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23/12/2002 | SUISSE | N°5C.195/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 décembre 2002, 5C.195/2002


{T 0/2}
5C.195/2002 /frs

Arrêt du 23 décembre 2002
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Bianchi, président,
Raselli, Nordmann,
greffière Mairot.

S. P.________,

O. B.________,
défendeurs et recourants,
tous deux représentés par Me Jacques Piller, avocat,
rue de Romont 14, case postale 44, 1702 Fribourg,

contre

M.-A. C.________,
demanderesse et intimée, représentée par Me Louis-Marc Perroud,
avocat, case
postale 538, 1701 Fribourg.

propriété par étages, acti

on en cessation de trouble,

recours en réforme contre l'arrêt de la Ie Cour d'appel du Tribunal
cantonal
de l'État de Fribour...

{T 0/2}
5C.195/2002 /frs

Arrêt du 23 décembre 2002
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Bianchi, président,
Raselli, Nordmann,
greffière Mairot.

S. P.________,

O. B.________,
défendeurs et recourants,
tous deux représentés par Me Jacques Piller, avocat,
rue de Romont 14, case postale 44, 1702 Fribourg,

contre

M.-A. C.________,
demanderesse et intimée, représentée par Me Louis-Marc Perroud,
avocat, case
postale 538, 1701 Fribourg.

propriété par étages, action en cessation de trouble,

recours en réforme contre l'arrêt de la Ie Cour d'appel du Tribunal
cantonal
de l'État de Fribourg du 20 juin 2002.

Faits:

A.
M.-A. C.________ est propriétaire d'un appartement de six pièces
situé au 3e
étage d'un immeuble sis à Fribourg. Cet immeuble est soumis au régime
de la
propriété par étages au sens des art. 712a ss CC. Il comporte au
total dix
appartements répartis sur cinq étages, soit un appartement de trois
pièces et
demie et un de quatre pièces et demie au rez-de-chaussée, deux
appartements
de six pièces aux 2e, 3e et 4e étages, ainsi qu'un appartement de
quatre
pièces et un de trois pièces au 5e étage. S. et R. P.________ sont
propriétaires pour une demie chacun d'un appartement de six pièces
situé au
4e étage. O. B.________ est quant à elle propriétaire d'un
appartement de six
pièces situé au 2e étage.

Par demande du 8 mai 2000, M.-A. C.________ a ouvert action en
cessation de
trouble contre S. P.________, R. P.________ et O. B.________,
concluant à ce
qu'interdiction leur soit faite de louer individuellement les
chambres de
leur unité d'étage et, subsidiairement, à ce qu'ils soient astreints à
prendre toutes mesures d'isolation phonique visant à éliminer les
bruits
incommodants et toutes les dispositions nécessaires pour que leurs
locataires respectent le règlement de maison. La demanderesse
alléguait que
la location par chambres individuelles provoquait du bruit excessif
dès lors
que, dans chacune d'elles, les locataires recevaient des visites et
utilisaient des réfrigérateurs, ainsi que des postes de radio et de
télévision. Ce mode de location revêtait selon elle un caractère
commercial
interdit par le règlement précité. Les défendeurs ont conclu au rejet
de la
demande.

B.
Par jugement du 6 septembre 2001, le Tribunal civil de la Sarine a
admis la
conclusion principale de la demanderesse.

L'appel interjeté par les défendeurs contre ce jugement a été rejeté
le 20
juin 2002 par la Ie Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'État de
Fribourg.

C.
S. P.________ et O. B.________ exercent un recours en réforme au
Tribunal
fédéral contre l'arrêt du 20 juin 2002, en concluant au rejet de
l'action
intentée par la demanderesse. Une réponse n'a pas été requise.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 L'arrêt entrepris se fonde sur l'art. 684 CC, en relation avec
l'art.
712a al. 2 CC (cf. ATF 106 II 315 consid. 2c p. 318 s.; P.-H.
Steinauer, Les
droits réels, t. I, 3e éd., n. 1234; Meier-Hayoz, Commentaire
bernois, n. 191
ad art. 684 CC; Meier-Hayoz/Rey, Commentaire bernois, n. 124 ad art.
712a
CC). Il tranche ainsi une contestation civile portant sur un droit de
nature
pécuniaire (arrêt 5C.218/1990 du 15 novembre 1991, consid. 1, in RNRF
75/1994
p. 290 et la jurisprudence citée; Meier-Hayoz, op. cit., n. 243 ad
art. 684
CC), dont la valeur litigieuse, selon les constatations de la cour
cantonale,
atteint 70'000 fr. Le recours a en outre été déposé en temps utile
contre une
décision finale prise en dernière instance cantonale. Il est donc
recevable
sous l'angle des art. 46, 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.

1.2 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral conduit son
raisonnement sur la base des faits constatés par la dernière autorité
cantonale, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve
n'aient été violées ou que des constatations ne reposent sur une
inadvertance
manifeste (art. 63 al. 2 OJ). Dans la mesure où les recourants
s'écartent des
faits retenus dans l'arrêt entrepris sans pouvoir se prévaloir de
l'une de
ces exceptions, leur recours est par conséquent irrecevable. Il en
est ainsi
des allégations visant à compléter l'état de fait au sujet de la
location par
chambres individuelles, qui aurait été et serait pratiquée tant par la
demanderesse que par d'autres copropriétaires de l'immeuble (cf. ATF
127 III
248 consid. 2c p. 252).

2.
Les recourants reprochent à l'autorité cantonale d'avoir violé le
droit
fédéral en considérant que la location par chambres individuelles
était
interdite par l'art. 7 du règlement d'administration et d'utilisation
de
l'immeuble (ci-après: le règlement). Ils se plaignent d'une mauvaise
interprétation des dispositions de ce règlement et d'une violation du
principe de la confiance (art. 18 al. 1 CO). Ils prétendent en outre
que
l'intimée abuserait de son droit, car ce mode de location existait
déjà avant
qu'elle n'achète son appartement; au demeurant, elle l'aurait
elle-même
pratiqué durant un certain temps.

2.1 La propriété par étages est une copropriété sur un immeuble,
organisée
"de manière que chaque copropriétaire a le droit exclusif d'utiliser
et
d'aménager intérieurement des parties déterminées d'un bâtiment"
(art. 712a
al. 1 CC). Aux termes de l'art. 712a al. 2 CC, le copropriétaire a le
pouvoir
d'administrer, d'utiliser et d'aménager ses locaux dans la mesure où
il ne
restreint pas l'exercice du droit des autres copropriétaires,
n'endommage pas
les parties, ouvrages et installations communs du bâtiment, n'entrave
pas
leur utilisation ou n'en modifie pas l'aspect extérieur. Les
propriétaires
d'étages peuvent préciser conventionnellement - notamment dans le
règlement
prévu à l'art. 712g al. 3 CC - leurs droits sur les parties de
l'immeuble
faisant l'objet d'une utilisation exclusive. Ils peuvent ainsi
prévoir que
les locaux doivent être utilisés dans un certain but, par exemple
qu'il est
interdit d'y exploiter un commerce ou un restaurant (ATF 111 II 330
consid. 7
p. 339; P.-H. Steinauer, op. cit., n. 1241a; Meier-Hayoz/Rey, op.
cit., n. 42
ad art. 712a CC).

2.1.1 Les art. 6 et 7 du règlement de l'immeuble dans lequel sont
situées les
parts d'étages propriété des parties sont libellés comme suit:

Art. 6
Dispositions générales
Le copropriétaire peut utiliser, aménager et administrer librement ses
propres locaux, dans la mesure où ce droit est compatible avec les
mêmes
droits des autres copropriétaires et avec les intérêts de la
communauté et
dans la mesure où le règlement ne contient pas d'autres dispositions
restrictives.

Art. 7
Destination des locaux
1. Les appartements sont destinés en premier lieu à l'habitation.

2. Ne peuvent être exercées dans l'immeuble des activités
commerciales qui
provoquent des émissions et émanations incommodantes telles que bruit,
vibrations, odeurs ou qui portent préjudice ou qui vont à l'encontre
du désir
de repos des copropriétaires ou à l'encontre des principes moraux ou
de
l'hygiène.

Est notamment interdit:
a) l'exploitation d'un restaurant, d'une pension ou d'une entreprise
analogue;
...
2.1.2Considérant que le but de l'immeuble permettait de limiter la
liberté
d'utilisation du propriétaire d'étage (Meier-Hayoz/Rey, op. cit., n.
84 ad
art. 712a CC), l'autorité cantonale a interprété les dispositions
réglementaires précitées conformément au principe de la confiance.
Autrement
dit, elle a recherché comment ces dispositions pouvaient être
comprises de
bonne foi en fonction de l'ensemble des circonstances (cf. ATF 128
III 212
consid. 2b/aa p. 214/215, 265 consid. 3a p. 267; 127 III 279 consid.
2c/ee p.
287, 444 consid. 1b p. 445; 126 III 59 consid. 5b p. 68, 375 consid.
2e/aa p.
379 et les citations). L'application du principe de la confiance est
une
question de droit qui peut être revue librement par la juridiction de
réforme
(ATF 127 III 248 consid. 3a p. 253 et les arrêts cités). Pour la
trancher, il
faut cependant se fonder sur le contenu de la manifestation de
volonté et sur
les circonstances, lesquelles relèvent du fait (ATF 126 III 375
consid. 2e/aa
p. 379/380 et les références).

2.2 La cour d'appel a estimé que la demande devait d'abord être
admise sur la
base de l'art. 7 ch. 1 du règlement, qui prévoit que les appartements
sont
destinés en premier lieu à l'habitation. De l'avis de l'autorité
cantonale,
six personnes louant chacune une chambre d'un appartement y ont
certes leur
habitation, selon la définition donnée de ce terme par le
dictionnaire. En
l'occurrence, il fallait cependant aussi tenir compte des
circonstances et
des particularités de l'immeuble. Autrefois occupé par un foyer, soit
un lieu
de vie réservé à une catégorie de personnes et offrant certains
services
collectifs, cet immeuble avait en effet été transformé et aménagé en
appartements. Son mode d'habitation s'était ainsi trouvé
fondamentalement
modifié, l'unité de logement passant d'une chambre, occupée par une
ou deux
personnes ayant accès à des locaux communs, à un appartement
disposant d'une
cuisine et de sanitaires à l'usage exclusif de chaque copropriétaire.
L'art.
7 ch. 1 du règlement devait donc se comprendre dans le sens d'une
habitation
par appartements utilisés globalement, et non divisés par chambres.

Se référant sur ce point à la motivation retenue par le tribunal de
première
instance, l'autorité cantonale a réfuté l'argument des recourants,
selon
lequel la location de leurs appartements respectifs par chambres
individuelles ne provoquerait pas de bruits excessifs. La cour
d'appel a
ainsi considéré qu'un appartement habité par une famille n'était
certes pas
totalement silencieux, mais qu'il ne comportait en principe qu'un seul
réfrigérateur et un, voire deux postes de télévision ou de radio,
alors que
la présence de six locataires impliquait un plus grand nombre de ces
appareils; en outre, dans le premier cas, les repas étaient
généralement
préparés pour tous et pris en commun, contrairement au second cas. Ces
activités provoquaient à l'évidence des émissions sonores plus
importantes
lorsqu'elles étaient exercées individuellement. Pour l'autorité
cantonale, le
règlement n'empêchait cependant pas la location (par le propriétaire)
ou la
sous-location (par le locataire) d'une, voire de deux chambres à des
personnes individuelles, car les conséquences en étaient totalement
différentes: dans cette hypothèse, l'occupant principal vivait en
effet dans
le même appartement que les "chambreurs" et pouvait contrôler leur
comportement, notamment concernant le bruit.

Au surplus, la cour d'appel a jugé que la location par chambres
individuelles
correspondait à l'exploitation d'une pension ou d'une entreprise
analogue
prohibée par l'art. 7 ch. 2 let. a du règlement. En effet, la seule
différence entre ce genre de location et une pension consistait dans
le fait
que les locataires n'étaient pas nourris, contrairement aux
pensionnaires. Or
cette différence engendrait des nuisances supplémentaires puisque
dans une
pension, un seul repas était préparé pour tous les pensionnaires,
alors que
chaque locataire préparait lui-même les siens, ce qui entraînait une
utilisation et une activité accrue dans la cuisine. De surcroît, en
septembre
1993, la Direction de la police locale de la ville de Fribourg avait
exigé
que les recourants fussent au bénéfice d'une patente "G" de pension, à
laquelle n'étaient soumis que les hébergements d'hôtes en la forme
commerciale.

2.2.1 Au regard de l'ensemble des circonstances, l'interprétation
donnée par
la cour d'appel à l'art. 7 ch. 1 et 2 du règlement n'apparaît pas
contraire
au principe de la confiance ni, partant, au droit fédéral. Dès lors
que
l'immeuble avait été transformé en copropriété par étages, il est en
effet
raisonnable d'admettre qu'en adoptant le règlement, les
copropriétaires aient
voulu éviter la continuation d'un mode d'habitation similaire au
précédent,
voire, comme dans le cas particulier, provoquant plus de nuisances
qu'un
foyer, un tel établissement impliquant généralement une certaine
discipline.

Le recourant ne conteste d'ailleurs pas véritablement cette
interprétation.
Il se contente d'affirmer, en substance, que la location par chambres
individuelles a toujours été pratiquée dans l'immeuble, y compris,
durant une
certaine période, par l'intimée. L'autorité cantonale a toutefois
réfuté à
bon droit cet argument, déjà soulevé devant elle. Se référant à
l'arrêt
publié aux ATF 111 II 330 consid. 9 p. 342, elle a en effet estimé
que ni le
fait que ce type de location ait déjà existé avant que la demanderesse
n'achète son appartement, ni le fait que celle-ci l'ait elle-même
pratiqué
durant un certain temps, ne l'empêchait de se plaindre du bruit
excessif et
d'invoquer les dispositions du règlement, car cela ne signifiait pas
encore
qu'elle se serait accommodée une fois pour toutes de ce non respect
des
normes réglementaires. Ce raisonnement n'est pas critiquable. Savoir
s'il y a
abus manifeste d'un droit, prohibé par l'art. 2 al. 2 CC, dépend de
l'analyse
des circonstances du cas concret (ATF 121 III 60 consid. 3d p. 63).
L'adjectif "manifeste" indique qu'il convient de se montrer
restrictif dans
l'admission de l'abus de droit (arrêt 4C.225/201 du 16 novembre 2001,
consid.
2b). Tel peut être le cas, notamment,
lorsqu'une institution
juridique est
détournée de son but (ATF 122 II 134 consid. 7b p. 137, 289 consid.
2a p.
294; 122 III 321 consid. 4a p. 322/323), lorsqu'un justiciable tend à
obtenir
un avantage exorbitant (ATF 123 III 200 consid. 2b p. 203), lorsque
l'exercice d'un droit ne répond à aucun intérêt (ATF 123 III 200
précité) ou
encore, à certaines conditions, lorsqu'une personne adopte une
attitude
complètement contradictoire, autrement dit lorsque, par son
comportement
antérieur, elle a inspiré chez l'autre une confiance légitime et l'a
ainsi
mené à agir, vu la situation nouvelle, de manière préjudiciable à ses
intérêts ("venire contra factum proprium": cf. ATF 125 III 257
consid. 2a p.
259; 123 III 70 consid. 3c p. 75, 220 consid. 4d p. 228; Merz,
Commentaire
bernois, n. 444 ss ad art. 2 CC). En l'occurrence, aucune de ces
situations
n'est réalisée. En particulier, il n'est pas établi que le
comportement de
l'intimée ait induit chez les recourants des actes préjudiciables à
leurs
intérêts.

3.
En conclusion, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est
recevable. Les recourants seront par conséquent condamnés
solidairement à
payer les frais judiciaires (art. 156 al. 1 et 7 OJ). Il n'y a en
revanche
pas lieu d'allouer des dépens, une réponse n'ayant pas été requise.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable et l'arrêt
entrepris
est confirmé.

2.
Un émolument judiciaire de 2'500 fr. est mis solidairement à la
charge des
recourants.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Ie Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg.

Lausanne, le 23 décembre 2002

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.195/2002
Date de la décision : 23/12/2002
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-12-23;5c.195.2002 ?
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