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17/12/2002 | SUISSE | N°5P.362/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 17 décembre 2002, 5P.362/2002


{T 1/2}
5P.362/2002 /frs

Arrêt du 17 décembre 2002
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Bianchi, président,
Nordmann, Hohl,
greffier Abrecht.

1. Yeslam Binladin, 1206 Genève,
2. Saudi Investment Company, SICO SA, 1206 Genève,
recourants, tous les deux représentés par Mes Pierre de Preux et Louis
Gaillard, avocats, Etude de Pfyffer & Associés, 6, rue
François-Bellot, 1206
Genève,

contre

1. OLF SA, Centre de distribution multi-média, 1701 Fribourg,

2. Pendo Verlag Sàrl, 8032

Zürich,
3. Editions Denoël Sàrl, FR 75006 Paris,
4. Jean-Charles Brisard, FR-75008 Paris,

5. Guillaume Dasquié, FR...

{T 1/2}
5P.362/2002 /frs

Arrêt du 17 décembre 2002
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Bianchi, président,
Nordmann, Hohl,
greffier Abrecht.

1. Yeslam Binladin, 1206 Genève,
2. Saudi Investment Company, SICO SA, 1206 Genève,
recourants, tous les deux représentés par Mes Pierre de Preux et Louis
Gaillard, avocats, Etude de Pfyffer & Associés, 6, rue
François-Bellot, 1206
Genève,

contre

1. OLF SA, Centre de distribution multi-média, 1701 Fribourg,

2. Pendo Verlag Sàrl, 8032 Zürich,
3. Editions Denoël Sàrl, FR 75006 Paris,
4. Jean-Charles Brisard, FR-75008 Paris,

5. Guillaume Dasquié, FR-75002 Paris,
intimés, tous les cinq représentés par Me Jean-Noël Jaton, avocat,
place des
Philosophes 8, 1205 Genève,
Première Section de la Cour de justice du canton de Genève, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.

art. 9 Cst., protection de la personnalité, mesures provisionnelles,

recours de droit public contre l'arrêt de la première Section de la
Cour de
justice du canton de Genève du 26 septembre 2002.

Faits:

A.
Au mois de novembre 2001 est paru aux Éditions Denoël Sàrl, dont le
siège est
à Paris, le livre intitulé "BEN LADEN LA VÉRITÉ INTERDITE", co-écrit
par
Jean-Charles Brisard et Guillaume Dasquié, tous deux domiciliés à
Paris.

Yeslam Binladin, domicilié à Genève, et Saudi Investment Company,
SICO SA,
dont le siège est à Genève, estiment que cet ouvrage, qui
contiendrait des
assertions inexactes, voire fausses, et dont le mode de rédaction
manquerait
de rigueur, porte atteinte à leur honneur en donnant au lecteur
l'impression
générale qu'ils sont impliqués dans les attentats perpétrés aux
États-Unis le
11 septembre 2001.

B.
Le 14 janvier 2002, Yeslam Binladin et Saudi Investment Company, SICO
SA ont
formé devant le Tribunal de première instance du canton de Genève une
requête
de mesures provisionnelles urgentes visant à faire interdire la
diffusion en
Suisse de l'ouvrage précité ainsi que de sa version allemande. Dirigée
initialement contre Pendo Verlag GmbH, à Zurich, contre OLF SA,
Centre de
distribution multi-média, à Fribourg, et contre les Éditions Denoël
Sàrl, la
requête a été retirée avant même la convocation des parties en tant
qu'elle
visait la troisième citée.

Statuant par ordonnance du 25 janvier 2002, le Tribunal de première
instance
a fait interdiction à Pendo Verlag GmbH et à OLF SA, Centre de
distribution
multi-média, sous la menace des peines prévues à l'art. 292 CP, de
diffuser
en Suisse l'ouvrage incriminé dans sa version originale ou dans une
traduction allemande. Il a en outre prescrit que la validité de cette
décision était soumise au dépôt préalable, par les parties
requérantes, de
sûretés à concurrence de 50'000 fr. et a condamné les parties citées
aux
dépens de la procédure.

C.
Le 4 février 2002, Pendo Verlag GmbH, OLF SA, Centre de distribution
multi-média, Éditions Denoël Sàrl, Jean-Charles Brisard et Guillaume
Dasquié
ont recouru contre cette décision auprès de la Cour de justice du
canton de
Genève. S'engageant à ne diffuser en Suisse qu'une version légèrement
modifiée du texte original, ils ont conclu principalement à ce que la
Cour
révoque l'ordonnance entreprise et dise que les parties recourantes
sont
autorisées à diffuser en Suisse le livre en français et en allemand,
avec les
modifications proposées et éventuellement les modifications
supplémentaires
que la Cour jugerait nécessaires. Ils ont en outre conclu à ce que la
Cour
maintienne le dépôt de sûretés et leur fixe un délai pour agir en
justice
contre les parties requérantes en réparation du dommage causé par
l'interdiction provisionnelle. Yeslam Binladin et Saudi Investment
Company,
SICO SA ont prié la Cour de confirmer l'ordonnance entreprise.

Dans son arrêt du 2 mai 2002, la première Section de la Cour de
justice,
considérant que les autorités judiciaires genevoises n'étaient pas
compétentes ratione loci, a annulé l'ordonnance du 25 janvier 2002 et
a
déclaré irrecevable la requête déposée le 14 janvier 2002.

Par arrêt du 4 juillet 2002 (5C.110/2002), le Tribunal fédéral,
considérant
que tous les intimés étaient entrés en matière sur le "fond" sans
contester
la compétence des autorités judiciaires genevoises et que cette
compétence
était dès lors donnée en vertu de l'Einlassungsprinzip, a annulé
l'arrêt du 2
mai 2002.

D.
La cause a alors été réinscrite au rôle de la Cour de justice, devant
laquelle tant les recourants que les intimés ont persisté dans leurs
conclusions initiales. Par arrêt du 26 septembre 2002, la première
Section de
la Cour de justice a annulé l'ordonnance du 25 janvier 2002, a
ordonné le
maintien des sûretés ordonnées par le Tribunal de première instance
(et
constituées par un porte-fort de l'avocat des parties requérantes du
25
janvier 2002) et a assigné aux parties citées un délai de 30 jours
pour agir
en réparation d'un dommage éventuel; elle a en outre condamné les
parties
requérantes, solidairement entre elles, aux dépens des deux instances,
comprenant une unique indemnité de procédure de 15'000 fr. valant
participation aux honoraires d'avocat des parties citées.

D.a La Cour de justice a constaté que l'ouvrage incriminé, imprimé
en France
en novembre 2001, comporte 333 pages; après un prologue et un
avant-propos,
il se développe sur 228 pages (quatre parties comportant douze
chapitres et
une page et demie de "conclusion") et se termine sur six annexes
totalisant
cent pages. Elle l'a résumé comme il suit :

Après avoir rappelé que l'Afghanistan est géographiquement la clé
pour qui
veut exercer sa suprématie en Asie centrale et que l'islam wahabite
fait du
pouvoir taliban le frère de religion du régime saoudien, les auteurs
se
proposent de démontrer que l'Occident ne peut pas lutter efficacement
contre
le terrorisme d'origine islamique à cause des intérêts pétroliers et
des
enjeux géostratégiques y relatifs, ainsi qu'en raison des ambitions
religieuses et financières de l'Arabie Saoudite. Les auteurs
affirment que
les Américains et le pouvoir taliban "se sont engagés dans de
discrètes
discussions à haut risque sur fond d'intérêts pétroliers et
géostratégiques.
Elles impliquent que les taliban trahissent Ossama Bin Laden [selon la
graphie utilisée dans l'ouvrage], sans que les Américains mesurent
exactement
le pouvoir de ce chef religieux saoudien sur les dirigeants afghans.
Les
attentats suicides du 11 septembre représentent l'issue aussi
tragique que
prévisible de cette démarche". Pour les besoins de cette
démonstration, les
auteurs rappellent les événements ayant conduit à la constitution de
la
"pétromonarchie" saoudite et à sa spécificité résidant dans la
communion
intime entre le sabre (pouvoir effectif de la famille royale et des
familles
alliées), le goupillon (l'islam wahabite militant), le pétrole
(indispensable
au développement industriel de l'Occident) et les revenus de cette
matière
première (qui confèrent à leurs bénéficiaires une puissance
financière en
accroissement continu). Ossama Bin Laden est tenu pour un protégé du
pouvoir
saoudien, malgré les attentats qui ont pu lui être attribués.

La seconde partie de l'ouvrage se clôt sur l'assertion selon laquelle
"[s]i
les États-Unis ont aidé Bin Laden, ce fut dans une large mesure la
conséquence involontaire de leurs propres ambitions dans la région. Le
soutien saoudien s'inscrit en revanche, lui, dans le cadre d'une
politique
voulue, claire et sans ambiguïtés quant à l'essor de l'islam dans le
monde. A
la lumière de ces révélations, Ossama Bin Laden apparaît d'abord et
avant
tout comme un produit du wahabisme et un instrument du royaume
saoudien qui
ont tous deux trouvé des éléments de convergence tels qu'ils les
liaient
durablement" (p. 12-130).

C'est dans la troisième partie de l'ouvrage que la personnalité
d'Ossama Bin
Laden et les particularités de sa famille sont traitées et qu'il est
prétendu
que, malgré les apparences, sa famille, richissime ("La galaxie Bin
Laden",
titre du chapitre onzième), ne l'a jamais renié et le soutient encore.

A partir de la page 156, la lecture de l'ouvrage devient difficile,
le texte
n'étant constitué que de lambeaux plus ou moins décousus, cependant
reliés au
fil conducteur suivant : la puissante famille Bin Mahfouz,
particulièrement
Khalid Bin Mahfouz (dont la soeur est une des épouses d'Ossama Bin
Laden, et
qui a défrayé la chronique dans les années 1990 au travers de la
faillite
frauduleuse de la BCCI), continuent à aider Ossama Bin Laden, la BCCI
et son
environnement financier étant toujours au coeur du système financier
mis en
place par les principaux soutiens d'Ossama Bin Laden. Selon la Cour de
justice, le texte de l'ouvrage entre les pages 157 et 226 ("La
galaxie Bin
Laden", "Khalid Bin Mahfouz : une fortune au service du terrorisme",
"Le
banquier de la terreur") n'est qu'une version un peu mieux lisible de
l'annexe VI (p. 270-329, "Environnement économique d'Ossama Bin
Laden"), dont
la lecture est difficile et qui est elle-même reprise de l'annexe 3 du
"Rapport d'information déposé à l'Assemblée nationale par la Mission
d'information commune sur les obstacles au contrôle et à la
répression de la
délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe", dit
"Rapport Montebourg".

D.b La Cour de justice a constaté que référence était faite
nommément à
Yeslam Binladin (désigné par : Bin Laden) et à Saudi Investment
Company, SICO
SA aux pages suivantes de l'ouvrage, les modifications proposées par
les
intimés (cf. lettre C supra) étant indiquées ci-après entre crochets
avec la
mention "version modifiée" :

¿ 154 : description de la fratrie ("... and Yehia"),
¿ 156 : désignation de Yeslam Binladin en qualité de membre du conseil
d'ad-ministration du Saudi Bin Laden Group [version modifiée : "La
Galaxie
Bin Laden" : ajout d'une note de bas de page indiquant que "toutes les
personnes citées dans ce chapitre ne peuvent en aucun cas être
assimilées a
priori et globalement aux activités terroristes dont est suspecté
Ossama Bin
Laden"; Yeslam Binladin n'est plus mentionné comme membre du conseil
d'administration du Saudi Bin Laden Group],
¿ 166 : désignation de Yeslam Binladin en qualité de dirigeant de
Saudi
Investment Company, SICO SA,
¿ 166, 167, 168 : indication de la fondation de SICO SA par le Saudi
Bin
Laden Group, au travers d'un cabinet d'avocats genevois "... Cette
société
est l'une des plus opaques de la galaxie SBG ...",
¿ 172, 173 : "De telles zones de porosité sont nombreuses dans
l'univers des
sociétés de la famille Bin Laden. Leur identification est souvent
difficile
en raison de la multiplication de sociétés écrans, mais de nombreux
liens
attestent d'une proximité indirecte avec plusieurs réseaux frauduleux
[version modifiée : "avec plusieurs réseaux imbriqués"]. Yeslam Bin
Laden a
également [version modifiée : le mot "également" est supprimé] créé
le 7
juillet 1998 à Genève une compagnie aérienne dénommée Avcon Business
Jets
Geneva SA ...",
¿ 176, 177 : "Avcon Business Jets, société de transport d'affaires,
est l'une
de ces structures discrètes qui se situent bien souvent en "bout de
chaîne"
des réseaux évoqués et passent inaperçues dans un empire aux mille
filiales
comme celui des Bin Laden. Ainsi, Avcon dispose-t-elle d'une filiale
dénommée
Avcon Air Charter, basée en Suisse. La société dispose d'une flotte
d'appareils pour ses clients privés. Or, selon plusieurs sources,
cette
compagnie offre des cours de pilotage à ses clients dans la même
école que
celle fréquentée en Floride par plusieurs des "kamikaze" avant les
attentats
du 11 septembre 2001." [version modifiée : le texte portant référence
à Avcon
est biffé],
¿ 177 : Yeslam Bin Laden est cité en tant que président de SICO
Curaçao,
¿ 177, 178 : mise en place de structures offshore et à l'étranger
(SICO
Curaçao, SICO London Ltd, SICO-UK Ltd, SICO Services Ltd),
¿ 180, 181 : "Cet enchevêtrement de sociétés, s'il est destiné à
opacifier
des réseaux financiers, n'en est pas moins révélateur de liens
troublants
entre des réseaux frauduleux connus croisant des sociétés impliquées
dans des
relations commerciales normales, mais également des structures mises
en place
pour masquer durablement des transferts financiers douteux. La
famille Bin
Laden a donc le goût du secret.",
¿ 224 : "La société dirigée par Yeslam Bin Laden, frère d'Ossama Bin
Laden, a
mis en place au cours des années 80 une nébuleuse de sociétés écrans
enregistrées aux îles Caïmans, aux Bahamas et en Irlande. Ces
sociétés sont
généralement contrôlées par SICO ainsi que par des partenaires issus
de
l'environnement de la BCCI.",
¿ 265 : [version modifiée : le titre de l'Annexe VI ("Rapport sur
l'environnement économique d'Ossama Bin Laden") devient "Rapport sur
l'environnement économique de la famille Bin Laden"],
¿ 271 : SICO SA est une filiale du Saudi Bin Laden Group,
¿ 275 : membre du conseil d'administration du Saudi Bin Laden Group
("Yaslem
Bin Laden"),
¿ 283 : dirigeant de SICO SA,
¿ 283, 285 : fondation de SICO SA [version modifiée : modification
d'encadré],
¿ 286 : investissements dans Hybridon Inc. par le truchement de la
société
Nicris,
¿ 300 : fondateur d'Avcon Business Jets Geneva SA,
¿ 300 : siège social à la même adresse qu'Avcon Business Jets Geneva
SA,
¿ 303 : sociétés
offshore et en Grande-Bretagne,
¿ 303 : président de SICO Curaçao,
¿ 326 : fils de Mohammed Awad Bin Laden décédé en 1968 (organigramme),
¿ 329 : présence du réseau BCCI (organigramme).

D.c En droit, la Cour de justice retient, contrairement au Tribunal
de
première instance, que les parties requérantes n'ont pas rendu
vraisemblable
que l'opinion contenue dans l'imprimé en question est insoutenable et
porte
atteinte à leur personnalité, ni que les éventuelles inexactitudes de
fait
les présentent sous un faux jour.

D.c .a En particulier, les auteurs ont pris des précautions, telles
que
figurant à la page 267, soit au début de l'annexe VI : "Toutes les
structures
et personnes citées dans ce rapport ne peuvent en aucun cas être
assimilées a
priori et globalement aux activités terroristes dont est suspecté
Ossama Bin
Laden, contrairement à ce qui a été écrit dans la presse. Le rapport
a pris
soin de distinguer les entités n'ayant que des liens usuels dans le
monde des
affaires avec la famille Bin Laden, de celles ayant ¿ ou ayant eu ¿
des liens
directs avec Ossama Bin Laden".

D.c .b De l'avis des juges cantonaux, un lecteur moyen ne retiendra
que la
thèse proposée par les auteurs et résumée ci-dessus (cf. lettre D.a
supra);
il ne s'intéressera fort vraisemblablement pas à la personne d'un des
membres
de la nombreuse fratrie d'Ossama Bin Laden, ni à ses sociétés,
d'autant moins
qu'il n'est même pas allégué un fait précis, ou une anecdote,
indiquant
l'aide effective apportée à Ossama Bin Laden par son frère Yeslam
Binladin.
De l'avis de la Cour de justice, le lecteur moyen n'ira même pas
jusqu'à
prendre connaissance de l'annexe VI, constatant qu'il s'agit de
redites
difficilement lisibles, et n'utilisera certainement pas les références
éventuellement inexactes (mais provenant de registres commerciaux
publics,
ainsi que de "databases" accessibles au public).

D.c .c S'agissant du mode et du style de rédaction de l'ouvrage, la
Cour de
justice estime que, dans la phase des mesures provisionnelles
urgentes, le
juge doit se borner à examiner s'il y a une atteinte illicite par
publication
de faits mensongers ou d'opinions insoutenables prima facie et sur la
base
d'une impression générale, sans devoir procéder à de fines analyses
de texte,
qui ont généralement pour effet d'isoler certains passages de leur
contexte,
ce qui ne respecte pas le réquisit légal qui est de recueillir
l'impression
générale laissée sur un lecteur moyen. Or si le mode de rédaction de
l'ouvrage incriminé est certes critiquable dans la mesure où il est
basé sur
des amalgames et des rapprochements audacieux, et où ses auteurs ont
opéré
par "pompage" et "resucée", l'annexe VI n'étant qu'une copie conforme
de
l'annexe 3 du "Rapport Montebourg", l'impression générale ne permet
pas de
conclure à l'existence d'une atteinte illicite à la personnalité des
parties
requérantes, ni que les inexactitudes de fait relevées présentent les
requérants sous un faux jour.

E.
Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral,
Yeslam
Binladin et Saudi Investment Company, SICO SA concluent avec suite de
frais
et dépens à l'annulation de l'arrêt rendu le 26 septembre 2002 par la
Cour de
Justice. Ils ont en outre sollicité l'octroi de l'effet suspensif au
recours,
que le Président de la Cour de céans a accordé par ordonnance du 29
octobre
2002 après avoir recueilli les déterminations des intimés et de
l'autorité
cantonale.

Dans leur réponse au recours de droit public, les intimés concluent
avec
suite de frais et dépens à l'irrecevabilité du recours,
subsidiairement à son
rejet.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Selon la jurisprudence, les décisions statuant sur des mesures
provisionnelles prises en dernière instance cantonale (cf. art. 86
al. 1 OJ)
peuvent toujours être attaquées par la voie du recours de droit
public au
regard de l'art. 87 OJ, de sorte que l'on peut se dispenser
d'examiner si la
décision attaquée en l'espèce et qui ne pouvait pas être soumise à
une autre
autorité cantonale doit être considérée comme une décision finale ou,
au
contraire, comme une simple décision incidente causant un préjudice
irréparable (cf. ATF 118 II 369 consid. 1, qui concernait comme en
l'espèce
une requête tendant à faire interdire la diffusion d'un écrit sur la
base de
la protection de la personnalité; 116 Ia 446 consid. 2 et les arrêts
cités;
arrêt non publié 4P.155/1994 du 4 décembre 1994, reproduit in RSPI
1996 II
241, consid. 2).

2.
2.1 Selon l'art. 28 CC, celui qui subit une atteinte illicite à sa
personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute
personne
qui y participe (al. 1); une atteinte est illicite, à moins qu'elle
ne soit
justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt
prépondérant
privé ou public, ou par la loi (al. 2). Celui qui rend vraisemblable
qu'il
est l'objet d'une atteinte illicite, imminente ou actuelle, et que
cette
atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable,
peut
requérir des mesures provisionnelles (art. 28c al. 1 CC). A ce titre,
le juge
peut notamment ordonner provisoirement l'interdiction ou la cessation
de
l'atteinte (art. 28c al. 2 ch. 1 CC).

2.2 Il y a notamment atteinte à la personnalité lorsqu'une personne
est
touchée dans son honneur, à savoir dans la considération morale ou
sociale
dont elle jouit; pour juger si une déclaration est propre à porter
atteinte à
la considération d'une personne, il faut utiliser des critères
objectifs et
se placer du point de vue du lecteur moyen, en tenant compte
également du
contexte dans lequel la déclaration a été publiée (ATF 127 III 481
consid.
2b/aa; 126 III 209 consid. 3a in fine; 111 II 209 consid. 2; 107 II 1
consid.
2; 106 II 92 consid. 2a; 105 II 161 consid. 2 et les arrêts cités).

2.3 La publication d'un écrit peut porter atteinte à la personnalité
de
quelqu'un soit par la relation de faits, soit par leur appréciation
(ATF 126
III 305 consid. 4b; 95 II 481 consid. 8 p. 494; 71 II 191). L'atteinte
résultant d'allégations de faits inexacts n'est en principe jamais
licite
(ATF 126 III 209 consid. 3a, 305 consid. 4b/aa; 111 II 209 consid. 3c
in fine
et les arrêts cités). Néanmoins, n'importe quelle incorrection,
imprécision,
généralisation ou raccourci ne suffit pas à faire apparaître un
compte-rendu
comme inexact dans son ensemble; un écrit ne sera considéré comme
globalement
inexact et attentatoire aux droits de la personnalité que s'il ne
correspond
pas à la réalité sur des points essentiels et fait apparaître la
personne
concernée sous un faux jour ou en donne une image faussée à tel point
que
cette personne s'en trouve sensiblement rabaissée dans l'estime de ses
semblables (ATF 126 III 305 consid. 4b/aa; 111 II 209 consid. 4e in
fine; 107
II 1 consid. 4b; 105 II 161 consid.3b). Quant aux opinions,
commentaires et
jugements de valeur, ils sont admissibles pour autant qu'ils
apparaissent
soutenables en fonction de l'état de fait auquel ils se rapportent;
toutefois, dans la mesure où ils comportent aussi des allégations de
fait,
comme c'est le cas des jugements de valeur mixtes, leur noyau de fait
est
soumis aux mêmes principes que les allégations de faits (ATF 126 III
305
consid. 4b/bb et les arrêts cités).

2.4 Lorsque, comme dans le cadre des mesures provisionnelles selon
l'art.
28c CC, le juge peut se prononcer sur la base de la vraisemblance, il
n'a pas
à être persuadé de l'existence des allégués de fait : il suffit que,
sur la
base d'éléments objectifs, il acquière l'impression d'une certaine
vraisemblance de l'existence des faits pertinents, sans pour autant
qu'il
doive exclure la possibilité que les faits aient pu se dérouler
autrement;
par ailleurs, il peut se contenter d'un examen sommaire du droit (ATF
104 Ia
408 consid. 4; 99 II 344 consid. 2b; 88 I 11 consid. 5a; arrêt non
publié
4P.155/1994 du 4 novembre 1994, reproduit in RSPI 1996 II 241,
consid. 5a).

3.
3.1 Les recourants qualifient d'arbitraire l'appréciation de
l'autorité
cantonale selon laquelle un lecteur moyen ne retiendra que la thèse
majeure
proposée par les auteurs ¿ à savoir que le régime saoudien aurait
couvé en
son sein le mouvement taliban et les mouvements terroristes que
celui-ci
suscitait ¿ et ne s'intéressera fort vraisemblablement pas à la
personne d'un
des membres de la nombreuse fratrie d'Ossama Bin Laden, ni à ses
sociétés,
citées dans l'ouvrage (cf. lettre D.c.b supra). Selon les recourants,
il
tomberait en effet sous le sens commun que si les auteurs ont consacré
plusieurs pages aux recourants, c'est qu'ils estiment que les
informations
qu'ils égrènent sont pertinentes dans la description des assistances
dont
Ossama Bin Laden et le groupe Al Qaida bénéficient; cette impression
serait
perçue par tout lecteur moyen du livre, qui gardera l'impression
forte que
les personnes et entités décrites parfois extensivement comme la
société SICO
sont en lien avec les menées terroristes qui se sont manifestées
notamment le
11 septembre 2001. Toujours selon les recourants, cette impression ne
serait
nullement infirmée par la note de prudence figurant à la page 267 de
l'ouvrage et citée par la cour cantonale (cf. lettre D.c.a supra) :
en effet,
si l'intensité des liens n'est pas décrite, le lecteur retiendra de
l'impression créée par les auteurs l'existence de liens porteuse à
elle seule
d'une réprobation sociale.

Les recourants se plaignent par ailleurs de ce que la Cour de justice
n'aurait de manière arbitraire pas considéré les allégués de fait 1 à
4 de la
requête, qui faisaient la démonstration que Yeslam Binladin a eu un
parcours
de vie en totale opposition (familiale, culturelle, sociale,
géographique)
avec celui de son demi-frère Ossama. Or, selon les recourants, si la
cour
cantonale n'avait pas écarté ces faits de sa discussion, elle serait
arrivée
à la conclusion que l'ouvrage incriminé a présenté les recourants
sous un
faux jour en les faisant artificiellement apparaître comme ayant
"partie
liée" avec les menées terroristes.

Les recourants relèvent enfin que, contrairement à ce que semble
selon eux
retenir la cour cantonale (cf. lettre D.c.c supra), la protection
provisionnelle n'est pas soumise à des conditions plus strictes que la
prétention au fond : le juge des mesures provisionnelles examine les
faits
selon leur vraisemblance en fonction des preuves immédiatement
disponibles.
Or en l'espèce, si les parties adverses ne paraissent pas se
prévaloir de la
réalité effective de liens entre les recourants et Ossama Bin Laden
ou le
réseau Al Qaida, les recourants soutiennent avoir rendu vraisemblable
que
telle serait malgré tout l'impression fausse créée sur le lecteur
moyen.

3.2 Saisi d'un recours de droit public pour arbitraire, le Tribunal
fédéral
ne procède pas à un libre examen de toutes les circonstances de la
cause et
ne rend pas un arrêt au fond, qui se substituerait à la décision
attaquée. Il
se borne à contrôler si l'autorité cantonale a observé les principes
que la
jurisprudence a déduits de l'art. 9 Cst. (art. 4 aCst.), son examen ne
portant au surplus que sur les griefs invoqués et suffisamment
motivés dans
l'acte de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 125 I 71 consid. 1c,
492
consid. 1b; 124 I 159 consid. 1e; 122 I 70 consid. 1c; 122 IV 8
consid. 2a).

Dans un recours pour arbitraire, le recourant doit démontrer en quoi
la
décision attaquée, dans son résultat, viole gravement une norme ou un
principe juridique clair et indiscuté, contredit clairement la
situation de
fait ou encore heurte d'une manière choquante le sentiment de la
justice et
de l'équité (ATF 128 I 177 consid. 2.1; 125 I 492 consid. 1b; 123 I 1
consid.
4a; 122 I 61 consid. 3a et les arrêts cités). Il ne peut donc se
borner à
critiquer la décision attaquée comme il le ferait en procédure
d'appel, où
l'autorité de recours revoit librement l'application du droit (ATF
117 Ia 10
consid. 4b; 110 Ia 1 consid. 2a; 107 Ia 186 et la jurisprudence
citée). En
particulier, il ne peut se contenter d'opposer sa thèse à celle de
l'autorité
cantonale, mais doit démontrer, par une argumentation précise, que la
décision attaquée repose sur une interprétation ou une application de
la loi
manifestement insoutenables (ATF 125 I 492 consid. 1b; 120 Ia 369
consid. 3a;
86 I 226).

Lorsqu'il est appelé à statuer sur recours contre une ordonnance de
mesures
provisionnelles, le Tribunal fédéral fait preuve d'une retenue
d'autant plus
grande que, compte tenu du but assigné à cette procédure
particulière, le
juge n'examine la cause que de manière sommaire et provisoire, se
contentant
de la vraisemblance des faits allégués et du bien-fondé du droit
invoqué (cf.
ATF 104 Ia 408 consid. 4; 99 II 344 consid. 2b; 97 I 481 consid. 3a;
arrêt
non publié 4P.155/1994 du 4 novembre 1994, reproduit in RSPI 1996 II
241,
consid. 5b).

3.3 En l'espèce, comme on l'a vu, l'autorité cantonale a considéré
qu'un
lecteur moyen ne retiendra que la thèse proposée par les auteurs,
telle que
résumée ci-dessus sous lettre D.a, et qu'il ne s'intéressera fort
vraisemblablement pas à la personne d'un des membres de la nombreuse
fratrie
d'Ossama Bin Laden, ni à ses sociétés, d'autant moins qu'il n'est
même pas
allégué un fait précis, ou une anecdote, indiquant l'aide effective

apportée
à Ossama Bin Laden par son frère Yeslam Binladin (cf. lettre D.c.b
supra).
Les juges cantonaux ont estimé que si le mode de rédaction de
l'ouvrage
incriminé est certes critiquable, notamment dans la mesure où il est
basé sur
des amalgames et des rapprochements audacieux, l'impression générale
ne
permet pas de conclure à l'existence d'une atteinte illicite à la
personnalité des recourants, ni que les inexactitudes de fait relevées
présentent ceux-ci sous un faux jour (cf. lettre D.c.c supra).

Les recourants ne démontrent pas que cette appréciation procède d'une
application arbitraire des principes juridiques rappelés plus haut
(cf.
consid. 2 supra). Ils se bornent pour l'essentiel à opposer à
l'appréciation
de l'autorité cantonale leur propre thèse, selon laquelle l'ouvrage
incriminé
les présenterait sous un faux jour en les faisant artificiellement
apparaître
comme ayant "partie liée" avec les menées terroristes attribuées à
Ossama Bin
Laden. Les recourants ne remettent pas en cause dans leur recours de
droit
public les constatations de fait de l'autorité cantonale quant au
contenu de
l'ouvrage incriminé, constatations qui portent en particulier sur les
références nominales qui sont faites dans l'ouvrage à l'un ou l'autre
des
recourants (cf. lettre D.b supra) et sur la note de mise en garde
figurant à
la page 267 de l'ouvrage (cf. lettre D.c.a supra). Or sur la base de
ces
constatations, la cour cantonale pouvait bien considérer sans
arbitraire que
le lecteur moyen, pour autant déjà qu'il s'intéresse à la personne
d'un des
membres de la nombreuse fratrie d'Ossama Bin Laden ou à ses sociétés,
n'en
retiendrait pas que ceux-ci auraient "partie liée" avec les menées
terroristes attribuées à Ossama Bin Laden et avec les réseaux qui le
soutiennent, mais retiendrait seulement qu'ils entretiennent des liens
pouvant être considérés comme usuels dans le monde des affaires avec
la
famille Bin Laden. Le seul fait que Yeslam Binladin et SICO
entretiennent de
tels liens avec une famille dont est également issu Ossama Bin Laden
n'est
pas propre ¿ indépendamment du lien de parenté incontesté entre Yeslam
Binladin et Ossama Bin Laden et en l'absence de toute allégation de
liens
effectifs entre eux ¿ à rabaisser les recourants dans l'estime du
public.

On ne voit par ailleurs pas en quoi les allégations de la requête non
retenues dans l'arrêt attaqué ¿ ni d'ailleurs dans l'ordonnance du
Tribunal
de première instance, qui faisait pourtant droit aux conclusions des
parties
requérantes ¿ remettraient en cause l'appréciation de l'autorité
cantonale.
En effet, même en confrontant ces éléments, s'ils devaient s'avérer ¿
les
intimés relèvent en effet dans leur réponse au recours qu'ils n'ont
jamais
été interpellés sur ces allégations, au sujet desquelles les parties
requérantes n'auraient au surplus proposé aucun moyen de preuve ¿, à
l'impression d'ensemble que le lecteur moyen retirera de la lecture de
l'ouvrage incriminé, on ne constate pas de contradiction permettant
de dire
que les recourants seraient présentés sous un faux jour.

4.
En définitive, le recours se révèle mal fondé en tant qu'il est
recevable et
doit dès lors être rejeté dans cette même mesure. Les recourants, qui
succombent, supporteront solidairement entre eux (art. 156 al. 7 et
159 al. 5
OJ) les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) ainsi que les frais
engagés par
les intimés pour la procédure de recours devant le Tribunal fédéral
(art. 159
al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Sont mis à la charge solidaire des recourants :
2.1 un émolument judiciaire de 3'000 fr.;
2.2 une indemnité de 2'000 fr. à verser aux intimés à titre de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
première Section de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 17 décembre 2002

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5P.362/2002
Date de la décision : 17/12/2002
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-12-17;5p.362.2002 ?
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