La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/01/2003 | SUISSE | N°1P.500/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 09 janvier 2003, 1P.500/2002


{T 0/2}
1P.500/2002 /col

Arrêt du 9 janvier 2003
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et président du
Tribunal
fédéral,
Reeb et Fonjallaz;
greffier Zimmermann.

la société C.________,
recourante, représentée par Me Jean-Daniel Borgeaud, avocat,
boulevard des
Tranchées 16, case postale 328, 1211 Genève 12,

contre

Département de l'aménagement, de l'équipement
et du logement du canton de Genève,
rue David-Dufour 5, case postale 22, 1

211 Genève 8,
Tribunal administratif du canton de Genève,
rue des Chaudronniers 3, 1204 Genève.

autorisation de constr...

{T 0/2}
1P.500/2002 /col

Arrêt du 9 janvier 2003
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et président du
Tribunal
fédéral,
Reeb et Fonjallaz;
greffier Zimmermann.

la société C.________,
recourante, représentée par Me Jean-Daniel Borgeaud, avocat,
boulevard des
Tranchées 16, case postale 328, 1211 Genève 12,

contre

Département de l'aménagement, de l'équipement
et du logement du canton de Genève,
rue David-Dufour 5, case postale 22, 1211 Genève 8,
Tribunal administratif du canton de Genève,
rue des Chaudronniers 3, 1204 Genève.

autorisation de construire, changement d'affectation,

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif du
canton de
Genève du 17 septembre 2002.

Faits:

A.
La société W.________ est propriétaire de la parcelle n° 3804 du
Registre
foncier de Genève. Sur ce bien-fonds de 2262 m2, sis à l'angle formé
par le
boulevard du Pont d'Arve, le carrefour des 23-Cantons et l'avenue
Henri-Dunant, est érigé un bâtiment abritant des bureaux. La parcelle
n° 3804
est classée dans la deuxième zone de construction au sens de l'art.
19 al. 1
let. b de la loi genevoise d'application de la LAT, du 4 juin 1987
(LALAT),
destinée notamment au commerce et aux activités du secteur tertiaire.
Elle
est également comprise dans le secteur 3 du plan d'utilisation du sol
de la
Ville de Genève (ci-après: le plan), régi par le règlement
transitoire y
relatif (ci-après: le Règlement), adoptés le 21 juin 1988 par le
Conseil
municipal de la Ville de Genève et approuvés le 24 août 1988 par le
Conseil
d'Etat du canton de Genève.

B.
Le 1er décembre 2000, W.________ a loué à la société C.________
l'arcade du
bâtiment, sis au rez-de-chaussée du n° 28 de l'avenue Henri-Dunant,
précédemment occupée par une banque. Aux termes du contrat de bail, le
locataire se chargeait d'effectuer les transformations nécessaires des
locaux, ainsi que leur réaménagement; il lui incombait de requérir les
"autorisations officielles de démolition". C.________, déjà locataire
de
locaux situés dans les étages supérieurs du bâtiment, souhaitait
utiliser
l'arcade en question pour la formation de son personnel appelé à
changer de
système informatique.

Le 14 décembre 2000, R.________, architecte agissant au nom de
C.________, a
déposé une demande d'autorisation de construire par la voie de la
procédure
accélérée auprès du Département cantonal de l'aménagement, de
l'équipement et
du logement (ci-après: le Département cantonal). Cette demande
portait sur le
réaménagement intérieur de l'arcade, par la création d'une salle de
conférence, d'une salle de cours et d'une salle de réunion et de
repas, ainsi
que d'un bar à café, de toilettes et de douches.

Le 23 janvier 2001, le Département de l'aménagement, des
constructions et de
la voirie de la Ville de Genève (ci-après: le Département municipal)
a émis
un préavis défavorable au projet, car celui-ci ne répondait pas à
l'art. 8
al. 1 du Règlement, aux termes duquel, dans les secteurs 1 à 5 du
plan, en
cas de changement d'affectation des locaux, les surfaces au
rez-de-chaussée
donnant sur des lieux de passage ne peuvent être affectés à des
bureaux
fermés au public .

A raison de ce préavis défavorable, C.________ a, le 23 février 2001,
modifié
sa requête, portant désormais sur la création de trois salons privés,
d'un
bar à café, de toilettes et de douches. Les locaux seraient
accessibles
depuis l'avenue Henri-Dunant, une "zone d'accueil" étant créée dans
le hall.
Le 20 mars 2001, le Département municipal a persisté dans son préavis.

Le 6 avril 2001, un inspecteur du Département cantonal a constaté que
les
travaux avaient été achevés.

Le 2 mai 2001, le Département cantonal a rejeté la demande
d'autorisation, au
motif que les travaux en question allaient à l'encontre de l'art. 8
al. 1 du
Règlement et constituaient une simple extension des bureaux aménagés
dans les
étages supérieurs du bâtiment.

Contre cette décision, C.________ a, le 5 juin 2001, recouru auprès
de la
Commission cantonale de recours en matière de constructions du canton
de
Genève (ci-après: la Commission cantonale).
Le 8 juin 2001, le Département cantonal, se fondant sur les art. 129
ss de la
loi genevoise sur les installations et les constructions diverses, du
14
avril 1988 (LCI), a interdit à C.________ d'utiliser les locaux
aménagés sans
autorisation. Il lui a en outre infligé, en application de l'art. 137
al. 1
et 3 LCI, une amende de 2'000 fr. Contre cette décision, C.________ a
recouru
auprès du Tribunal administratif du canton de Genève (cause
A/711/2001).

Le 29 juin 2002, la Commission cantonale a rejeté le recours du 5
juin 2001.
C.________ a entrepris cette décision devant le Tribunal
administratif (cause
A/250/2002).

Par arrêt du 17 septembre 2002, le Tribunal administratif, après
avoir joint
les causes A/711/2001 et A/250/2002, a rejeté les recours.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, C.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 17 septembre 2002. Elle invoque
les
art. 8, 26, 27 et 29 al. 2 Cst.

Le Tribunal administratif se réfère à son arrêt. Le Département
cantonal
propose le rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Ont qualité pour agir notamment les particuliers lésés par des
arrêtés ou des
décisions qui les concernent personnellement ou qui sont d'une portée
générale (art. 88 OJ). La qualité pour agir au sens de l'art. 88 OJ se
détermine en fonction des griefs soulevés dans le recours (ATF 123 I
212
consid. 1c p. 214; 116 Ia 316 ss). Le recours de droit public est
ouvert
seulement à celui qui est atteint par l'acte attaqué dans ses intérêts
personnels et juridiquement protégés; le recours formé pour
sauvegarder
l'intérêt général ou de simples intérêts de fait est irrecevable.
L'intérêt
juridique protégé dont le recourant doit se prévaloir, peut découler
de la
loi fédérale ou cantonale, voire directement d'un droit
constitutionnel
spécifique, pourvu qu'il entre dans le champ d'application de la norme
constitutionnelle invoquée (ATF 123 I 41 consid. 5b p. 42 ss, 279
consid.
3c/ee p. 281; 122 I 373 consid. 1 p. 374, et les arrêts cités).

La recourante se prévaut notamment de la garantie de la propriété
(art. 26
Cst.) et de la liberté économique (art. 27 Cst.). Selon la
jurisprudence
rendue sous l'empire de l'ancienne Constitution, la qualité pour agir
a été
reconnue au locataire s'en prenant à une atteinte au droit de
propriété, s'il
était touché dans ses droits de locataire (ATF 105 Ia 43 consid. 1c p.
45/46). Dans l'arrêt Guiglielmazzi et consorts, le Tribunal fédéral a
précisé
que le locataire était recevable à recourir contre une autorisation de
construire accordée au propriétaire, pour autant qu'il puisse faire
état d'un
intérêt juridiquement protégé au sens de l'art. 88 OJ (ATF 106 Ia 409
consid.
3 p. 410/411; cf. aussi ATF 117 Ia 302 consid. 3 p. 305/306). Dans un
arrêt
ultérieur, le Tribunal fédéral a admis la qualité pour agir du
locataire
contre une décision l'obligeant à changer l'affectation de locaux
commerciaux, aussi bien sous l'angle de la garantie de la propriété
que sous
celui de la liberté du commerce et de l'industrie (arrêt 1P.191/1997
du 26
novembre 1997, consid. 1b). En l'occurrence, la situation est
similaire: la
recourante a pris à bail les locaux litigieux, en vue de les utiliser
pour la
formation de son personnel, tâche qui participe à l'accomplissement
de ses
buts sociaux. L'autorité cantonale lui a refusé l'autorisation de
transformer
en salles de réunion les locaux utilisés autrefois par une banque, au
motif
qu'un accès public direct faisait défaut. En cela, la recourante est
touchée
aussi bien dans l'exercice de ses droits de locataire que dans la
libre
poursuite de son activité économique. La qualité pour agir doit
partant lui
être reconnue tant au regard de l'art. 26 al. 1 Cst. que de l'art. 27
al. 1
Cst., contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal administratif.

2.
Pour la recourante, l'arrêt attaqué serait insuffisamment motivé.

2.1 Selon la jurisprudence relative à l'art. 4 aCst., applicable à
l'art. 29
al. 2 Cst., l'autorité doit indiquer dans son prononcé les motifs qui
la
conduisent à sa décision (ATF 123 I 31 consid 2c p. 34; 112 Ia 107
consid. 2b
p. 109). Elle n'est pas tenue de discuter de manière détaillée tous
les
arguments soulevés par les parties; elle n'est pas davantage
astreinte à
statuer séparément sur chacune des conclusions qui lui sont
présentées. Elle
peut se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du
litige; il
suffit que le justiciable puisse apprécier correctement la portée de
la
décision et l'attaquer à bon escient (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p.
17; 125
II 369 consid. 2c p. 372; 124 II 146 consid. 2a p. 149, et les arrêts
cités).

2.2 En comparaison de l'ampleur des recours cantonaux, l'arrêt
attaqué peut
sembler concis. Son laconisme ne l'empêche pas toutefois d'être
complet.
Après un rappel succinct de la jurisprudence relative au plan et au
Règlement, le Tribunal administratif a écarté les griefs ayant trait
à la
base légale, à l'intérêt public et à la proportionnalité de la mesure
contestée. Sans doute, la cour cantonale ne s'est-elle guère
embarrassée des
détails. Elle pouvait toutefois se cantonner à l'essentiel et rejeter
de
manière implicite tous les autres griefs soulevés par la recourante.
Celle-ci
ne s'y est au demeurant pas trompée. La frustration qu'elle a pu
éprouver à
la lecture de l'arrêt attaqué ne signifie pas encore que son droit
d'être
entendue ait été violé.

3.
La recourante reproche au Tribunal administratif de n'avoir pas cité
comme
témoins deux collaborateurs de l'administration municipale. Comme elle
n'invoque pas la violation de règles du droit cantonal de procédure,
c'est à
la lumière de l'art. 29 al. 2 Cst. qu'il convient d'examiner son
grief (ATF
125 I 257 consid. 3a p. 259; 124 I 49 consid. 3a p. 51; 119 Ia 136
consid. 2c
p. 138, et les arrêts cités).

3.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. inclut
celui de
s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, de
fournir
des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision,
d'avoir
accès au dossier, de participer à l'administration des preuves, d'en
prendre
connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 127 I 54 consid.
2b p.
56; 126 V 130 consid. 2 p. 130-132, et les arrêts cités).

3.2 Après l'émission, le 23 janvier 2001, du préavis défavorable de
la Ville
de Genève, l'architecte R.________ a entrepris des démarches auprès
des
services municipaux pour étudier les moyens d'y remédier. Selon la
recourante, deux collaborateurs du Service de l'urbanisme lui auraient
garanti que sous réserve de quelques modifications, le projet
pourrait être
accepté. Or, contrairement à ces assurances, la Ville de Genève a
persisté
dans son opposition, confirmée le 20 février 2001. La citation des
deux
témoins était indispensable, selon la recourante, pour démontrer la
violation
du principe de la bonne foi dont elle s'est plainte.

Quoi que les deux personnes en cause aient pu dire à R.________,
celui-ci ne
pouvait pas ignorer que le préavis devait émaner du Département
municipal,
plus précisément de son chef, et que les collaborateurs de celui-ci ne
disposaient sous ce rapport d'aucune compétence propre. Les
indications
reçues par l'entremise de ces témoins ne sauraient, quel que soit le
contenu
de leurs déclarations, créer aucun droit en faveur de la recourante
qui ne
peut se prévaloir à cet égard du principe de la confiance (cf. ATF
128 II 112
consid. 10b/aa p. 125/126; 127 I 31 consid. 3a p. 36; 126 II 377
consid. 3a
p. 387, et les arrêts cités; cf. aussi consid. 7.3 ci-dessous). En se
dispensant de citer ces témoins à comparaître, le Tribunal
administratif n'a
pas violé le droit d'être entendue de la recourante.

4.
Celle-ci considère que le rejet de la demande d'autorisation de
construire
violerait l'art. 26 al. 1 Cst.

4.1 Les restrictions à la propriété et à la liberté économique ne sont
compatibles avec la Constitution que si elles reposent sur une base
légale,
sont justifiées par un intérêt public suffisant et respectent le
principe de
la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; cf. ATF 126 I 219
consid. 2a p.
221, 2c p. 221/222, et les arrêts cités, pour la garantie de la
propriété;
ATF 128 I 3 consid. 3a p. 9/10, et les arrêts cités, pour la liberté
économique).

4.2 La recourante soutient que l'art. 8 du Règlement ne constituerait
pas une
base légale suffisante, au sens de l'art. 36 al. 1 Cst., pour
restreindre ses
droits garantis par les art. 26 al. 1 et 27 al. 1 Cst. L'obligation de
réserver une partie d'un bâtiment à une affectation déterminée ne
constituant
pas une atteinte grave au droit de propriété et à la liberté
économique (ATF
115 Ia 378 consid. 3b/bb p. 380), ce grief doit être examiné sous
l'angle
restreint de l'arbitraire (cf. ATF 124 I 6 consid. 4b/aa p. 8, et les
arrêts
cités, pour la garantie de la propriété, ATF 128 I 19 consid. 4c/bb
p. 30, et
les arrêts cités, pour la liberté économique).
Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou
un
principe juridique clair et indiscuté,
ou lorsqu'elle contredit d'une
manière
choquante le sentiment de la justice et de l'équité; à cet égard, le
Tribunal
fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de
dernière instance que si elle apparaît insoutenable, en contradiction
manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs
et en
violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les
motifs de la
décision critiquée soient insoutenables, encore faut-il que cette
dernière
soit arbitraire dans son résultat (ATF 128 I 177 consid. 2.1 p. 182;
127 I 54
consid. 2b p. 56, 60 consid. 5a p. 70, et les arrêts cités).

4.3 Dans un premier moyen, la recourante soutient que l'art. 8 du
Règlement
ne serait applicable qu'aux terrains compris dans les zones de
développement,
à l'exclusion de ceux se trouvant dans les zones à bâtir ordinaires.

4.3.1 Afin de maintenir et de rétablir l'habitat dans les quatre
premières
zones de construction régie par l'art. 19 al. 1 LALAT, et dans leurs
zones de
développement, d'y favoriser une implantation des activités qui soit
harmonieuse et équilibrée, tout en garantissant le mieux possible
l'espace
habitable et en limitant les nuisances qui pourraient résulter de
l'activité
économique, les communes élaborent en collaboration avec l'Etat et
adoptent
les plans d'utilisation du sol approuvés par leur conseil municipal
(art. 15A
al. 1 de la loi genevoise sur l'extension des voies de communication
et
l'aménagement des quartiers ou localités, du 9 mars 1929 - LExt.).
4.3.2 Pour la recourante, cette disposition signifierait que la
répartition
des activités ne peut se faire que dans les zones de développement,
alors que
dans les zones ordinaires - dont celle dans laquelle est rangée la
parcelle
n° 3804 - les plans d'utilisation du sol ne pourraient viser que le
maintien
et le rétablissement de l'habitat. Cette distinction ne ressort pas
du texte
légal, qui place sur le même niveau tous les objectifs assignés aux
plans
d'utilisation du sol, sans faire à cet égard de distinction entre les
différents types de zones à bâtir visées à l'art. 19 al. 1 LALAT,
d'une part,
et les zones de développement, d'autre part. L'art. 8 al. 1 du
Règlement a
pour but de limiter les activités administratives dans les surfaces
bordant
les rues ou les passages ouverts au public. Il vise à instaurer un
équilibre
entre ces activités et le commerce ou l'artisanat, en leur réservant
les
surfaces qui s'y prêtent. En cela, selon une jurisprudence dont il
n'y a pas
lieu de se départir, l'art. 8 al. 1 du Règlement s'inscrit dans le
cadre
défini par l'art. 15A LExt. et peut sans arbitraire être tenu pour
conforme à
la loi (arrêt 1P.124/1991 du 3 mars 1992 consid. 3c). Dans l'arrêt du
29
janvier 2001 (1P.633/2000, reproduit in: SJ 2001 I 253), dont se
prévaut la
recourante, le Tribunal fédéral a tenu pour dépourvue d'arbitraire
l'interprétation faite par les autorités cantonales quant au champ
d'application de l'art. 15B al. 1 LExt., mis en relation avec l'art.
15A al.
1 de la même loi. Rien de plus.

4.4 Dans un deuxième moyen, la recourante prétend que l'art. 8 al. 1
du
Règlement ne s'appliquerait qu'en cas de création de surfaces de
plancher
nouvelles, mais non en cas de changement d'affectation de surfaces
existantes. Elle invoque sur ce point l'art. 1 al. 1 du Règlement, à
teneur
duquel la Ville de Genève, en collaboration avec l'Etat, répartit en
logements et en activités les nouvelles surfaces brutes de plancher
obtenues
par des constructions nouvelles ou par des transformations de
bâtiments,
telles que des surélévations ou l'aménagement de combles. A suivre la
recourante, l'art. 8 al. 1 du Règlement ne trouverait à s'appliquer
que dans
le cas exceptionnel où de nouvelles surfaces seraient gagnées au
rez-de-chaussée d'un bâtiment existant. Une telle interprétation est
toutefois inconciliable avec cette disposition, qui vise sans
équivoque des
locaux dont l'affectation pourrait être changée, c'est-à-dire des
locaux déjà
utilisables (arrêt du 3 mars 1992, précité, consid. 2a). Les
considérations
que fait la recourante à propos des débats en cours, au sein du
Conseil
municipal, pour modifier le Règlement, sont hors de propos, de même
que
l'interprétation qu'elle fait dans ce contexte de l'arrêt du 29
janvier 2001,
lequel a écarté la possibilité de créer des zones non constructibles
par le
truchement des plans d'utilisation du sol, sans évoquer, de manière
topique,
le point soulevé par la recourante.

4.5 Dans un troisième moyen, celle-ci prétend que les travaux
litigieux ne
constitueraient pas un changement d'affectation au sens de l'art. 8
al. 1 du
Règlement.

Cette règle a pour but de préserver ou de développer le caractère et
l'animation typiques des quartiers où les locaux de plain-pied avec
la rue
servent au commerce ou à l'artisanat et sont aménagés de manière à
retenir
l'attention des passants et attirer la clientèle. Elle vise notamment
à
empêcher la suppression de magasins et autres locaux commerciaux
existants
(arrêt du 3 mars 1992, précité, consid. 3a). En l'occurrence, l'arcade
litigieuse avait abrité auparavant une agence bancaire ouverte au
public,
soit un établissement commercial répondant aux objectifs poursuivis
par
l'art. 8 al. 1 du Règlement. Tel ne serait certainement plus le cas
des
salles de réunions et de cours que la recourante a créées dans
l'arcade, pour
les besoins de la formation informatique de son personnel. De tels
locaux
sont par définition fermés au public, inaccessibles depuis la rue, et
devraient être cachés des passants par des rideaux. La création d'un
hall de
réception ne paraît guère destinée à favoriser un contact entre la
recourante
et le public, puisque les cours et les réunions seraient réservés aux
employés. Ce hall paraît ainsi impropre à perpétuer le caractère de
la rue
conformément au but de l'art. 8 al. 1 du Règlement (arrêt du 3 mars
1992,
précité, consid. 3a).

4.6 Dans un quatrième moyen, la recourante tient le Règlement pour
caduc.

4.6.1 Les plans d'utilisation du sol selon les art. 15 Ass LExt. sont
des
plans d'affectation au sens de l'art. 14 LAT (Thierry Tanquerel, La
participation de la population à l'aménagement du territoire,
Lausanne, 1988,
p. 257/258; cf. ATF 115 Ia 378 consid. 4b p. 382-384; 111 Ia 93). La
recourante expose que le Règlement, adopté à titre transitoire en
1988, est
toujours en force, en violation, selon elle, de l'art. 15E al. 1
LExt., à
teneur duquel lorsque les circonstances se sont sensiblement
modifiées, les
plans d'utilisation du sol font l'objet des adaptations nécessaires.
Cette
règle reprend le principe, établi à l'art. 21 al. 2 LAT, dont la
recourante
se prévaut également.

4.6.2 L'art. 21 al. 2 LAT exprime un compromis entre la nécessité de
l'adaptation régulière des plans, d'une part, et l'exigence de la
sécurité du
droit, d'autre part. Pour autant qu'il satisfasse aux exigences de la
LAT
(point qui n'est pas contesté en l'occurrence), un plan d'affectation
doit
rester stable pendant quinze ans au moins (cf. art. 15 let. b LAT;
ATF 128 I
190 consid. 4.2 p. 198). Le plan litigieux, adopté en 1988, répond à
ce
critère de stabilité, même si le règlement y relatif n'a été adopté, à
l'époque, qu'à titre transitoire. Cette pérennité, peut-être
inattendue, n'a
toutefois pas pour conséquence qu'il faille tenir le plan comme
obsolète.
Hormis l'écoulement du temps, la recourante n'indique pas que les
circonstances concrètes de l'aménagement du territoire au centre de
la ville
de Genève auraient changé à ce point que la révision du plan
s'imposerait
d'elle-même. Les tribulations de la procédure de révision du plan
devant le
Conseil municipal n'ont pas eu pour effet de retirer au Règlement
l'intérêt
public qu'il poursuit. Enfin, même à supposer le plan dépassé, cela ne
signifierait pas encore qu'il serait caduc, partant inopposable au
projet de
la recourante.
Le grief doit ainsi être rejeté.

5.
Selon la recourante, l'obligation d'ouvrir au public les surfaces
commerciales des rez-de-chaussée constituerait une mesure de politique
économique prohibée par l'art. 27 al. 1 Cst.

5.1 Selon la jurisprudence relative à l'art. 31 aCst., les
restrictions à la
liberté économique ne peuvent se fonder sur des motifs de politique
économique et intervenir dans la libre concurrence pour favoriser
certaines
branches d'activité ou certaines formes d'exploitation en dirigeant
l'économie selon un certain plan, à moins que cela ne soit prévu par
une
disposition constitutionnelle spéciale (ATF 125 I 209 consid. 10a p.
221, 267
consid. 2b p. 269, 322 consid. 3a p. 326, et les arrêts cités).

5.2 Le plan contesté, répartissant l'affectation des surfaces bâties
entre
l'habitat et les activités économiques, répond aux besoins de
l'aménagement
du territoire. Selon la jurisprudence relative à l'art. 31 aCst.,
applicable
à l'art. 27 al. 1 Cst., un tel plan est compatible avec la
Constitution même
s'il entraîne certains effets de politique économique (ATF 111 Ia 93
consid.
3 p. 99/100; 110 Ia 167 consid. 7b/bb p. 174; cf. également, pour une
réglementation analogue à celle de l'art. 8 al. 1 du Règlement,
l'arrêt
1P.597/1997 du 25 juin 1992, consid. 3). En l'occurrence, la
recourante est
tenue d'affecter les locaux en question à une activité commerciale
ouverte au
public, plutôt qu'à des salles de réunions et de cours fermées. Elle
conserve
ainsi une liberté assez étendue et l'on ne saurait sérieusement
soutenir que,
sous couvert d'une mesure d'aménagement du milieu bâti, la restriction
contestée viserait à diriger l'activité économique selon un plan
déterminé.
L'affirmation de la recourante selon laquelle les locaux litigieux ne
se
prêteraient pas à une activité commerciale ouverte au public, en
raison de
son exiguïté et l'inconfort de ses accès, est contredite par le fait
que
cette arcade a abrité une agence bancaire pendant des années.

6.
La recourante reproche à l'autorité cantonale d'avoir autorisé des
établissements bancaires à aménager des locaux fermés au public dans
le
rez-de-chaussée des bâtiments qu'ils occupent au centre la ville de
Genève.
Elle y voit une inégalité de traitement prohibée par l'art. 8 Cst.

6.1 Il y a inégalité de traitement lorsque, sans motifs sérieux, deux
décisions soumettent deux situations de fait semblables à des règles
juridiques différentes; les situations comparées ne doivent pas
nécessairement être identiques en tous points, mais leur similitude
doit être
établie en ce qui concerne les éléments de fait pertinents pour la
décision à
prendre (ATF 123 I 1 consid. 6a p. 7, 19 consid. 3b p. 23, 112
consid. 10b p.
141, et les arrêts cités). Selon la jurisprudence toutefois, le
principe de
la légalité de l'activité administrative prime celui de l'égalité de
traitement. En conséquence, le justiciable ne peut généralement pas se
prétendre victime d'une inégalité devant la loi, lorsque celle-ci est
correctement appliquée à son cas, alors qu'elle aurait été
faussement, voire
pas appliquée du tout, dans d'autres cas (ATF 126 V 390 consid. 6a p.
392;
117 Ib 266 consid. 3f p. 270; 116 Ib 228 consid. 4 p. 234/235; 108 Ia
212, et
les arrêts cités). Cela présuppose cependant, de la part de
l'autorité dont
la décision est attaquée, la volonté d'appliquer correctement à
l'avenir les
dispositions légales en question. Le citoyen ne peut prétendre à
l'égalité
dans l'illégalité que s'il y a lieu de prévoir que l'administration
persévérera dans l'inobservation de la loi (ATF 127 I 1 consid. 3a p.
2/3;
126 V 390 consid. 6a p. 392; 115 Ia 81 consid. 2 p. 82/83, et les
arrêts
cités).

6.2 La recourante ne donne aucune indication précise quant aux cas
qu'elle
cite. Ainsi, elle n'allègue pas que les bâtiments en question se
trouveraient
dans le même secteur du plan, que l'art. 8 al. 1 du Règlement leur
serait
applicable, que des travaux identiques à ceux qu'elle projette
auraient été
autorisés, etc. Faute de ces précisions que la recourante aurait dû
fournir,
il est impossible de vérifier le bien-fondé de ses affirmations. De
toute
manière, elle ne saurait prétendre, sur le vu de la jurisprudence qui
vient
d'être rappelée, à un traitement égal dans l'illégalité. Le Tribunal
administratif pouvait se dispenser d'ordonner des mesures
d'investigations
sur le point soulevé par la recourante.

7.
Sous l'angle de la proportionnalité, celle-ci reproche à l'autorité
cantonale
de lui avoir interdit immédiatement et de manière absolue
l'utilisation des
locaux litigieux.

7.1 L'ordre de démolir une construction édifiée sans permis et pour
laquelle
une autorisation ne pouvait être accordée n'est en principe pas
contraire au
principe de la proportionnalité. L'autorité renonce à une telle
mesure si les
dérogations à la règle sont mineures, si l'intérêt public lésé n'est
pas de
nature à justifier le dommage que la démolition causerait au maître de
l'ouvrage, si celui-ci pouvait de bonne foi se croire autorisé à
construire
ou encore s'il y a des chances sérieuses de faire reconnaître la
construction
comme conforme au droit qui aurait changé dans l'intervalle (ATF 123
II 248
consid. 4 p. 254 ss; 111 Ib 213 consid. 6 p. 221 ss; 108 Ia 216
consid. 4 p.
217).

7.2 Les travaux en question, s'ils étaient maintenus, auraient pour
effet de
priver d'accès public une arcade de 206 m2, autrefois occupée par une
agence

bancaire. Les lieux se trouvent dans le quartier de Plainpalais, qui
est l'un
des plus populeux de la ville, à proximité de la rue de Carouge, de
la Plaine
de Plainpalais et de l'Université. Dans ce secteur, les magasins de
toute
sorte, les échoppes des artisans, les cafés et les restaurants sont
nombreux,
contribuant à l'animation de la vie populaire et notamment
estudiantine. De
ce point de vue, les autorités attachent une importance primordiale au
maintien de tous les locaux donnant directement sur la rue, afin de
préserver
le caractère de celle-ci. Dans cette optique, l'art. 8 al. 1 du
Règlement
constitue une norme intransgressable. Les arguments évoqués par la
recourante
ne sont pas de nature à remettre en cause cette conception des
choses. La
suppression d'une arcade ouverte pourrait produire l'effet d'un
précédent
fâcheux. L'intérêt privé de la recourante ne saurait ainsi prendre le
pas sur
l'intérêt public lié à l'application rigoureuse de l'art. 8 al. 1 du
Règlement.

7.3 La recourante prétend avoir exécuté les travaux de bonne foi.

7.3.1 Découlant directement de l'art. 9 Cst. et valant pour
l'ensemble de
l'activité étatique, le principe de la bonne foi protège le citoyen
dans la
confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des
autorités. Il le
protège donc lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des
déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF
128 II 112
consid. 10b/aa p. 125/126; 126 II 377 consid. 3a p. 387; 125 I 209
consid. 9c
p. 220, 267 consid. 4c p. 274, et les arrêts cités). Un renseignement
ou une
décision erronés de l'administration peut obliger celle-ci à
consentir à un
administré un avantage contraire à la loi, à condition que l'autorité
soit
intervenue dans une situation concrète à l'égard de personnes
déterminées;
qu'elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de sa
compétence;
que l'administré n'ait pu se rendre compte immédiatement de
l'inexactitude du
renseignement obtenu; qu'il se soit fondé sur celui-ci pour prendre
des
dispositions qu'il ne saurait modifier sans subir de préjudice; que
la loi
n'ait pas changé depuis le moment où le renseignement a été donné
(ATF 127 I
31 consid. 3a p. 36; 124 V 215 consid. 2b/aa p. 220; 121 V 65 consid.
2a p.
66/67, et les arrêts cités).

7.3.2 Dans l'avenant au contrat portant sur la remise à bail de
l'arcade, la
bailleresse avait pris le soin de rappeler à la recourante son
obligation
d'obtenir les autorisations de construire nécessaires pour la
réalisation des
transformations envisagées. A cette fin, la recourante s'est adressée
à un
architecte qui a requis une autorisation selon la procédure accélérée
au sens
de l'art. 3 al. 7 LCI. Ce mandataire devait savoir que même en
agissant selon
cette voie rapide, la recourante ne pouvait entreprendre les travaux
avant
l'octroi et l'entrée en force de l'autorisation. La recourante ne
saurait
prétendre ne pas avoir su cette obligation. Peu importe, à cet égard,
qu'elle
ait elle-même ignoré l'existence du plan et du règlement ou que les
préavis
négatifs de Département municipal - documents internes à
l'administration -
ne lui aient pas été notifiés. Pour le surplus, l'avis de deux
collaborateurs
de ce Département, dont la recourante fait grand cas, ne constituait
pas une
assurance opposable à l'autorité (cf. consid. 3.2 ci-dessus). Enfin,
le coût
estimatif des travaux (de l'ordre de 400'000 fr., selon la
recourante) n'est
pas déterminant au regard du principe de la proportionnalité. Il est
possible
que certaines circonstances - comme le départ inopiné de l'architecte
R.________ - aient compliqué la tâche de la recourante. Cela ne
l'excuse pas
cependant d'avoir violé la loi, comme elle l'a fait.

8.
Le recours doit ainsi être rejeté. Les frais en sont mis à la charge
de la
recourante (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens
(art. 159
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la
recourante, au
Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement et au
Tribunal
administratif du canton de Genève.

Lausanne, le 9 janvier 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.500/2002
Date de la décision : 09/01/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-01-09;1p.500.2002 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award