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25/11/2002 | SUISSE | N°4P.198/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 25 novembre 2002, 4P.198/2002


{T 0/2}
4P.198/2002 /ech

Arrêt du 25 novembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et
Favre,
greffier Carruzzo.

A. ________,
B.________ SA,
recourantes,
toutes deux représentées par Me Teresa Giovannini, avocate, Lalive &
Associés, rue de l'Athénée 6, case postale 393, 1211 Genève 12,

contre

C.________,
D.________ Inc.,
intimées,
toutes deux représentées par Me Daniel Peregrina, avocat, Baker &
McKenzie,
chemin des Vergers

4, 1208 Genève,
Tribunal arbitral CCI, à Genève, c/o Professeur Pierre Tercier,
Président,
chemin Guillaume-Ritter 5, 1700 ...

{T 0/2}
4P.198/2002 /ech

Arrêt du 25 novembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et
Favre,
greffier Carruzzo.

A. ________,
B.________ SA,
recourantes,
toutes deux représentées par Me Teresa Giovannini, avocate, Lalive &
Associés, rue de l'Athénée 6, case postale 393, 1211 Genève 12,

contre

C.________,
D.________ Inc.,
intimées,
toutes deux représentées par Me Daniel Peregrina, avocat, Baker &
McKenzie,
chemin des Vergers 4, 1208 Genève,
Tribunal arbitral CCI, à Genève, c/o Professeur Pierre Tercier,
Président,
chemin Guillaume-Ritter 5, 1700 Fribourg.

arbitrage international; compétence

(recours de droit public contre la sentence partielle du Tribunal
arbitral
CCI du 1er juillet 2002)

Faits:

A.
Par contrat du 12 juillet 2000, E.________ et la Compagnie F.________
(ci-après: F.________), sociétés anonymes de droit français, ont cédé
à
D.________ Inc., société ayant son siège dans le Maryland (Etats-Unis
d'Amérique), la totalité des actions des sociétés françaises
G.________ et
H.________ pour les prix de base respectifs de 2'450'000'000 et
300'000'000
de francs français (FRF). Le prix de base pour la cession des actions
G.________ était susceptible d'un ajustement à la baisse aux
conditions
fixées à l'art. 3.2.2 du contrat et suivant la procédure arrêtée à
l'art.
3.4. Le droit français était applicable au contrat de cession. Il
était prévu
de soumettre tout différend relatif audit contrat à un Tribunal
arbitral
ayant son siège à Genève.

Le 28 août 2000, la société C.________ , nouvellement créée, a été
substituée à D.________ Inc.relativement aux droits et obligations du
contrat
de cession, qui prévoyait cette possibilité. La société américaine est
demeurée garante de l'exécution des obligations issues du contrat.

La cession des actions G.________ et H.________ a été réalisée le 31
août
2000 au profit de C.________ qui en a payé le prix de base.

Le 5 janvier 2001, D.________ Inc.a notifié, en son nom et au nom de
C.________, à E.________, pour elle-même et comme représentante de
F.________, une réclamation portant sur une réduction de prix de
1'020'225'000 FRF pour les actions G.________.

Le 15 février 2001, F.________ et E.________ ont signifié le rejet
total de
la réclamation, estimant qu'elle ne respectait pas les modalités
fixées dans
le contrat de cession. Par la suite, elles ont exigé le paiement de
la somme
de 23'000'000 FRF, prévue dans ce contrat en sus du prix de base.

Au début avril 2001, les sociétés C.________ et D.________ ont engagé
la
procédure d'expertise comptable, réservée à l'art. 3.4 du contrat de
cession,
afin d'obtenir une décision au sujet du montant de la réduction du
prix de
cession des actions G.________. Un expert-arbitre a été désigné et un
acte de
mission signé par les parties. Par arrêt du 28 juin 2001, la Cour
d'appel de
Nîmes, saisie par F.________ et E.________, a suspendu la procédure
d'ajustement du prix jusqu'à ce que la sentence à rendre par le
Tribunal
arbitral, dans la procédure dont il sera question ci-après, soit
définitive.

B.
Le 20 mars 2001, F.________ et E.________ ont adressé à la Cour
d'arbitrage
de la Chambre de commerce internationale (CCI) une demande d'arbitrage
dirigée contre C.________ et D.________ Inc.en vue de faire constater
la
nullité de la procédure de notification d'ajustement du prix de base
convenu
pour la cession des actions G.________ et afin d'obtenir des
dommages-intérêts.

Les demanderesses ont proposé comme arbitre l'avocat Sergio Erede. Les
défenderesses ont avancé, de leur côté, le nom du Professeur Hans
Smit. Les
coarbitres ont désigné le Professeur Pierre Tercier en qualité de
président
du Tribunal arbitral. La Cour d'arbitrage de la CCI a entériné ces
choix.

L'acte de mission a été signé le 24 septembre 2001. Il a été convenu,
à cette
occasion, que le Tribunal arbitral rendrait d'abord une sentence
partielle
sur la validité de la notification d'ajustement du prix du 5 janvier
2001.

F. ________ a changé de nom, pendente lite, pour devenir A.________.
Quant à
E.________, elle a été scindée en quatre sociétés distinctes. L'une
d'entre
elles se nomme B.________ SA; les défenderesses ont accepté que cette
dernière société prenne la place de E.________ dans l'arbitrage.

Après que les parties eurent échangé plusieurs écritures, le Tribunal
arbitral a rendu, le 1er juillet 2002, une sentence partielle qui
leur a été
notifiée le 16 juillet 2002 et dont le dispositif est le suivant:
"1. La notification du 5 janvier 2001 faite en application de l'art.
3.4 du
Contrat est valable pour la Majorité du Tribunal
arbitral
- parce qu'elle a été faite par C.________ par les personnes qui
avaient
pouvoir pour le faire,
- parce qu'elle répondait en la forme aux exigences prévues par le
Contrat.
2. Il appartient aux Défenderesses de demander à l'expert de
poursuivre sa
mission.
3. La présente procédure arbitrale est suspendue; elle sera reprise
à la
requête de la Partie la plus diligente.
4. La décision sur les frais et dépens liés à cette phase de la
procédure
est réservée et sera prise ultérieurement ou dans la sentence au
fond."
L'arbitre Sergio Erede ne s'est pas rangé à l'avis des deux autres
arbitres;
il a formulé une opinion dissidente dont le texte est annexé à celui
de la
sentence partielle.

C.
Le 16 septembre 2002, A.________ et B.________ SA ont formé un
recours de
droit public, au sens de l'art. 85 let. c OJ. Invoquant le motif de
recours
prévu par l'art. 190 al. 2 let. b LDIP, elles demandent, en
substance, au
Tribunal fédéral d'annuler le chiffre 2 du dispositif de la sentence
partielle, de constater que le Tribunal arbitral est compétent pour
trancher
la question n° 2 de l'acte de mission, ainsi libellée: "La validité
de la
réclamation d'ajustement du prix au vu du respect des dispositions du
Contrat
du 12 juillet 2000 et des règles de la bonne foi durant les phases de
vérification et de validation", et de l'inviter à instruire cette
question.

Les deux intimées concluent principalement à l'irrecevabilité du
recours.
Subsidiairement, elles en proposent le rejet dans la mesure où il est
recevable.

Au nom du Tribunal arbitral, son président a déposé une brève
détermination,
sans prendre de conclusion formelle au sujet du recours; il y a joint
les
remarques divergentes faites par l'arbitre minoritaire, lesquelles
vont dans
le sens de l'admission du recours.

Par ordonnance du 30 octobre 2002, le président de la Ire Cour civile
a
rejeté la requête d'effet suspensif, respectivement de mesures
provisionnelles, présentée par les recourantes.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Selon l'art. 85 let. c OJ, le recours de droit public au Tribunal
fédéral
est ouvert contre une sentence arbitrale aux conditions des art. 190
ss LDIP.
Il convient donc d'examiner en premier lieu si les conditions prévues
par ces
dispositions sont réunies, ce que contestent les intimées pour
diverses
raisons qui seront indiquées ci-après dans la mesure utile.

La clause compromissoire, insérée dans le contrat de cession du 12
juillet
2000, fixe le siège du Tribunal arbitral en Suisse (à Genève) et
l'une des
parties au moins (en l'occurrence les deux) n'avait, au moment de la
conclusion de cette convention d'arbitrage, ni son domicile ni sa
résidence
habituelle en Suisse; les art. 190 ss LDIP sont donc applicables
(art. 176
al. 1 LDIP), étant observé que les parties n'en ont pas exclu
l'application
par écrit en choisissant d'appliquer exclusivement les règles de la
procédure
cantonale en matière d'arbitrage (art. 176 al. 2 LDIP).

Le recours au Tribunal fédéral prévu par l'art. 191 al. 1 LDIP est
ouvert,
puisque les parties n'ont pas choisi, en lieu et place, le recours à
l'autorité cantonale (art. 191 al. 2 LDIP) et qu'elles ne l'ont pas
non plus
exclu conventionnellement (cf. art. 192 al. 1 LDIP).

Le recours ne peut être formé que pour l'un des motifs énumérés de
manière
exhaustive à l'art. 190 al. 2 LDIP (ATF 127 III 279 consid. 1a p.282;
119 II
380 consid. 3c p. 383). Comme les recourantes n'en articulent pas
d'autres,
il est également recevable de ce point de vue.

La décision attaquée revêt une double nature. Il s'agit d'une sentence
partielle proprement dite dans la mesure où le Tribunal arbitral y
tranche
définitivement l'une des questions litigieuses en constatant que la
notification d'ajustement du prix du 5 janvier 2001 a été faite
valablement.
Mais cette constatation confère également un caractère préjudiciel à
la
sentence entreprise, en ce sens qu'elle est susceptible d'influer sur
certaines des questions en suspens et, en particulier, sur les
prétentions en
dommages-intérêts élevées par chacune des parties. La sentence
examinée peut
donc être qualifiée de sentence partielle lato sensu (sur cette
notion, cf.
ATF 128 III 191 consid. 4a et les références). Pareille sentence ne
peut être
attaquée, selon la jurisprudence, que si elle cause à l'intéressé un
dommage
irréparable ou si le recourant fait valoir l'un des moyens prévus à
l'art.
190 al. 2 let. a et b LDIP, pour autant, dans cette dernière
hypothèse, que
ce moyen ne soit pas manifestement irrecevable ou mal fondé, s'il est
invoqué
conjointement à l'un des autres motifs visés à l'art. 190 al. 2 LDIP,
et
qu'il n'ait pas pu être soulevé antérieurement (ATF 116 II 80 consid.
3b). En
l'occurrence, les recourantes, se fondant sur l'art. 190 al. 2 let. b
LDIP,
font valoir, comme unique moyen, que le Tribunal arbitral s'est
déclaré à
tort compétent pour trancher telle question et incompétent pour
régler telle
autre. En conformité avec la jurisprudence en la matière, elles
pouvaient
donc - et même devaient (cf. ATF 121 III 495 consid. 6d p. 502 et les
références) - attaquer directement la sentence partielle du 1er
juillet 2002.
Les intimées voudraient leur dénier ce droit au motif que le second
grief
(i.e. celui qui concerne la question n° 2 de l'acte de mission)
n'entrerait
pas dans les prévisions de l'art. 190 al. 2 let. b LDIP et tomberait,
en
réalité, sous le coup de l'art. 190 al. 2 let. c LDIP (ultra ou infra
petita). Cette opinion ne saurait être suivie. En effet, l'argument
avancé
par les intimées a trait à la pertinence du grief, qui n'est pas une
condition de recevabilité du recours. Au regard de celle-ci et sous
réserve
de l'hypothèse - non réalisée ici - où le grief d'incompétence, à
l'évidence
irrecevable ou infondé, ne serait articulé que pour tenter d'obtenir,
par ce
biais, l'examen par l'autorité de recours des autres griefs dirigés
contre
une sentence partielle, il suffit que le grief relatif à la
compétence du
Tribunal arbitral satisfasse aux exigences formelles dont dépend la
recevabilité d'un recours de droit public au sens de l'art. 85 let. c
OJ. Peu
importe, en revanche, sous l'angle de la recevabilité, que ce grief
soit
dénué de tout fondement.

La voie du recours de droit public étant ouverte en l'espèce, il faut
encore
examiner si les règles de procédure ont été respectées.

1.2 Pour le recours en matière d'arbitrage international, la
procédure devant
le Tribunal fédéral est régie par les dispositions de la loi fédérale
d'organisation judiciaire (OJ) relatives au recours de droit public
(art. 191
al. 1, 2ème phrase, LDIP).

Invoquant l'une de ces dispositions - l'art. 86 al. 1 OJ, qui pose le
principe de la subsidiarité relative du recours de droit public -, les
intimées soutiennent que les recourantes auraient dû introduire la
procédure
de correction et d'interprétation de la sentence, prévue par l'art.
29 du
Règlement d'arbitrage de la CCI, avant de pouvoir soulever leur
second grief.
L'applicabilité (par analogie) de l'art. 86 al. 1 OJ dans le domaine
de
l'arbitrage international ne va pas de soi, sous réserve peut-être de
la
question de l'épuisement des moyens de droit internes (nécessité du
recours
préalable à un Tribunal arbitral supérieur, si cette possibilité
existe; cf.,
parmi d'autres, Berti/Schnyder, Commentaire bâlois, n. 5 ad art. 190
LDIP),
et il n'est pas certain que l'on puisse contraindre une partie à
introduire
d'abord la procédure de correction et d'interprétation de la sentence
avant
de déposer un recours de droit public (cf. Cesare Jermini, Die
Anfechtung der
Schiedssprüche im internationalen Privatrecht, thèse Zurich 1997, n.
723).
Ces questions peuvent toutefois demeurer indécises en l'espèce. En
effet,
postérieurement au prononcé de la sentence attaquée, le Tribunal
arbitral,
par lettre de son président du 29 juillet 2002, a indiqué aux
demanderesses
que le dispositif de la sentence était clair à ses yeux, par quoi il
fallait
entendre que tous les griefs soulevés et maintenus à l'encontre de la
validité de la notification du 5 janvier 2001 étaient rejetés, que
rien ne
s'opposait plus, du point de vue du Tribunal arbitral, à ce que
l'expert-arbitre poursuive sa mission et que seules demeuraient en
suspens
les prétentions en dommages-intérêts. Il allait de soi, sur le vu de
cette
lettre, que l'introduction de la procédure de correction et
d'interprétation
prévue par l'art. 29 du Règlement d'arbitrage CCI - les parties
disposaient
pour ce faire d'un délai de 30 jours suivant la notification de la

sentence
partielle, intervenue en l'occurrence le 16 juillet 2002 - n'eût été
qu'une
vaine formalité. Or, dans une telle hypothèse, il est renoncé à
l'exigence de
l'épuisement des moyens de droit (cf. Walter Kälin, Das Verfahren der
staatsrechtlichen Beschwerde, 2e éd., p. 328 s. et les arrêts cités).

Les recourantes sont personnellement touchées par la décision
attaquée, qui
les oblige à continuer la procédure d'expertise comptable alors que,
selon
elles, les intimées n'auraient pas respecté les conditions, fixées
dans le
contrat de cession, auxquelles était subordonnée la mise en oeuvre de
l'expert-comptable chargé de déterminer le montant de la réduction du
prix de
base convenu pour la cession des actions G.________. Elles ont ainsi
un
intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cette
décision
n'ait pas été rendue en violation des garanties découlant de l'art.
190 al. 2
LDIP. A tout le moins, semblable intérêt ne saurait-il leur être
dénié en ce
qui concerne le second moyen qu'elles ont soulevé, ce qui leur
confère la
qualité pour recourir (art. 88 OJ). Quant à savoir si cet intérêt
existe
aussi relativement au premier grief, c'est une question qui sera
traitée, au
besoin, à l'occasion de l'examen de ce grief.

Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ en liaison avec l'art. 34
al. 1
let. b OJ), dans la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ), le
recours
est en principe recevable.

Hormis certaines exceptions, le recours de droit public n'a qu'un
caractère
cassatoire (ATF 127 II 1 consid. 2c, III 279 consid. 1b; 126 III 534
consid.
1c; 124 I 327 consid. 4). Lorsque le litige porte sur la compétence
d'un
tribunal arbitral, il a été admis, par exception, que le Tribunal
fédéral
pouvait lui-même constater la compétence ou l'incompétence (ATF 127
III 279
consid. 1b; 117 II 94 consid. 4). Partant, la conclusion des
recourantes
visant à ce que le Tribunal fédéral constate que le Tribunal arbitral
est
compétent pour trancher la question n° 2 de l'acte de mission est
recevable.

1.3 Dès lors que les règles de procédure sont celles du recours de
droit
public, la partie recourante doit invoquer ses griefs conformément aux
exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (ATF 127 III 279 consid. 1c;
117 II
604 consid. 3 p. 606). Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs admissibles qui ont été invoqués et
suffisamment motivés dans l'acte de recours (cf. ATF 127 I 38 consid.
3c; 127
III 279 consid. 1c; 126 III 524 consid. 1c, 534 consid. 1b). Les
recourantes
devaient donc indiquer de façon circonstanciée, en partant de la
sentence
attaquée, en quoi, selon elles, le Tribunal arbitral avait excédé sur
un
point les limites que les parties avaient assignées à sa compétence et
n'avait pas exercé pleinement celle-ci sur un autre point. Elles s'y
sont
assurément employées. Savoir si elles l'ont fait à bon escient n'est
pas un
problème de recevabilité du recours.

2.
2.1Dans un premier moyen, les recourantes s'en prennent au chiffre 2
du
dispositif de la sentence attaquée, d'après lequel "il appartient aux
défenderesses de demander à l'expert de poursuivre sa mission". Selon
elles,
le Tribunal arbitral serait clairement sorti du cadre de sa mission en
invitant les défenderesses à reprendre la procédure d'arbitrage
comptable. Il
aurait oublié, ce faisant, que cette procédure a été soumise à un
régime
propre, exorbitant de la compétence des arbitres. Il aurait en outre
décidé
lui-même, en lieu et place des autorités judiciaires françaises
compétentes,
que les conditions permettant la reprise de la procédure d'arbitrage
comptable suspendue par la Cour d'appel de Nîmes étaient remplies.

Dans leur réponse au recours, les intimées contestent la recevabilité
de ce
premier grief pour diverses raisons. Elles font notamment valoir que
le
chiffre 2 du dispositif de la sentence partielle ne déploierait pas
d'effets
juridiques propres, de sorte que les recourantes ne pourraient pas
justifier
d'un intérêt suffisant à son annulation. Ce chef du dispositif ne
constituerait d'ailleurs qu'une simple conséquence, sans véritable
portée, de
la constatation faite sous chiffre 1 du même dispositif qui, seule,
serait
susceptible de recours. Sur le fond, les intimées exposent les
raisons pour
lesquelles le Tribunal arbitral ne se serait arrogé aucune compétence
par
rapport à l'expertise comptable.

Le Tribunal arbitral interprète, quant à lui, le point incriminé du
dispositif de sa sentence en ce sens que, pour la majorité de ses
membres, il
n'y avait effectivement plus d'obstacle à la poursuite de la mission
de
l'expert-arbitre, sans que lui-même ne veuille ni ne puisse
s'immiscer dans
cette procédure.

2.2 Il n'est pas nécessaire d'examiner plus avant la question, assez
délicate, de la recevabilité du grief, dès lors que celui-ci apparaît
de
toute façon manifestement mal fondé.

Le sens du chiffre 2 du dispositif de la sentence partielle ressort
clairement du n. 44 de la partie "En droit" de cette décision (p.
53), placé
sous le titre "E. LA DECISION ET LA SUITE DE LA PROCEDURE". On peut
y lire
ce qui suit: " La décision intérimaire prise par le Tribunal arbitral
lève
les obstacles mis à l'achèvement de l'activité de l'expert-arbitre. Il
appartient aux défenderesses de prendre toutes les mesures qui
s'imposent
pour que cette procédure se poursuive". Considéré dans ce contexte,
le point
incriminé de la sentence attaquée ne revêt nullement la signification
extensive que les recourantes voudraient lui attribuer en sollicitant
son
texte. De fait, en lisant celui-ci, on ne perçoit aucune volonté du
Tribunal
arbitral de s'immiscer dans la procédure d'arbitrage comptable ni de
se
substituer aux tribunaux français. Les arbitres majoritaires se
bornent, en
réalité, à constater que la sentence partielle autorise la poursuite
de la
procédure d'arbitrage comptable qui avait été suspendue par la Cour
d'appel
de Nîmes jusqu'à droit connu sur la validité de la notification du 5
janvier
2001. Ils n'adressent aucune injonction à l'expert-arbitre ou aux
autorités
judiciaires françaises. Loin de s'arroger une quelconque compétence,
ils se
contentent de constater que c'est désormais aux défenderesses, qui
avaient
engagé la procédure d'arbitrage comptable, de relancer
l'expert-arbitre. Leur
faire grief, dans ces circonstances, d'avoir dépassé les limites de
leurs
attributions confine à la témérité. Aussi bien, les recourantes ne
démontrent
pas que, par hypothèse, la reprise de la procédure d'ajustement du
prix
suspendue par la Cour d'appel de Nîmes eût nécessité, selon le droit
français, une décision formelle de la part de cette juridiction et
d'elle
seule. Elles ne prétendent pas non plus que c'eût été à elles de
demander à
l'expert-arbitre de poursuivre sa mission. Aussi ne voit-on pas quel
intérêt
elles peuvent bien avoir à développer une argumentation des plus
formalistes
pour contester un point accessoire du dispositif de la sentence
partielle,
qui aurait tout aussi bien pu faire l'objet d'une ordonnance de
procédure
distincte, si ce n'est la volonté de temporiser.

Quoi qu'il en soit, ce premier moyen ne peut qu'être rejeté, si tant
est
qu'il soit recevable.

3.
3.1Les recourantes font valoir, dans un second moyen, qu'en décidant,
sans
raison valable, de ne pas trancher la question n° 2, précitée, de
l'acte de
mission et de ne statuer séparément que sur la seule question de la
validité
formelle de la notification du 5 janvier 2001, le Tribunal arbitral a
méconnu
l'acte de mission et s'est déclaré à tort incompétent pour connaître
de cet
objet du litige.

De l'avis des intimées, ce grief n'entrerait pas dans les prévisions
de
l'art. 190 al. 2 let. b LDIP, étant donné que les recourantes
reprochent en
réalité au Tribunal arbitral d'avoir omis de se prononcer sur un des
chefs de
la demande; il s'inscrirait, selon elles, dans le cadre de l'art.
190 al. 2
let. c LDIP, disposition non invoquée par les recourantes. Sur le
fond, les
intimées s'emploient à démontrer que le Tribunal arbitral s'est
abstenu à
juste titre de trancher la question n° 2 de l'acte de mission,
attendu que
les recourantes avaient retiré la conclusion y relative.

Dans ses observations, le Tribunal arbitral expose les raisons pour
lesquelles il a conclu, à la majorité de ses membres, que les
recourantes
avaient renoncé à la troisième objection - matérialisée par la
question n° 2
de l'acte de mission - faite par elles à l'encontre de la procédure de
notification. Il souligne, en particulier, que l'on voit mal quel
aurait été
l'intérêt d'une sentence partielle qui n'eût tranché que deux
objections sur
trois.

3.2 Selon l'art. 190 al. 2 let. c, seconde hypothèse, LDIP, la
sentence peut
être attaquée lorsque le tribunal arbitral a omis de se prononcer sur
un des
chefs de la demande. L'omission de se prononcer vise un déni de
justice
formel. La loi fédérale reprend ici le second motif de recours prévu
par
l'art. 36 let. c du Concordat suisse sur l'arbitrage. Par "chefs de la
demande" ("Rechtsbegehren", "determinate conclusioni", "claims"), on
entend
les demandes ou conclusions des parties. Ce qui est visé ici, c'est la
sentence incomplète, soit l'hypothèse dans laquelle le tribunal
arbitral n'a
pas statué sur l'une des conclusions que lui avaient soumises les
parties
(ATF 128 III 234 consid. 4a p. 242 et les références). Ce grief ne
vaut en
principe pas à l'égard d'une sentence partielle, par définition
incomplète, à
moins que les arbitres n'aient omis de statuer sur un point qu'ils
devaient
résoudre par cette sentence (Lalive/Poudret/Reymond, Le droit de
l'arbitrage
interne et international en Suisse, n. 5c ad art. 190 LDIP, p. 425).

En l'occurrence, c'est précisément le reproche que les recourantes
adressent
au Tribunal arbitral lorsqu'elles lui font grief de ne pas s'être
prononcé
sur la question n° 2 de l'acte de mission. Qu'elles tentent de
colorer ce
grief de manière à lui donner l'apparence du motif de recours prévu
par
l'art. 190 al. 2 let. b LDIP, dans le but de se libérer des entraves
jurisprudentielles à la recevabilité du recours de droit public
contre une
sentence partielle, ne saurait masquer leur véritable intention
d'imputer au
Tribunal arbitral le fait d'avoir statué infra petita. Dans sa lettre
du 21
octobre 2002 au président du Tribunal arbitral, l'arbitre minoritaire
confirme d'ailleurs indirectement que le problème soulevé par les
recourantes
relève de l'art. 190 al. 2 let. c LDIP. Il y souligne, en effet, que
"la
seule question qui reste est de savoir si la sentence partielle a
statué ou
non sur le 3ème grief". "Si la réponse est négative", ajoute-t-il,
"nous
avons omis de statuer sur une des demandes faisant partie de notre
mandat
(«minus quam petitum»)". Au demeurant, la sentence attaquée permet
déjà, à
elle seule, d'exclure la possibilité que le Tribunal arbitral se soit
déclaré
incompétent pour trancher la question n° 2 de l'acte de mission. De
fait,
sous le n° 10a de la partie "En droit" (p. 27), le Tribunal arbitral
a jugé
important de relever, en citant le texte de la conclusion
correspondant à
cette question, que l'une des conclusions prises dans une écriture
précédente
avait été abandonnée. Il a donc admis implicitement, a contrario,
que, si la
conclusion topique avait été maintenue, il aurait dû statuer à son
sujet. En
d'autres termes, le Tribunal arbitral s'est estimé compétent pour se
prononcer sur ce point, mais a considéré qu'il n'avait plus à le
faire
puisque ladite conclusion avait été retirée par les demanderesses. Le
grief
qui lui est fait de s'être déclaré à tort incompétent pour trancher la
question n° 2 de l'acte de mission tombe, dès lors, manifestement à
faux.

Quant au motif prévu par l'art. 190 al. 2 let. c LDIP, les
recourantes ne
l'invoquent pas. Aussi le Tribunal fédéral ne peut-il examiner si et,
dans
l'affirmative, à quelles conditions les recourantes auraient pu le
soulever
dans un recours dirigé contre une sentence partielle, ni quel en eût
été le
mérite.

4.
Les recourantes, qui succombent, seront condamnées solidairement à
payer les
frais et dépens afférents à la procédure de recours fédérale (art.
156 al. 1
et
7 OJ; art. 159 al. 1 et 5 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 15'000 fr. est mis à la charge des
recourantes,
solidairement entre elles.

3.
Les recourantes sont condamnées solidairement à verser aux intimées
une
indemnité globale de 17'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et au
président du Tribunal arbitral.

Lausanne, le 25 novembre 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.198/2002
Date de la décision : 25/11/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-11-25;4p.198.2002 ?
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