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28/11/2002 | SUISSE | N°4C.209/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 28 novembre 2002, 4C.209/2002


{T 0/2}
4C.209/2002 /ech

Arrêt du 28 novembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour,
Corboz et Favre.
greffière Michellod.

A. ________,
demandeur et recourant principal,
représenté par Me Jean-Bernard Waeber,
avocat, rue d'Aoste 1, case postale 3647, 1211 Genève 3,

contre

Le Groupement X.________,
défendeur et recourant par voie de jonction,
représenté par Me Philippe Cottier,
avocat, place du Molard 3, case postale 3199, 1211 Genève 3.

contrat de travail; congé abusif

(recours en réforme contre l'arrêt de la Cour d'appel des prud'hommes
du
canton de ...

{T 0/2}
4C.209/2002 /ech

Arrêt du 28 novembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour,
Corboz et Favre.
greffière Michellod.

A. ________,
demandeur et recourant principal,
représenté par Me Jean-Bernard Waeber,
avocat, rue d'Aoste 1, case postale 3647, 1211 Genève 3,

contre

Le Groupement X.________,
défendeur et recourant par voie de jonction,
représenté par Me Philippe Cottier,
avocat, place du Molard 3, case postale 3199, 1211 Genève 3.

contrat de travail; congé abusif

(recours en réforme contre l'arrêt de la Cour d'appel des prud'hommes
du
canton de Genève du 23 avril 2002)

Faits:

A.
Le demandeur a été engagé par le défendeur le 11 février 1997 en
qualité de
concierge chargé des travaux de nettoyage d'un centre commercial,
pour une
durée de travail de 42 heures par semaine et un salaire de 4'200 fr.
brut par
mois. Dès le 3e mois, il a reçu un salaire de 4'500 fr. brut par
mois. Dès le
1er janvier 1999, son salaire a été porté à 4'600 fr. brut par mois.

Suite à une réorganisation de travail, le demandeur a reçu au mois
d'août
1999 un cahier des charges prévoyant deux horaires alternatifs à
effectuer à
tour de rôle par deux concierges à plein temps (horaires de 43 et 44
heures
par semaine), ainsi qu'un troisième horaire à effectuer par chacun
des deux
lors de vacances ou d'absences de son collègue (61 heures par
semaine).

Le 1er mars 2000, le demandeur s'est plaint par écrit au directeur du
centre
commercial du fait que son horaire effectif était de 43 à 44 heures
par
semaine alors que son contrat prévoyait un horaire de 42 heures. Il a
demandé
un horaire conforme à ce dernier de même que le paiement des heures
supplémentaires effectuées et a reçu 8'300 fr. à ce titre en mai 2000.

Le 6 juin 2000, le directeur du centre commercial a proposé au
demandeur un
nouveau contrat, sans augmentation ou réduction de salaire, pour un
emploi de
45 heures par semaine. Le demandeur a refusé de telles conditions et
a été
congédié deux jours plus tard pour le 28 septembre 2000. La lettre de
licenciement mentionne que lors de la séance du 6 juin 2000, le
demandeur
avait déclaré être incapable d'effectuer correctement les tâches qui
lui
avaient été confiées dans le délai imparti par ses supérieurs. En
outre, il
ne pouvait pas être toléré qu'il ne prenne pas ses pauses dans les
lieux
indiqués par les instructions du 24 mai 2000. Le demandeur a contesté
le
congé le 21 août 2000, l'estimant abusif au sens de l'art. 336 al. 1
lettres
c et d CO.

B.
Le 2 mars 2001, A.________ a déposé une demande en paiement contre
son ancien
employeur pour un montant de 31'770,45 fr., correspondant à des heures
supplémentaires, des jours de vacances et une indemnité pour
résiliation
abusive. Le défendeur a accepté de verser une partie des prétentions
mais a
contesté le caractère abusif du licenciement.

Par jugement du 13 septembre 2001, le Tribunal des prud'hommes du
canton de
Genève a admis le poste concernant les heures supplémentaires, a
donné acte à
l'employeur de son engagement à payer certains montants et a rejeté
les
conclusions en paiement d'une indemnité pour licenciement abusif.

Par arrêt du 23 avril 2002, la Cour d'appel de la juridiction des
Prud'hommes
a confirmé ce jugement.

C.
A.________ interjette un recours en réforme contre l'arrêt cantonal.
Il
conclut à son annulation et à la condamnation du défendeur à lui
verser la
somme de 27'600 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er octobre 2000.

Le défendeur conclut au rejet du recours et forme parallèlement un
recours
joint. Il demande principalement au Tribunal fédéral de constater que
les
probatoires n'ont pas porté sur le contenu de l'entretien du 6 juin
2000 et
qu'il n'est pas établi qu'un nouveau contrat de travail a été proposé
au
demandeur ce même jour, de confirmer l'arrêt cantonal et de débouter
le
demandeur de ses conclusions. Subsidiairement, il requiert
l'annulation de
l'arrêt attaqué et le renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour
nouvelle
décision.

Le demandeur conclut à l'irrecevabilité du recours joint et, sur le
fond, au
déboutement du défendeur.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Selon l'art. 59 al. 2 OJ, l'intimé peut former un recours joint
pour
demander la réforme du jugement au détriment du recourant. En
l'espèce,
l'intimé requiert principalement que soit constatée l'absence de
probatoires
sur une question de fait et que l'arrêt cantonal soit confirmé. Faute
de
tendre à la modification de cet arrêt au détriment du recourant, les
conclusions de l'intimé sont irrecevables (cf. Poudret, COJ II, Berne
1990,
n. 2.1 ad art. 59 et 61 OJ). La motivation développée à l'appui du
recours
joint sera néanmoins examinée en tant que réponse au recours en
réforme,
puisque dans ce cadre, l'intimé peut, même s'il conclut à la
confirmation du
jugement attaqué, critiquer les considérants de la décision cantonale
en
envisageant l'hypothèse où certains griefs du recourant seraient admis
(Corboz, Le recours en réforme, SJ 2000 II p. 52 et les références
citées).

1.2 Dans son examen du recours, le Tribunal fédéral ne peut aller
au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent en prendre de
nouvelles (art.
55 al. 1 let. b OJ); à cet égard, les conclusions du recours
principal en
paiement d'un intérêt de 5% par an dès le 1er octobre 2000 ne sont pas
irrecevables, contrairement à ce que soutient le défendeur, puisque le
demandeur avait déjà conclu, en appel cantonal, au paiement à titre
d'indemnité pour résiliation abusive de la somme de 27'600 fr. avec
intérêts
à 5% l'an dès le 29 septembre 2000 (cf. Poudret, op. cit. n. 1.4.3 ad
art. 55
OJ).

Le Tribunal fédéral n'est lié ni par les motifs que les parties
invoquent
(art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique de la cour
cantonale
(art. 63 al. 3 OJ). Il peut donc admettre un recours pour d'autres
motifs que
ceux invoqués par la partie recourante et peut également rejeter un
recours
en adoptant une autre argumentation juridique que celle retenue par
la cour
cantonale (ATF 127 III 248 consid. 2c et les références citées).

2.
2.1Selon l'art. 336 al. 1 let. d CO, invoqué par le demandeur, un
congé est
abusif lorsqu'il est donné par une partie parce que l'autre partie
fait
valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail.

Lorsque la résiliation est fonction du refus du travailleur
d'accepter une
modification des conditions de travail, on est en présence de ce que
la
doctrine alémanique appelle une "Änderungskündigung", expression qui
peut
être traduite par "congé-modification". Jurisprudence et doctrine
distinguent
deux types de congé-modification: le congé-modification au sens
étroit se
caractérise par le fait qu'une partie résilie le contrat de travail,
mais
accompagne sa déclaration de l'offre de poursuivre les rapports de
travail à
des conditions modifiées. En revanche, dans le congé-modification au
sens
large, les deux actes juridiques ne sont pas immédiatement couplés;
une
partie reçoit son congé parce qu'elle n'a pas accepté une modification
consensuelle des rapports de travail (ATF 123 III 246 consid. 3 et les
références citées).

La jurisprudence s'est demandé si un tel procédé équivalait à une
résiliation
abusive au sens de l'art. 336 CO. Elle a considéré que l'adaptation
d'un
contrat de travail aux exigences variables de l'économie ou de
l'entreprise
devait être possible et admissible, de sorte que la résiliation sous
réserve
de modification ne saurait apparaître dans tous les cas comme abusive
(ATF
123 III 246 consid. 3b p. 250).

Il y a cependant abus lorsque la résiliation sert de moyen de
pression pour
imposer au partenaire contractuel une modification défavorable de ses
conditions de travail, alors que ni les conditions du marché ni la
situation
économique de l'entreprise ne l'imposent (ATF 125 III 70 consid. 2a
p. 72;
123 III 246 consid. 3b p. 250 s.).

L'abus peut également être réalisé lorsque le travailleur est
licencié parce
qu'il s'est opposé à des modifications déterminées unilatéralement par
l'employeur et devant entrer en vigueur avant l'écoulement du délai
de congé
(ATF 123 III 246 consid. 3 à 5). Ainsi, dans l'arrêt cité, le Tribunal
fédéral a sanctionné le congé
que l'employeur avait donné parce que la travailleuse s'était opposée
à une
réduction immédiate de son salaire. En effet, par son refus
d'accepter une
réduction que l'employeur voulait lui imposer sans respecter le délai
de
congé, la travailleuse avait fait valoir une prétention résultant du
contrat
de travail, au sens de l'art. 336 al. 1 let. d CO.

2.2 Le demandeur reproche à la cour cantonale d'avoir limité son
examen à la
justification matérielle de la modification contractuelle proposée,
sans
vérifier si le congé avait été utilisé aux fins d'obtenir un avantage
immédiat. Or il ne ressortait pas de l'état de fait que l'employeur
avait
voulu différer les effets de la modification des conditions de
travail au
terme du délai de congé contractuel.

La cour cantonale n'a effectivement pas examiné si le nouveau contrat
devait
entrer en vigueur immédiatement ou seulement à l'issue du délai de
résiliation du contrat en cours. Or, lorsque le congé est utilisé pour
obtenir un avantage immédiat, c'est-à-dire lorsque la modification est
imposée sans respect des délais de congé, la résiliation est abusive
même si
le motif pour lequel elle est donnée est défendable. En l'espèce, il
est
impossible à la Cour de céans de déterminer si le congé visait
l'obtention
d'un avantage immédiat, puisque l'arrêt cantonal ne contient aucune
constatation de fait à ce sujet. En application de l'art. 64 OJ, il
convient
dès lors de renvoyer la cause à l'autorité cantonale afin qu'elle
complète
l'état de fait sur ce point.

3.
Dès lors que la cause doit être renvoyée à l'autorité cantonale, le
défendeur
a un intérêt à ce que la Cour de céans examine également le grief
soulevé
dans sa réponse (cf. consid. 1.1 ci-dessus). Il se plaint d'une
violation de
l'art. 8 CC dans la mesure où la cour cantonale a retenu que le
demandeur
s'était vu proposer un nouveau contrat de 45 heures par semaine lors
de la
réunion du 6 juin 2000, alors que cette allégation avait été
contestée et
qu'aucune preuve n'avait été administrée à ce sujet.

3.1 Selon l'art. 8 CC, chaque partie doit, si la loi ne prescrit le
contraire, prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son
droit. Cette
règle s'applique à toute prétention fondée sur le droit civil
fédéral. Elle
répartit le fardeau de la preuve et détermine ainsi la partie qui doit
assumer les conséquences d'une absence de preuve (ATF 127 III 142
consid. 3c
p. 145). La maxime inquisitoire imposée par les articles 343 al. 4 CO
et 29
LJP gen. (loi sur la juridiction des prud'hommes genevoise) ne
modifie pas la
répartition du fardeau de la preuve.

Si le juge admet ou écarte un fait contesté sans aucun raisonnement
ni aucun
commencement de preuve dans ce sens, il élude et viole en conséquence
l'art.
8 CC. Une telle violation relève du recours en réforme (cf. Corboz, Le
recours en réforme, SJ 2000 II p. 41; ATF 114 II 289 consid. 2a p.
290; 105
II 143 consid. 6a/aa p. 144 s.).

3.2 En l'espèce, il apparaît que le demandeur a allégué pour la
première fois
à l'audience d'appel du 23 avril 2002 avoir été licencié parce qu'il
avait
refusé une modification de son contrat proposée le 6 juin 2000. Il
ressort du
procès-verbal de cette audience que le défendeur a contesté cette
allégation.
Pourtant, sans ordonner d'enquêtes sur cette question, la Cour
d'appel a
retenu que le défendeur avait proposé au demandeur de nouvelles
conditions
contractuelles et que ce dernier les avait refusées. Dans sa réponse
au
recours joint, le demandeur soutient que ces faits ont été retenus
tant par
le Tribunal que par la Cour d'appel à la suite d'une appréciation des
preuves, de sorte que l'art. 8 CC n'est pas violé. Force est au
contraire de
constater que le jugement de première instance ne contient pas
d'allusion à
un nouveau contrat, pas plus que la demande en justice, le mémoire
d'appel,
les déclarations du demandeur ou les dépositions des témoins. La Cour
d'appel
n'avait donc à sa disposition sur ce point qu'une allégation du
demandeur
contestée par le défendeur. En admettant les faits allégués par le
demandeur
sans aucun raisonnement ni aucun commencement de preuve dans ce sens,
la Cour
d'appel a violé l'art. 8 CC. L'arrêt attaqué doit donc également être
annulé
pour cette raison.

4.
D'un point de vue logique, la question de savoir si le nouveau
contrat de
travail devait entrer en vigueur avant la fin du délai de congé
(ci-dessus
consid. 2.2) est subsidiaire à celle de savoir s'il y a effectivement
eu
proposition de conclure un nouveau contrat (ci-dessus consid. 3.2).
L'autorité cantonale devra par conséquent respecter les principes
découlant
de l'art. 8 CC avant de retenir que le demandeur s'est vu proposer un
nouveau
contrat, puis, le cas échéant, elle devra déterminer si le défendeur
entendait imposer ce contrat avant la fin du délai de congé.

5.
Etant donné le renvoi de la cause à l'autorité cantonale, il n'est pas
nécessaire d'examiner le deuxième argument soulevé par
le demandeur,
à savoir
le caractère abusif du licenciement en raison de l'absence de délai de
réflexion accordé au travailleur pour accepter ou refuser la
conclusion d'un
nouveau contrat.

6.
Au vu de ce qui précède, les conclusions du demandeur en annulation
de la
décision attaquée seront admises et la cause sera renvoyée à
l'autorité
cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Le
recours
joint sera quant à lui déclaré irrecevable.

La valeur litigieuse, calculée au jour du dépôt de la demande, étant
supérieure à 30'000 fr. (art. 343 al. 3 CO), la procédure n'est pas
gratuite.
Comme aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause sur le
recours
principal et que l'issue du procès est incertaine, il se justifie de
partager
par moitié entre les parties les frais judiciaires relatifs à ce
recours
(art. 156 al. 3 OJ), chaque partie supportant en outre ses propres
dépens
(art. 159 al. 3 OJ).
Le recours joint étant irrecevable, le défendeur supportera un
émolument
judiciaire et versera une indemnité au demandeur à titre de dépens
pour la
réponse à ce recours (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours principal est admis et le recours joint est déclaré
irrecevable.

2.
L'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à l'autorité
cantonale pour
nouvelle décision dans le sens des considérants.

3.
S'agissant du recours principal, un émolument judiciaire de 1'000 fr.
est mis
à la charge de chaque partie.

4.
S'agissant du recours joint, un émolument judiciaire de 1'000 fr. est
mis à
la charge du défendeur et ce dernier versera au demandeur une
indemnité de
1'500 fr. à titre de dépens.

5. Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Cour
d'appel
des prud'hommes du canton de Genève.

Lausanne, le 28 novembre 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.209/2002
Date de la décision : 28/11/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-11-28;4c.209.2002 ?
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