | SUISSE | N°I.338/02

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 14 janvier 2003, I.338/02


{T 7}
I 338/02

Arrêt du 14 janvier 2003
IIe Chambre

MM. les Juges Schön, Président, Ursprung et Frésard.
Greffier : M. Vallat

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant,

contre

M.________, intimé, agissant par son tuteur D.________, lui-même
représenté
par Me Ivan Zender, avocat, avenue Léopold-Robert 88, 2301 La
Chaux-de-Fonds

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 3 janvier 2002)


Faits :

A.
M.________, magasinier aux ateliers principaux des X.________ à
Y.________, a
subi deux accidents d...

{T 7}
I 338/02

Arrêt du 14 janvier 2003
IIe Chambre

MM. les Juges Schön, Président, Ursprung et Frésard.
Greffier : M. Vallat

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant,

contre

M.________, intimé, agissant par son tuteur D.________, lui-même
représenté
par Me Ivan Zender, avocat, avenue Léopold-Robert 88, 2301 La
Chaux-de-Fonds

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 3 janvier 2002)

Faits :

A.
M.________, magasinier aux ateliers principaux des X.________ à
Y.________, a
subi deux accidents du genou droit lors de périodes de service
militaire en
1980 et 1982. Les suites de ces deux accidents ont été prises en
charge par
l'assurance militaire fédérale.

Ensuite de la récidive de douleurs à cette articulation en octobre
1994,
liées à une lésion méniscale cliniquement suspecte et à une chondrite
multi-compartimentale (rapport du docteur A.________, du 6 avril 1995)
évoluant défavorablement (dito des 11 et 28 août 1995) et justifiant
une
incapacité de travail de 50 à 100 % (dito du 3 octobre 1995),
l'assuré n'a
plus travaillé qu'à raison de 50 %, au service du même employeur,
dans une
activité allégée qu'il a interrompue au mois de février 1997.

Des prestations, sous forme de rente provisoire, ont été allouées par
l'assurance militaire fédérale jusqu'au 30 septembre 1999 (décision
du 3
décembre 1999).

Dans l'intervalle, soit le 18 octobre 1995, M.________ a déposé en
main de
l'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud (ci-après:
l'OAI)
une demande de prestations.

Après avoir subi une nouvelle arthroscopie avec lyse du ligament
patellaire
et ostéotomie tibiale proximale de valgisation, en février et
septembre 1997,
l'assuré a suivi un stage au Centre d'observation professionnelle de
l'AI
(COPAI), à Yverdon-les-bains, du 23 mars au 17 avril 1998. A l'issue
de ce
séjour, les spécialistes de la réadaptation professionnelle ont
indiqué que
le manque de précision et une motricité déficiente empêchent l'assuré
de
réaliser de manière performante des activités à l'établi dans
lesquelles, en
termes d'exigibilité, il serait à même d'obtenir des rendements de 70
%. Ils
ont également relevé des restrictions importantes aux possibilités de
reprise
d'une activité professionnelle, chez un assuré taillé pour les gros
travaux
en extérieur, disposant de capacités d'apprentissage globalement
moyennes,
manquant de continuité ainsi que de logique, éprouvant beaucoup de
peine à
organiser son poste de travail, fortement limité dans sa mobilité et
qui
n'affectionne pas particulièrement les activités sédentaires ni
n'envisage de
travailler dans un atelier fermé (rapport du COPAI, du 18 mai 1998).
Selon le
médecin-conseil du centre, toutefois, bien que fournissant des
prestations de
piètre qualité, l'assuré pourrait travailler à plein temps en
position assise
dans une activité répétitive légère, avec un rendement qui devrait
être
proche de la norme (rapport du docteur B.________, du 4 mai 1998).

A la suite d'investigations neurologiques complémentaires, les
docteurs
C.________ et E.________ (rapport du 23 juillet 1999), du service de
neurologie du Centre hospitalier Z.________, ont conclu que la
résistance des
douleurs aux traitements était liée à des mécanismes
psychodynamiques, qui
avaient été évoqués par les docteurs F.________ et G.________. Selon
ces deux
psychiatres, l'assuré, qui n'est pas dans un état dépressif latent,
présente
en effet une personnalité sensitive, qui offre un terrain de
vulnérabilité
favorisant l'émergence d'un trouble somatoforme douloureux persistant
(rapport du Service de psychiatrie de liaison du Département
universitaire de
psychiatrie adulte, du 23 juin 1999).

Afin de compléter l'instruction sur le plan psychiatrique, l'OAI a
demandé au
docteur H.________, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie,
de
procéder à une expertise de l'assuré. Dans un rapport du 10 avril
2000, ce
médecin, évoquant une forte composante de simulation ou d'exagération
intentionnelle des troubles, a conclu à une diminution de la capacité
de
travail de l'assuré de 33 1/3 % d'un point de vue psychiatrique
depuis 1994
en raison d'un trouble douloureux associé à la fois à des facteurs
psychologiques (personnalité évitante à traits paranoïaques) et à une
affection médicale générale chronique (gonalgies droites), la
capacité de
travail dans une activité adaptée étant, sur le plan somatique,
entière.

Par décision du 27 mars 2001, l'OAI a nié le droit de l'assuré à une
rente,
compte tenu d'un degré d'invalidité de 31 % résultant des seules
affections
physiques, le trouble somatoforme douloureux n'étant, selon l'OAI, pas
invalidant en l'absence de comorbidité psychiatrique grave.

B.
Par jugement du 3 janvier 2002, le Tribunal des assurances du canton
de Vaud
a admis le recours interjeté contre cette décision par l'assuré. Il a
annulé
cette dernière, retenant un degré d'invalidité de 53 % prenant en
considération la perte de gain liée à une incapacité de travail de 33
1/3 %
en raison des troubles psychiques et a renvoyé la cause à
l'administration
pour nouvelle décision au sens des considérants.

C.
L'OAI interjette recours de droit administratif contre ce jugement en
concluant à son annulation. L'assuré représenté par son tuteur - au
bénéfice
d'une autorisation de plaider de la Justice de paix du cercle
d'Yverdon -,
lui-même représenté par un avocat, conclut au rejet du recours, sous
suite de
dépens.

L'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.
Considérant en droit :

1.
Le Tribunal fédéral des assurances n'étant pas lié par les motifs que
les
parties invoquent (art. 114 al. 1 en corrélation avec l'art. 132 OJ),
il
examine d'office si le jugement attaqué viole des normes de droit
public
fédéral ou si la juridiction de première instance a commis un excès
ou un
abus de son pouvoir d'appréciation (art.104 let. a OJ). Il peut ainsi
admettre ou rejeter un recours sans égard aux griefs soulevés par le
recourant ou aux raisons retenues par le premier juge (ATF 125 V 500
consid.
1, 124 V 340 consid. 1b et les références).

2.
Le jugement entrepris expose correctement les dispositions légales et
réglementaires ainsi que les principes jurisprudentiels relatifs à la
notion
d'invalidité, à son évaluation chez les assurés actifs - en
particulier en ce
qui concerne les modalités du recours à des données salariales
statistiques -
ainsi qu'aux conditions du droit à une rente d'invalidité, si bien
qu'il
suffit d'y renvoyer sur ces différents points.

3.
3.1La capacité de travail de l'assuré dans une activité adaptée à ses
troubles physiques n'est pas contestée. Seul demeure litigieux, en
relation
avec la capacité de travail, le point de savoir s'il doit être fait
abstraction de la diminution de 33 1/3 % liée à l'existence d'un
trouble
somatoforme douloureux au motif, allégué par le recourant, que ce
trouble
n'est pas lié à une comorbidité psychiatrique grave.

3.2 Selon la jurisprudence, l'expert médical appelé à se prononcer
sur le
caractère invalidant de troubles somatoformes doit poser un
diagnostic dans
le cadre d'une classification reconnue et se prononcer sur le degré de
gravité de l'affection. Il doit évaluer le caractère exigible de la
reprise
par l'assuré d'une activité lucrative. Ce pronostic tiendra compte de
divers
critères, tels une structure de la personnalité présentant des traits
prémorbides, une comorbidité psychiatrique, des affections corporelles
chroniques, une perte d'intégration sociale, un éventuel profit tiré
de la
maladie, le caractère chronique de celle-ci sans rémission durable,
une durée
de plusieurs années de la maladie avec des symptômes stables ou en
évolution,
l'échec de traitements conformes aux règles de l'art. Le cumul des
critères
précités fonde un pronostic défavorable. Enfin, l'expert doit
s'exprimer sur
le cadre psychosocial de la personne examinée. Au demeurant, la
recommandation de refus d'une rente doit également reposer sur
différents
critères. Au nombre de ceux-ci figurent la divergence entre les
douleurs
décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses douleurs
dont
les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins,
les
grandes divergences entre les informations fournies par le patient et
celles
ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives
laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds
handicaps
malgré un environnement psychosocial intact (VSI 2000 p. 154 s.
consid. 2c).

Si, dans certains cas d'espèce, la jurisprudence a nié l'existence
d'une
incapacité de travail significative résultant de troubles somatoformes
douloureux en l'absence de comorbidité psychiatrique grave (VSI 2000
p. 156),
elle a rappelé à diverses reprises que cet arrêt ne peut être
interprété en
ce sens que des troubles de ce type ne seraient susceptibles de
fonder une
invalidité au sens de la LAI qu'en relation avec une telle comorbidité
(arrêts non publiés Q. du 8 août 2002 [I 783/01] et L. du 6 mai 2002
[I
275/01]). Un tel schématisme, qui procède d'une mauvaise
compréhension des
motifs de l'arrêt publié dans VSI 2000 p. 156, ne saurait, en effet,
s'accorder avec la complexité de la problématique du caractère
invalidant des
troubles somatoformes douloureux, qui justifie les exigences posées à
l'adresse de l'expert par la jurisprudence précitée.

3.3 Selon les constatations de l'expert en psychiatrie, l'assuré
présente un
trouble douloureux associé à la fois à des facteurs psychologiques
(personnalité évitante à traits paranoïaques) et à une affection
médicale
générale chronique, sous la forme de gonalgies droites justifiant,
sur le
plan psychiatrique, une incapacité de travail maximale de 33 1/3 %. Ce
diagnostic, posé à l'issue de deux entretiens et sur la base de
l'étude du
dossier ainsi que des résultats de tests psychologiques est étayé
d'une
discussion approfondie. Les constatations de l'expert mettent
notamment en
évidence les nombreux traitements médicaux (meniscectomie partielle
interne,
ponctions, injections intra-articulaires de stéroïdes, physiothérapie,
ostéotomie de valgisation du tibia) subis par l'assuré depuis 1994 et
demeurés tout au moins partiellement sans effet sur l'affection du
genou,
qualifiée de chronique. L'ensemble de ces circonstances, même en
l'absence de
comorbidité psychiatrique avérée, de perte d'intégration sociale et
d'un
profit tiré de la maladie, n'en cumule pas moins la plupart des
critères
posés par la jurisprudence précitée. En ce qui concerne les
circonstances
susceptibles de justifier le refus d'une rente, si l'expert relève des
divergences entre les douleurs décrites et le comportement observé et
si, en
partie tout au moins, les plaintes très démonstratives de l'assuré
l'ont
apparemment laissé insensible, ces éléments ont été pris en compte
dans
l'évaluation de la capacité résiduelle de travail, pour laquelle
l'expert
distingue clairement le facteur constitué par le trouble douloureux
des
composantes d'exagération et de simulation pure et simple des
symptômes. On
ne saurait, en conséquence, faire grief aux premiers juges d'avoir
retenu les
conclusions du docteur H. dont le rapport répond, pour le surplus, à
toutes
les exigences permettant de lui reconnaître pleine valeur probante
(ATF 125 V
352 consid. 3, 122 V 160 consid 1c). Le recours se révèle infondé sur
ce
point.

4.
4.1Le revenu d'invalide de l'intimé a été estimé par les premiers
juges à
26'840 fr. Ce montant correspond à la valeur médiane annualisée des
revenus
d'activités simples et répétitives (Enquête suisse sur la structure
des
salaires 1998, TA1, niveau de qualification 4) auxquels peut
prétendre un
homme actif dans le secteur privé (12 x 4'268 = 51'216 fr.), après
adaptation
à un horaire de travail hebdomadaire de 41,8 heures (53'520 fr.) et à
l'évolution des salaires nominaux de 1998 à 1999 (53'680 fr. = 53'520
x 100,3
%), compte tenu d'une capacité de travail de 66 2/3 % (35'786 fr.) et
sous
déduction d'un abattement maximal de 25 % (35'786 x 75 % = 26'840
fr.).
Le recourant conteste la quotité de 25 % de cette déduction.

4.2 Sur ce point, force est de constater que le seul motif invoqué
par les
premiers juges - le manque de formation de l'assuré - ne saurait
justifier, à
lui seul, la déduction maximale de 25 % du revenu statistique. Compte
tenu de
l'âge de l'intéressé, né en 1954, de sa capacité de travail encore
importante, de sa nationalité (suisse), une déduction de 10 % permet
de tenir
équitablement compte de son manque de formation.

Le revenu d'invalide doit ainsi être arrêté à 32'207 fr. (35'786 x 90
%).

5.
Au titre du revenu sans invalidité, les premiers juges ont retenu le
montant
de 57'992 fr., communiqué - à une date et selon des modalités
inconnues - par
l'ancien employeur de l'assuré à l'OAI (rapport intermédiaire de
l'OAI, du 23
novembre 2000). Dans sa décision du 27 mars 2001, ce dernier avait,
pour sa
part, évalué le revenu sans invalidité à 69'960 fr., correspondant au
gain
retenu par l'Assurance militaire fédérale dans sa décision du 3
décembre
1999.

La différence importante existant entre ces deux évaluations (de
l'ordre de
20 %) ne
permet pas de confirmer, sans une instruction plus
approfondie, le
revenu sans invalidité retenu par les premiers juges. On ignore en
particulier si le revenu communiqué en dernier lieu par l'employeur
constitue
un revenu net ou brut. Il convient également de relever que, selon les
indications fournies par l'employeur de l'intimé en novembre 1995, ce
dernier
a réalisé, avant la survenance de l'invalidité des revenus (revenu
AVS sans
prestations d'assurance) de 58'730 fr., 59'728 fr. et 54'750 fr.
(respectivement en 1993, 1994 et 1995). Sous réserve du revenu de
1995 -
réalisé, apparemment, sur une période de onze mois seulement
(treizième
salaire en sus) - ces gains annuels apparaissent déjà supérieurs à
celui
retenu par les premiers juges - pour une période de plusieurs années
postérieure - alors que l'on pourrait s'attendre, selon le cours
ordinaire
des choses, à une certaine stabilité, voire une progression, des
revenus
obtenus auprès d'un même employeur, dans une même activité. Au
demeurant, le
revenu mensuel brut de 5'641 fr. 80 (depuis le 1er janvier 1994)
indiqué par
l'employeur en novembre 1995, versé douze fois, confirmerait plutôt un
salaire annuel de l'ordre de 65'000 à 70'000 fr., tel celui retenu par
l'assurance militaire.

L'ancien employeur de l'intéressé a certes indiqué que les revenus
communiqués en 1995 ne correspondaient pas au rendement de l'assuré.
On
ignore toutefois concrètement si un salaire social était versé et, le
cas
échéant depuis quelle date et dans quelle proportion, comme on ignore
si le
revenu de 57'992 fr. comporte, lui aussi, une composante sociale ou
aurait,
au contraire, été représentatif du rendement de l'intéressé.

Il convient dès lors de renvoyer la cause à l'administration afin
qu'elle
détermine à nouveau le revenu sans invalidité de l'intimé, en
requérant de
son ancien employeur des renseignements plus précis et circonstanciés
et
qu'elle procède, sur cette base, à une nouvelle évaluation de son
invalidité,
conformément aux considérants qui précèdent.

6.
L'intimé a conclu au rejet du recours. N'obtenant pas gain de cause,
il ne
peut prétendre l'allocation de dépens (art. 159 al. 1 en corrélation
avec
l'art. 135 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce :

1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement du Tribunal des
assurances du
canton de Vaud, du 3 janvier 2002, ainsi que la décision de l'OAI, du
27 mars
2001, sont annulés et la cause renvoyée à l'administration pour
instruction
complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des
assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 14 janvier 2003
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre: Le Greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.338/02
Date de la décision : 14/01/2003
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-01-14;i.338.02 ?
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