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08/01/2003 | SUISSE | N°4P.205/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 08 janvier 2003, 4P.205/2002


{T 0/2}
4P.205/2002 /ech

Arrêt du 8 janvier 2003
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Corboz, président de la Cour, Walter et Favre,
greffier Carruzzo.

X. ________ SA,
recourant, représenté par Me Jean-Marie Favre, avocat, boulevard de
Pérolles
10, case postale 295, 1701 Fribourg,

contre

Y.________ AG,
intimée, représentée par Me Anton Henninger, avocat, rue de Fribourg
10, case
postale 75, 3280 Morat,
Ire Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg, place de
l'Hô

tel-de-Ville 2a, 1700 Fribourg.

procédure civile; arbitraire

(recours de droit public contre l'arrêt de la Ire ...

{T 0/2}
4P.205/2002 /ech

Arrêt du 8 janvier 2003
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Corboz, président de la Cour, Walter et Favre,
greffier Carruzzo.

X. ________ SA,
recourant, représenté par Me Jean-Marie Favre, avocat, boulevard de
Pérolles
10, case postale 295, 1701 Fribourg,

contre

Y.________ AG,
intimée, représentée par Me Anton Henninger, avocat, rue de Fribourg
10, case
postale 75, 3280 Morat,
Ire Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg, place de
l'Hôtel-de-Ville 2a, 1700 Fribourg.

procédure civile; arbitraire

(recours de droit public contre l'arrêt de la Ire Cour d'appel du
Tribunal
cantonal de l'Etat de Fribourg du 13 juin 2002)

Faits:

A.
En 1993, Y.________ AG a fait construire par X.________ SA une halle,
pour le
prix forfaitaire de 450'000 fr. Des défauts sont apparus par la suite
en
toiture, puis aux façades; ils ont été régulièrement dénoncés par le
maître
de l'ouvrage à l'entrepreneur. Le 21 mars 1996, Y.________ AG a
introduit
devant le Tribunal civil de l'arrondissement de la Sarine une action
en
paiement de divers montants contre X.________ SA, dont 80'000 fr. à
titre de
frais de réparation des façades. Cette conclusion a été modifiée le
7 mai
1997 de la façon suivante: "La société X.________ SA est condamnée à
verser à
la société Y.________ AG les frais pour la réparation des façades de
la halle
par une entreprise tierce". Le 26 janvier 2000, la demanderesse a
conclu "au
versement d'un montant fixé à dire d'expert pour les frais de
réparation et
de moins-value pour les façades". Enfin, les parties ont admis qu'une
somme
de 62'157 fr. 50 devait être portée en déduction de ce montant.

Par jugement du 22 février 2001, le Tribunal civil a condamné la
défenderesse
au paiement, notamment, de 29'992 fr. 50 pour la moins-value relative
aux
défauts des façades, s'élevant selon lui à 92'150 fr., après
imputation des
62'157 fr. 50 susmentionnés.

B.
Saisie par la défenderesse, la Ire Cour d'appel du Tribunal cantonal
de
l'Etat de Fribourg, statuant par arrêt du 13 juin 2002, a confirmé le
jugement entrepris et l'a complété sur divers points accessoires ne
concernant pas la moins-value des façades. D'après la cour cantonale,
la
conclusion en paiement d'une indemnité pour les frais de réparation
et pour
la moins-value, qui n'était plus chiffrée lors de la clôture de la
procédure,
était néanmoins claire et précise, en ce sens que le premier juge
connaissait
exactement ce qui était réclamé, au vu du prix fixé par l'expert et
des
métrés. De plus, le coût des réparations, qui correspondait à la
moins-value,
avait été estimé à 123'500 fr. par l'expert, pour l'élimination des
défauts,
supposant le remplacement complet des façades. Le grief selon lequel
l'expert
ne se serait pas prononcé de manière précise sur cette question
devait dès
lors être rejeté.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ SA
demande au
Tribunal fédéral d'annuler la partie du jugement cantonal portant sur
les
frais de réparation des façades et de renvoyer la cause à l'instance
cantonale "pour ce qui concerne cette créance". Invoquant les art. 8
(recte:
9) et 29 Cst., la recourante reproche à la Ire Cour d'appel une
application
arbitraire de l'art. 158 al. 1 let. c CPC/FR, du fait qu'il ne serait
pas
possible de déterminer si l'intimée entendait requérir le paiement de
123'500
fr. pour le changement des façades, à dire d'expert, ou si elle
acceptait des
réductions de ce chiffre, ce qu'induisaient ses premières
conclusions, à
hauteur de 80'000 fr., et la nécessité de prendre en considération un
amortissement en fonction de la dépréciation économique. Dans un
second
moyen, la recourante se plaint d'une détermination arbitraire du
montant du
dommage, en définitive fixé en équité, alors qu'il aurait dû être
étayé sur
la base d'un avis scientifique.

La juridiction cantonale n'a pas formulé d'observations. L'intimée
conclut au
rejet du recours dans la mesure où il est recevable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre
une
décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des
citoyens
(art. 84 al. 1 let. a OJ).

L'arrêt attaqué est final dans la mesure où la cour cantonale a
rejeté les
conclusions de la recourante, écartant ainsi ses moyens libératoires,
par une
décision au fond qui n'est susceptible d'aucune autre voie de droit
sur le
plan fédéral ou cantonal, s'agissant du grief de violation directe
d'un droit
de rang constitutionnel (art. 84 al. 2 et 86 al. 1 OJ).

La recourante est personnellement touchée par la décision entreprise,
qui
rejette ses conclusions libératoires, de sorte qu'elle a un intérêt
personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cette décision
n'ait pas
été adoptée en violation de ses droits constitutionnels; en
conséquence, la
qualité pour recourir (art. 88 OJ) doit lui être reconnue.

Dans ses conclusions, la recourante doit préciser si elle requiert
l'annulation totale ou partielle de l'acte attaqué (Kälin, Das
Verfahren der
staatsrechtlichen Beschwerde, 2e éd., p. 362), de sorte que sa
demande de
mettre à néant "la partie du jugement portant sur les frais de
réparation des
façades" remplit cette exigence.

1.2 Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ) et dans la forme
prévue par
la loi (art. 90 al. 1 OJ), le recours est à cet égard recevable.

Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que
les
griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans
l'acte
de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 128 III 50 consid. 1c et les
arrêts
cités).

1.3 En raison de la nature cassatoire du recours de droit public (ATF
127 III
279 consid. 1b et les références), la conclusion tendant au renvoi de
la
cause à l'instance cantonale est superflue.

1.4 La recourante reproche à la Cour d'appel de n'avoir pas
sanctionné la
décision du Tribunal de la Sarine, qui aurait fixé le dommage en
équité,
alors que ce problème technique aurait dû recevoir "l'aval d'un homme
de
l'art", auquel les déductions du premier juge ne pouvaient
manifestement pas
suppléer.

La Cour d'appel a retenu que, sur ce point, la recourante n'avait pas
démontré en quoi le mode de calcul appliqué par le Tribunal serait
erroné ou
critiquable, de sorte qu'elle a prononcé l'irrecevabilité du recours
interjeté devant elle, en raison de son absence de motivation. Or,
devant le
Tribunal fédéral, la recourante ne se plaint pas d'un déni de justice
formel,
au sens de l'art. 29 al. 2 Cst., mais de la "détermination arbitraire
du
dommage", soit plus précisément de la fixation du préjudice arrêté à
tort,
selon elle, par le Tribunal de première instance, en vertu des art.
368 al. 2
et 42 al. 2 CO.

Pour cela, cette juridiction était partie des constatations de
l'expert, qui
ne lient pas le Tribunal, "la notion juridique du défaut de l'ouvrage
au sens
du contrat d'entreprise (relevant) de la compétence du juge". En
remettant en
question la fixation du dommage que le premier juge a opérée sur la
base de
l'expertise et en indiquant les raisons pour lesquelles cette
dernière ne
pouvait être intégralement suivie, la recourante pose en réalité une
question
concernant la bonne application du droit fédéral (art. 368 al. 2 et
42 al. 2
CO), qu'elle aurait dû faire valoir par la voie du recours en
réforme. Il ne
suffit en effet pas de dire que le droit fédéral a été violé
arbitrairement
pour transformer une question relevant de celui-ci en une question de
rang
constitutionnel (Bernard Corboz, Le recours en réforme, in:
Publication FSA,
volume 16, p. 38 et les références). Le grief ainsi développé est
irrecevable
dans le cadre du recours de droit public. Il l'est du reste également
au
regard de l'art. 86 al. 1 OJ dès lors qu'il vise le jugement de
première
instance, qui ne peut faire l'objet du présent recours.

1.5 Tout en reprochant à la cour cantonale une interprétation
arbitraire de
l'art. 158 al. 1 let. c CPC/FR, la recourante invoque également
l'art. 29
Cst.; toutefois, comme elle n'indique pas en quoi cette disposition
constitutionnelle aurait été violée par la décision entreprise, ni
sur quel
alinéa de l'art. 29 Cst. elle fonde son argumentation, cette dernière
est
insuffisamment motivée au regard de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (ATF
128 III 50
consid. 1c et les arrêts cités; 125 I 492 consid. 1b p. 495). Le
moyen est en
conséquence irrecevable, dans la mesure où il ne se confond pas avec
celui
tiré de l'interdiction de l'arbitraire.

2.
2.1Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est
manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un
principe
juridique clair et indiscuté, ou encore heurte de manière choquante le
sentiment de la justice et de l'équité. Il ne suffit pas que sa
motivation
soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse
arbitraire dans
son résultat. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la
solution
retenue que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction
manifeste
avec la situation effective, adoptée sans motif objectif et en
violation d'un
droit certain. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre
solution
paraît également concevable, voire même préférable (ATF 128 I 81
consid. 2,
177 consid. 2.1; 128 II 259 consid. 5 p. 280).

2.2 L'art. 158 al. 1 let. c CPC/FR prévoit que la demande contient les
conclusions. La jurisprudence cantonale a relevé que les conclusions
doivent
être claires et précises. Si elles sont entachées d'obscurité ou
d'incertitude et que ce défaut n'est pas redressé au cours de
l'instruction,
le juge ne peut pas juger, parce que le dispositif de sa sentence doit
nécessairement, lui aussi, être clair et précis. La partie condamnée
doit, en
effet, sans doute possible, savoir à quoi elle est condamnée
(Extraits 1958,
p. 95). Dans les actions en paiement d'une somme d'argent, les
conclusions
doivent contenir l'indication chiffrée du montant réclamé, règle qui
souffre
un certain nombre d'exceptions, par exemple lorsque le demandeur
n'est pas en
mesure de formuler le montant exact de sa prétention ou qu'on ne peut
l'exiger de lui, la somme litigieuse ne pouvant être connue qu'après
l'administration des preuves. Dans ce genre de cas, le demandeur est
autorisé
à attendre la fin de la procédure probatoire pour articuler des
conclusions
chiffrées (Fabienne Hohl, Procédure civile, Tome I, Berne 2001 p. 60
et 61 n.
213 et 218; Vogel/Spühler, Grundriss des Zivilprozessrechts, 7e éd.,
p. 189
n. 5e; Guldener, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 3e éd., p. 193 n.
II/ 2;
Kellerhals, Güngerich, Berger, Bernisches Zivilprozessrecht, Berne
2002, p.
138; Frank/Sträuli/Messmer, Kommentar zur zürcherischen
Zivilprozessordnung,
3e éd., p. 287 n. 25b et 27; Pius Markus Huber, Zivilprozessrecht,
p. 198
n. 4; Michel Ducrot, Le droit judiciaire privé valaisan, Martigny
2000, p.
220).

2.3 En l'espèce, la demanderesse a chiffré ses conclusions relatives
aux
défauts des façades à l'introduction de l'instance, avant de les
modifier
deux fois au cours de cette dernière. Elle a requis finalement le
paiement
d'un montant "fixé à dire d'expert" pour les frais de réparation et de
moins-value des façades. Ce montant a été articulé par l'homme de
l'art
devant les parties à l'audience du 26 janvier 2000 à la valeur de
123'500
fr.; il a ensuite été confirmé à l'audience du 29 novembre 2000, au
cours de
laquelle une imputation a été admise, et la procédure probatoire
clôturée.

Aussi, pour suivre la lettre de l'art. 158 al. 1 let. c CPC/FR et les
principes dégagés par la doctrine rappelée ci-dessus, quant à
l'admission
d'une exception au caractère chiffré de la demande, l'intimée
aurait-t-elle
dû faire inscrire au procès-verbal du 26 janvier 2000 ou à celui du 29
novembre 2000 qu'elle réclamait le paiement de la somme énoncée par
l'expert,
soit 123'500 fr. Elle aurait pu également déposer dans le délai
imparti une
écriture allant dans ce sens. Toutefois, dans les circonstances
particulières, il était manifeste pour le premier juge, ainsi que
pour les
deux parties, que le montant de la prétention relative à la
suppression des
défauts des façades s'élevait au chiffre avancé par l'expert, soit
exactement
123'500 fr. En se référant expressément à la déclaration de l'expert,
qui
était univoque et précise, l'intimée a demandé le montant formulé par
l'homme
de l'art, même si, par la suite, elle n'a pas recouru contre
l'estimation
opérée à la baisse par le premier juge. Se rapportant à la
déclaration de
l'expert, l'intimée a implicitement déterminé un montant précis et ne
s'est
pas contentée de demander au Tribunal de le fixer lui-même, procédé
inadmissible sanctionné par l'irrecevabilité d'une telle conclusion,
singulièrement sous l'angle de l'art. 55 al. 1 let. b OJ (ATF 119 II
333
consid. 3 p. 334 et les références). C'est en vain que la recourante
fonde
son argumentation sur cette jurisprudence, qui traite de la situation
d'une
partie demanderesse se déchargeant sur le juge de son devoir de fixer
sa
prétention, alors que dans le cas présent la détermination du montant
litigieux découle du renvoi exprès à la déclaration précise (123'500
fr.) de
l'expert.
Dans ce sens, la conclusion est suffisamment déterminée
pour que sa
recevabilité soit reconnue, ce que la cour cantonale a fait sans
verser dans
l'arbitraire.

2.4 Enfin, la recourante ne démontre pas que le Tribunal civil de
l'arrondissement de la Sarine ou la Ire Cour d'appel du Tribunal
cantonal
eussent été matériellement incompétents à teneur de l'art. 55 al. 2
CPC/FR à
cause de la détermination de la conclusion n° 3 de l'intimée par
référence à
la déclaration de l'expert. Faute de motivation suffisante au sens de
l'art.
90 al. 1 let. b OJ, ce moyen est irrecevable.

Quant au sort des dépens cantonaux, réglés par l'art. 111 CPC/FR, il
n'intervient qu'après le jugement, et la recourante, alors
défenderesse,
pouvait se déterminer à leur sujet en présentant sa défense sur le
fond.

Ces considérations amènent le rejet du recours de droit public, dans
la
mesure où il est recevable.

3.
La recourante, qui succombe, devra payer l'émolument judiciaire (art.
156 al.
1 OJ) et verser des dépens à l'intimée (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est rejeté dans la mesure où il est
recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 4'500 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 5'500 fr. à titre
de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Ire Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg.

Lausanne, le 8 janvier 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.205/2002
Date de la décision : 08/01/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-01-08;4p.205.2002 ?
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