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06/12/2002 | SUISSE | N°4P.222/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 décembre 2002, 4P.222/2002


{T 0/2}
4P.222/2002 /ech

Arrêt du 6 décembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Favre,
greffier Ramelet.

A. ________,
recourant, représenté par Me Nicolas Juge, avocat, rue de
Rive 6, 1204 Genève,

contre

B.________,
intimé, représenté par Me Vincent Spira, avocat, rue Saint-Ours 5,
1205
Genève,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst.; procédure civile g

enevoise

(recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la
Cour de
justice du canton de Genève du 13 sept...

{T 0/2}
4P.222/2002 /ech

Arrêt du 6 décembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Favre,
greffier Ramelet.

A. ________,
recourant, représenté par Me Nicolas Juge, avocat, rue de
Rive 6, 1204 Genève,

contre

B.________,
intimé, représenté par Me Vincent Spira, avocat, rue Saint-Ours 5,
1205
Genève,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst.; procédure civile genevoise

(recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la
Cour de
justice du canton de Genève du 13 septembre 2002)

Faits:

A.

En 1995, B.________ et A.________ ont envisagé d'acheter en commun le
fonds
de commerce de C.________, soit l'exploitation d'appareils de jeux à
prépaiement installés dans divers établissements publics. Selon
B.________,
celui-ci devait apporter son savoir-faire, et A.________ les fonds
nécessaires à l'acquisition du commerce, le bénéfice devant être
partagé à
parts égales. A terme, B.________ devait rembourser à A.________ la
moitié de
ses investissements par prélèvements sur sa part de bénéfice. Le 12
octobre
1995, A.________ et B.________ ont fondé la société anonyme
X.________ SA;
A.________, qui a souscrit 50 actions, était administrateur-président
de la
société, alors que B.________, qui a souscrit 49 actions, en était
administrateur-secrétaire, avec pour chacun signature collective à
deux.

Toutefois, le 3 novembre 1995, A.________, en présence de B.________,
a
acquis le commerce de C.________ en son nom propre, et non pas en
celui de la
société X.________ SA. Le 21 novembre 1995, ladite société a tenu une
assemblée générale extraordinaire, selon B.________ à son insu,
laquelle a
décidé le remplacement des deux fondateurs et administrateurs par la
désignation d'une administratrice unique,dame A.________, épouse de
A.________.

Le 12 décembre 1995, B.________ a protesté contre sa mise à l'écart,
puis a
fait notifier des commandements de payer interruptifs de prescription
jusqu'en 1999. Le 22 mars 1999, il a introduit une demande en
paiement et en
constatation de droit à l'encontre de A.________ devant le Tribunal de
première instance de Genève. Par jugement du 30 septembre 1999, cette
autorité a déclaré irrecevables les deux actions. Sur appel de
B.________, la
Cour de justice a annulé ce jugement par arrêt du 4 avril 2000, en
enjoignant
au tribunal d'instruire la cause sur l'existence d'un contrat de
société
simple ayant pu lier les parties jusqu'en 1996, après production et
fourniture par A.________ à B.________ des documents et renseignements
auxquels ce dernier avait droit en vertu de l'art. 541 CO.

Statuant à titre partiel par jugement du 3 mai 2001, le tribunal a
constaté
que les parties avaient conclu un contrat de société simple, avec
partage
égal des bénéfices et des pertes, portant sur l'acquisition et
l'exploitation
du commerce cédé par C.________. Il a ordonné à A.________ de
remettre à
B.________, en consultation, l'intégralité des pièces comptables et
justificatives de la société X.________ SA et celles se rapportant à
l'exploitation du commerce, cela pour la période du 12 octobre 1995 au
prononcé du jugement.

Saisie d'un appel de A.________, la Cour de justice l'a déclaré
irrecevable
par arrêt du 13 septembre 2002. En substance, la cour cantonale a
retenu que
le jugement du 3 mai 2001 n'avait pas mis un terme définitif au
contentieux
opposant les parties, dont les droits demeuraient réservés; il
s'agissait
d'un jugement partiel, revêtant les caractéristiques d'une ordonnance
préparatoire dont l'appel n'est possible qu'avec le jugement au fond,
et non
pas séparément.

B.
A.________ forme un recours de droit public au Tribunal fédéral contre
l'arrêt précité, dont il requiert l'annulation. Il se plaint d'une
application arbitraire du droit de procédure cantonal. A l'en croire,
le
prononcé d'irrecevabilité de son appel consacrerait une violation de
l'art. 9
Cst., dès l'instant où il résulterait de deux arrêts cités par la
doctrine
cantonale que la Cour de justice aurait "admis l'appel immédiat du
jugement
partiel".

L'intimé conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son
rejet.

La cour cantonale se réfère à sa décision.

Le président de la Ie Cour civile a accordé l'effet suspensif au
recours, par
ordonnance du 11 novembre 2002.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours
qui lui sont soumis (ATF 128 I 46 consid. 1a p. 48, 177 consid. 1 p.
179; II
13 consid. 1a p. 16, 46 consid. 2a p. 47, 56 consid. 1 p. 58; IV 137
consid.
2 in initio).

1.1 A teneur de l'art. 86 al. 1 OJ, le recours de droit public n'est
recevable qu'à l'encontre des décisions prises en dernière instance
cantonale. Selon l'art. 87 al. 2 OJ, le recours de droit public est
notamment
recevable contre des décisions préjudicielles et incidentes prises
séparément, s'il peut en résulter pour l'intéressé un préjudice
irréparable;
lorsque le recours de droit public n'est pas recevable en vertu de
cette
disposition, ou qu'il n'a pas été utilisé, les décisions
préjudicielles et
incidentes peuvent être attaquées avec la décision finale (art. 87
al. 3 OJ).

En l'espèce, l'intimé a déposé le 22 mars 1999 une demande en
paiement et une
action en constatation de droit contre le recourant. Si la cour
cantonale a
décidé, en instance d'appel par arrêt du 4 avril 2000, que les
conclusions en
constatation étaient irrecevables, parce que l'intimé n'était pas
entravé
dans sa possibilité d'intenter une action condamnatoire ou en
dommages-intérêts contre le recourant en raison des règles de la
société
simple, de la culpa in contrahendo ou de la responsabilité fondée sur
la
confiance (Vertrauenshaftung), elle a en revanche admis la
recevabilité des
conclusions en reddition de comptes, qui devaient permettre de
chiffrer
ultérieurement la demande. Elle a en conséquence ordonné au tribunal
de
procéder à l'instruction qui s'est déroulée devant lui, laquelle a
abouti,
selon jugement du 3 mai 2001, à la reconnaissance de l'existence d'un
contrat
de société simple liant les plaideurs, avec partage égal des
bénéfices et des
pertes, et à l'injonction adressée au recourant de remettre à
l'intimé, pour
consultation, l'intégralité des pièces comptables et justificatives
de la
société X.________ SA et celles se rapportant à l'exploitation du
commerce de
jeux à prépaiement acquis auprès de C.________, pour la période du 12
octobre
1995 au 3 mai 2001.

L'arrêt du 13 septembre 2002, qui confirme la décision du tribunal
par le
prononcé d'irrecevabilité de l'appel déposé contre cette dernière par
le
recourant, revêt ainsi une double nature, laquelle est susceptible
d'influer
sur les conditions de recevabilité du présent recours.

1.1.1 Il constitue, d'une part, une décision préalable ou
préjudicielle
portant sur l'existence d'une condition matérielle à l'admission de la
demande en tant qu'il a retenu la conclusion par les parties d'un
contrat de
société simple. De fait, si la passation dudit contrat n'avait pas été
reconnue, l'arrêt cantonal aurait mis fin à l'instance par le
déboutement du
demandeur et constituerait une décision finale. Dès lors, pour avoir
déclaré
irrecevable l'appel interjeté contre le jugement du 3 mai 2001
admettant
l'existence de la société simple entre les intéressés, l'autorité
intimée a
rendu une décision incidente (sur cette problématique, cf. Bernard
Corboz, Le
recours immédiat contre une décision incidente, in: SJ 1991 p. 617
ss, spéc.
p. 621; Fabienne Hohl, Procédure civile, Tome II, p. 263 n. 2988;
Frank/Sträuli/Messmer, Kommentar zur zürcherischen
Zivilprozessordnung,
Zurich 1997, p. 546, n. 2).

La décision en question ne met pas fin à l'instance, dès lors que
l'instruction doit se poursuivre pour permettre à la juridiction
cantonale de
statuer sur les prétentions pécuniaires que l'intimé élève contre le
recourant sur la base de ce rapport de société simple.

Comme on l'a vu, l'art. 87 al. 2 OJ subordonne la recevabilité du
recours de
droit public contre les décisions incidentes prises séparément à la
constatation d'un préjudice irréparable pour le recourant. Une telle
condition est remplie si la décision attaquée cause à l'intéressé un
inconvénient de nature juridique. Tel est le cas lorsqu'une décision
finale,
même favorable au recourant, ne ferait pas disparaître entièrement le
préjudice juridique subi, en particulier lorsque la décision incidente
contestée ne peut plus être attaquée avec le prononcé final, rendant
ainsi
impossible le contrôle constitutionnel par le Tribunal fédéral (ATF
127 I 92
consid. 1c p. 94 et les références). Une décision préalable ou
préjudicielle
tran-
chant une question matérielle ne remplira en pratique jamais les
exigences
liées au préjudice irréparable, dès lors qu'il est par définition
possible de
l'attaquer avec la décision mettant fin au litige par la voie du
recours en
réforme.

Tel est en particulier le cas de la décision préalable ou
préjudicielle
susrappelée, par laquelle l'existence d'un contrat de société simple
entre
les parties a été admise.

En tant qu'il est dirigé contre cet aspect de la décision attaquée,
soit
l'arrêt de la Cour de justice prononçant l'irrecevabilité de l'appel
contre
le jugement du tribunal constatant le rapport de société simple, le
recours
de droit public doit à son tour être déclaré irrecevable (ATF 127 I 92
consid. 1c p. 95).

1.1.2 D'autre part, l'arrêt du 13 septembre 2002 rendu par la Cour de
justice, qui a déclaré irrecevable l'appel déposé contre la décision
du
tribunal tranchant définitivement sur la prétention de l'intimé
(déduite de
l'art. 541 CO) à pouvoir consulter l'intégralité des pièces
comptables et
justificatives relatives à l'exploitation du commerce de jeux à
prépaiement,
doit par contre être qualifié de jugement partiel.

Mais on peut laisser ouverte la question de savoir si cette décision
constitue une décision finale (dans ce sens arrêt 1P. 550/2000 du 15
février
2001, consid. 1) ou incidente (cf. arrêt 4P.117/1998 du 26 octobre
1998,
consid. 1, in: SJ 1999 I p. 186), dès lors que le recours de droit
public, en
tant qu'il s'en prend sur ce point à la décision attaquée, doit de
toute
manière être rejeté.

2.
Le recourant soutient que l'ordre de remettre en consultation les
documents
mentionnés au considérant 1.1.2 supra lèse gravement ses intérêts
juridiques,
"notamment (par) la divulgation forcée de secrets d'affaires". Et de
se
référer à l'arrêt 4P.117/1998 du 26 octobre 1998 susrappelé.

2.1 Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle
est
manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un
principe
juridique clair et indiscuté, ou encore heurte de manière choquante le
sentiment de la justice et de l'équité. Il ne suffit pas que sa
motivation
soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse
arbitraire dans
son résultat. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la
solution
retenue que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction
manifeste
avec la situation effective, adoptée sans motif objectif et en
violation d'un
droit certain. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre
solution
paraît également concevable, voire même préférable (ATF 128 I 81
consid. 2,
p. 86, 177 consid. 2.1 p. 182; II 259 consid. 5 p. 280/281).

2.2 La jurisprudence et la doctrine cantonales se sont attachées à
distinguer
le jugement sur incident, susceptible d'un appel immédiat, de
l'ordonnance
préparatoire, contre laquelle on ne peut appeler en général qu'avec
le fond.
Le principe longtemps retenu réside en ce que, dans le domaine de la
preuve,
est considérée comme ordonnance préparatoire toute décision qui
statue sur
l'opportunité et les modalités d'une des procédures probatoires
énumérées non
exhaustivement à l'art. 197 al. 1 LPC gen., alors que la décision qui
se
rapporte à un jugement ayant ordonné une mesure probatoire et qui est
de
nature à en modifier la portée est un jugement incident, pouvant faire
l'objet d'un appel immédiat (Bertossa/Gaillard/Guyet, Commentaire de
la loi
de procédure civile genevoise, n. 5 ad art. 142 LPC gen. et n. 9 ad
art. 291
LPC gen.). Ce principe a été renversé par un arrêt de la Cour de
justice (SJ
1996, p. 277 ss), selon lequel il n'est pas compatible avec le
principe de la
célérité du procès de pouvoir contester en appel immédiat les
orientations
d'instruction prises par le juge en cours de litige. La notion
d'ordonnance
préparatoire en a été singulièrement étendue, donnant lieu à une riche
casuistique (Bertossa/Gaillard/ Guyet, op. cit., n. 10 ad art. 291
LPC gen.).
Dans ce sens, toute décision qui dispose de l'ordonnancement de la
procédure
ou qui détermine le champ des enquêtes, ou le modifie, ou porte sur
l'appréciation anticipée des preuves, par exemple, est définie comme
une
ordonnance préparatoire. De même, le Tribunal fédéral a considéré
comme
"ordonnance préparatoire" la décision invitant une partie à fournir un
certain nombre de documents et de renseignements, notamment la
comptabilité
de deux exercices et les rapports de l'organe de révision (arrêt
4P.117/1998
du 26 octobre 1998, consid. 1b/bb/bbb,
in: SJ 1999 I p. 188 in fine).

En l'espèce, la décision invitant le recourant à produire certaines
pièces au
dossier et à en faciliter la consultation par sa partie adverse relève
manifestement des décisions portant sur la conduite de la procédure
et son
ordonnancement, avec l'influence qu'elle peut avoir sur la
détermination du
champ des enquêtes ultérieures. Il s'agit donc typiquement d'une
ordonnance
préparatoire, dont l'appel n'est recevable, en procédure civile
genevoise,
qu'avec celui des jugements au fond, sous réserve d'exceptions non
réalisées
en l'occurrence (art. 295 al. 2 LPC gen.; cf. aussi Kummer, Grundriss
des
Zivilprozessrechts, 4e éd., p. 179; Hohl, loc. cit., p. 263, n. 2988
et 2989;
Kellerhals/Güngerich/Berger, Bernisches Zivilprozessrecht, Berne
2002, p. 175
bb). Ainsi, en qualifiant "d'ordonnance préparatoire" le jugement du
Tribunal
de première instance du 3 mai 2001 invitant notamment une partie à
déposer
des pièces comptables et justificatives et à en faciliter la
consultation par
sa partie adverse, la Cour de justice s'est inscrite dans sa
jurisprudence
récente et a respecté la lettre de l'art. 295 al. 2 LPC gen. Une telle
démarche échappe au grief d'arbitraire, malgré certaines difficultés
rencontrées avant le changement de la jurisprudence cantonale
intervenu en
1996, la casuistique qu'implique nécessairement la distinction entre
"jugement incident" et "ordonnance préparatoire" et les réserves
exprimées
par la doctrine (Bertossa/Gaillard/Guyet, op. cit., n. 9 in fine ad
art. 291
LPC gen.).

De toute manière, quand bien même le recourant, alors appelant, a
consacré
certains développements à propos de l'injonction de fournir les
comptes et
les pièces justificatives (p. 24 à 26 du mémoire d'appel du 8 juin
2001), il
n'a à aucun moment allégué que cette mesure porterait une atteinte
grave à
ses intérêts juridiques, en raison de la divulgation forcée de secrets
d'affaires, argument qu'il invoque pour la première fois devant le
Tribunal
fédéral à l'appui de l'examen de la recevabilité du présent recours.

3.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la faible
mesure de
sa recevabilité.
Le recourant, qui succombe, paiera l'émolument de justice et versera à
l'intimé une indemnité à titre de dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le recourant versera à l'intimé une indemnité de 2500 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 6 décembre 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.222/2002
Date de la décision : 06/12/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-12-06;4p.222.2002 ?
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