La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/11/2002 | SUISSE | N°1A.55/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 25 novembre 2002, 1A.55/2002


{T 1/2}
1A.55/2002 /col

Arrêt du 25 novembre 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Reeb, Féraud, Catenazzi, Fonjallaz,
greffier Kurz.

Pro Natura - Ligue suisse pour la protection de la nature, 4000 Bâle,
recourante, représentée par Me Raphaël Dallèves, avocat, passage
Raphy-Dallèves, case postale 374, 1951 Sion,

contre

Société Télé Champéry-Crosets Portes du Soleil SA,
1874 Champéry,
intim

ée, représentée par Me Clément Nantermod, avocat, résidence
Tivoli, rue
du Coppet 14, case postale 1231,
1870 Monthey 2,
...

{T 1/2}
1A.55/2002 /col

Arrêt du 25 novembre 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Reeb, Féraud, Catenazzi, Fonjallaz,
greffier Kurz.

Pro Natura - Ligue suisse pour la protection de la nature, 4000 Bâle,
recourante, représentée par Me Raphaël Dallèves, avocat, passage
Raphy-Dallèves, case postale 374, 1951 Sion,

contre

Société Télé Champéry-Crosets Portes du Soleil SA,
1874 Champéry,
intimée, représentée par Me Clément Nantermod, avocat, résidence
Tivoli, rue
du Coppet 14, case postale 1231,
1870 Monthey 2,
Commune de Champéry, 1874 Champéry,
Commission cantonale des constructions du canton du Valais, bâtiment
Mutua,
1950 Sion,
Conseil d'Etat du canton du Valais, Palais du Gouvernement, 1950 Sion,
Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour de droit public, avenue
Mathieu-Schiner 1, 1950 Sion 2.

art. 24 LAT; système de déclenchement d'avalanches,

recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal cantonal du
canton
du Valais du 11 janvier 2002.

Faits:

A.
Le 10 août 2000, la société Télé Champéry-Crosets Portes du Soleil SA
(ci-après: TCC) a requis l'autorisation d'installer, sur la parcelle
n. 636
de la commune de Champéry, un système de déclenchement d'avalanches,
au
lieu-dit "arête de Barmaz", en zone forestière. Le système est
constitué de
cinq exploseurs à gaz implantés en versant nord-est, à une altitude
d'environ
1500 m, au sommet de couloirs avalancheux, et d'une station de
contrôle
implantée légèrement en amont. Il est destiné à sécuriser le bas de
la piste
de ski "Ripaille-Grand Paradis", qui emprunte dans ce secteur la route
reliant Champéry à Barme.

Mis à l'enquête le 1er septembre 2000, le projet a notamment fait
l'objet
d'une opposition commune de Pro Natura - Ligue suisse pour la
protection de
la nature (à Bâle, ci-après: Pro Natura) et de WWF, Suisse et Valais.
Les
opposants demandaient une planification d'ensemble de l'aménagement du
domaine skiable de Champéry. Ils invoquaient les nuisances sonores
susceptibles de terrifier les animaux. D'autres mesures, comme le
reboisement
des couloirs et la pose de filets, seraient moins dommageables pour la
nature. TCC précisa, le 14 septembre 2000, que les installations
avaient pour
but de remplacer le minage, beaucoup trop dangereux pour le personnel
qui
doit se rendre sur place pour déposer les charges. Le système
préconisé était
plus sûr et moins cher que les systèmes traditionnels (télé-minage,
pose par
hélicoptère, protections avalanches traditionnelles). Le sol
caillouteux, au
sommet des couloirs, empêchait tout reboisement.

La commune de Champéry a délivré un préavis favorable le 20 septembre
2000.
Des mesures d'intégration dans l'environnement forestier étaient
préconisées.
Le 5 octobre 2000, le Service des forêts et du paysage a préavisé
positivement: il s'agissait de petites installations sur des zones
ouvertes
de la forêt, tendant également à la protection de celle-ci et ne
nécessitant
donc pas de défrichement. Le 9 octobre suivant, le Service de la
protection
de l'environnement a lui aussi préavisé favorablement, considérant
que des
mesures de protection hydrogéologiques devaient être définies, surtout
pendant les travaux. Les nuisances sonores sur le voisinage
paraissaient
nulles, vu la situation en forêt; des nuisances similaires existaient
déjà
actuellement (jets d'explosifs par hélicoptère et personnes sur le
terrain),
et l'ordonnance du 15 décembre 1986 sur la protection contre le bruit
(OPB;
RS 814.41) ne prévoyait pas de normes pour de telles installations. Le
Service de l'aménagement du territoire a estimé, le 10 octobre 2000,
que
l'implantation des installations était imposée par leur destination.
Le
Service administratif et juridique du Département des transports, de
l'équipement et de l'environnement s'est prononcé le 6 novembre 2000.
Une
meilleure planification des aménagements du domaine skiable était
certes
souhaitable; elle pouvait se réaliser dans le contexte du plan
directeur
cantonal, mais il n'y avait aucune contrainte possible à l'encontre
des
exploitants de remontées mécaniques.
Le 8 novembre 2000, la Commission cantonale des constructions
(ci-après: la
CCC) a accordé l'autorisation de construire et écarté les
oppositions, en
reprenant les motifs figurant dans les différents préavis.

B.
Pro Natura a recouru contre cette décision auprès du Conseil d'Etat
valaisan,
en faisant valoir le défaut de planification du domaine skiable,
ainsi que
des lacunes dans l'instruction du dossier: s'agissant du respect de
l'art. 24
LAT (RS 700), aucune étude n'avait été menée quant à la nécessité de
l'installation et à la possibilité de solutions alternatives, et
aucune pesée
globale des intérêts (comprenant la production de plans précis, une
étude
concernant le bruit et la protection des animaux) n'avait été
effectuée.
L'art. 23 de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur les forêts (LFo;
RS 921.0)
était violé, l'installation litigieuse empêchant tout reboisement.

Le 27 juin 2001, le Conseil d'Etat a rejeté le recours. En complément
au plan
directeur cantonal, approuvé le 21 décembre 1988 par le Conseil
fédéral, une
"fiche de coordination D.4/3" avait été approuvée le 22 décembre 1999
par le
Département fédéral de justice et police, et posait les principes
applicables
à l'extension des domaines skiables. Le règlement communal homologué
le 24
mai 1995 prévoyait une zone sportive consacrée au domaine skiable. Le
plan
d'affectation avait été complété par une carte du 21 juillet 2000
précisant
l'étendue du domaine skiable des communes de Champéry et de Val
d'Illiez. Il
n'y avait donc pas de défaut de planification, et l'existence d'autres
installations contestées (canons à neige) n'était pas l'objet du
litige. Une
planification spécifique préalable n'était pas nécessaire pour ce type
d'installations. L'implantation des exploseurs au sommet des couloirs
d'avalanches était imposée par la destination des ouvrages, et
l'intérêt lié
à la sécurité des skieurs et du personnel chargé de l'entretien des
pistes
était prépondérant. La pose de claies métalliques impliquait une
dépense
supplémentaire d'un million de francs. Le reboisement des vides
forestiers
n'était pas possible compte tenu de la nature du terrain.

C.
Par arrêt du 11 janvier 2002, le Tribunal administratif valaisan a
partiellement admis le recours formé par Pro Natura contre cette
dernière
décision. La nécessité de sécuriser la piste de ski n'était pas
contestée; le
système actuel de déclenchement d'avalanches n'était pas
satisfaisant, et les
installations projetées étaient prévues aux endroits adéquats, de
sorte que
l'art. 24 let. a LAT était respecté. Un reboisement au sens de l'art.
23 LFo
n'était pas possible. Le système d'exploseurs permettrait la
régénération de
la forêt en aval des couloirs, la purge systématique évitant
l'accumulation
de trop grandes masses de neige. En dépit des vides forestiers,
l'implantation des exploseurs nécessitait une autorisation de
défricher. Or,
les conditions d'une telle autorisation, en particulier la pesée des
intérêts, le respect de la loi fédérale sur la chasse et une étude de
bruit,
n'avaient pas été examinées, de sorte que l'art. 24 let. b LAT était
violé.
La cause était renvoyée à la CCC afin qu'elle procède à l'examen
coordonné de
tous les paramètres.

D.
Pro Natura forme un recours de droit administratif contre cet arrêt,
en
invoquant l'exigence de coordination (art. 25a LAT): l'étude de
solutions
alternatives, l'impact sur l'environnement et l'application de l'art.
23 LFo
devraient être examinés dans le cadre de l'application de l'art. 24
let. a
LAT. L'art. 23 LFo serait en outre applicable car les couloirs
proprement
dits seraient propices à un reboisement.

La cour cantonale et le Conseil d'Etat ont renoncé à se déterminer.
L'intimée
TCC se réfère aux considérants de l'arrêt attaqué. La commune de
Champéry
s'en tient à l'appréciation du Tribunal cantonal à propos de
l'application de
l'art. 24 let. a LAT. L'Office fédéral de l'environnement, des forêts
et du
paysage (OFEFP) s'est déterminé à propos de la protection contre le
bruit et
du reboisement. L'Office fédéral du développement territorial (OFDT)
conclut
dans le même sens que la recourante, et s'interroge en outre sur la
nécessité
d'une procédure de planification du domaine skiable. En réplique,
l'intimée a
produit une expertise privée, ainsi que divers rapports.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'arrêt attaqué est une décision de dernière instance cantonale. Le
Tribunal
administratif a renvoyé la cause à la CCC, le projet n'ayant pas fait
l'objet
d'une étude conforme au droit fédéral, en particulier à la loi
fédérale sur
les forêts, à la loi fédérale sur la chasse et la protection des
mammifères
et oiseaux sauvages (LChP; RS 922.0) et à l'ordonnance sur la
protection
contre le bruit. La pesée des intérêts devait avoir lieu dans le
cadre de
l'application de l'art. 24 let. b LAT.

1.1 Selon l'art. 34 al. 1 LAT, le recours de droit administratif est
recevable contre les décisions concernant des autorisations
exceptionnelles
de construire en dehors de la zone à bâtir, régies par l'art. 24 LAT.
En
vertu de l'art. 46 LFo, le recours de droit administratif peut en
outre
porter sur l'application de l'art. 23 LFo (obligation de reboiser les
vides
en forêt).

1.2 Selon l'art. 106 OJ, le recours doit être déposé dans les trente
jours
ou, s'il s'agit d'une décision incidente, dans les dix jours dès la
notification de la décision. L'arrêt attaqué est un arrêt de renvoi.
Il n'est
pas pour autant incident dès lors que la cour cantonale a statué sur
la
question de la conformité des installations à l'art. 24 let. a LAT,
ainsi que
sur le caractère forestier des zones concernées. Sur ces points,
contestés
par la recourante, la cour cantonale a statué définitivement au fond.
Il
s'agit donc d'un jugement partiel, attaquable aux mêmes conditions
qu'un
jugement final (ATF 120 Ib 97 consid. 1b p. 99 et les arrêts cités).

1.3 Même si elle n'a pas directement un intérêt digne de protection à
obtenir
l'annulation ou la modification de l'arrêt attaqué, la recourante, en
tant
qu'association d'importance nationale vouée à la protection de la
nature, a
qualité pour agir par la voie du recours de droit administratif (cf.
art. 103
let. c OJ en relation avec l'art. 12 de la loi fédérale sur la
protection de
la nature et du paysage [LPN; RS 451] et l'art. 55 de la loi fédérale
sur la
protection de l'environnement [LPE; RS 814.01]; cf. aussi le ch. 6 de
l'annexe à l'ordonnance relative à la désignation des organisations
habilitées à recourir dans les domaines de la protection de
l'environnement
ainsi que de la protection de la nature et du paysage [ODO; RS
814.076]).

2.
La recourante renonce, dans son recours de droit administratif, à
invoquer
les défauts qui, selon elle, entacheraient la planification du domaine
skiable dans son ensemble. Elle ne prétend plus, par ailleurs, que
l'installation contestée nécessiterait l'adoption d'une planification
spéciale. L'OFDT reprend toutefois ces griefs dans ses
déterminations: il
relève que si le plan général d'affectation approuvé en 1995 définit
une
"zone sportive - domaine skiable", le règlement y relatif ne précise
pas
quels types de constructions y sont autorisés. Le plan du 21 juillet
2001,
relatif au domaine skiable des Portes du Soleil, ne serait pas un
plan au
sens de la LAT. La fiche de coordination évoquée par les autorités
cantonales, approuvée sous réserve par l'office, ne serait pas non
plus d'une
clarté suffisante. Les installations litigieuses ne sauraient, en
définitive,
être autorisées si la piste de ski à sécuriser ne fait pas l'objet
d'une
planification suffisante. Par son impact sur l'environnement,
l'installation
pourrait d'ailleurs en elle-même exiger une mesure de planification
spéciale.

2.1 Certains projets non conformes à l'affectation de la zone non
constructible peuvent avoir des effets importants sur l'organisation
du
territoire et la protection de l'environnement. Dans ce cas,
l'obligation de
planifier (art. 2 LAT) impose que la pesée des intérêts se fasse dans
le
cadre de la procédure de planification, avec la participation de la
population, et non dans le cadre d'une autorisation exceptionnelle
(ATF 120
Ib 207 consid. 5 p. 212). Il en va ainsi notamment des installations
soumises
à l'étude d'impact sur l'environnement (ATF 124 II 252 consid. 3 p.
255), des
ouvrages s'étendant sur une vaste surface (gravières, ATF 123 II 88;
installations de gestion des déchets, ATF 124 II 252; centres
sportifs, ATF
114 Ib 180 consid. 3c/b p. 186; installations d'enneigement
artificiel, arrêt
1A.23/1994 du 21 décembre 1994, publié in RDAT 1995 II n. 63 p. 165),
ou
d'ouvrages de moindre surface, mais ayant des effets importants sur
l'environnement (augmentation du trafic, ATF 116 Ib 50 consid. 3b p.
54).

2.2 Le projet litigieux comporte cinq exploseurs. Ceux-ci se
présentent,
selon les plans figurant au dossier, sous la forme d'un tube de 4m 30
à 4m 95
de long pour un diamètre de 50 à 80 cm, dont l'extrémité recourbée
vers le
bas est reliée au sol par des barres d'ancrage ou par un contrepoids
articulé. La base du
tube est scellée dans un socle en béton. Les
exploseurs
sont reliés à un abri rond en polyester de 2,3 m de diamètre et de
2,35 m de
haut, posé sur un socle en bois, contenant les bouteilles de propane
et
l'unité de réception dans le cas d'une commande par radio. L'oxygène
est
stocké à l'extérieur de l'abri, la surface totale au sol étant
d'environ 3 m
sur 3,5 m. Les gaz sont acheminés vers les exploseurs au moyen de
tubes
d'acier fixés au rocher ou de tubes en polyéthylène enterrés à 40 cm
de
profondeur. Les exploseurs sont répartis sur une distance d'environ
300 m.
Par ses dimensions, le projet ne nécessite pas l'adoption d'une
planification
spéciale. Les exploseurs et l'abri ont une emprise au sol réduite, de
quelques dizaines de mètres carrés. Il s'agit de constructions de
surface
reliées entre elles par des conduites de faible diamètre, ne
nécessitant pas
de travaux d'envergure. L'emprise sur le paysage et l'environnement
est, elle
aussi, limitée. Outre son aspect, l'installation aura certes un
impact sous
l'angle de la protection de la faune et de la forêt, ainsi que contre
le
bruit. Toutefois, on ne saurait perdre de vue qu'actuellement déjà,
des
minages ont lieu aux mêmes emplacements, et il n'est pas établi que
le bruit
occasionné par les exploseurs soit supérieur à celui des charges
utilisées
jusqu'à présent, même si le système d'exploseurs semble impliquer des
minages
plus fréquents, ce qu'il appartiendra à la CCC d'examiner sous
l'angle du
respect de l'OPB. Par ailleurs, l'effet des installations sur la
faune et la
forêt est limité aux couloirs à purger et, de ce point de vue
également, les
minages actuels ne paraissent pas plus avantageux. Si les
déclenchements
d'avalanches ont, comme le soutient la recourante, pour effet
d'empêcher une
repousse de la forêt - ce qui est contesté, notamment dans l'arrêt
attaqué,
selon lequel la purge régulière des couloirs évitera l'accumulation
de trop
grandes masses de neige -, il peut en aller de même tant pour les
minages
effectués actuellement, que pour les déclenchements naturels qui
auraient
lieu en l'absence de toute intervention. Le projet contesté n'a rien
à voir,
en particulier, avec les installations d'enneigement artificiel
visées dans
l'arrêt du 21 décembre 1994 précité, qui comportaient une prise
d'eau, des
réservoirs, des bassins de réfrigération, des stations de pompage, une
station de contrôle et 93 canons à neige, répartis sur plusieurs
kilomètres,
et présentant notamment des problèmes de protection des eaux. Mis à
part leur
caractère permanent, les installations contestées par la recourante
n'auront
pas de répercussions sur l'environnement plus importantes que la
situation
actuelle.

2.3 Dès lors qu'elle est en soi admissible, la procédure
d'autorisation
exceptionnelle selon l'art. 24 LAT ne saurait conduire à l'examen de
l'ensemble de la planification du domaine skiable. Il ressort
clairement du
plan d'affectation des zones, approuvé le 25 mai 1995 par le Conseil
d'Etat,
que la piste de ski Ripaille-Grand Paradis emprunte, dans le secteur à
assainir, la route de Barme. L'OFDT prétend que l'utilisation de
cette piste
serait rendue possible par une installation d'enneigement artificiel
existant
depuis plusieurs années. Selon les dernières déterminations de TCC,
ces
installations seraient situées bien en amont de la piste à sécuriser
et
seraient sans incidences sur la pratique du ski dans ce secteur,
situé à
l'ombre et dont les conditions d'enneigement seraient idéales.
L'admissibilité des installations d'enneigement n'a donc pas à être
examinée,
même indirectement, dans le présent cadre. Quant à la question de
savoir si
l'installation litigieuse est nécessaire à l'exploitation de la piste
de ski,
elle pourra - et devra - être résolue dans le cadre de la procédure
d'autorisation selon l'art. 24 LAT (cf. ATF 117 Ib 266).

3.
La recourante invoque l'art. 24 let. a LAT. Pour admettre que
l'implantation
de l'installation est "imposée par sa destination", au sens de cette
disposition, il fallait aussi examiner si les variantes proposées
étaient
envisageables. La recourante préconisait la pose de filets ou de
claies
métalliques paravalanches, dont la réalisation avait été écartée par
le
Conseil d'Etat en raison d'un coût supérieur d'environ 1'000'000 fr.
Devant
la cour cantonale, la recourante avait relevé qu'il fallait tenir
compte,
pour comparer les coûts, des frais d'exploitation et d'entretien du
système
d'exploseurs. La comparaison devait aussi se faire en tenant compte
du bruit
et des possibilités de reboiser. En retenant que les conditions de
l'art. 24
let. a LAT étaient réunies, la cour cantonale aurait en tout cas
constaté les
faits de manière inexacte ou incomplète.

3.1 Selon l'art. 24 LAT, une autorisation dérogatoire peut être
accordée pour
des constructions hors de la zone à bâtir lorsque l'implantation de
ces
constructions est imposée par leur destination (let. a) et
lorsqu'aucun
intérêt prépondérant ne s'y oppose (let. b).

Pour que l'implantation soit imposée par la destination d'une
construction,
celle-ci doit être adaptée aux besoins qu'elle est censée satisfaire
et ne
pouvoir remplir son rôle que si elle est réalisée à l'endroit prévu:
une
nécessité particulière, tenant à la technique, à l'exploitation ou à
la
nature du sol, doit exiger de construire à cet endroit et selon les
dimensions projetées; seuls des critères objectifs sont déterminants,
à
l'exclusion des préférences dictées par des raisons de commodité ou
d'agrément (ATF 124 II 252 consid. 4a p. 255; 123 II 499 consid.
3b/cc p. 508
et la jurisprudence citée). L'implantation d'un ouvrage peut aussi
être
imposée par sa destination en raison des nuisances qu'elle provoque,
incompatibles avec la zone à bâtir (cf. par exemple ATF 118 Ib 17).
La pesée des intérêts exigée par l'art. 24 let. b LAT comprend, selon
l'art.
3 OAT (RS 700.1), la détermination de tous les intérêts, publics et
privés,
touchés par le projet (art. 3 al. 1 let. a OAT). Il s'agit évidemment
d'abord
des intérêts poursuivis par la LAT elle-même (notamment la
préservation des
terres cultivables, l'intégration des constructions dans le paysage,
la
protection des rives, sites naturels et forêts - art. 3 al. 2 LAT -,
la
protection des lieux d'habitation - art. 3 al. 3 let. b LAT), mais
aussi des
autres intérêts protégés dans les lois spéciales (LPE, LPN, LFo, OPB,
OPAir);
les intérêts privés sont également pris en compte. L'autorité doit
ensuite
apprécier ces intérêts notamment en fonction du développement spatial
souhaité et des implications qui en résultent (art. 3 al. 1 let. b
OAT). La
pesée des intérêts proprement dite tient compte, dans la mesure du
possible,
de l'ensemble des intérêts en présence, et doit être motivée (art. 3
al. 1
let. c et al. 2 OAT).

3.2 La protection de la forêt, le respect de l'OPB et de la LChP sont
en
principe à prendre en compte dans le cadre de la pesée d'intérêts
prévue à
l'art. 24 let. b LAT. En revanche, l'existence de variantes au projet
de
construction doit être examinée en relation avec l'art. 24 let. a
LAT. Il
s'agit en effet de déterminer si le projet doit être réalisé à
l'emplacement
et selon les dimensions prévus.

Le Tribunal administratif a retenu, à juste titre, que l'emplacement
des
exploseurs était imposé par leur destination, dans la mesure où ce
type
d'installation doit naturellement être positionné au sommet des
couloirs
qu'il s'agit d'assainir. La cour cantonale s'est toutefois contentée
d'affirmer qu'"il n'existe guère d'autre alternative que celle
consistant à
implanter l'abri et les exploseurs litigieux aux endroits prévus". La
recourante préconisait à ce sujet la pose de claies métalliques ou de
filets
paravalanches, ce qui permettrait, selon elle, une repousse de la
forêt,
rendue impossible par la purge régulière des couloirs, et éviterait
les
nuisances de bruit et les effets néfastes sur la faune. Elle relevait
également que l'accès par la route de Barme permettait aux pisteurs
de miner
efficacement et sans danger les couloirs en question.

3.3 L'arrêt attaqué est muet sur ces questions. On ignore ainsi de
quelle
manière se font actuellement les minages destinés à sécuriser la
piste de ski
(les pièces du dossier évoquent tour à tour un accès à ski et en
ratrac par
la route de Barme, ou en hélicoptère), et, par conséquent, en quoi
consistent
les dangers encourus par le personnel chargé de ces opérations. La
cour
cantonale a ensuite écarté les variantes proposées par la recourante,
sans
motiver cette appréciation. Pour sa part, le Conseil d'Etat estimait
que le
coût de claies métalliques serait d'un million de francs plus élevé.
La
recourante relève que les frais d'exploitation de l'installation
gaz-ex n'ont
pas été pris en compte dans cette estimation. Par ailleurs, pour
autant
qu'une différence de prix importante soit avérée, cet argument n'est
en
principe pas décisif, dès lors qu'il relève plutôt des éléments
subjectifs,
proches de la convenance personnelle de l'exploitant, et doit céder
le pas
face aux autres critères qu'il conviendra d'examiner (protection de
la forêt
et de la faune, protection contre le bruit). Dans le cadre de la
protection
contre les catastrophes naturelles, les cantons doivent assurer les
zones de
rupture d'avalanches par des méthodes aussi respectueuses que
possible de la
nature (art. 19 LFo). Selon l'art. 17 al. 1 let. b de l'ordonnance
sur les
forêts (OFo; RS 921.01), les installations pour le déclenchement
préventif
d'avalanches sont envisagées à titre d'exception, subsidiairement aux
constructions de protection.
L'arrêt attaqué n'examine ainsi ni la nécessité de l'installation du
point de
vue de la gestion du domaine skiable (soit la possibilité de changer
le tracé
de la piste, voire de la fermer temporairement), ni la possibilité de
solutions de remplacement. Cette dernière question ne peut être
examinée
indépendamment des considérations relatives à la protection de la
forêt et de
la faune, ainsi qu'à l'esthétique et à l'intégration dans le site.
Dans ces
circonstances, l'affirmation de la conformité du projet à l'art. 24
let. a
LAT apparaît prématurée. L'arrêt attaqué doit donc être annulé sur ce
point.

4.
Appliquant l'art. 23 al. 1 LFo, le Tribunal administratif a considéré
que le
reboisement était impossible au sommet des couloirs où doivent être
implantés
les exploseurs. En aval de ceux-ci, la régénération de la forêt serait
favorisée par les installations, car la purge régulière des couloirs
empêcherait l'accumulation de neige.

La recourante admet que le sommet des couloirs est formé de
caillasse, peu
propice à un reboisement naturel. En revanche, un tel reboisement
serait
possible dans les couloirs proprement dits, ce que la cour cantonale
aurait
omis de considérer. Par ailleurs, le renvoi de la cause à la CCC pour
effectuer la pesée des intérêts prévue à l'art. 24 let. b LAT, tout en
excluant l'application de l'art. 23 LFo, violerait l'obligation de
coordination posée aux art. 25a LAT et 11 al. 2 LFo.

4.1 Selon l'art. 23 LFo, les vides occasionnés par les atteintes de
l'homme
ou de la nature doivent être reboisés s'ils compromettent la
stabilité ou la
fonction protectrice des forêts (al. 1). Lorsque le reboisement ne
peut pas
être assuré par régénération naturelle, des arbres et des buissons
adaptés à
la station doivent être plantés (al. 2). Si les parties semblent
s'accorder
sur la nature du terrain au sommet des couloirs, où les exploseurs
doivent
être installés, elles divergent en revanche sur la nature du sol en
aval,
ainsi que sur les possibilités d'un reboisement. L'arrêt cantonal
exclut la
possibilité d'un reboisement des couloirs, sans toutefois motiver
cette
appréciation.

4.2 Les rapports produits par TCC, en particulier l'expertise du 24
juillet
2002, fournissent des données nouvelles sous l'angle de la LFo et
proposent
une approche dont la pertinence et le bien-fondé n'ont pas encore pu
être
discutés par les parties. Il en ressort notamment que les couloirs
principaux
auraient toujours existé, et ne seraient pas le résultat de
différentes
tempêtes. A propos du risque d'avalanches, le rapport du 24 juillet
2002
relève que la pose de barrières afin de stabiliser le manteau neigeux
est
envisageable lorsque la reconstitution de la forêt permet de garantir
à long
terme une protection efficace des objets menacés, "pour autant que
cette
protection soit plus importante que le maintien du couloir à
avalanches".
Dans le cas des Forgnons, les objets menacés, soit la piste de ski et
une
grange transformée en bordure d'un couloir, ne justifieraient pas une
telle
protection; d'autre part, "le maintien de la valeur biologique et
paysagère
du massif avec sa biodiversité est plus important que le rôle de
protection".
Le rapport fournit en effet une motivation détaillée sur l'état de la
flore
et l'évolution de la forêt depuis 1957. Il relève en particulier que
les
couloirs ouverts contribuent au maintien de la biodiversité, une
généralisation du couvert forestier n'étant pas souhaitable. Le
déclenchement
d'événements avalancheux importants permettrait le maintien de ces
ouvertures. A propos de la faune, le rapport relève la présence de
toutes les
espèces d'ongulés connues en Suisse (cerfs, chevreuils, chamois,
bouquetins),
ainsi que
d'autres espèces rares ou sensibles (lynx, martre, tétras
lyre,
etc.). Le projet n'apporterait pas de changement à la situation
actuelle, le
gibier étant toujours présent malgré les minages et les dérangements
liés à
l'accès en ratrac et à ski. La pose de barrières constituerait un
obstacle
pour les déplacements de la faune, ainsi qu'une diminution des zones
de
nourrissage. L'expert recommande certaines mesures d'intégration des
installations (déplacement de l'abri près des accès, camouflage des
exploseurs), ainsi que d'autres mesures, tels notamment le
déplacement ou la
fermeture de la piste.

4.3 Ce rapport n'était pas connu de la cour cantonale. S'il répond au
problème du reboisement en considérant - alors que cela n'était pas
envisagé
antérieurement - que la stabilité et la fonction protectrice de la
forêt ne
sont pas essentielles aux endroits considérés (art. 23 LAT), il
envisage
néanmoins diverses mesures qui ont une incidence sur la question de la
"Standortgebundenheit", qu'il s'agisse de l'éventualité de solutions
de
remplacement, d'une fermeture ou d'un déplacement de la piste de ski,
ce qui
n'a nullement été examiné par les instances inférieures. De ce point
de vue
également, la LFo fait partie des intérêts à prendre en compte, non
seulement
au titre de l'art. 24 let. b LAT, mais aussi pour évaluer les
solutions de
remplacement préconisées par la recourante. Cela étant, force est de
constater que la question de la protection de la forêt n'a pas, elle
non
plus, fait l'objet d'un examen suffisant de la part des instances
inférieures.

5.
Le recours doit, enfin, être également admis au regard de l'art. 25a
LAT.
L'autorité ne pouvait admettre la réalisation des conditions posées
par
l'art. 24 let. a LAT, tout en exigeant, notamment, une étude de bruit
et en
réservant la décision relative à l'application de la LFo. L'art. 11
al. 2 LFo
impose lui aussi une telle coordination, qui n'a pas eu lieu en
l'occurrence.

6.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit administratif doit
être
admis et l'arrêt attaqué annulé en tant qu'il considère que les
conditions
posées aux art. 24 let. a LAT et 23 LFo sont respectées. La CCC, à
qui la
cause était déjà renvoyée, devra procéder à un examen coordonné des
art. 24
let. a LAT (solutions de remplacement telles que le changement de
tracé de la
piste ou sa fermeture temporaire au regard des nécessités du domaine
skiable;
maintien du minage actuel compte tenu notamment de la sécurité du
personnel,
et installation de claies ou filets paravalanches au regard de la
protection
de la forêt et de la faune) et 24 let. b LAT, ainsi que de l'OPB, de
la LFo
et des prescriptions sur la protection de la faune.

Il n'apparaît pas nécessaire de renvoyer la cause au Tribunal
administratif
afin qu'il statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure de
recours. En effet, le présent arrêt ne modifie pas fondamentalement
l'issue
de la procédure cantonale, mais ne fait que préciser la portée du
renvoi à la
CCC. Conformément aux art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ, les frais de la
présente procédure et l'indemnité de dépens allouée à la recourante -
représentée par un avocat - sont mis à la charge de CCC, intimée;
celle-ci
n'a pas déposé de réponse, mais s'est référée à l'arrêt attaqué,
concluant
par là implicitement à sa confirmation. Elle a par ailleurs produit,
dans le
même sens, une détermination aux prises de position des offices.
Compte tenu
de l'issue du recours, ses conclusions sont écartées et elle doit être
considérée comme la partie qui succombe.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit administratif est admis et l'arrêt attaqué est
annulé en
tant qu'il admet la conformité de l'installation aux art. 24 let. a
LAT et 23
LFo.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge de la
Société Télé
Champéry-Crosets Portes du Soleil SA, intimée.

3.
Une indemnité de dépens de 2500 fr. est allouée à la recourante, à la
charge
de l'intimée.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties,
à la
Commune de Champéry, à la Commission cantonale des constructions, au
Conseil
d'Etat et au Tribunal cantonal du canton du Valais, ainsi qu'à
l'Office
fédéral du développement territorial, à l'Office fédéral de
l'environnement,
des forêts et du paysage et au Département fédéral de
l'environnement, des
transports, de l'énergie et de la communication.

Lausanne, le 25 novembre 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.55/2002
Date de la décision : 25/11/2002
1re cour de droit public

Analyses

Art. 2 et 24 LAT; art. 23 LFo; système de déclenchement d'avalanches destiné à sécuriser une piste de ski. Le projet ne nécessite pas l'adoption d'une planification spéciale (consid. 2). L'autorité ne pouvait admettre que l'installation est imposée par sa destination sans examiner les alternatives proposées (autres systèmes paravalanches, changement du tracé de la piste, fermeture temporaire de celle-ci; consid. 3), au regard notamment de l'obligation de reboiser (consid. 4).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-11-25;1a.55.2002 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award